Frankenstein, Guillermo del Toro (2025)

Note : 4 sur 5.

Frankenstein

Année : 2025

Réalisation : Guillermo del Toro

Avec : Oscar Isaac, Jacob Elordi, Christoph Waltz, Mia Goth, Charles Dance

Encore un petit effort et le prochain qui se colle à l’adaptation du roman comprendra que le génie de Frankenstein (et celui de Mary Shelley) tient plus de sa composition narrative que de la composition de sa créature.

Dans mon commentaire sur le roman, je m’interrogeais sur la manière dont le cinéma pourrait précisément illustrer le dilemme non seulement narratif mais linguistique de l’œuvre. Parce que Frankenstein est bien plus qu’un simple roman de science-fiction horrifique, c’est un patchwork narratif de génie qui reproduit l’éclatement cosmopolite de l’Europe du XIXᵉ siècle, une allégorie, presque, de la fécondité des relations sociales et internationales de l’époque illustrée par la créature (à travers son adaptabilité, sa sensibilité et son génie propre — Mary Shelley ne cherche pas à rabaisser la créature par l’intermédiaire de la langue, au contraire, elle l’élève à notre niveau pour en faire un alter ego).

Comme on pouvait s’y attendre, Guillermo del Toro évite de faire parler ses personnages français et les transpose vite en Grande-Bretagne. L’aspect continental, dira-t-on (voire polymorphe ou composite du roman), n’apparaît que dans l’évocation de l’enfance du docteur (sans préciser qu’il s’agit de la Suisse, sauf si cela m’a échappé), et l’on y entend quelques mots de français qui ne semble pas être un français de Suisse, ni même un français international de la haute société européenne, mais un français de personne non francophone choisi sur le tard pour le casting… Bref, il s’agit de toute façon d’une adaptation et en dehors de cet aspect étrange et difficile à transposer, c’est en revanche l’aspect narratif qui pour une fois tente un minimum de reproduire à l’écran l’écueil du roman épistolaire.

J’écrivais dans mon commentaire que le roman comptait trois voix, on n’en a plus que deux ici. Le roman est parcouru de peu de péripéties, c’est sans doute pour cette raison qu’il est à la fois si difficile à adapter « à la lettre » (en respectant l’essence polymorphe du roman) et susceptible de laisser une grande marge de créativité (Guillermo ne s’en est pas privé : il s’approprie quantité d’éléments — autobiographiques, expliquait-il à la séance — en recomposant largement les lieux et les péripéties). Le choix a pourtant presque toujours été de se focaliser sur les événements (rarement conformes à Shelley). L’intérêt du roman, comme la plupart des chefs-d’œuvre, se situe autant dans son fond (sujet, thème) que dans sa forme (narrative et symbolique). L’une des surprises à la lecture du roman après en avoir vu diverses adaptations est de voir lire la créature : voir en particulier ce que la lecture et son apprentissage ont fait d’elle (parce que c’est elle qui s’exprime, à l’écrit, dans le roman). Au cinéma, même si l’on peut s’autoriser à y voir adapté d’une manière ou d’une autre l’aspect littéraire et épistolaire du roman, cela passe forcément par la parole. Toutes les adaptations se focalisent sur la créature au moment où celle-ci parle à peine. Guillermo del Toro se contente de la faire brièvement philosopher et d’évoquer ses lectures.

Alors, gageons que la prochaine fois sera la bonne. Un récit enchâssé à la Citizen Kane apporterait quelque chose de plus à Frankenstein. Cette autre voie devrait être possible. À la fois plus fidèle et capable de moderniser le mythe en insistant sur l’aspect polyphonique (et polymorphe) du roman. La créature n’apparaît pas seulement comme un monstre à cause de sa physionomie, mais parce que partout où elle passe, elle est « l’étranger » dont on se méfie : elle « naît » en Allemagne, mais sa langue « maternelle » devient le français, et le tout doit être retranscrit… en anglais. La créature, c’est donc le migrant d’aujourd’hui, l’être cosmopolite, le savant vagabond méprisé dans les sociétés modernes, celui que l’on craint parce qu’il pourrait nous « grand-remplacer » (Guillermo del Toro, plus que Mary Shelley, joue sur la peur de voir les pauvres petites demoiselles du continent succomber au charme « monstrueux » de l’étranger, reprenant ainsi plutôt un motif de Dracula). Le rapport de la créature avec le docteur Frankenstein n’est ainsi pas exclusif. Le sujet du roman, c’est autant l’expérience de l’altérité que la quête de l’espace vital d’une créature modelée par l’homme condamnée à lui survivre. Cette altérité ne se trouve pas seulement évoquée à travers la question de l’apparence de la créature, mais aussi à travers les différentes langues diégétiques du récit, à travers les différentes classes sociales abordées, à travers les différents lieux. Compacter tous ces aspects en une seule langue, un seul lieu, une seule classe, c’est un peu réduire la créature à un vulgaire animal de compagnie, à un simple bout de viande qui se dérobe à notre fourchette.

Le film possède une autre qualité : son design. Je ne suis pas fan des lumières créées par ordinateur, mais costumes et décors valent le détour. Le château des expérimentations évoque à la fois la version de 31 (de ce que je m’en rappelle, surtout pour son entrée, son escalier) et celle de Branagh (la chambre d’expérimentation et sa tour). Quant à la créature, elle évoque plus… le Prométhée de Ridley Scott. Elle est plus proche de l’homme augmenté que de la vision néandertalienne proposée dans les précédentes versions.

Le film est long. Il aurait gagné à prendre encore plus le temps lors des grandes séquences émouvantes « créature/humain ». Les obligations hollywoodiennes… La distribution Netflix ouvrait la voie à une adaptation en deux ou trois volets… Une série, un jour peut-être…


Frankenstein, Guillermo del Toro (2025) | Bluegrass Films, Demilo Films, Double Dare You, Netflix


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Last Night in Soho, Edgar Wright (2021)

Not all men

Note : 2.5 sur 5.

Last Night in Soho

Année : 2021

Réalisation : Edgar Wright

Avec : Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Matt Smith, Diana Rigg, Terence Stamp

 

Les joies du confusionnisme. Pendant près d’une heure, on s’agace en voyant cette pauvre gamine ne pas aller voir un psychiatre, tout dans ses visions faisant penser à de la schizophrénie. Cela n’aurait rien coûté de balayer rapidement cette hypothèse ou d’inventer un subterfuge en guise de justification pour ne pas avoir à le faire (comme on le fait pour justifier de ne pas appeler les policiers dans un film criminel). On lève alors les yeux au ciel en comprenant au moment du dénouement que ses visions s’appuient sur des événements réels… qu’elle identifiait mal. L’horreur, le fantastique, c’est bien, mais quand ça tient d’une explication moisie justifiée sur le tard, on s’enfonce rapidement dans le ridicule. Et c’est d’autant plus vrai, pardon, mon cher Edgar (pas Poe), que les hallucinations de la gamine n’ont rien de simples visions rattachées à un espace hanté ou à une quelconque sorcellerie : quand elle est dans la bibliothèque et qu’elle attaque une élève suite à des hallucinations, c’est typiquement un type de situation que l’on peut rencontrer avec des schizophrènes. Pour le coup, aucun rapport avec un passé bien réel… Ne pas donner des explications à son comportement à ce moment-là est plutôt problématique… Première confusion qui me pousse à faire “beuh”.

Second niveau de confusion : le rapport aux victimes, aux mâles comme la société actuelle ne veut plus en voir (des prédateurs, pour faire court) et aux assassins. Déflorons l’intrigue. Une étudiante s’installe dans une vieille chambre dans le quartier de Soho ; elle ne tarde pas à avoir des visions sur une aspirante chanteuse dans les années 60 et « apprend » qu’elle aurait été abusée par une série d’hommes que son manager lui aurait fait rencontrer. Ses visions lui indiquent bientôt que cette chanteuse aurait été assassinée par ce même manager parce qu’elle ne se pliait pas à ses exigences ; elle pense y voir un crime non résolu, et court en informer la police qui ne la prend pas au sérieux. Arrive le twist où les masques tombent, et patatras, l’assassin était en fait la victime, la logeuse, qui s’en serait prise aux hommes qui l’avaient précédemment abusée. Donc, quoi ? Finalement,… not all men ?

Dans ses visions, quand elle comprend que ceux qu’elle croyait être, seulement, ses bourreaux sont aussi les victimes assassinées par sa logeuse, elle refuse de les aider quand ils lui demandent son aide. Soit, c’est de bonne guerre. La réplique est amusante d’ailleurs, très esprit metoo radical. Sorte de revenge movie par procuration. Sauf que les implications dramatiques deviennent difficiles à justifier : la gamine comprend le fin mot de l’histoire alors qu’elle est censée être sous somnifère (elle retrouve toutes ses facultés, on se demande comment), et si elle refuse de venir en aide aux abuseurs devenus à leur tour victimes qu’elle voit en hallucinations…, de quel côté va-t-elle se placer quand la mamie psychopathe (victime autrefois de ces abus mais devenue par la force des choses une tueuse en série) se trouvera en face d’elle ? Tu as trois secondes pour réfléchir, lady, parce que mamie arrive enfin de sa longue montée des escaliers ! Alors ?… Inutile de réfléchir, mamie décide pour toi. Et que tu sois une fille ou un mec, pour la boomeur, ça ne change rien à l’histoire : la sororité, elle la poignarde en plein cœur ! Aucun respect pour les féministes 2.0, ces bonnes féministes des 60’s qui ont mal vieilli.

Sérieusement, faut pas pousser mamie dans les orties, ça n’a aucun sens. Confusionnisme total. L’ironie, sans doute, c’est probablement encore qu’on ait affaire ici à une sorte de justification par l’absurde du mouvement metoo par ceux qui justement sont les moins bien placés pour en justifier les excès : les hommes. Confusion et tartufferie. Si on voulait résumer en un film d’absurdité de metoo, il aurait bien sûr fallu y mettre un peu de male gaze. « Mesdames, je vais faire un film pour vous défendre, vous, les victimes. Ce sera trash. Les hommes vont en prendre pour leur grade. » « Cool. » « Et puis, le twist est génial. » « Ah ? » « À la fin, c’est la femme qui est coupable. » « Heu. »

Dans Scary Movie, parfois, on peut être amusé de ne plus savoir qui sont les assassins et les victimes. Mais c’est volontaire. Ici, on rit jaune (giallo peut-être), parce que plus personne ne semble savoir qui sont les agresseurs ou les victimes ou les deux. Le film d’une époque, assurément où chacun voudrait pouvoir prétendre juger de qui est qui alors que le monde n’est, pour nous et à notre petite échelle, qu’un grand flou halluciné. La vie n’est pas une fiction : la première chose à faire, c’est d’aller voir la police, de laisser faire la justice, et de surtout ne jamais se fier à ses intuitions. Les intuitions traduisent le monde comme on veut le voir ou comme on le craint ; elles nous rendent surtout les choses simples, créent un récit cohérent avec peu de matière. Un récit, ce n’est pas la réalité. Pas plus que la gamine dans le film, on n’est apte à juger de ce que l’on pense voir ou comprendre. Connaissant son passif familial, elle aurait dû s’en remettre à un psy, comme nous n’avons d’autre choix que de nous en remettre à la justice quand surviennent des faits dont la nature précise reste floue. Intuitions, hallucinations, même combat. Si le film pouvait au moins servir à cette conclusion, ce serait déjà pas si mal, mais je suis probablement le seul à forcer ainsi cette interprétation. Le confusionnisme a ses vertus : je m’efforcerai toujours à trouver un sens personnel à un grand n’importe quoi. (Quand le film que l’on vous propose est mauvais, tentez toujours d’y créer le vôtre.)

Tout cela est bien dommage, parce que tout le reste est parfaitement réussi (production, réalisation, interprétation, musique). Plaisant à regarder, mais indéniablement mal fichu.


Last Night in Soho, Edgar Wright (2021) | Focus Features International, Film4, Perfect World Pictures


Sur La Saveur des goûts amers :

Top films britanniques (non inclus)

 

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Dernier Train pour Busan, Sang-ho Yeon (2016)

Note : 4 sur 5.

Dernier Train pour Busan 

Titre original : Busanhaeng

Année : 2016

Réalisation : Sang-ho Yeon

Avec : Gong Yoo, Jung Yu-mi, Ma Dong-seok

Peut-être plus qu’un film de zombie. Alors que le prequel est complètement raté (Seoul Station) en faisant surtout d’une vraie zombie (au sens figuré) une fille perdue qui attend que son petit copain qui la prostitue vienne la sauver (je crois qu’on ne pourra pas faire plus terrorisant au rayon du sexisme : une victime demandant l’aide à un homme qui la maltraite, et cela au premier degré, c’est littéralement le canevas du film avec une chute qui arrive même à enfoncer le clou), eh bien, tout l’aspect émotionnel ici est parfaitement conçu. C’est bien sûr très convenu, mais vu l’écart lamentable et la faute de goût de Seoul Station, il faut savoir s’en satisfaire. La relation entre la fille et son père, puis celle entre le malabar et sa femme enceinte, c’est vraiment ce qui donne au film sa saveur. Et je crois surtout que je suis fan de Ma Dong-seok qui était déjà responsable en bonne partie du succès du Gangster, le Flic et l’Assassin.

Plus qu’un film de zombie aussi parce que dans la tradition des meilleurs films du genre (et c’est peut-être le genre que j’aime le moins au monde), on y retrouve une satire assez féroce de nos sociétés contemporaines. La critique ici est peut-être moins sur le consumérisme qu’autrefois, mais plus sur l’égocentrisme de nos sociétés. La gamine rappelle à son père que c’est pour ça que sa mère les a quittés (la vérité sort de la bouche des enfants) ; le vagabond, plusieurs fois, leur sauve la mise (c’est donc le type dont notoirement personne ne se soucie : dans une voiture remplie a priori de personnes saines à un moment, l’un d’eux explicite bien la valeur supérieure des personnes qui ont des proches à l’extérieur qui les attendent ou pourraient avoir besoin d’eux) ; et bien sûr, on n’échappe pas à la caricature de l’homme influent cherchant à s’en servir pour échapper coûte que coûte aux « fous » au détriment de tous (alors que le personnage principal est lui au contraire pendant tout le film dans une sorte d’apprentissage : l’influence est inverse, il passe du trader égocentrique à l’homme qui se sacrifie pour ceux, et celles, qui lui ont justement fait la leçon). C’est une belle morale à l’histoire : dans ces situations, on sait que les puissants s’en sortent le mieux, non, comme on le disait à une époque où on avait plus d’honneur et moins la fibre sociale : « les femmes et les enfants d’abord ».

Les blockbusters coréens font souvent dans la morale suspecte en tirant facilement sur les « méchants », caricatures sans ambiguïté du mal ; pour une fois que la satire (ou la critique sociale) est réussie, il ne faut pas bouder son plaisir. Ce n’est d’ailleurs pas si loin de la morale qui fera le succès de Parasite. Ironiquement, il me semble que ces deux films ont été tournés dans une rare période dirigée par une politique de centre gauche. Déjà depuis, le pays est retombé aux mains de la droite. Ironiquement encore (ou pas), si on peut voir aussi le film comme une sorte de mauvais présage des comportements qui verraient le jour avec la pandémie, l’excellente gestion sanitaire du pays était à mettre au crédit d’un pouvoir qui pour la première fois mettait au cœur de sa politique la préservation de la santé de tous au détriment de l’économie ou des libertés individuelles (même s’il me semble que ça se joue parfois à rien : si autant de précautions ont été prises pour éviter une épidémie domestique, c’est qu’un confinement y aurait été illégal). Peut-être que la bonne santé des œuvres, quand elles proposent une satire fine du monde dans lequel elles évoluent, permet aux forces démocratiques d’un pays de rester plus efficacement en alerte et ainsi à la société de mieux réagir face aux nouvelles menaces… (Oui, je suis en train — parti pour Busan — de faire un raccourci entre film de zombie, pandémie et gestion sanitaire d’un pays.)


Dernier Train pour Busan, Sang-ho Yeon 2016 Busanhaeng | Next Entertainment World, RedPeter Film, Movic Comics

The Haunting of Hill House, 2018

Note : 3.5 sur 5.

The Haunting of Hill House

Année : 2018

On comprend aisément ce qui a pu plaire à Mike Flanagan dans cette histoire… Le bonhomme semble obnubilé par Shining… Beaucoup d’éléments similaires ici. Je suis bien étonné de ne pas voir de référence à la hache…

Le début est un peu poussif, puis le puzzle temporel qui se met en place dans la seconde moitié de la mini-série (ou devrait-on dire, « confetti temporel ») est efficace. Il y a une fascination certaine à voir les morceaux de l’intrigue s’agencer un à un.

Il faut aussi reconnaître au dernier épisode notamment une certaine qualité… littéraire (oui, oui) dans les dialogues, très probablement des emprunts directs au roman initial.

Joli épisode 6 également dans lequel l’emploi de miettes de plans-séquences permet de s’échapper le temps d’un épisode au ronron pénible et habituel des mises en scène léchées. Voir comme jamais les acteurs en pied, se perdre dans des détails du décor, profiter de la continuité et du souffle donnés seuls par les acteurs, ça fait du bien. Parfois. Sans compter que Flanagan n’en fait pas pour autant un exercice de style tape-à-l’œil. Vu la spécificité de l’épisode, c’était parfaitement justifié (dans un ou deux épisodes précédents, le recours un peu trop systématique aux raccords entre séquences tournait là au contraire à l’exercice de style un peu vain).

Bon, sinon, les flics, ils n’ont pas eu l’idée de l’ouvrir cette satanée chambre rouge après le suicide de la mère ? La dame se jette du haut de l’escalier donnant accès à cette pièce, mais personne n’aura l’idée d’y jeter un coup d’œil ? (Mince, je viens de faire appel à la police et ç’a mis un grand coup de pied dans le joli tas reconstitué de confettis. Principe hitchcockien qui vaut donc à la fois pour les thrillers et les films d’horreur : ne jamais faire appel à la police.)


The Haunting of Hill House, 2018 | Netflix


Get Out, Jordan Peele (2017)

Just the Tube of Us

Note : 4 sur 5.

Get Out

Année : 2017

Réalisation : Jordan Peele

Avec : Daniel Kaluuya, Allison Williams , Catherine Keener

Il faut savoir se satisfaire d’un film d’horreur quand il est bon. Us avait été un tel supplice…

Le déclenchement des hostilités vient peut-être un peu tard (elles ne venaient pas bêtement bien trop tôt au contraire dans Us ?), si bien qu’elles sont vite expédiées. Reste que ce qui précède (et c’est sans doute aussi une raison de la réussite du film) se place davantage dans le registre du thriller psychologique que de l’horreur. Et c’est plutôt terrifiant. Ce que cache la belle famille, les motivations ainsi que les outils pour arriver à leurs fins, font peut-être tomber le film, le temps des révélations venues, dans la série Bée, mais hé, c’est un film d’horreur, hein. Aucune histoire de Stephen King, quelle qu’elle soit, une fois dévoilée, ne tient la route, alors pour un premier film, on ne fera pas trop le difficile…

Ce qui marche d’ailleurs, on le doit peut-être aussi aux moyens limités du film qui, c’est un classique dans la réussite des films de genre, l’oblige à ne pas trop en faire. Ce que le spectateur imagine est toujours pour lui beaucoup plus terrifiant que ce qu’il voit à l’écran… Les hostilités sanguines auraient commencé plus tôt, et le film aurait été moins à mon goût… Comme Us, donc.

Il faut prendre le film comme il est : un excellent premier film, et un rare film d’horreur, tendance thriller psychologique, qui tient la route.

La mise en scène de Jordan Peele se révèle tout à fait efficace. Les mouvements de caméra, notamment lors de la scène de la télévision (c’est pour beaucoup une question de rythme, et ici en particulier, de lenteur), la direction d’acteurs (jouer des zombies, ce n’est pas évident ; il faut aussi souvent savoir trouver des acteurs capables, par leur personnalité, leur allure, d’incarner un film tout entier, et Daniel Kaluuya a tout de la victime idéale, impuissante, naïve et terrifiée, tout en disposant d’un certain niveau d’intelligence et du charme pour nous inciter non pas à le prendre un peu trop facilement en pitié, mais à nous mettre à sa place et craindre pour sa vie), tout ça démontre que le garçon sait y faire et saura probablement par la suite nous proposer de bien meilleure qualité que ce qu’il a montré avec son film suivant. Le germe d’un nouveau M. Night Shyamalan peut-être, avec l’espoir de mon côté qu’il saura nous soumettre quelque chose de bien plus efficace que le réalisateur de Sixième Sens.


Get Out, Jordan Peele 2017 | Universal Pictures, Blumhouse Productions, QC Entertainment


 

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France, Bruno Dumont / Titane, Julia Ducournau (2021)

La France kigagne

Note : 1.5 sur 5.

Note : 3 sur 5.

France / Titane

Année : 2021

Réalisation : Bruno Dumont, Julia Ducournau

Je me marre… La politique des auteurs et ses limites.

J’ai toujours été conciliant avec Bruno Dumont parce qu’il propose des choses et n’a pas peur du ridicule. Parfois, il a fait mouche, d’autres fois, il se plante. Et il ne faut pas le rater quand il se plante, évidemment. On voit ce qu’il semble vouloir faire avec France. Le scénario n’est pas si mauvais. Les acteurs non plus, même si je trouve Léa Seydoux plutôt antipathique de manière générale (et si ici, à divers moments, elle peut se révéler touchante, au contraire de Blanche Gardin, insupportable). Mais sa réalisation est une vraie catastrophe.

Cette HD avec lumière crue, ces plans très étranges en voiture, ces reproductions de reportages totalement ratées, cette reproduction assez peu convaincante du monde politico-journalistique parisien, et cette direction d’acteurs plus qu’aléatoire quand le cinéaste a affaire à des acteurs professionnels, ce n’est pas beau à voir.

D’un autre côté, le film de Julia Ducournau souffre de défauts opposés : mise en scène à la hauteur, direction d’acteurs plutôt bonne, mais le scénario, attention aux turbulences… Les dialogues, ça peut aller, mais la construction de l’histoire, la motivation des personnages, la cohérence d’ensemble, ben… c’est franchement horrible à voir. Une constante dans le cinéma d’horreur peut-être.

Les intentions sont bonnes, et si je suis conciliant avec Bruno Dumont, je le serai tout autant envers un cinéma français qui tenterait de retrouver une forme de grand guignol depuis longtemps oubliée. Conciliant, jusqu’à certaines limites… Ce n’est pas de la science-fiction, mais on se situe entre l’horreur, le thriller, le grotesque, et dans la forme, c’est un peu comme si David Cronenberg rencontrait Gaspard Noé. Dommage donc que ce soit tellement si mal écrit… Qu’est-ce qui reste de la proposition de départ qui laisse entendre qu’on se rapprocherait d’un Crash à la française ? L’amour des voitures, que devient-il au fil de récit ?

De manière très étrange, le film fournit deux introductions. Une pour expliquer la plaque de titane que possède le personnage dans la tête (implant purement cosmétique, il n’a strictement aucune utilité dramatique). Et un autre qui va déclencher la folle suite de crimes perpétrés par le personnage principal… Personnellement, je qualifie ce genre d’expositions des hamartia, des événements traumatiques sur lesquels les événements qui suivent trouvent leur raison d’être (Aristote en parle dans La Poétique et sans doute ailleurs). Quand il y en a deux, Aristote appelle ça « l’erreur du karatéka » : une hamartia, deux hamartiaux. Ouille. Pour résumer la chose, jugez de l’effet produit : une impression bizarre que le récit manque de maîtrise. À moins que le second événement devienne une conséquence directe du premier (une hypothèse loin d’être évidente).

De la série B à la française, du grand guignol bien gore, je crie de joie. Mais Julia Ducournau pourrait au moins s’appliquer à élaborer une histoire qui tient la route. Une demi-douzaine de films pourrait se produire dans la foulée par an tellement le travail d’écriture est bâclé. Présenter ça comme du grand cinéma, voire du cinéma d’auteur, envoyer ça dans un festival général et le primer, faut pas pousser (bébé dans le bain d’orties). Rien de bien original à voir des films de genre mal écrits, mais n’en faites pas des films d’auteur et enchaînez-les à la pelle. Que vive la baguetteploitation ! Parce que si l’on continue à laisser penser que ces films sont dignes d’être envoyés dans un festival non dédié au fantastique, on arrivera jamais à multiplier ce genre de productions en les faisant passer pour ce qu’elles sont : des séries B. Et je reviens à ce que je dis souvent : même si l’on a la chance en France de bénéficier de crédits à la création, et une création diverse, on manque en revanche, en dehors des comédies, d’une authentique production de série B à échelle industrielle et à vocation commerciale, voire internationale. C’est seulement quand on dispose d’une vraie industrie de série B, qu’on peut voir se dessiner des mouvements et des cinéastes qui sortent du lot. Au lieu de les faire sortir des écoles de cinéma à papa et de juger les intentions mises en avant plus que le talent ou la popularité.

On va dire que c’est le charme des films d’auteur à la française. Des films qui se remarquent davantage à travers leurs défauts. Maintenant, je ne sais pas jusqu’à quel point Julia Ducournau prétend être « autrice ». Et je ne sais pas jusqu’à quel point on peut se montrer conciliant avec ce type de cinéma… Au moins, Titane m’aura procuré quelques bonnes tranches de rigolade (oui, le grand guignol, on a droit de rire sadiquement, c’est de la catharsis, messieurs, dames). Mais qu’une Palme d’or soit décernée à une tentative de série B grand-guignolesque, comment dire… Le cinéma n’a-t-il vraiment rien de mieux à proposer de nos jours ?


 

France, Bruno Dumont 2021 | 3B Productions, Red Balloon Film, Tea Time Film

Titane, Julia Ducournau 2021 | Kazak, Frakas, Arte


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The House That Jack Built, Lars von Trier (2018)

Où est la maison de mon ami ? (Lars)

Note : 2.5 sur 5.

The House That Jack Built

Année : 2018

Réalisation : Lars von Trier

Avec : Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman

Il faut s’appeler Lars von Trier pour oser produire un film à sketchs sur un tueur en série. Problème inévitable, comme avec beaucoup de films à sketchs, on peine à comprendre le lien logique qui réunit cette suite de meurtres grand-guignolesques. On me répondra que ce n’est pas réellement un film à sketchs, et je dirai que je doute que Lars ait construit son film autour de ce seul fil grotesque, mystique et vaseux qui prend essentiellement sa « logique » dans son épilogue. Parce que, oui, ça ressemble vraiment à un film écrit autour de meurtres sans rapport les uns avec les autres, commis par un même personnage qu’on tend peu à peu à dessiner un profil psychologique forcément dérangé, et sur quoi on a brodé un semblant de fil conducteur pour donner à voir une unité que le film ne gagnera jamais. C’est froid et mal compartimenté comme le frigo de Jack, et probablement comme Lars : seuls la mise en scène et le récit des meurtres intéressent le cinéaste danois déjà mort depuis quelques décennies, ce qui fait que, par manque d’unité, on se moque, de notre côté aussi, des liens que leur meurtrier peut avoir avec ses futures victimes. On peine surtout à comprendre ses motivations (les explications psychologiques se révèlent laborieuses et assez peu crédibles). Les spectateurs qui prennent plaisir à se voir à la place d’un psychopathe sans aucune empathie pour ses victimes doivent être rares. En tout cas, pour moi, le cinéma a pour fonction de montrer comment les gens tissent des liens, se déchirent, se rabibochent, et pourquoi. Suivre une succession de sketchs de Grand-Guignol pour voir comment Matt Dillon va s’y prendre pour tuer ses nouvelles victimes, ça ne met franchement pas en appétit. Quant à connaître les motivations refoulées de ce charmant monsieur, ça me laisse, là encore, totalement indifférent. Le film n’aura d’intérêt que pour les maniaques de tueurs en série venant y assouvir leur curiosité morbide pour les différents modes d’exécution d’un tueur — un peu comme on regarde un film porno des années 70, construit sur le même principe dramaturgique d’une suite de saynètes ou de tableaux reliés grossièrement entre eux (une scène n’étant qu’un prétexte à mettre différents personnages dans diverses situations en train de se faire des mamours).

Un mot sur la distribution parce que je n’irai pas plus loin dans le massacre afin de ne pas réveiller les instincts masochistes de Lars (je sais que tu me lis, mon kiki). Grand plaisir de retrouver Matt Dillon avec une partition pourtant difficile : jouer l’apathie d’un psychopathe apprenant lui-même à jouer l’empathie, voilà qui relève de l’impossible gageure pour un acteur. Si ce n’est pas toujours convaincant (mais s’interroger sur les excès de l’acteur revient à s’interroger sur celles du personnage… feignant, grossièrement, des émotions), ça l’est toujours plus que la jeune actrice interprétant la simplette victime du sadisme du tueur. L’actrice semble assez mal à l’aise à l’idée de jouer une imbécile et paraît bien trop sur la retenue pour être réellement aussi bête que nécessaire. Je vante souvent le mérite des acteurs capables de jouer parfaitement les imbéciles. Il y a chez eux une forme de spontanéité, de fraîcheur et d’innocence enfantine, qui est impossible à retrouver par des acteurs en contrôle, conscient de ce qu’ils font, et donc des acteurs intelligents. L’intelligence est souvent la première ennemie d’un acteur. En voyant ce personnage, je me disais que Lars von Trier avait dû fureter sur les réseaux sociaux et tomber lors de ses recherches sur la vidéo d’un type se moquant de sa petite amie incapable de comprendre un simple jeu de division avec des portions de pizza (la vidéo est ici, et le couple propose tellement de vidéos de ce type que ça sent le fake, ce qui en serait d’autant plus bluffant : en dehors du fait que ça donne une image de la femme assez exécrable, il y aurait du génie à feindre une telle bêtise). Bref, je ne saurais trop rappeler à Lars ce qu’une actrice comme Shelley Winters a été capable de faire tout au long de sa carrière. Les acteurs chez Lars, c’est comme le décor au théâtre, quand on s’ennuie et qu’on ne prête pas beaucoup plus attention à la maison que construit Jack, on ne voit que ça… Reviens au mélodrame, Lars. Le dogme de l’horreur proposé depuis quelques films peine à combler les attentes du vieux butineur que je suis, plus attiré par la lumière que par le lugubre. Bisous.


 

The House That Jack Built, Lars von Trier 2018 | Zentropa Entertainments, Centre National du Cinéma et de l’Image, Copenhagen Film Fund


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Doctor Sleep, Mike Flanagan (2019)

Hommage à la hache

Note : 1 sur 5.

Doctor Sleep

Année : 2019

Réalisation : Mike Flanagan

Avec : Ewan McGregor et le fantôme de Kubrick

Quelle idée saugrenue de vouloir proposer une suite du film de Kubrick… Parce que c’est bien ça dont il est question, non pas d’une suite adaptée du roman de Stephen King… Peut-être même qu’on peut voir ça comme une mise au point, voire comme un règlement de compte, adressé par le biais d’un tiers, de l’auteur du Maine vis-à-vis de Stanley Kubrick.

On sait que l’auteur avait moyennement apprécié l’adaptation de son roman, à cause des coupes et adaptations un peu trop larges à son goût faites par Kubrick. Stephen King ne s’était jamais fait à l’idée qu’un autre (génie) puisse s’approprier sa chose et en faire un succès cinématographique, presque contre son gré. Pourtant Kubrick semble avoir bien (de mémoire) simplifié le roman pour en faire un objet purement cinématographique, et King l’a sans doute compris très vite : le Shining de Kubrick ne lui devait plus grand-chose, c’est ça qu’il avait du mal à accepter. Voir un autre pointer du doigt ce qui ne convient pas, d’abord d’un simple point de vue dramaturgique, puis pour ce qui est de l’adaptation à l’écran, alors que King s’est toujours vanté d’être un maître dramaturge, ça ne passe pas. Pourtant Stephen King doit une fière chandelle à Kubrick : une grosse partie de ceux qui le lisent vient à lui pour les adaptations de Carrie et de Shining. Toutes les autres sont des merdasses clairement inadaptables. Pour beaucoup parce que Stephen King n’est pas le génie qu’il croit, et en particulier parce que ses romans reposent presque toujours sur un même principe : une bonne idée de départ, une narration d’abord efficace, et puis un récit qui ne sait plus quoi faire de ses idées et qui s’empêtre dans la surenchère et les idées toujours plus grotesques pour tenter d’en venir à bout.

D’ailleurs, il me semble bien que Stephen King, agacé par le film de Kubrick, aurait commandé une seconde adaptation plus fidèle à son roman. La chose a été faite, et c’est une merde. Qu’est-ce que ç’aurait pu être d’autre.

Le problème avec cette adaptation, et sans présumer de ce que King a pu y fourguer dans sa suite, c’est qu’elle prend en permanence référence au film de Kubrick. Or, si la suite est une mise au point de King, il n’y a aucune logique à voir le film reprendre les idées transformées par Kubrick ; pire, à en retourner des scènes (sorte de sacrilège digne de la construction d’un hôtel sur un ancien cimetière indien). Là où ça sent même presque le règlement de compte, c’est quand le film évoque l’histoire de la chaudière. On sait que Kubrick a enlevé cette idée idiote par laquelle King tentait de mettre un terme à son histoire (Carrie repose sur le même principe cathartique me semble-t-il) pour achever son film sur la mort de Jack dans le labyrinthe évoquant plus une certaine tradition fantastique qu’horrifique (en lieu et place d’une morte violente, on assiste plutôt à une mise en sommeil du « mal » puisqu’il est ici congelé). Cette idée idiote de la chaudière est pourtant reprise ici en suivant paradoxalement les transformations apportées par Kubrick (puisque l’hôtel n’a pas explosé comme dans le roman de King) pour… réutiliser la même idée foireuse de King ! Donc si on suit la logique : Kubrick supprime l’idée de la chaudière estimant qu’elle est nulle, Flanagan se réfère en permanence au film de Kubrick en prétendant lui faire hommage, mais reprend l’idée pour son film que Kubrick avait lui-même supprimée en la trouvant géniale. Si ce n’est pas de la bêtise, c’est de la provocation. Et tout le film est comme ça. Si dans un premier temps, il semble vouloir rendre hommage au film de Kubrick pour en reprendre la logique narrative, c’est pour mieux s’en détourner en se rapprochant des défauts de l’écriture de King. Et qu’en est-il de la logique du roman de Stephen King puisque l’hôtel dans sa version a bel et bien fini incendié ?… J’avoue ne pas avoir le courage de voir à quel point l’adaptation de Flanagan, cette fois, est fidèle. Mais je serais curieux de savoir ce qu’en pense en retour King de cette nouvelle adaptation si, à nouveau, on se fout de sa gueule avec cette histoire de chaudière (ou encore plus avec les références permanentes plus au film qu’à son roman — à moins qu’il s’agisse donc d’une mise au point…).

J’en reviens d’ailleurs assez souvent au même constat ces derniers temps où les « hommages » et les références pleuvent : un film perd instantanément toute crédibilité dès qu’il inclut dans son récit ou sa mise en scène une quelconque référence à un film préexistant. Seul genre échappant à cette quasi-règle, la parodie. Inutile de préciser que Doctor Sleep est dépourvu de second degré.

Au-delà des séquences bêtement reproduites (il faut un sacré toupet, ou au moins de l’inconscience, pour refaire des séquences d’un film avec des acteurs d’aujourd’hui), si le film dure 2 h 30, c’est bien que dans sa construction, il se rapproche plus d’un rythme et d’une écriture de série que de cinéma. Il faut ainsi attendre plus d’une heure pour que tous les éléments à introduire le soient, et qu’on sente enfin un semblant de sentiment de précipitation, d’opposition réelle entre les personnages (il faut noter ainsi qu’il faudra attendre plus de deux heures pour voir les deux principaux protagonistes du film se rencontrer, ce qui fera dire à Rose : « Salut, t’es qui en fait, toi ? », on croit rêver). Avant ça, on passe d’une époque à une autre, d’un espace à un autre, tout ce petit monde se débat dans un récit à part et ne se rencontre pas ou peu. Ce qui doit déjà passablement marcher à l’écrit, mais qui au cinéma, passé le premier acte, ne pardonne pas : on s’ennuie et on se demande quand le film va enfin commencer. Signe donc que, comme souvent, le récit de King est trop dense, et que paradoxalement, c’est toujours sur ces premiers actes qu’il arrive toujours à séduire : la force de ses histoires, c’est qu’elles sont souvent imbriquées fortement dans le réel et que l’horreur est à ce stade plus dans ce qu’on imagine que ce qui se décrit réellement d’horrifique ou d’étrange sous nos yeux. Dès qu’il faut en venir au concret, montrer des superpouvoirs (le film a parfois des accents d’Xmen…), des fantômes, ça ne marche plus, sauf à en faire comme chez Kubrick des fantômes qu’on suspecte fortement d’être des démons intérieurs de Jack, des visions de Danny. C’est bien le doute entre réalité et fantastique, démence et horreur, qui faisait la réussite du film de Stanley Kubrick. Parce que Kubrick n’avait aucun intérêt à montrer des personnages se débattre avec des fantômes. Il avait décelé dans le roman ce potentiel, avec un père de famille alcoolique, mais il insistera bien plus, lui, sur la démence de Jack peu à peu vampirisé par l’esprit de l’hôtel, et donc la capacité de cette situation à maintenir en permanence en nous le doute sur ce que nous voyons à l’écran. Là où l’alcoolisme chez Kubrick ne sert que de déclencheur à la folie, chez Stephen King, c’est la cause désignée permettant la vulnérabilité par où les fantômes pourront s’infiltrer et donc le rendre violent.

Ironiquement, l’une des seules propositions que le présent film reprend à son compte dans le roman de King, c’est l’alcoolisme de Danny qu’il aurait ainsi hérité de son père. En insistant lourdement encore. Comme avec le reste : ce qui, toujours, chez Kubrick, pouvait être interprété comme des délires ou des visions des personnages, ne peut plus l’être ici quand on voit se multiplier les « preuves » de toute une palette d’éléments fantastiques et de leur intrusion dans le réel. Plus aucun doute possible, plus de folie, on est dans un grand cirque où tout est possible.

Pour le reste, preuve que le film s’inspire plus du film que de ce que, potentiellement, King aurait pu écrire dans sa suite : Dick Halloran est mort, puisque Danny continue de voir ses apparitions et de suivre ses conseils (on rappelle d’ailleurs que c’est une des idées un peu à la con de Kubrick dans son film : lancer une sorte de fausse piste avec le retour attendu de Halloran, qui est tué à la hache par Jack dès son retour à l’hôtel — dans le roman, il semble bien qu’il ne soit pas tué, ce qui vient donc en totale contradiction avec ce qu’on nous présente ici puisque c’est un fantôme — sorte d’apparition à la Obiwan Kenobi pour l’acteur jouant précisément ce même personnage à l’écran…). Il est question également de la chambre 237, et donc la chaudière n’a pas explosé comme dans le roman…

Tout cela n’a donc aucun sens. Plus un hommage, j’y vois surtout un sacrilège, une exhumation, où Flanagan se permet d’utiliser tout l’imaginaire de Kubrick, jusqu’à en refaire des séquences entières, pour mieux le ramener ensuite vers un style brouillon à la Stephen King.

Parmi les séquences refaites, il faut par exemple souligner que Flanagan pousse le délire de reproduction jusqu’à choisir une actrice imitant « parfaitement » la voix insupportable de Shelley Duvall (oui, parce qu’une des idées honteusement géniales de Kubrick, c’était bien de proposer une fille tellement insupportable qu’on en viendrait presque à s’identifier un peu trop bien au mari tueur : jouer sur les zones de flou, c’est ça le génie de Kubrick). Mais autre détail significatif : si l’actrice jouant Wendy imite Shelly Duvall, elle est bien plus jolie, un peu comme s’il était inconcevable qu’un acteur moyennement beau puisse apparaître à l’écran. C’est un truc de casting habituel des séries B : un bon acteur, c’est un acteur beau (et cela vaut à l’évidence bien plus encore pour les actrices). Si on fait le compte ici, tous, sans exception, sont beaux : le petit qui reprend le rôle de Danny (qui dans le film original était plutôt du genre commun, mais avec ce petit quelque chose d’étrange qui justifiait sa présence) est beau, la gamine qui joue Abra est belle (avec en plus ce petit air insupportable des enfants stars qui les rapproche déjà plus des adultes que des enfants), sa mère, pareille, et les deux filles de la secte sont des canons… Quel talent… Une logique de casting qui m’échappe. À l’image de la logique de tout le reste en somme.



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Dracula: Pages From a Virgin’s Diary, Guy Maddin (2002)

Note : 2.5 sur 5.

Dracula, pages tirées du journal d’une vierge

Titre original : Dracula: Pages From a Virgin’s Diary

Année : 2002

Réalisation : Guy Maddin

L’alliance « Dracula + ballet + film muet » était ambitieuse, mais tout l’éventail d’effets de scénographie déployé avec emphase se révèle assez peu cinématographique.

On retrouve la même volonté de renouer avec le cinéma muet des frères Quay (tout ce petit monde est d’ailleurs distribué en France par ED distribution), doublé en plus ici d’une autre gageure relevant de l’impossible : filmer un art qui, à ma connaissance, n’a jamais été bien rendu à l’écran, le ballet (en dehors, peut-être, de West Side Story).

Le résultat est plutôt déconcertant et se révèle surtout assez peu cinématographique. Guy Maddin s’y prend comme un manche pour réaliser le ballet allant le plus souvent jusqu’à user de plans américains pour montrer les danseurs en action et, surtout, multiplie bien trop souvent les changements de caméra ou d’inserts pour faire oublier qu’il est en train de filmer un ballet. On a le plus souvent l’impression d’assister à une captation télévisée rehaussée d’effets « faisant cinéma », et plus spécifiquement cinéma muet, afin de faire oublier l’origine, ou la nature, du film.

En dehors de ces problèmes stylistiques inhérents au caractère protéiforme du film, on assiste sur l’écran à tout ce qui pose problème quand on vient à retranscrire un ballet par des images et du son : l’absence de réelle direction d’acteurs ; des acteurs certes très bons danseurs mais qui n’expriment pas grand-chose ou autrement que par leur gestuelle ; un montage un peu perdu qui coupe dans la choucroute (ou les gousses d’ail), et surtout une musique (Mahler pourtant) purement décorative semblant venir en dernier recours sur les images un peu comme dans un programme de danse sur glace.

Il faut toutefois remarquer le travail exceptionnel des danseurs, une scénographie magnifique, et surtout un sujet qui se prêtait parfaitement au ballet (et supposément au cinéma muet). L’idée par ailleurs de prendre un Asiatique pour le rôle principal a cela d’étrange qu’on a parfois l’impression de suivre une adaptation de… Mister Butterfly plutôt que de Dracula


 

 


 

 

 

 

 

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Conjuring : Les Dossiers Warren, James Wan (2013)

Baptisez-vous mécréants !

Note : 1 sur 5.

Conjuring : Les Dossiers Warren

Titre original : The Conjuring

Année : 2013

Réalisation : James Wan

Le film d’épouvante a de particulier qu’il obéit en général à la même trame qu’un film de boules. Toutes les scènes de cul, ou d’épouvante, sont intercalées de séquences explicatives qui n’ont qu’un seul but : nous faire entrer dans un nouveau décor, une nouvelle situation, jusqu’à ce que les vêtements tombent ou les portes claquent. Et puis, plus ça va, moins on s’embarrasse avec une situation, on va direct à l’essentiel, jusqu’à une longue scène finale, ici d’épouvante, sorte de méga partouze avec le diable. On joue le jeu, chacun sait pourquoi il vient, parce qu’en réalité, on ne vient jamais… pour l’histoire.

Les problèmes commencent quand on vient nous expliquer qu’une histoire, il y en a une. Pire, qu’elle est vraie (enfin, racontée par des mythomanes qui ont fait leur blé sur la crédulité des gens fragiles — non, je ne parle pas de Hollywood). On voit ça ironiquement évoqué dans The Nice Guys que je n’ai pas commenté, mais où, grosso modo, des professionnels du porno prennent prétexte de faire un film de boules dans le but de faire passer un message autrement plus politique… Personne ne peut prendre ça au sérieux. Pourtant, si, dans The Conjuring, on se prend tellement au sérieux qu’on nous rappelle en introduction, et en conclusion, que tout cela est vrai. Même, cerise sur le gâteau, que Dieu et le diable existent (peut-être bien qu’ils ont vu le film ensemble d’ailleurs, relaxes sur le canapé). Des démons, j’en n’ai jamais rencontrés, en revanche, des escrocs qui prétendent en avoir vu, ça existe, et je pourrais (con)jurer sur la Bible qu’on en trouve une bonne pelletée derrière ce film.

C’est du cinéma, ça ne fera peur qu’aux enfants et aux personnes fragiles. Les autres hausseront les épaules et continueront leur chemin, lentement, vers le cimetière d’où ils auront la certitude de ne jamais revenir. Et de ne plus emmerder qui que ce soit. Seuls hantent nos villes, les escrocs de passage qui tapent à la porte et spéculent sur nos peurs. Fuyez, diable !



 

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