On se réveille lentement de ses rêves…
Le réveil étend sa flamme vivifiante sur mon corps qui se lève. Les portes du sommeil se referment, et la conscience s’éveille, riant de ces rêves couchés, orphelins, dans le lit incertain de la mémoire. La raison compte les résidus de la nuit captive : rien ne résiste, tout s’écoule dans l’aube, tout s’échappe, tout s’écroule.
Mais ce jour est un crépuscule. La logique embuée du dernier réveil ne résiste pas à la folie des rêves : idées noires, pensées viles, de la veille ou de la nuit, s’effacent derrière l’obstination d’un songe. Seule compte sa présence qui demande à surgir au-delà de l’aurore comme l’encre de la nuit qui se déverse sur le buvard fatigué de la vie.
Je m’habille en hâte et dès mes premiers pas dans la nuit chantante, mes intuitions se précisent : ce rêve m’avait déjà tout montré… Mais quel rêve ?
Son charme envoûtant se prolonge sur le monde et enivre les pores resserrés de la mémoire, qui jamais ne renonce. Il ensorcelle comme un parfum qui se dérobe sous mes yeux ; il aime ne rien dire sur sa véritable nature, persifler dans l’obscurité de l’aube sans craindre que la lumière fonde son masque sombre.
Oui j’ai vécu cela cette nuit, mais combien de temps le sommeil pâle des songes me laissera-t-il tel un rêveur égaré me perdre dans son incertitude ?
Des pensées clandestines se bousculent en moi : mon passé hâlé, mes gloires usurpées, mon orgueil meurtri… Une lâcheté familière m’exhorte à ne pas m’appesantir ; mais je veux m’embarquer vers ce gouffre rêvé qui me semble tout savoir du temps adoré et perdu de ma jeunesse.
L’image fuyante et frémissante d’un souvenir se laisse enfin approcher.
C’est un trésor englouti qui surgit du néant. Un trésor né furtivement des intuitions de la nuit. Des sourires recouvrés, des objets lumineux dont il est difficile d’apprivoiser l’éclat et dont on ne peut se saisir de peur de se brûler. Ce sont des formes indistinctes et vicieuses dont le trouble qu’elles inspirent interdit à la nature qui les compose d’apparaître telles qu’elles sont vraiment. Le souvenir traîne avec lui son odeur impérissable, persistante, comme un messager mystérieux et sûr. Le passé s’éveille et la source de ces splendeurs cachées vient jaillir telle une évidence en soulevant derrière elle les poussières du temps perdu. Je médite sur les mystères de la nuit, et je les remercie d’avoir permis ces frêles retrouvailles. Mais des interrogations nouvelles obsèdent mon esprit. Ces réminiscences sont agréables fourmillant ainsi, invisibles, dans le ventre de la conscience, mais je ne compte pas les laisser jouer en moi sans en connaître le but. L’intuition a creusé la mémoire au hasard des chemins qui se laissaient voir, dévoilant les traces anciennes d’une existence oubliée, et cela a suffi à m’émouvoir ; mais comment me satisfaire d’un fantôme, d’un rêve fumant ? L’ombre va-t-elle laisser saisir son objet, le laisser venir à moi en écho rapproché ? Vais-je pouvoir m’abandonner à lui ? Que révélait précisément cette nécessité de ces derniers jours de me replonger dans le gouffre étique de mon enfance perdue ? Comment une intuition sauvage avait-elle pu influencer mes certitudes au point d’inspirer à mon identité l’âme incertaine des éphémères ?
Je fais le vide en moi, et me laisse bercer par les plaisirs tout simples de l’aurore. Il me faut attendre que le territoire muet mais intact de cette époque s’ébranle à nouveau et attire mon attention sur sa silhouette désormais familière.
J’espère ainsi quelques instants, mais très vite, dans une expiration, mon attention se dissipe, et l’orgueilleuse et insatisfaite raison rappelle à elle, telle une enfant capricieuse, les interrogations impérieuses qui l’obsèdent. Je sens poindre les figures indistinctes de mon enfance ; mon humanité corrompue et jalouse se dresse devant moi ; mais c’est en moi qu’est l’obstacle.
Je ne peux me résoudre à ce que rien ne transpire de ces rêves. Leur souvenir déliquescent me poursuit comme un fantôme égaré et sans tête. Une dernière fois, je creuse les fins sillons de la mémoire, et pour en éviter les mêmes écueils, j’essaie d’en trouver un une approche nouvelle.
La nuit a hanté le désert endormi. Une force inspiration exerce son pouvoir entraînant. Elle me guide vers ce but inconnu. Je sens la part imperceptible qu’il me reste à découvrir, la solution lumineuse de mes intuitions, se rapprocher. Dans mes rêves. Les questions restées sans réponse apportent avec elles le tyrannique souci de l’incertitude et du doute. La mémoire déchirée, corrompue, désagrégée, enfouie, est là. En lambeaux.
Comment avais-je pu me laisser troubler par l’obscurité fainéante d’une fin de nuit ?
Je soufflais le vide dans mon esprit. Il fallait apaiser ma conscience. J’écoutais palpiter mon cœur comme les battements d’ailes d’un papillon fatigué. L’humilité me força à démystifier l’attente d’une réponse. Peut-être le rêve réapparaîtra-t-il de lui-même dans sa totalité cohérente, avec les débris de son essence oubliée pour que je puisse en reconstituer progressivement une idée conforme à la réalité, comme un navire idéal mis à mal dans la tempête et qui viendrait s’échouer sur une île perdue du temps.
Je renonce.
La suite :
Quand les souvenirs prennent forme