Judex, Georges Franju (1963)

Note : 1.5 sur 5.

Judex

Année : 1963

Réalisation : Georges Franju

Avec : Channing Pollock, Francine Bergé, Edith Scob

Roman de gare passé sous chloroforme.

Comme à son habitude devrais-je dire, dans Judex, Franju démontre son manque total de savoir-faire. Son film n’est pas seulement mauvais, il est souvent ridicule. Si le but était de rendre hommage aux serials des années 10 qui avaient certainement diverti la France lors de la Première Guerre mondiale, c’est surtout un retour gaga sur une époque où les auteurs pouvaient faire avaler n’importe quoi à leur public. Si Feuillade parvenait peut-être entre tous à maintenir une certaine cohérence dans son histoire sans prendre le risque trop souvent de tomber dans le mélodrame, beaucoup d’autres serials de l’époque ne s’embarrassaient pas avec la vraisemblance, et plus les aventures mises en scène étaient rocambolesques, littéralement incroyables, mieux c’était. On peut citer par exemple Les Araignées de Fritz Lang ou Les Exploits d’Elaine.

L’exotisme en moins, le rocambolesque, c’est bien l’impression laissée par ce pitoyable Judex. Toutes les avancées dramatiques (souvent des retournements abracadabrantesques) relèvent du mélodrame : les personnages meurent et ressuscitent, sont envoyés inconscients à l’eau mais échappent à la noyade parce que leurs assassins ont oublié de le lester avec des pierres, on reste des années dans l’ombre de sa cible en étant son principal assistant sans lui porter préjudice pendant tout ce temps, on grimpe le long des immeubles, on retrouve un fils recherché depuis belle lurette mais qui se révèle être dans le camp d’en face (avant que Lucas réveille le procédé, c’était un dénouement mélodramatique à la mode dans les premières années du muet), la gouvernante se mue un escroc de premier rang… Inutile de tout répertorier, tout est comme ça, votre petit-cousin de cinq ans n’imaginerait rien de bien différent si on lui proposait d’écrire une histoire.

Ce serait au second degré, on pourrait à la limite en rire avec Franju. Sauf que tout cela est manigancé avec le sérieux hiératique d’un croque-mort. À la place d’un hommage (vibrant), on y voit plutôt l’équivalent d’un rêve de grand-père se remémorant l’âge de la souplesse perdue, des galipettes et des jeux à chat. C’est souple et drôle comme de l’inox. Du Franju quoi.

Que reste-t-il ? Puisque c’est encore du Franju, ce n’est pas non plus dans le découpage qu’il faudra espérer voir le film dynamisé. Et puisque c’est du Franju, les acteurs sont, pour beaucoup, à la ramasse. Edith Scob est adorable, mais c’est une actrice médiocre. Ah oui, tiens, la seule petite, minime, réjouissance, elle est, tout compte fait, à mettre au crédit de Jacques Jouanneau, dans un rôle, là, à prendre au second degré, avec ses hésitations et sa feinte bêtise, celui du détective (platoniquement) pédophile, amateur (lui aussi) d’histoires à dormir debout (dont Fantômas) et cousin lointain de l’inspecteur Clouseau pour son flair implacable pour résoudre les énigmes. Il est en total contrepoint avec le ton du film (c’est sans doute la seule bonne idée de Franju), et dans un style très « boulevard » mais bienvenu, il nous évite la consternation permanente.

Au rayon des consolations passagères (maigre réussite) : une séquence à la limite du surréalisme, qu’on pourrait presque qualifier de « franjuteuse », entre Buñuel et Kubrick peut-être, celle du bal où les convives portent des masques et des têtes d’oiseaux. C’est peut-être la seule séquence où l’utilisation de la profondeur de champ prend tout son sens, et où le travelling d’accompagnement (et pas seulement, mais ce type de plans fait toujours son effet) sur Judex fondant la foule, masqué, une colombe à la main, est peut-être le seul moment de mise en scène réussi du film…


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1963

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