Exercice de théâtre 2
Reproduction d’une scène de film 2 :
(Double) double-jeu & sous-texte
La Peur, film de Roberto Rossellini (1954) d’après Stefan Zweig, séquence où la femme rejoint pour la première fois son mari après la rencontre inopinée avec l’ancienne maîtresse de l’amant qu’elle venait de quitter.
But de l’exercice : saisir et reproduire le sous-texte de la scène derrière les échanges anodins entre deux personnages
Quatre groupes d’acteurs
Le premier groupe essaie de reproduire la scène telle quelle et au plus près de l’interprétation d’Ingrid Bergman et de Mathias Wieman. Ce premier groupe peut voir le film (ou cette unique séquence)*. Ils doivent mettre l’accent sur le sous-texte et sur les expressions données à voir entre les attitudes qu’elle offre au mari et celle que l’actrice laisse transparaître pour laisser voir l’état d’esprit et les préoccupations de son personnage durant la scène.
Le second groupe doit reproduire la même séquence, mais ils ne savent pas que l’exercice est en rapport au sous-texte (mettront-ils l’accent sur autre chose, proposeront-ils une tout autre approche en se détachant de l’interprétation de Bergman ?). Liberté accrue donc.
Le troisième groupe voit le film une fois sans savoir quelle scène ils devront reproduire. Leur donner le script de la séquence, puis les laisser libres de proposer ce qui leur semble le plus adéquat (on verra, à ce stade, s’ils ont l’idée de travailler spontanément sur le sous-texte, les non-dits et comprennent l’enjeu de la séquence derrière les seules lignes de dialogues).
Le quatrième groupe ne dispose que du script, quelques indications pour comprendre la situation (pas besoin de voir le film), mais ne sait pas que l’exercice consiste à travailler le sous-texte (s’ils le découvrent, tant mieux, s’ils découvrent un autre intérêt à la séquence, encore mieux : ce sont les confrontations futures qui éclaireront les élèves sur l’importance du sous-texte).
*Un cinquième groupe peut être ajouté pour distinguer un groupe qui n’aurait vu que le premier quart d’heure du film sans connaître ainsi la manipulation du mari révélé à la fin du film et jouer en conséquence en se focalisant sur le double-jeu de la femme sans insister sur celui du mari.
Situation et compréhension de la scène en fonction des informations à disposition
Le spectateur qui a vu les deux séquences passées sait que Irène trompe son mari. Le double-jeu est donc ici évident. En revanche, il ne sait pas encore à ce moment que le mari joue aussi un double-jeu en prétendant ne pas savoir que sa femme a une liaison. Le spectateur doit-il repérer du premier coup d’œil la portée de ce double double-jeu ou ne voit-il encore que celui de la femme ? Autrement dit : comment jouer subtilement un double-jeu qui ne doit pas être si évident pour le spectateur surtout attentif à la duplicité de la femme.
Présentations, confrontations & débats
Dans un second temps, jouer les scènes (pas forcément devant tous les acteurs de chaque groupe) en commençant par les acteurs du groupe 4, puis 3, puis 2, puis 1. Les laisser interagir s’ils le souhaitent. Les premières interrogations devraient soulever quelques échanges étonnés.
Enfin, révéler à tous le sens de l’exercice et demander leurs impressions. Ont-ils découvert des choses inattendues ? Certaines versions différentes ont-elles proposé des versions qui se tenaient, dans quels contextes ou types de jeu ?
Recomposition des groupes
Demander à tous de retravailler les scènes en fonction de ce qu’ils auront appris des uns et des autres en se voyant jouer et en en discutant. Les laisser libres de proposer une approche en fonction de leurs désirs : s’ils trouvent un tout autre intérêt à ce cheminement que le sous-texte, peu importe, ils auront de toute façon appris, à leur manière, de cette expérience.
Transcription de la scène
Albert : Irène ?
Irène : Oui ? Tu es encore debout ?
Albert : Tu as vu l’heure ?
Irène : Non, je ne sais pas. Il est assez tard. J’étais avec Gisèle et les Feldman, je n’ai pas vu le temps passer.
Albert : Il y avait du monde ?
Irène : Comme d’habitude.
Albert : Tu t’es amusée ?
Irène : Oui, plutôt. Tu as vu nos nouvelles chaises ?
Albert : Là, dehors ?
Irène : Oui, pour la salle à manger. Elles te plaisent ?
Albert : Oui, beaucoup.
Irène : J’ai fait les magasins. Comme il y a de belles choses !
Albert : Tu ne te fatigues pas trop ?
Irène : Non, pourquoi ? Tu n’as jamais envie, toi aussi, de refaire notre maison, belle et confortable comme autrefois ?
Albert : Si, bien sûr. Mais je ne sais plus si ça en vaut encore la peine.
Irène : Pourquoi ?
Albert : Eh bien… tu trouves que c’est vraiment important ?
Irène : Qu’est-ce que tu dis ?
Albert : Irène, si notre usine marche de nouveau, c’est seulement grâce à toi. Pendant que tu travaillais, j’étais un être inutile dans un camp de prisonniers. Même maintenant, je ne suis…
Irène : Arrête. Ne dis pas de bêtises. Raconte-moi plutôt ce que tu as fait ce soir.
Albert : Je suis resté au laboratoire jusqu’à 9 heures, puis je suis rentré à la maison et j’ai appelé les enfants.
Irène : Je ne suis pas arrivée à avoir la communication.
Albert : Moi, je l’ai eue immédiatement. Ils nous attendent demain, après le petit-déjeuner.
Irène : Oui.
Albert : Bubi veut un fusil à air comprimé. Mary aussi, si j’ai bien compris. Nous lui porterons une poupée, non ?
Irène : Oui. Tu ne vas pas te coucher ?
Albert : Non, pas encore. Je voudrais finir ceci.
Irène : Moi, j’ai sommeil. Bonne nuit.
Albert : Bonne nuit.
