Pain, amour, ainsi soit-il, Dino Risi (1955)

Fantaisie sans amour

Note : 3.5 sur 5.

Pain, amour, ainsi soit-il

Titre original : Pane, amore e…..

Année : 1955

Réalisation : Dino Risi

Avec : Vittorio De Sica, Sophia Loren, Lea Padovani, Tina Pica

Dino Risi récupère le dernier chapitre de la franchise des Pain, amour et… En cette année 1955, après deux films mineurs tournés pour une petite boîte de production, il commence véritablement sa carrière de metteur en scène avec celui-ci et l’excellent Signe de Vénus. Les deux films sont cette fois produits par l’inévitable firme napolitaine Titanus et réunissent à l’écran Vittorio de Sica et Sophia Loren qui se sont croisés l’année précédente pour les débuts au premier plan de l’actrice dans Dommage que tu sois une canaille. Ces deux-là ne seront probablement jamais aussi bons qu’associés sur un même plateau.

Si la mise en scène de Dino Risi est irréprochable, et si le film reste de bonne facture, il manque sans doute un petit quelque chose dans le rapport de force entre les deux personnages principaux. De mémoire, ce qui était brillant dans le premier film de Luigi Comencini, c’était la tendresse qui découlait de la relation entre Vittorio de Sica et Gina Lollobrigida (ou même entre Gina Lollobrigida et son carabinier). Or, Dino Risi, même si on sait qu’il a pu faire preuve de tendresse, dans Il giovedi ou dans Une vie difficile, par exemple, sera plus à l’aise tout au long de sa carrière dans l’humour caustique, voire dans la satire. Vittorio Gassman et Alberto Sordi seront des acteurs parfaits pour lui. De la même manière que la tonalité de Dino Risi s’accordera mal avec le charme distrait de Marcello Mastroianni (Le Chemin de l’espérance n’est déjà pas une franche réussite), on sent ici avec Vittorio de Sica qu’il ne peut pas encore donner le meilleur de lui-même dans un registre plus léger, plus élégant, plus sentimental.

Si le jeu d’acteurs reste à la hauteur, dans son étonnante précision et variété, c’est peut-être paradoxalement parce que Dino Risi pouvait déjà exprimer là son talent pour la caricature. C’est à la fois la qualité du film et peut-être son défaut majeur : la caricature avec Vittorio de Sica peut rarement déborder vers la franche satire, ni même vers un burlesque trop décoiffant, si bien qu’au lieu de virer vers la farce réjouissante et caustique (ce n’est pas le ton de la franchise), le film ne fait plus qu’opposer des personnages caricaturaux, certes parfaitement mis en scène, mais vainement dessinés à gros traits. Oubliées la tendresse et la bienveillance originelles. Si Sophia Loren est ainsi toute fraîche, belle et colorée (la même année, Vittorio de Sica la fait tourner dans Par-Dessus les moulins, et elle justifie à elle seule, certes, le recours à la couleur), impressionnante de maîtrise dans un rôle faisant écho à celui tenu dans L’Or de Naples, et a priori la pendante parfaite pour les personnages de Vittorio de Sica, elle n’est ici que duplicité et manipulation, ne cherchant qu’à s’attirer les faveurs du « maréchal » que pour éviter son expulsion. Manque bien le coche de la sentimentalité et de la tendresse évoquée plus haut.

Pour renforcer la farce, Dino Risi a ainsi recours à deux autres personnages caricaturaux : la sainte-nitouche accueillant le « maréchal » en son logis (l’actrice est parfaite, la farce aussi, mais on se demande presque si ce personnage-là n’aurait pas mérité un chapitre de la franchise à lui tout seul ; une sainte-nitouche devrait apprécier de pouvoir multiplier les petits Pain…), et le bellâtre écervelé, caricature de l’homme du Sud. Ils forment tous deux le gros point faible du film : ce sont en fait deux mauvaises reproductions des personnages secondaires du premier volet plus réussi.

Après ce Pain, Dino Risi ne tournera plus pendant deux ans, le temps sans doute d’écrire sa propre franchise : Pauvres mais beaux, qui paradoxalement, ne versera toujours pas encore dans la satire, puisqu’il y réussira avec brio dans la tonalité qui lui échappait précisément ici : la comédie tendre et sentimentale. Comme quoi… Alberto Sordi et Vittorio Gassman attendront encore, et Renato Salvatori sera parfait alors dans le rôle de jeune premier (non pas communiant, mais charmeur maladroit, une sorte de proto mufle destiné à devenir le Don Juan ma non troppo incarné par la suite par Vittorio Gassman).


Pain, amour, ainsi soit-il, Dino Risi 1955 Pane, amore e… | Titanus


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Par-Dessus les moulins, Mario Camerini (1955)

Note : 2.5 sur 5.

Par-Dessus les moulins

Titre original : La bella mugnaia

Année : 1955

Réalisation : Mario Camerini

Avec : Vittorio De Sica, Sophia Loren, Marcello Mastroianni

Il est à craindre qu’on ait déjà avec cette comédie à grand budget (et à grands excès), les prémices, l’avant-goût, de ce qu’il adviendra vingt ans plus tard de la comédie à l’italienne.

Au milieu des années 50, Mario Camerini est un doyen de la comédie, et si ses comédies avec De Sica dans les années 30 sont délicieuses, elles étaient à la mesure de ce que doit être une comédie : à hauteur d’homme. A-t-il seulement existé un jour une comédie XXL, jouant également la carte du genre historique en costumes, de l’aventure ou d’un tout autre genre, qui ait donné lieu à une grande comédie ? Les exemples doivent être rares, et ce Par-Dessus les moulins est à classer parmi les attractions surproduites dispensables de l’âge d’or du cinéma italien.

Par-Dessus les moulins, Mario Camerini (1955) | Ponti-De Laurentiis Cinematografica, Titanus

Le paradoxe, c’est qu’on y trouve de nombreuses qualités, mais à force de débauche de moyens, d’effets, de clinquant, de lazzi, d’outrances burlesques, ça fatigue. On s’étonne même de ne pas voir figurer dans la distribution Toto. La farce est bien écrite (il faut, c’est tellement alambiqué comme développement qu’il faut arriver à donner corps à ce vaudeville ibérique), la reconstitution parfaite, et les acteurs, comme toujours excellents (De Sica en mode farce, extraordinaire en imbécile, mais qui agace paradoxalement dans un tel contexte ; et Sophia Loren, tout aussi extraordinaire tout ce qu’il y a de plus difficile pour une femme dans une comédie : servir les hommes pour qu’ils amusent, les mettre en évidence, se contenter d’être charmante en espérant convaincre par son intelligence, son écoute, sa repartie, son caractère : et tout y est). Ce n’était donc pas faute d’avoir invoqué les deux jeunes stars montantes de l’époque qui sortent du bien meilleur Dommage que tu sois une canaille (à Sophia Loren il faut ajouter Marcello Mastroianni dans un rôle tout aussi difficile que celui de sa partenaire, mais le beau Marcello a au moins un avantage sur elle : il serait incapable de jouer les bellâtres — alors qu’en jeune mari jaloux, ça passe très bien).

Voilà encore le paradoxe. Plus Camerini et De Sica auraient fait des efforts pour améliorer leur film, plus ils seraient allés dans la mauvaise direction tant c’est précisément ces efforts incessants, ostensibles, multiples, qui arrivent à nous convaincre qu’une comédie a souvent besoin pour s’épanouir de simplicité. C’était la grande réussite des comédies à l’italienne qui allaient se développer dans la péninsule avec une nouvelle génération de cinéastes/scénaristes qui sauront très bien aussi intégrer les anciens (De Sica en tête, en tant qu’acteur), qui sauront insuffler la même simplicité et le réalisme de leurs aînés (Camerini et De Sica en tête) qui avaient su, eux, intégrer à leurs films au temps du fascisme un souffle de liberté, et qui, comme les comédies américaines avant eux, avaient su aussi bien intégrer les femmes à leurs histoires (quand on compare Dommage que tu sois une canaille et Par-Dessus les moulins : dans le premier, c’est presque De Sica qui joue les faire-valoir, et c’est sa fille, Sophia Loren, qui se joue de Marcello ; or, c’est un peu le contraire ici). L’histoire bégaie, il vaut mieux échapper aux petits soubresauts dans le vide quand elle repart.

Un vide ronflant, clinquant et pénible pour ce qui est de Par-Dessus les moulins. La faute à ces moyens déployés, au choix de scénario pour mettre en œuvre une si grosse production (une sorte d’angle mort historique). Quand on voit une production « Ponti-De Laurentiis », on a tout compris. La décadence future du cinéma italien en deux noms. Une décadence parfois fructueuse, encore témoin de certains coups de génie, mais déjà ici le signe d’excès coupables.


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Un monde nouveau, Vittorio De Sica (1966)

Note : 3.5 sur 5.

Un monde nouveau

Titre original : Un mondo nuovo

Année : 1966

Réalisation : Vittorio De Sica

Avec : Christine Delaroche, Nino Castelnuovo, Pierre Brasseur

Comme Les Séquestrés d’Altona que De Sica tourne quatre ans plus tôt, le ton peut au premier abord étonner tant il se place dans le registre du sinistre. Pas de tragédie pour autant ici, sinon de celui d’une grossesse non désirée. De Sica semble vouloir recueillir l’air du temps, celui des nouvelles vagues européennes et des sujets brûlants. Lui et Cesare Zavattini arrivent parfaitement à dépasser l’écueil d’une telle ambition, et si pour l’occasion le duo retrouve une forme de réalisme dans la capitale française (jamais loin du mélodrame), De Sica évite les effets de formalisme à la mode et se concentre sur son sujet.

L’habileté des deux Italiens, pour commencer, consiste à raconter l’histoire d’un coup de foudre, quasi animal puisqu’il va jusqu’à un rapport sexuel dès les premières minutes. On croit relativement bien à ce coup de foudre, De Sica jouant essentiellement sur l’attirance magnétique des acteurs, sur les regards, sur l’incompréhension presque de ce qui arrive à ce jeune couple se trouvant ainsi inexplicablement attiré l’un par l’autre. Aucun jugement moral, De Sica semble même clairement démontrer qu’une telle situation est possible sans que leurs auteurs en soient pour autant des dépravés, ce qui était probablement encore reconnu comme immoral et tabou en 1966. C’est très bien montré : la fille n’a rien d’une fille facile, et l’homme n’a rien d’un séducteur opportuniste ou d’un violeur.

Pourtant, ce rapport sexuel imprévu va bouleverser la jeune fille étudiante en médecine et quittera brusquement la fête où elle avait croisé cet homme, jeune photographe. Au point qu’ils se perdent de vue. La jeune fille prend alors peur et se rend vite compte qu’elle est enceinte. Un drame évidemment pour une étudiante ne connaissant pas le père de son enfant. Ce qu’elle ignore, c’est que le photographe de son côté essaiera pendant des semaines de la retrouver en écumant les facs de médecine. Il l’avoue : il aime cette jeune fille avec qui il a couché une seule fois et qu’il n’a pas revue depuis.

Quand ils se retrouvent, De Sica sait encore une fois parfaitement mettre en scène l’amour, celui des regards incertains, de la sidération, de la peur, et du magnétisme incompréhensible qui saisit les amoureux victimes d’un coup de foudre. Mais déjà le ton est dramatique, retenu, la musique a même un petit quelque chose d’expérimental, signe que le réalisateur, derrière le roman-photo tournant au vinaigre, insuffle à son film une tonalité noire voire distante et volontairement sinistre.

Après le bonheur des retrouvailles, vient le temps de l’annonce de la grossesse. Le jeune photographe réagit comme tous les imbéciles à cette époque et à bien d’autres : ce n’est pas possible d’assumer un tel fardeau à son âge. Il dit même : « Nous disposons relativement de peu de libertés dans ce monde, dès qu’on a un enfant, on n’en a plus aucune. » D’un film sur l’amour fusionnel (le coup de foudre), cela devient un drame de jeune couple, du déchirement, des premiers conflits en individus adultes. On n’est pas tout à fait dans l’incommunicabilité à la Antonioni, mais on s’en approche. Zavattini avait l’ambition de faire un jour un film sur rien (chose que fait admirablement Antonioni), mais il ne s’y risque pas ici et se rassure en proposant à De Sica une partition bien scénarisée avec les échanges dialogués et les évolutions dramatiques d’usage. Le jeune photographe par exemple dira une autre phrase marquante : « On s’aime, et puis on découvre qu’on n’a rien en commun ». Magnifique définition du second stade de l’amour, celui des déceptions, celui que les amoureux doivent apprendre à dépasser pour s’aimer autrement et construire ensemble quelque chose, en particulier accepter un enfant qui vient et qui sera alors peut-être un temps plus libre qu’eux.

Mais les deux amoureux ne s’entendent pas, ou de moins en moins, et cela, même sans se le dire. On le devine. Parce qu’en apparence, ils s’aiment encore et disent vouloir s’entendre et résoudre cette situation ensemble. Comme l’enfant que la jeune étudiante porte en elle, les conflits et les désaccords restent comme encore abstraits. Ils se mettent d’accord finalement pour un avortement après avoir un temps évoqué le mariage (c’est la décision de l’homme qui prime, clairement), et puis, face à l’attention factice des avorteuses tournant vite à l’insolence de grandes donneuses de leçon, elle prend peur et y renonce.

Je ne pense pas qu’on puisse y voir là un film ni féministe ou ni antiféministe, au contraire, la réussite du film est de présenter les enjeux, et de surtout montrer la réalité des difficultés liées à la possibilité d’un avortement en 1966 dans un pays où la pratique est encore clandestine, sans tomber dans le piège du film à thèse. Au moins, le film pose les bases pour une bonne compréhension de la situation des femmes souhaitant se faire avorter à une époque où la pratique est encore illégale, parce qu’il montre une réalité sans porter de jugement sur le fond. Le drame au final devient presque plus le désaccord des deux amoureux sur une décision qui scelle leur avenir, quoi qu’ils en décident, commun, et donc, un peu moins libre qu’ils ne l’étaient avant de se rencontrer. Il y a toujours des conséquences à l’amour, et la première d’entre elles, c’est peut-être de faire le deuil de son insouciance, de son individualisme.

Un monde nouveau, Vittorio De Sica (1966) | Compagnia Cinematografica Montoro, Sol Produzione, Les Productions Artistes Associés

Un beau film. Peut-être inabouti, ou étrange comme son prédécesseur de 1962, mais un bon et beau film qui mériterait d’être redécouvert.

La seule interrogation me concernant, c’est de savoir s’il existe une version française non doublée. Seul l’acteur principal étant Italien dans le film, il serait plus logique de pouvoir disposer d’une copie française… Le film étant rare, on s’en contentera.

À noter l’apparition de quelques vedettes vieillissantes dans les seconds rôles : Pierre Brasseur, George Wilson, et sauf erreur de ma part, la paire flippante d’avorteuses, Madeleine Robinson et Isa Miranda.


Listes sur IMDb : 

L’obscurité de Lim

MyMovies: A-C+

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Monsieur Max, Mario Camerini (1937)

Note : 4 sur 5.

Monsieur Max

Titre original : Il signor Max

Année : 1937

Réalisation : Mario Camerini

Avec : Vittorio De Sica, Assia Noris, Rubi D’Alma

Peut-être le meilleur exemple de comédies romantiques proposées par Mario Camerini au cours des années 30, le plus abouti, mettant en scène une nouvelle fois le couple De Sica – Assia Noris.

Toujours d’inspiration américaine, Mario Camerini réalise ici une comédie du travestissement dans laquelle non seulement Vittorio De Sica s’amuse, et se perd beaucoup, à changer d’identité malgré lui (une méprise originale qu’il renonce à clarifier), mais aussi de classe sociale. Et c’est tout à la fois le côté romantique (il court deux femmes en même temps) et le côté social qui fait déjà peut-être de Monsieur Max une des prémices de la comédie à l’italienne (et sociale) des années 50 et 60 (sa volonté de s’élever au-dessus de sa classe pour fréquenter les élites en rappelle d’autres).

Monsieur Max, Mario Camerini (1937) | Astra Film

Je donnerai un million est d’ailleurs exactement dans la même veine, avec une connotation cette fois bien plus sturgesienne voire capraesque : à la base de toutes ces comédies sociales et romantiques des années 30, le travestissement social et l’identité recomposée. Ce sera même dans ce film tout l’intérêt de l’intrigue : chercher un milliardaire caché parmi les pauvres qui récompensera celui qui l’aidera comme le titre l’indique si bien… (on change de la même manière de classe, mais cette fois dans l’autre sens). On pourrait être dans Les Voyages de Sullivan ou dans My Man Godfrey (tous deux antérieurs) ou peut-être chez Chaplin (dont le génie du personnage de Charlot pouvait être fascinant de par sa capacité à la fois à pouvoir représenter un ancien riche déchu ou un vagabond se rêvant en être un : son costume, pour ne pas être celui d’un vagabond tout simple, mais celui d’un vagabond portant ce qui n’est pas loin d’être un frac en lambeau, est peut-être les prémices de ce goût futur pour les comédies de travestissement).

La même rengaine à constater d’ailleurs pour ce Monsieur Max comme pour d’autres de Mario Camerini : il y a déjà du réalisme dans ce cinéma-là, Camerini ne semblant pas être autant qu’on voudrait le croire homme à se laisser enfermer dans des studios fraîchement inaugurés à Rome (et même si ironiquement, ses scènes tournées sur les routes de campagne, parfois tournées en accéléré, sont peut-être ce qu’il y a de plus artificiel dans ses films). On aurait tout intérêt à revisiter ce cinéma italien des années 30, loin de la réputation mièvre qui lui a été faite avec les téléphones blancs.

Beaucoup d’humanité dans ce Monsieur Max. L’homme du peuple qui aspirait à partager la vie mondaine des gens de la noblesse italienne finira par comprendre que sa vraie place est parmi celle qui, seule, l’aime comme il est. La noblesse n’est plus celle de ceux qui appartiennent à une élite sans mérites, mais celle des gens simples qui ont du cœur.


Sur La Saveur des goûts amers :

Top films italiens

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Les Séquestrés d’Altona, Vittorio De Sica (1962)

Les Séquestrés d’Altona

Note : 3 sur 5.

Les Séquestrés d’Altona

Titre original :  I sequestrati di Altona

Année : 1962

Réalisation : Vittorio De Sica

Avec : Sophia Loren, Maximilian Schell, Fredric March, Robert Wagner

D’un côté, il me semble qu’on peut se féliciter de voir une des rares tentatives réussies de ce qu’on peut définir comme une tragédie. D’un autre côté, il faut avouer que l’univers de Jean-Paul Sartre est très particulier : une sorte de mélange étrange entre l’histoire et la fiction avec des implications dramatiques rarement vues ailleurs (à la fois philosophiques, politiques peut-être, et historiques), et Vittorio De Sica rend le propos (déjà bien lourd) extrêmement suffocant. De là d’ailleurs l’impression de voir une sorte de tragédie moderne au cinéma, mais aussi celle de voir un objet hybride inabouti.

Au rayon des adaptations impossibles de Sartre, j’avais trouvé celle des Mains sales (1951) légèrement plus convaincante.

À noter quelques jolis mouvements de caméra : cadrage d’une tête sur un côté qui prend de la distance de biais et qui, de ce fait, recadre la tête en son centre, puis un gros plan cadré avec un mouvement centrifuge en cercle autour du visage…

Une fois n’est pas coutume, je trouve les acteurs masculins, en dehors de Fredric March, assez agaçant. (Sophia Loren, elle, est parfaite.)

Étonnante, cette diversité proposée tout au long de leur carrière par le duo De Sica / Zavattini.


 
Les Séquestrés d’Altona, Vittorio De Sica 1962 | S.G.C., Titanus 

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Il boom, Vittorio De Sica (1963)

Note : 3.5 sur 5.

Il boom

Année : 1963

Réalisation : Vittorio De Sica

Avec : Alberto Sordi, Gianna Maria Canale, Elena Nicolai

Fable satirique qui aurait gagné à trouver un pendant au génial Sordi. Tout à la fois drôle et touchant, nous n’avons d’yeux que pour lui. La comédie à l’italienne me semble toujours meilleure avec des vis-à-vis efficaces et une satire mordante mais plus fine.

Il faut probablement penser que De Sica et Zavattini aient voulu reproduire la réussite d’Une vie difficile, sorti l’année précédente, et où Sordi réussissait à la fois à nous amuser et à nous attendrir en jouant admirablement les chiens battus en attente d’un sucre ou d’une caresse consolatrice (même si ça doit être une constante dans les films de Sordi quand on ne tombe pas dans le piège des caricatures).

Il boom, Vittorio De Sica (1963) | Dino de Laurentiis Cinematografica

Les péripéties me semblent moins nombreuses ici que dans le film de Dino Risi (le sujet, littéralement anecdotique, limite les possibilités), ce qui laisse un petit arrière-goût d’inachevé, et donc les vis-à-vis sont bien moins réussis que dans le Risi (si le rôle de la femme me paraît assez bien réussi, la focalisation sur la femme cette fois de l’entrepreneur borgne l’est beaucoup moins).

Le plus dur à suivre sans doute dans cette histoire, ce n’est peut-être pas les pirouettes que doit faire Alberto Sordi pour éponger ses dettes et préserver son train de vie ; non, le plus dur à admettre, le plus triste, c’est sa solitude. Or, là encore si on l’oppose à Une vie difficile dans lequel cet aspect était parfaitement exploité, et était même un moteur important du film, Il boom tire plus franchement vers la farce, voire la fable satirique, et peut-être moins vers une comédie dramatique comme pouvait le faire le film de Risi ou nombre de comédies italiennes réussies de la même époque. Si Il boom rate cette dernière marche, c’est peut-être là, sur son humanité. Manque quelques plans ou séquences de Sordi pitoyable, non plus en essayant de feindre et de jouer la comédie, mais pitoyable justement parce qu’il se rend compte de sa solitude, de ses sacrifices, et de sa condition de misérable arriviste prêt à tout pour être accepté d’une classe qui le méprise.


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Les hommes, quels mufles !, Mario Camerini (1932)

Note : 3.5 sur 5.

Les hommes, quels mufles !

Titre original : Gli uomini, che mascalzoni…

Année : 1932

Réalisation : Mario Camerini

Avec : Vittorio De Sica, Lia Franca, Cesare Zoppetti

Une comédie romantique italienne qui n’a rien encore de la critique sociale des comédies italiennes des années 60, à peine peut-on y voir un certain attrait pour les classes populaires des villes, et s’amuse-t-on y voir De Sica avec… une bicyclette.

On sent volontiers une influence de la comédie américaine pas encore screwball mais déjà romantique. Un homme, une femme, et pas grand-chose autour : Camerini sur ce plan pourrait même suivre sur sa lancée de son film muet, Rails, plus romance, pas du tout comédie, mais je ne connais pas assez le bonhomme et suis peut-être influencé par le visionnage récent de ce film, ça pourrait n’être qu’une coïncidence.

Les hommes, quels mufles !, Mario Camerini | Società Italiana Cines

En dehors de quelques effets de montage rappelant le cinéma muet expérimental, c’est plutôt efficace dans son registre, et il faut reconnaître que pour reproduire ainsi à chaque séquence le même type de situation, où deux jeunes pas encore amants qui se tournent autour se rejetant et allant vers l’autre tour à tour, il faut des acteurs admirables.

Je n’avais pas reconnu Vittorio De Sica lors de sa première apparition, et pour cause, je n’ai dû le voir en tant qu’acteur que dix ans plus tard dans I nostri sogni de Cottafavi. Très élancé, et déjà la gestuelle aristocrate pas vraiment faite pour un rôle de mécanicien qu’il interprète ici, mais on se moque de la cohérence. Le génie de l’acteur est déjà là, les mêmes expressions qu’on retrouvera si souvent par la suite : le sourire toujours de mise (même hypocrite, mais courtois — la marque très aristocrate de l’acteur), le petit regard qui flanche généreusement pour montrer qu’il pense, hésite ou s’apprête à mentir, et qui précède toujours une attaque censée cacher une sorte de double jeu constant (le sous-texte est permanent chez lui : il arrive avec cette manière de faire comprendre au spectateur que son personnage joue, ment ou séduit, qu’il cache ses réelles intentions ; le travail du spectateur est alors très simple : essayer de comprendre ce qu’il cache — mise en abîme fascinante qui renforce l’identification : on devrait savoir que c’est l’acteur qui joue, non son personnage qui cache quelque chose…). Et évidemment une vivacité dans le jeu, dans l’œil et les gestes, qui laisse peu de place au doute : un génie de la comédie. Comme tous les génies, il y a une évidence, et ce génie masque tout le reste.

De Sica crée ici un personnage à la fois charmeur et drôle ne disposant pas du moindre geste pouvant le rendre antipathique aux yeux du public. Quand il vient par exemple à gronder des enfants venant klaxonner à sa voiture, il fait mine de venir les frapper, et reprend son sourire charmeur. L’alliance rare de la noblesse et de l’humanité. Son jeu consiste à montrer qu’il séduit, qu’il ment donc, mais on ne sent jamais aucune mauvaise intention dans ce mensonge ; c’est de ces mensonges, ou de ces masques, dont on se pare, non pour tromper, mais à la fois pour être agréable à l’autre et pour masquer sa gêne ou sa timidité. Voilà, je le redis, le génie pour moi, ce n’est pas faire des plans-séquences, c’est ça, un type qui par son humanité, sa luminosité, vous convainc, que malgré tout ce dont est capable l’espèce humaine, elle est capable du meilleur dans ce qui pourrait paraître le plus anodin et le plus dispensable au monde. Un type bien, un peu sensible mais qui fait tout pour ne rien laisser paraître, et sympa. Certainement pas un mufle.


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1932

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Vittorio De Sica

Classement : 

8/10

  • Les enfants nous regardent (1944)
  • Teresa Venerdì / Mademoiselle Vendredi (1941)
  • Le Voleur de bicyclette (1948)
  • La ciociara (1960)

7/10

  • Sciuscia (1946)
  • Miracle à Milan (1951)
  • Boccace 70 (1962) 
  • Les Sorcières (1967)
  • Il Boom (1963) 
  • Maddalena… zero in condotta (1940)
  • Un garibaldino al convento (1942)
  • Un monde nouveau (1966) 
  • Le Toit (1956)

6/10

  • Umberto D. (1952)
  • Mariage à l’italienne (1964)
  • Le Jardin des Finzi-Contini (1970)
  • Hier, Aujourd’hui et Demain (1963)
  • Roses écarlates (1940)
  • Les Séquestrés d’Altona (1962)

5/10

  • L’Or de Naples (1954)
  • Station Terminus (1953)
  • Drôles de couples (1970)
  • Les Fleurs du soleil (1970)

4/10

  • Caccia alla volpe (1966)

Films commentés (articles) :


commentaires simples :

Rose scarlatte (1940)

Vaudeville galant sur fond de quiproquo conjugal. Très bien ficelé, un peu entendu mais plaisant. Excellente Renée Saint-Cyr dans un rôle difficile. Un Jean Davy au doublage. Et des téléphones… noires.

Maddalena… zero in condotta (1940)

Il y a dans cette Italie d’avant-guerre dépeinte par De Sica une telle absence de la pauvreté qu’on en comprend mieux la nécessité future de trouver un air nouveau. La rue est quasi absente. Pourtant, on navigue ici entre Lubitsch et Decoin, et la maîtrise de De Sica est déjà impressionnante. Toujours le vaudeville comme inspiration, voire les films de pension (Claudine à l’école, Jeunes Filles en uniforme).

Le quiproquo s’étale magistralement dans le dernier acte, les deux Viennois croyant se disputer la même fille, et la jeune fille en question faisant les tourner en bourrique dans le secret espoir de voir son professeur tomber dans les bras de son prince…

À noter une tentative assez réussie du passage, au moins pour une scène, à un son direct (bel exploit quand on connaît l’appétence des productions italiennes pour la postsynchronisation). (Une tentative, semble-t-il, réussie puisque d’autres films du début des années 40 seront tournés en son direct.)

Caccia alla volpe (1966)

Il n’y a que Kubrick qui avait compris la force malsaine et dramatique de Peter Sellers.

 

Film mystère, peut-être celui de Mario Camerini cité plus bas

(je ne peux pas passer autant de temps que je le voudrais sur le site, et il m’arrive de retrouver de vieilles notes cachées dans de vieilles chaussettes)

C’est fou comme ce film éclaire à lui seul tout l’âge d’or du cinéma italien. Si De Sica avait montré au cours des années 50 assez peu de constance dans son style, c’est que derrière l’idée entretenue par la critique du néoréalisme, et par conséquent un peu son malentendu, se cache un homme souvent éclipsé de l’histoire du cinéma au profit du seul réalisateur : son scénariste. Derrière les principaux films de De Sica, on retrouve un même homme, Cesare Zavattini. Tous les deux avec De Sica, on peut bien croire qu’ils s’entendaient sur les sujets mais il est probable aussi qu’au début de leur rencontre, et ce qui les a poussés à collaborer, c’est leurs goûts communs qui les a réunis. De Sica dans Je donnerai un million n’est qu’acteur, mais tout y est déjà ici, à la fois du néoréalisme, mais aussi de la future comédie sociale et satirique. Si cette critique n’a pas compris l’infidélité de De Sica à ce qu’ils avaient désigné comme du néoréalisme, c’est peut-être que les intentions du couple De Sica Zavattini n’étaient pas comprises dès le départ. Et peut-être que s’il y a effectivement une volonté de se tourner chez De Sica et son scénariste vers le réel, voire le social, c’est peut-être parce qu’ils revendiquaient un style entre Chaplin et Preston Sturges, comme on peut le voir déjà dans ce film.



Il boom, Vittorio De Sica (1963) | Dino de Laurentiis Cinematografica

 

Il boom, Vittorio De Sica (1963) | Dino de Laurentiis Cinematografica

Un monde nouveau, Vittorio De Sica (1966) | Compagnia Cinematografica Montoro, Sol Produzione, Les Productions Artistes Associés

Vittorio De Sica