La Piste de Santa Fé, Michael Curtiz (1940)

Le fil de l’histoire

Note : 3.5 sur 5.

La Piste de Santa Fé

Titre original : Santa Fe Trail

Année : 1940

Réalisation : Michael Curtiz

Avec : Errol Flynn, Olivia de Havilland, Raymond Massey, Ronald Reagan, Alan Hale, William Lundigan, Van Heflin

Étrange western pseudo-historique. On se laisse prendre par le rythme et par les magnifiques acteurs, mais l’intérêt est peut-être ailleurs… : dans sa capacité à jouer avec les faits historiques et proposer au spectateur une vision pour le moins confuse de l’histoire. Il faut voir la page « erreurs » sur IMDb : si on savait que Shakespeare aimait prendre des libertés avec l’histoire, ici, on pousse le bouchon un peu loin. Tous les personnages ont en somme réellement existé, sont a priori tous des personnages historiques connus du public américain, mais leur coexistence n’est pas avérée, voire inexacte et impossible. Pourtant, là encore, on peut porter son intérêt ailleurs que sur ces extravagances historiques. Car le film met la lumière sur un autre personnage, lui aussi historique : John Brown, un terroriste abolitionniste.

Le film n’est pas tendre avec lui, mais en regardant vite fait son profil Wikipédia, il y aurait un peu de quoi. On traite beaucoup plus souvent au cinéma de l’histoire de la Guerre de Sécession, Nord contre Sud, beaucoup moins souvent des événements qui les précèdent. Avant les belles paroles de Lincoln et la scission du pays ayant mené à la guerre, il y a donc eu des politiciens idéologiquement contre l’esclavage favorables aux actions violentes. Comme il est dit dans le film : sa cause est juste, mais les moyens pour y parvenir ne le sont pas.

Au-delà de la figure clairement présentée comme négative dans le film, on en viendrait presque à trouver ce sujet follement contemporain (et finalement assez récurrent dans l’histoire : de Spartacus aux anarchistes de la Belle Époque, aux terroristes palestiniens, à ceux qui se revendiquent de l’islam, et bientôt sans doute aux défenseurs de la planète). À lecture de tel ou tel raccourci historique, on pourrait suspecter une approche idéologique et partisane, pourtant, cela peut surprendre, mais si d’un côté l’abolitionniste en prend pour son grade, on n’en est pas pour autant devant un film ouvertement proconfédéré puisque les deux rôles principaux, tout en étant originaires du Sud, refusent de se montrer déloyaux envers l’Union et la nation américaine.

C’est même le fil conducteur du film : les élèves se battent et sont punis pour avoir exprimé des idées politiques (ce qui est interdit), le personnage d’Errol Flynn rappelle une fois à Ronald Reagan (non, ce n’est pas un nouvel anachronisme) leur devoir de neutralité et celui de loyauté envers la nation (donc bientôt envers l’Union). Même le personnage interprété par Olivia de Havilland montre une sympathie réelle pour les idées abolitionnistes. Comme aujourd’hui avec les idées sur le climat, la question n’est pas d’être en accord sur des idées, mais de faire en sorte qu’elles soient appliquées, parce que c’est justement cette absence de prise de conscience de l’urgence d’une situation et l’agacement face à ce qu’il faut bien définir comme du conservatisme (ou de l’adhésion molle) qui provoquent les violences des individus qui estiment que la société ne va pas assez vite ou qu’elle est hypocrite en adhérant à des idées sans les convertir concrètement dans la loi ou dans la vie réelle.

Le film donnerait ainsi presque l’impression d’avoir été écrit à quatre mains en essayant de faire interagir le point de vue des deux futurs camps. Pour ne pas froisser les uns les autres, on travestit la réalité historique et on propose un gloubi-boulga d’événements avérés ou non, de personnages ayant réellement existé ou non, et c’est loin d’être inintéressant (encore une fois, les défenseurs de Jeanne d’Arc peuvent être froissés de son traitement chez Shakespeare, aucun récit historique n’a réellement vocation à être parfaitement conforme à la réalité ; libre au spectateur de poser les limites acceptables des transgressions proposées dans « l’histoire » qu’il suit). Ici, le personnage d’Olivia de Havilland sert à illustrer la crainte (ou la prémonition) que les soldats encore unis aux moments des faits dans le but de chasser un terroriste abolitionniste ne le soient bientôt plus. Au-delà des écarts étranges forcés par le scénariste, les producteurs ou le studio derrière le film, force est de constater que le procédé induit certaines questions historiques générales légitimes. J’insiste : ces questions font écho aujourd’hui, à une époque où la société, sur beaucoup de sujets, semble se scinder en deux, où on remet tant en question la légitimité du pouvoir et où l’usage de la violence (public ou citoyenne) est au cœur du débat public.

À souligner l’excellente distribution : au-delà des acteurs cités, on retrouve William Lundigan, Raymond Massey (qui, ironiquement, interprète Abraham Lincoln la même année dans un autre film) et une des premières apparitions de Van Heflin.


La Piste de Santa Fé, Michael Curtiz (1940) Santa Fe Trail | Warner Bros.

L’Aventure de minuit, Archie Mayo (1937)

Chut, chute, chère Olivia

Note : 3.5 sur 5.

L’Aventure de minuit

Titre original : It’s Love I’m After

Année : 1937

Réalisation : Archie Mayo

Avec : Leslie Howard, Bette Davis, Olivia de Havilland

Screwball typique de l’époque — dans son écriture. On sent le lien évident avec le vaudeville à la française, avec une constance remarquable toutefois dans la pâte des grands studios hollywoodiens (et qui est un peu, avant même l’application effective du code Hays, la marque de l’âge d’or hollywoodien), c’est ce choix systématique dans le design des demeures riches ou des grands hôtels. La pâte des grands studios, c’est avant tout du joli carton-pâte. Dans un Guitry à la même époque, on sentirait les billes de naphtaline, le vieux parquet en chêne, et on aurait ressorti les vieux accessoires de théâtre à papa. Une fois qu’on a trouvé un filon, on ne le quitte plus (ce n’était d’ailleurs pas encore le cas dans New-York-Miami) : pas d’âge d’or sans pensée industrielle…

Le film aurait été idéal avec Ernst Lubitsch aux commandes, parce que si le scénario et donc l’aspect visuel sont parfaits, le choix des acteurs et leur direction ne sont pas toujours à la hauteur. Certains gags sont particulièrement lourds et redondants, on s’attarde parfois un peu trop sur certaines mimiques qui ne devraient être que des virgules vite oubliées… Plus embarrassant, avec trois acteurs merveilleux, certes pas forcément connus pour avoir excellé dans les comédies, le ton juste, le rythme, et pire que tout dans un genre qui réclame bien plus de rigueur et de savoir faire que le reste…, la sincérité, eh ben, tout ça manque un peu trop souvent à l’appel.

Alors certes, on pardonnerait tout au joli minois d’Olivia de Havilland, et comme elle dort encore à côté, je ne voudrais pas l’achever avec mes commentaires. Surtout qu’à sa première apparition où on la dévoile au balcon (presque nue), j’ai failli m’évanouir. Bette Davis, elle, (petite virgule dans mon extase oliviesque) s’en tire toujours mieux quand elle évite les tunnels et balance ses piques philanthropiques. Ces deux-là, souvent, si elles étaient si convaincantes dans des drames, c’est qu’elles savaient mettre une petite couleur d’ironie dans le jeu. Là, elles pouvaient être sincères (et probablement plus à l’aise, ou simplement mieux dirigées), mais dans une screwball, donc dans du burlesque, où la tentation serait toujours d’en faire trop, ça passe assez mal la rampe. (À remarquer au passage, qu’elles devaient être bien assorties parce qu’elles ont souvent travaillé ensemble, notamment presque trente ans plus tard dans Chut, Chut, chère Charlotte où le comique pointe subtilement son nez grâce aux outrances de l’une et la sincérité feinte de l’autre…)

Ça se gâte pour de bon avec Leslie Howard. L’Anglais fait pâle figure au milieu de ses deux collègues. Et c’est probablement moins ici le souci d’Archie Mayo que de la production Warner (dommage pour le petit Leslie, j’aurais été curieux de le voir dans des films après-guerre mis en scène par Carol Reed ou David Lean, seulement pour la screwball, on ne peut guère compter que sur une dizaine d’acteurs pour assurer le job à l’époque — c’est bien pourquoi le genre a fait long feu et qu’on a raison de parler d’âge d’or ; ceux qui mettent cette période faste au crédit seul d’un savoir-faire presque industriel n’ont rien compris à l’histoire — je sais qu’ils existent, qu’on me les présente, que je leur explique qu’une génération d’acteurs hors du commun, ça ne se commande pas).

La grande difficulté du vaudeville face à des films d’action ou des drames, c’est que si, comme dans tout récit qui se respecte, la situation est ce qui prévaut sur le reste, on retrouvera dans la farce, un peu comme dans la commedia dell’arte, une pause pour souligner ou établir une connivence avec le public. Et là, ça ne pardonne pas. On oublie la situation et l’acteur se retrouve nu, face à ce public qui attend de lui une attitude, une mimique (un lazzi), à son attention : ce n’est alors plus une question d’en faire trop ou pas assez (De Funès en faisait des caisses), mais de ne pas être sincère. Même dans la comédie, on peut tout foutre en l’air si on n’est pas crédible dans cette fraction de seconde où on se livre totalement au regard du public. Dans le drame, c’est beaucoup plus simple : la situation va commander l’émotion, et si la sincérité est importante, elle paraît en tout cas plus évidente, donc un enjeu toujours pris au sérieux par l’acteur et le metteur en scène ; surtout, en en faisant le moins, on peut être sûr de ne pas se tromper, et autour on peut lâcher la machine en cas de naufrage (les violons ou relancer l’action). Dans une farce, il y a toujours cet instant en suspens où ça rigole plus : « Mon bonhomme, l’action s’arrête, les projecteurs sont sur toi, tu as un commentaire à faire ? Oui ? Ah, pas mal, continue ». C’est cruel. Et là, la comédie l’est (cruelle) avec Leslie Howard. Alors oui, la plupart du temps, il est convenable, on sent l’acteur britannique…, et puis plouf, dès qu’il est livré à lui-même et qu’on attend de lui l’attitude qu’il faut, quand il faut, il n’y a plus personne. Et souvent, un acteur perdu se cache derrière quelques petits excès malvenus, comme un petit garçon chopé sur le fait. Les excès, il faut les réserver pour le reste, parce que quand on éteint les lumières et qu’on braque un projecteur sur vous, l’idée c’est au contraire, parfois, d’en faire un peu moins. Pour ne pas se décomposer : ne pas composer. En tout cas, pour être sincère, il faut être à l’aise. La capacité de certains acteurs de comédies, leur humour, il est là, dans la distance et la nonchalance quand tout à coup ils se savent regardés et qu’on ne voit qu’eux, la situation et le personnage étant plongés dans le noir, et qu’ils se laissent regarder. Même dans la farce (surtout dans la farce), il y a un moment où les masques tombent.

Dire qu’Olivia de Havilland survit maintenant depuis 70 ans à son partenaire d’Autant en emporte le vent, si ce n’est pas flippant…

L’Aventure de minuit, Archie Mayo 1937 It’s Love I’m After | Warner Bros

The Strawberry Blonde, Raoul Walsh (1941)

Blind Color Test

La Blonde framboise

Note : 4 sur 5.

Titre original : The Strawberry Blonde

Année : 1941

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : James Cagney, Olivia de Havilland, Rita Hayworth

J’ai beau aimer les blondes et les fraises, j’ai l’aptitude peu enviée de confusionner les couleurs qui se trouvent ainsi perdues systématiquement dans la traduction. C’est donc seulement après coup que j’ai découvert que Rita Hayworth interprétait une Vénitienne et non une grande fraise charmante pourtant bien assortie avec son Cagney, prince des agrumes.

Derrière les persiennes au beurre noir, c’est un vulgaire film de cul sec qui se dessine.

Cagney doit pour son grand malheur choisir entre la fraise et la chantilly. C’est bien couru, tout homme voudrait pouvoir selon sa volonté assortir les deux sans avoir à répondre de cette impardonnable bigamie. Mais au détour du grand dessert des passions, la morale guette, et James se voit contraint de réviser sa recette. Le dilemme entre le cœur et la raison, entre le corps et l’esprit. L’impulsivité qui anime notre homme à l’œil cagneux le porterait naturellement à lorgner le cœur, mais le cœur a ses raisons et Rita s’envole vite au frais d’une bouche moins balbutiante. Son avide palais glottique se contentera donc de l’esprit de sainte Olivia. D’abord légère et fade comme une chantilly sans sucre, elle se révèle au fil du temps moins vilaine que prévu. D’autant plus que la saison des blondes vénitiennes s’achève. Partie sous d’autres papilles, la fraise tournera carie.

The Strawberry Blonde La Blonde framboise, Raoul Walsh 1941 | Warner Bros

Après un ou deux coups tordus, on a déjà plus d’yeux que pour Olivia, alors que Jimmy le cagneux ne la voit toujours pas… Comme le dit le dicton, on ne touche que ce qu’on voit, et les saintes on n’y touche que ce qu’on ne saurait voir. James Cagney et Olivia de Havilland sont ainsi comme forcés de s’assortir. Mariage de raison… Raison contrainte. Étreinte sauvage.

Ils se suient, se semblent, se chiffonnent, se dénoyautent, se défont, et se refont. S’engueuler, c’est encore la meilleure façon de s’attacher l’un à l’autre : les minous, avant de s’embrasser, se miaulent dessus comme des mammouths. Le prince de l’agrume ne se presse encore pas feulement d’y voir dans le noir. Mais quand l’engueulade se mue enfin en bouche-à-bouche, miss chantilly inonde façon coulis de mûres noires notre agrume en rut. Et voyant la ronce-n’y-touche sortir ses griffes de couguar acérées, Jimmy se sent soudain myrtille mi-raisin et son cœur passe à droite. Il fallait avoir le nez rond pour savoir qu’Agrippine décrocherait la timbale. C’est la partie la plus intéressante du film, rappelant certains moments de Sourires d’une nuit d’été ou les amours entre Han Solo et sa princesse joufflue.

Bref, s’il n’y avait pas la possibilité de mélanger acide et liqueur de fraises, franchement, ce serait comme voir un daltonien traduire Titien dans le marc des doges. Une torture.

Parce que quand on a peur de s’ennuyer pendant la bringue, mieux vaut prévoir son manger. Notons qu’en dessous de 8, mieux aura bu de choisir une bouteille à degrés. Il n’y a pire ami qu’un film durant lequel on ne pourra s’absinther. Un verre ça va, deux blancs passe encore, mais trois rouges, un demi, et une croche, au revoir les regards, c’est une musique qui n’est plus de ma composition. Entre le corps et l’esprit, gardons une place pour les spiritueux. Sur table, la carte des vins est bonne à tout. Et contre l’ennui, buvons jusqu’à la lie le calice d’Havilland… Alors blonde, brune, rousse, vénitienne, ou prussienne, qu’importe le flocon, pourvu que n’ai-je ma Rose-Bud à Noël.


 


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1941

Listes sur IMDb :

MyMovies: A-C+

Lim’s favorite comedies

Liens externes :


La Charge fantastique, de Raoul Walsh (1941)

L’Odyssée fantastique

They Died with Their Boots On They Died with Their Boots On  Année : 1941

6/10

IMDb   iCM

Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1941

Les 365 westerns à voir avant de tomber de sa selle

Réalisation :

Raoul Walsh

Avec :

Errol Flynn
Olivia de Havilland
Arthur Kennedy
Anthony Quinn


Journal d’un cinéphile prépubère : 16 mars 97

Une mise en scène admirable. Du rythme, de la densité dans les séquences. Une direction d’acteur intelligente créant (et laissant suggérer) une certaine profondeur chez les personnages. Une structure narrative excellente : on suit les personnages à travers les années. Le choix des scènes est astucieux, et en particulier dans les scènes intimistes, sans rapport avec la trame militaire qui sert de base contextuelle à l’histoire. Le propre du drame classique hollywoodien, universel : la grande et la petite histoire.

Fantasme de cinéphile.

Me vient alors à rêver de ce qu’un tel principe pourrait donner avec une trame tout aussi épique, mais à la sauce SF. Et à pousser le délire un peu plus loin, on peut même imaginer Richard III dans les sables de Tatooine. Custer, c’est Glocester apaisé par Walsh. Il est où Raoul que je lui propose cette histoire fantastique ?

Il répond pas Raoul. Je m’en vais donc y trouver une petite note négative à son film. C’est dense, d’accord, ça foisonne dans l’imagination, c’est brillant, ça scintille, ça miroite, ça plane, ça vole, ça glisse, ça ventile et ça brasse de l’air chaud, tout est fait pour notre confort, on se pose, on se délasse, on laisse son cerveau suinter dans sa bière, on a les yeux révulsés de plaisir, tic-tac, tac au tac, mais…, mais justement, le propre des films de studio, c’est que dans leur rapidité, c’est nous qu’on fond, pas la pellicule. Il y a du bon à prendre, parfois, son temps, ou plutôt à alterner le tempo de son métronome. Hollywood, ça file comme un train dans la nuit, tac tac, tac tac, tac tac. Par principe la réalisation de films classiques prend la pause entre les séquences, JR Ewing en rêve encore : plan d’ensemble, plan moyen, on repose son verre, et quand c’est les yeux qu’on repose sur l’écran, il est censé se passer quelque chose à nouveau, et c’est parti pour 45 secondes de brossage ou trois minutes s’il faut sauver la princesse. Le petit train-train bien huilé des studios.

La Charge fantastique, de Raoul Walsh (1941) | Warner Bros.

Sauf qu’il faudrait parfois prendre le risque de s’appesantir pour porter son attention sur un détail qui gagne en arrière-goût circonflexe. Tout est jouissance, mais est-ce que tu peux t’arrêter deux secondes, produire un effet de distanciation qui permettra de nous rallumer le cerveau, le temps seulement de nous dire « Oh ! », l’étincelle qui permet la réflexion, le regard sur l’autre, sur soi ? L’ambiance, Raoul ! Cette part de mystère qui là mènerait réellement ce style classique vers un « universel ». Un peu de distanciation ne nuit pas à l’identification, bien au contraire. C’est comme une respiration. Les « oh ! » introspectifs renforcent les « ah ! » d’extase. Je parierais même qu’en gardant le systématisme du découpage classique, sa rigueur des bonnes distances (Leone saura plus tard utiliser les gros plans paradoxalement pour distendre la distance et freiner le métronome), il serait possible de profiter de ces transitions chères à JR Ewing pour y apporter, imperceptiblement, quelques nuances de rythme, et donc, de distance, voire de son. Un petit côté opératique. Ce n’est pas le tout d’avoir Max Steiner sous la main, encore faudrait-il avoir l’audace de lui laisser un peu d’espace, et de lui offrir une matière visuelle « d’ambiance ». Sinon, c’est à prévoir que le public finisse par se lasser du western classique. Je te laisse encore quelques années de réflexions pour corriger le tir, Raoul.

Pour le spectateur, il lui apparaît que seule compte la trame. Le reste lui échappe comme l’intérieur d’une pièce montée. Il met donc l’anecdote, la fable, au centre de tout, le reste est décor. Mais si le parfait artisan sait concevoir son canevas selon les formes et les conventions, être pratique, tout en respectant le quota de rondeurs syndicales, le génie, lui, casse ces conventions, propose et prend des risques, surtout, il guette le mystère. La mise en scène n’a pas les outils de l’écrivain pour suggérer la psychologie, évoquer le passé, mais il peut ralentir, se poser, et baigner l’atmosphère dans un mystère imprévu qui, tout à coup, met en doute le regard, porte l’attention vers un espace vide que le spectateur se chargera de remplir.

Peut-on avoir un film épique, un film d’action, qui tout à coup prend la pause ? Découvrez ce mois-ci en avant-première La Charge fantastique, le nouvel opus de Michelangelo Antonioni ! Suivi très vite par la version de David Lynch ! Ces deux-là poussent certainement le mystère un peu loin, et on pourrait croire en effet qu’ils se refusent à toute idée dramatique. Pourquoi ne pas alors tenter une adaptation avec Charles Laughton ou avec Kieslowski ? Voilà un juste milieu, tiens. Sacrifier un peu de densité dramatique pour travailler ses ambiances et sa « pesanteur ». Cette jolie scène de la lettre ici, est, si j’osais, vite expédiée. Un peu de relief, d’attention, d’empathie même dans les moments graves, Raoul ! Tout est juste et précis, c’est vrai, c’est parfait, rien ne dépasse, du grand classique. Doit-on nous en contenter ? Ni tension ni attention, et par conséquent, aucune prétention sinon celle de l’élève à rendre la meilleure copie possible…

La force du classicisme, c’est aussi sa plus grande faiblesse.