Le Portrait de Jennie, William Dieterle (1948)

La Flamme au portrait

Portrait of JennieLe Portrait de Jennie (1948) William DieterleAnnée : 1948

8/10 iCM IMDb

Réalisation :

William Dieterle

Avec :

Jennifer Jones ⋅ Joseph Cotten ⋅ Ethel Barrymore


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Ce n’est pas sans rappeler Madame Muir ou Vertigo (le côté traquenard en moins). De mémoire, on retrouve les splendeurs visuelles de Quasimodo, tourné l’année auparavant par Dieterle. Et le duo de Love Letters (film assez épouvantable) a été reformé : Jennifer Jones et Joseph Cotten.

L’histoire est un peu surfaite. C’est de la littérature pour grands-mères. On pourrait même être à la limite chez Marc Levy. Seulement voilà, l’exécution est parfaite. Des décors de Central Park au début du film avec tous ces effets de lumière, de clairs-obscurs, de surimpressions fantaisistes donnant du relief à l’image, jusqu’aux brouillards jaunis de Land’s End, la photo, le montage, les cadrages…, tout est parfait, donnant au film cette atmosphère entre noir et gothique, nécessaire à rehausser cette histoire un peu naïve.

La présence de Lillian Gish donne une saveur particulière au film, comme un hommage aux films de Griffith dont l’atmosphère emprunte un peu au Lys brisé.


 

Le Portrait de Jennie, William Dieterle 1948 The Selznick Studio, Vanguard Films (1)_saveur

Le Portrait de Jennie, William Dieterle 1948 | The Selznick Studio, Vanguard Films

Le Portrait de Jennie, William Dieterle 1948 The Selznick Studio, Vanguard Films (2)_saveur


Le Fils du pendu, Frank Borzage (1948)

La Nuit du tueur

Le Fils du pendu

Moonrise

Note : 4 sur 5.

Titre original : Moonrise

Année : 1948

Réalisation : Frank Borzage

Avec : Dane Clark ⋅ Gail Russell ⋅ Ethel Barrymore

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Un film noir dans les marécages de Virginie, ça change un peu des trottoirs des grandes villes. Sublime histoire sur la culpabilité, sur ce qu’est la culpabilité. On a presque affaire à une tragédie grecque. Le personnage principal doit porter le fardeau de la culpabilité de son père, et très vite la sienne. On se demande si ce n’est pas une sorte de fatalité…

Le discours est parfois un peu trop souligné, mais c’est pour la bonne cause. De la nécessité d’accepter ses fautes, d’y répondre devant la société, pour devenir un homme, tout simplement.

L’un de ces films sans réel méchant. L’opposant, il est à l’intérieur même du héros, et c’est lui-même qu’il va devoir affronter. Tous les autres n’ont que de la bienveillance à son égard. Et pourtant…

L’histoire est d’une grande simplicité pour laisser le sujet au centre de tout. Mais elle n’en reste pas moins efficace. On peut parfaitement suivre le film n’en ayant rien à faire de la quête « spirituelle », introspective ou humaniste du héros. C’est des plus classiques : un meurtre, un coupable, une « enquête ». Pas de mystère, on sait qui a tué, et comment, parce qu’on a vu la scène dans le premier quart d’heure du film. L’intérêt est ailleurs, bien sûr. Comment vivre avec la culpabilité. Comment nous, spectateur, le jugeons en fonction de ce que nous avons vu, tout en imaginant ce qu’on aurait pu penser, dire, préjuger de lui en sachant juste : c’est lui qui l’a tué ! La simplicité a souvent le mérite d’aller à l’essentiel, et c’est ce qui est parfaitement réussi dans ce film. Parler simplement d’un thème universel, intemporel et profondément complexe.

Seuls le cinéma ou la littérature peuvent offrir au public la possibilité d’adopter ainsi le point de vue d’un criminel, et par la force des choses, entrer en empathie avec lui. Ce que la société a renoncé à faire ou à comprendre, l’art le peu, parfois. Malheureusement, cette ouverture d’esprit ne perdure jamais en dehors du film. Est-ce que l’art peut adoucir les mœurs, nous rendre plus à l’écoute des autres, nous apprendre à nous méfier des jugements tout faits ? Non, ou rarement. Si le cinéma par exemple est politique comme le prétendent certains, il a tout comme eux (les politiques) démontré son impuissance face aux grands défis du monde. La masse a toujours raison, et la masse va au plus simple. Derrière le paravent de la culpabilité se cachent des causes qu’il ne faut surtout pas dévoiler, et la culpabilité doit se présenter, évidente, comme un grand panneau dédié, seul, à la faute jugée. Les dieux grecs n’ont rien inventé, ce sont les hommes qui avaient tout intérêt à voir une logique dans ce que tout coupable suive finalement l’héritage d’une lignée que tout accable. Cet aspect mystique (et mythologique) a disparu, mais persiste encore en nous cette facilité de penser que si un homme se rend coupable d’un crime, c’est qu’il était profondément et intrinsèquement mauvais, suggérant ainsi que son crime ne ferait que révéler sa véritable nature, et que s’il fallait alors le condamner, ce serait moins pour ce crime que l’on juge, mais bien pour ce qu’il est.

Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer ? C’est précisément ce qu’ont fait les hommes, et ils ne se sont pas contentés d’inventer un dieu, ils se sont aussi toujours chargés de créer les monstres qui vont avec. La culpabilité d’un seul, c’est l’assurance pour la masse de se savoir à l’abri des soupçons. Confondre les monstres, puis les achever, c’est donner en quelque sorte la preuve de son innocence. Les sacrifices humains ont toujours existé ; les monstres qu’on exécute en notre nom, c’est moins sûr. Les monstres, on les fabrique et on les brûle. La masse ignore que s’il y a une fatalité de la culpabilité, elle en est directement responsable. On ne se rend pas coupable d’un crime par nature ou par goût, mais parce que les circonstances, la société, la masse, nous y contraignent. Cela pose la question de la responsabilité face à ses actes, et certains craindraient y voir là un prétexte à dédouaner les coupables ; pourtant le film montre bien le contraire : si Danny est coupable, il doit non seulement être jugé pour son acte et son acte seul, mais Danny doit aussi accepter sa responsabilité et se livrer à la police. Mais qu’on soit en empathie ou non avec un tel personnage déterminera le jugement qu’on se fera de cet acte final de soumission : si, grâce au film, on peut voir cela comme un geste noble, une fois qu’on s’interdit toute empathie (mettons, dans la réalité), on ne sait y voir autre chose qu’un acte d’une grande lâcheté. L’art montre l’autre côté des choses, mais dans la vie, c’est à chacun de faire l’effort de voir derrière les apparences ; et alors, les lâches, on sait de quel côté ils se trouvent.

À noter que le cinéma usera souvent du même artifice narratif pour arriver à faire entrer le spectateur en empathie avec ces « monstres ». L’utilisation d’un personnage féminin et de son amour. L’astuce est facile, mais efficace : si des femmes charmantes peuvent s’attendrir pour ces bêtes cruelles, c’est donc qu’elles doivent aussi avoir un bon fond. Un biais bien connu, et un argument à double tranchant. Parce que si dans une histoire, on se laisse facilement prendre la main et croire à un tel amour, dans la vie, on préférera longtemps ne pas y croire. Pire, quand il n’y en a aucun et que le criminel fait face seul à ses juges, son isolement jouera toujours contre lui.

La mise en scène de Borzage est parfaite. Le film noir s’inspire souvent du cinéma expressionniste. Ombres, mouvements de caméra, décors, tout donne une atmosphère particulière au film. On pense tout de suite à La Nuit du chasseur ou aux Amants crucifiés. Les marécages ont du bon.


Le Fils du pendu, Frank Borzage 1948 Moonrise | Chas K. Feldman Group Productions, Marshall Grant


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Le Printemps d’une petite ville, Fei Mu (1948)

C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures histoires

Le Printemps d’une petite ville

Note : 5 sur 5.

Titre original : Xiao cheng zhi chun

Année : 1948

Réalisation : Mu Fei

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Triangle amoureux classique, le dilemme vieux comme la pluie, et pourtant ça marche toujours.

Le mari et sa femme vivent dans une petite ville comme le titre l’indique, éloignés du chahut de la grande ville. On est presque à la campagne. C’est paisible, mais on voit les traces de la guerre un peu comme dans Autant en emporte le vent, avec des murets éclatés… Un serviteur vit avec eux, ainsi que la sœur du mari, tout juste nubile (c’est le printemps pour tout le monde). Lui, le mari, souffre de la tuberculose et refuse de se soigner ; elle, sa femme, se languit par l’ennui. C’est une sorte de Madame Bovary qui attend que quelque chose vienne la délivrer, ou la réveiller…

L’un des coups de génie de ce film, il commence par l’angle employé pour raconter cette histoire. C’est la femme qui la raconte, chuchotant presque. Quelques phrases au début, puis parfois une pensée pour exprimer son état d’esprit, pour compter le temps qui passe. Au lieu de mettre des panneaux « le jour suivant », pourquoi ne pas le faire dire par un narrateur… ? Je n’ai jamais vu ça, et pourtant ça marche parfaitement. Des voix off, on en voit souvent au cinéma, la voix du narrateur, mais quand on y pense, c’est systématiquement celle d’un homme. La voix du narrateur, c’est un peu celle du dieu omnipotent, donc forcément, on pense à un homme… Pourquoi avoir choisi la femme pour raconter cette histoire ? Ça marche tellement bien sous cet angle que ça peut paraître évident, encore faut-il avoir eu l’idée. Les meilleures idées sont les plus simples, pourtant, je ne me rappelle pas avoir vu un tel procédé.

Un visiteur se présente donc dans le domaine. Un ami que le mari n’a pas vu depuis une dizaine d’années. Sa femme ne le voit pas encore, mais quand elle apprend son nom, elle commence à s’inquiéter parce qu’elle a connu quelqu’un qui portait ce même nom (récit en voix off). Ils se rencontrent finalement, et c’est bien lui : les deux expliquent au mari qu’ils étaient du même village, et qu’ils ont grandi ensemble…

Les dés sont lancés. On peut deviner la suite. Ils s’étaient juré autrefois de ne jamais se quitter, mais les événements les ont séparés…, et à nouveau rapprochés. Le film parvient à échapper à la tentation du passage à l’acte. Mais au pays du taoïsme, la règle du non-agir est une vertu. Les deux personnages ont le temps de pécher en pensées (ils semblent envisager toutes les possibilités : le passage à l’acte, ça peut être la consommation de leur amour, comme ça peut être… le meurtre du mari). Mais, ce ne sont pas Les Amants diaboliques. On est beaucoup plus près d’In the Mood for Love avec ces deux amants qui se promènent, se reniflent, ne savent quoi se dire, s’enlacent, puis se repoussent… C’est une danse impossible entre deux aimants. Cette manière d’arriver à décrire des situations sans tomber dans la grossièreté d’un « passage à l’acte », rend tous les personnages sympathiques. Encore un de ces films sans méchants, presque philanthropiques. L’opposition, elle vient des événements, on est conscient que personne n’est coupable de quoi que ce soit, et on ne veut pas être le premier à fauter. Ce sont des épreuves imprévues qu’il faut accepter sans pointer la responsabilité sur l’un ou l’autre… Même la jalousie du mari n’en est pas une. Personne n’a rien fait de mal, pourtant tout le monde se sent coupable.

Si dans In the Mood for Love, l’utilisation de la musique est primordiale, ici c’est une autre musique qu’on entend. Celle du silence. Le rythme se ferme dans une même lenteur, pesante, comme une respiration qui s’étire, comme quand on ne veut pas déranger et que les mouches font un vacarme inouï. La maîtrise du rythme et du ton est totale, je ne sais même pas s’il y a des équivalents à cette époque. Chez Orson Welles peut-être…, d’ailleurs, le film présente les personnages et les acteurs un peu comme Welles le faisait au début de ses films. Là encore, on peut imaginer une inspiration directe, étant donné que ce n’est pas très fréquent comme procédé.

Tout le reste du film est tout autant maîtrisé : les acteurs gardent parfois le rythme très particulier de la pantomime, mais en 1948 on a eu le temps de perdre les tics du muet (on peut en voir un peu dans Les Anges du boulevard, 1937 — où parfois même avec des scènes sonorisées, les acteurs jouent sans dialogues, avec une belle réussite d’ailleurs).

Les décors et la lumière sont magnifiques : mouvements de caméra, contre-plongées, plans larges pour laisser la liberté à la mise en scène et aux acteurs (au lieu de passer systématiquement par le montage), des effets de lumière tout aussi magnifiques (comme cette scène dans la chambre du mari, à l’ombre de la lune où, à tour de rôle, son visiteur, puis sa femme, vient lui rendre visite, et qu’on voit la porte vitrée en ombre s’ouvrir sur le voile de son lit…).

En bonne place dans l’histoire du cinéma chinois. 5ᵉ dans la Golden Horse list.


Le Printemps d’une petite ville, Fei Mu 1948 Xiao cheng zhi chun | Wenhua Film Company


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I Remember Mama, George Stevens (1948)

Ma mémère bien aimée

Tendresse

Note : 4 sur 5.

Titre original : I Remember Mama

Année : 1948

Réalisation : George Stevens

Avec : Irene Dunne, Barbara Bel Geddes, Oskar Homolka

Probablement un des plus bels hymnes écrits à la famille. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de précédents à ce style familial. On en voit des traces un peu chez Capra. On le retrouvera très souvent, c’est même systématique, dans les séries TV qui viendront par la suite (d’ailleurs, il y a la matriarche Ewing de Dallas avec ses yeux plissés quand elle sourit qui joue la narratrice, l’auteur, la fille à sa maman). Il me semble qu’on retrouve un peu ça dans Qu’elle était belle ma vallée ou Les Quatre Filles du docteur March. En fait, c’est l’exposition de la vie plus ou moins dure des petites gens (ici d’immigrants mais installés depuis une vingtaine d’années). Ça vante les qualités d’humilité, la tendresse, l’attention à l’autre, la politesse… Bref, c’est un manuel sur bobines de « comment élever ses enfants ». Ça fait très chrétien. Il n’y a pas de méchant, c’est réjouissant. Que du positif. La vie est dure mais l’argent ne compte pas ; ce qui compte, c’est de donner du bonheur aux autres. Pas besoin d’un dieu, l’Amérique (enfin Hollywood) vend très bien le bonheur sans. Rien n’est forcé, même si tout est de la même couleur. L’auteur a appris sa leçon sur l’authenticité, il semblerait.

Les décors dans une petite baraque, en haut d’une de ces fameuses collines à San Francisco, sont magnifiques. On ne la quitte quasiment jamais. Tout est admirablement bien centré sur la famille, et bien sûr la “Mama” (merci à la traduction française encore une fois d’avoir parfaitement compris le film et d’avoir proposé un autre titre sans aucun rapport…, pas étonnant après que le film soit si méconnu). (Si vous ne savez pas quoi offrir à votre Mama pour Noël, ce film fera un beau cadeau.)

Étonnant de voir Irene Dunne là-dedans — magnifique accent norvégien et prothèse pour la faire grossir (je ne l’imagine pas prendre vingt kilos à l’Actors Studio). Le plus remarquable toutefois, c’est la performance énorme d’Oskor Homolka en oncle Chris. Un personnage d’ailleurs peut-être plus intéressant que celui de sainte Mama. Au début, les enfants en ont peur parce qu’il boite, parce qu’il a souvent l’œil coincé dans le cul d’une bouteille, et qu’il a la voix presque aussi bruyante que son atroce automobile. Pourtant, deux des filles finissent par l’apprécier en se moquant ensemble des deux harpies qu’elles ont comme tantes. On comprend que c’est un faux méchant. Sa fin sera l’occasion d’une longue séquence bien larmoyante, avec la révélation qui tue. L’acteur sera nominé aux Oscars pour son interprétation (comme trois actrices du film). Bien mérité. Il sera battu par un autre rôle d’ivrogne, celui de papa Huston dans Le Trésor de la sierra Madre. Ça reste la famille.

Le film rappelle parfois bizarrement Le Lys de Brooklyn tourné trois ans auparavant. Film de famille sans doute aussi, j’en ai un trop vague souvenir. Encore un de ces films autrefois adorés qu’il me faudrait revoir. C’est qu’il commence à vieillir et à ne plus se rappeler des vieilles bobines qu’il a vues papy Lim…


Tendresse, George Stevens 1948, I Remember Mama | RKO Radio Pictures


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Appelez Nord 777, Henry Hathaway (1948)

Anatomie d’un meurtre

Appelez Nord 777

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Call Northside 777

Année : 1948

Réalisation : Henry Hathaway

Avec : James Stewart, Richard Conte, Lee J. Cobb

Un nouveau film dont le thème est celui de l’injustice. C’est Hathaway qui s’y colle. Pas bête parce que les cinéastes de westerns (même s’il s’est frotté à tous les genres) mettent en scène le plus souvent les comportements primitifs qui amènent ce genre d’injustice (on le voit avec L’Étrange Incident de Wellman par exemple), bien plus que les films noirs qui sont le plus souvent immoraux, désabusés, ou au mieux distants, froids.

Bref, il s’agit d’une histoire vraie, et le film nous précise autant que possible que les lieux de tournage sont ceux où se sont réellement déroulés les faits. Ça donne un vrai côté réaliste au film, presque documentaire, mais c’est aussi son plus gros défaut (très à la mode à l’époque, voir le commentaire de The Naked City). Puisque le récit suit les traces d’événements qui se sont réellement passés, l’histoire n’est pas tendue, dense, comme on pourrait le faire dans un film où le seul but serait de divertir. Une reconstitution, donc, mais ça vaut le coup : les événements se suffisent à eux-mêmes.

On est au temps de la prohibition à Chicago. Loin des clichés véhiculés par Hollywood (on nous rapporte qu’il y a un meurtre par jour à cette époque, c’est plutôt raisonnable…). Un quartier fréquenté par la diaspora polonaise. Un speakeasy misérable, deux clients, dont un flic. Deux hommes arrivent et tuent le flic. On ne saura jamais qui étaient ces hommes. Les actualités de l’époque nous apprennent que deux suspects ont été arrêtés. Ils seront vite reconnus coupables… Dix ans passent et le directeur de la rédaction du Chicago Times s’interroge sur une annonce parue dans le journal : on propose 5 000 $ pour toute information concernant ce crime perpétré dix ans plus tôt. James Stewart est mandaté pour se renseigner, et il découvre que l’auteur de l’annonce n’est autre que la mère de l’homme reconnu coupable de ce crime. Il est d’abord surpris de voir une vieille dame, lavant le sol, misérable, proposer autant d’argent, mais elle lui dit qu’elle a mis tout ce temps pour réunir l’argent nécessaire pour déposer l’annonce dans le journal et avoir une chance d’innocenter son fils. Stewart est perplexe. Pour lui, l’homme a été reconnu du meurtre, il ne va pas chercher plus loin. Cependant, il en fait un article, centré sur la vieille mère polonaise obligée de travailler dur parce qu’elle a foi en son fils. L’article a un grand succès, si bien que son directeur lui demande d’approfondir la chose. Stewart s’exécute en traînant un peu les pieds, rencontre l’homme en prison, puis sa femme… À chaque fois, il se montre à la limite de l’insolence, notamment avec son ex-femme, qui s’est remariée à la demande de son mari. Mais le journaliste au fur et à mesure qu’il enquête et qu’il informe ses lecteurs de cette histoire, finit par croire en l’innocence de l’homme condamné dix ans plus tôt. Il décide d’approfondir l’enquête et découvre qu’on lui met des bâtons dans les roues et qu’à l’époque l’enquête a été bâclée…

On est loin des histoires glauques de détectives : Stewart connaît mal la loi, ne trouve rien d’utilisable par la justice… Tout repose en fait sur un détail de l’enquête : la femme qui tenait le bar à cette époque, et qui l’avait reconnu, lui mais aussi son ami, ne l’avait jamais rencontré avant la séance d’identification… Or, le Polonais dit qu’il l’avait vu plusieurs fois et donc qu’il était aisé pour elle de le reconnaître. Stewart parviendra finalement à retrouver cette femme, mais elle ne voudra pas changer son témoignage (sur quoi repose seule l’accusation) subissant des menaces sans doute, sans que jamais on ne sache le fin mot de l’histoire (c’est le problème du récit d’événements réels : on lance des pistes, mais on ne répond à aucune question). Au dernier moment, Stewart trouvera la preuve (une photo) qu’ils s’étaient bien rencontrés avant la séance d’identification. On libérera le prisonnier. Pour le reste on ne saura jamais rien de qui a tué ce policier, tout le sujet du film, c’était de voir un journaliste faire acquitter un innocent.
L’histoire était belle, significative, touchante, il fallait la raconter.

À noter que l’année suivante, Richard Conte et Lee J. Cobb se retrouveront dans l’excellent Les Bas-Fonds de Frisco.


James Stewart dans la bande annonce du film Call Northside 777 (Appelez Nord 777), Henry Hathaway 1948 | Twentieth Century Fox

Lee J. Cobb, « at his best » dans la bande annonce du film Call Northside 777 (Appelez Nord 777), Henry Hathaway 1948 | Twentieth Century Fox


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La Rivière d’argent, Raoul Walsh (1948)

Bienvenue sur le fleuve Ambition

La Rivière d’argent

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Silver River

Année : 1948

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Errol Flynn, Ann Sheridan, Thomas Mitchell, Bruce Bennett

Le parcours d’un homme lassé d’être loyal après avoir été mal jugé et suspendu par l’armée à l’issue de la Guerre de sécession et qui décide alors de n’être plus jamais loyal qu’envers lui-même.

Plus qu’un western, c’est un peu une autre version de Naissance d’une nation à travers l’ascension d’un homme venu de l’Est qui va faire fortune dans les mines d’argent du Grand Ouest, puis sa déchéance et sa rédemption.

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McComb (Errol Flynn), après cette histoire avec l’armée (servant d’hamartia, de “faute” originelle), décide donc d’être égoïste, ambitieux, et il n’hésitera pas à jouer des coups les plus tordus pour arriver à ses fins. Il est sans scrupule, du moins en apparence — car tout ce qu’il fait est une réaction à cette injustice initiale. Il fait fortune le jour même où il est libéré par l’armée, se jouant habilement d’un arnaqueur qui opérait dans le camp militaire. Il développera sa richesse grâce à son opportunisme, durant son parcours qui le mènera vers l’Ouest. Arrivé en Californie (Silver City se situe en fait à la frontière dans le Nevada), il réussira de la même manière, grâce à son mépris des autres et à son opportunisme. La morale semble évidente, ceux qui réussissent sont ceux qui se comportent le plus mal.

Il a maintenant fait fortune, contrôle tout dans la région. Le Président en personne visite la ville pour exprimer son intérêt pour une telle industrie. Les mines d’argent ont selon lui, et selon McComb, un intérêt stratégique pour les USA pour devenir une grande nation… McComb n’y voit là encore que son intérêt personnel.

À ce moment, il n’a pas la même réussite sur le plan amoureux. Il emploie les mêmes moyens. Il sait ce qu’il veut, et il est prêt à tout pour l’acquérir, même laisser le mari de la femme qu’il aime partir dans une région remplie d’Indiens… Un tournant s’amorce : pour la première fois, il ressent un sentiment de culpabilité. Le même tournant s’opère dans son travail, même s’il peine encore à le comprendre. Une sorte de voyage initiatique à l’envers en quelque sorte.

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Sa réputation se dégrade, le cours de l’argent s’effondre suite à une manœuvre d’un de ses ennemis, et il est contraint de fermer ses mines. Avec elles, c’est toute l’économie qui vacille dans la région. Ruiné, lui qui possédait un peu tout dans la ville, se retrouve avec peu de choses.

C’est une critique amère et sévère d’un capitalisme froid et éloigné du peuple. Dans le film, la morale est sauve car lui le grand profiteur, le grand capitaliste saura mettre son énergie au service du peuple, mais qu’il lui en aura fallu du temps pour comprendre les conseils de son ami avocat… (assassiné par des ploucs qui croyaient qu’il prendrait le parti de McComb alors qu’au contraire il voulait dénoncer toutes ses pratiques — le sacrifice des braves, ça paie toujours au cinéma).

Une vision fantasmée de l’histoire probablement. Si on imagine qu’il y a du vrai sur la manière dont s’est construite la richesse de l’Amérique (la révolution industrielle arrivant à point dans une nation alors en pleine construction) ; on imagine mal en voyant l’état du capitalisme aujourd’hui qu’il ait pu un jour songer à une quelconque rédemption. La crise de 29 n’y avait rien changé, au contraire, le capitalisme allait bientôt se trouver un ennemi tout désigné pour éviter à nouveau la crise : le communisme. L’utopie d’un peuple ne vaut rien si elle égratigne la règle numéro un de la nation du cow-boy solitaire : la liberté de réussir (accessoirement de profiter des autres comme montré dans le film). C’est aussi la liberté d’échouer. Aujourd’hui, le système n’a rien changé, devenu incapable de se moraliser ou de se fixer un objectif plus concret que cette quête, à la fois mirage et vaine, du profit. On fait toujours plus de fric sur le dos des petits, qu’importe la manière. La realpolitik, le monde, comme le dit McComb, c’est une jungle. L’important, c’est d’en être le roi. À la fin de l’histoire, on sent poindre une morale, une rédemption. En vrai, on n’en voit pas le bout de cette histoire.

Le film se présente comme une grande fresque sur l’ambition. Le récit est concis (trop peut-être : une grande histoire comme celle-ci aurait peut-être mérité un film plus long, notamment pour gagner en vraisemblance, dans le fil amoureux, parce que là le retournement de Mrs Moore est vraiment limite). Le personnage de Flynn, plein de contradictions, est fascinant. Et Flynn est parfait dans ce rôle de misanthrope sans limite. La grande gueule, il n’y a que ça de vrai au cinéma. Aimer sur l’écran, ceux qu’on ne pourrait pas sentir dans la vie…


La Rivière d’argent, Raoul Walsh 1948 Silver River | Warner Bros.



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La Ville abandonnée, William A. Wellman (1948)

La « Miche » abandonnée

La Ville abandonnée

Yellow Sky

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Yellow Sky

Année : 1948

Réalisation : William A. Wellman

Avec : Gregory Peck, Anne Baxter, Richard Widmark

Voilà un western bien à mon goût. Pourtant ce ne sont pas les stéréotypes du genre qui manquent. L’histoire, c’est celle d’une bande de voleurs de banque emmenée par Gregory Peck et Richard Widmark (on sait tout de suite qui joue le gentil bandit et le méchant), obligée de traversée la Vallée de la mort pour échapper à une garnison partie à leur trousse.

Le récit de la traversée est parfaitement épique, on se croirait dans Lawrence d’Arabie, et surtout, c’est un peu dans le récit, un symbole, comme un monde qu’on n’atteint pas facilement et pour lequel il faudra faire des sacrifices ; c’est l’épreuve de départ dans beaucoup de récits. Ils arrivent donc assoiffés à l’autre bout de la vallée, mais ils ne trouvent là qu’une ville abandonnée, fantôme… Surgit alors notre Séphora de l’ouest, venue « secourir » nos bandits tel Moïse après sa traversée du désert. Sauf qu’ici, elle les accueille le fusil à la main. Magnifique apparition d’Anne Baxter (ironiquement, Cecil B. Demille la prendra huit ans plus tard pour jouer non pas Séphora, mais la femme de Ramses Nefertari) qui leur montrera où s’abreuver. La fille vit seule avec son grand-père dans une bicoque isolée et a tout du garçon manqué (se faisant même appeler Mike — savoureusement transcrit en français par « Miche », pour Micheline sans doute). Les bandits ne mettront pas longtemps à comprendre qu’ils ont une mine d’or…

La suite est tout aussi prévisible, vue mille fois mais parfaitement efficace, avec les deux bandits luttant pour savoir comment se partager le magot… La morale est sauve, Peck gagnera la belle (Widmark a trop peur pour ses miches) et ira rembourser dans une scène d’épilogue l’argent volé dans une banque au début du film (si ça, ce n’est pas du spoiler).

Le film serait une adaptation de La Tempête de Shakespeare… J’avoue qu’il faudrait que je relise la pièce parce qu’en dehors du naufrage, je ne vois pas bien la correspondance. Si dès qu’il y a quelque chose qui ressemble à un naufrage on parle de La Tempête… C’est juste comme j’ai dit un procédé narratif habituel, le fait d’entrer violemment dans un autre monde. On parle aussi pas mal de Planète interdite pour l’adaptation de La Tempête…, bah oui, mais pourquoi pas non plus Ulysse ? Le mec passe son temps à s’échouer sur des îles pour retrouver Ithaque et rencontre des princesses qui lui cassent les pieds avant de tomber amoureuses de lui… Et dans ce cas, Star Wars aussi commence par un échouage, Alice au pays des merveilles aussi… Bref, ce n’est pas une référence à Shakespeare ni même à Homère, c’est juste un archétype d’introduction…

La mise en scène est très efficace, audacieuse même. Wellman n’hésite pas à étirer certaines scènes, ralentir le rythme pour accentuer le suspense. Un procédé de mise en scène que je ne me rappelle pas avoir vu beaucoup dans des westerns à cette époque et qui était plutôt employé par Hitchcock ou les réalisateurs de films noirs. Autre procédé intéressant, c’est l’utilisation de la profondeur de champ (à la Greg Toland) avec le visage d’abord de Widmark en très gros plan, coupé, et de l’autre côté de l’écran les autres personnages bien plus loin. Voilà deux procédés que Leone réutilisera abondamment pour ses westerns.


La Ville abandonnée, William A. Wellman 1948 Yellow Sky | Twentieth Century Fox


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