La freccia nel fianco, Alberto Lattuada (1943-45)

La freccia nel fianco

La freccia nel fianco Année : 1943-45

8/10 iCM IMDb

Réalisation :

Alberto Lattuada

Avec :

Mariella Lotti, Leonardo Cortese, Roldano Lupi

Top films italiens

Listes sur IMDb :

L’obscurité de Lim

MyMovies: A-C+

Retournement de mineur. D’un classicisme absolu, sorte de « téléphone noire » : tout est futile, jusqu’à ce que ça devienne tragique (et il faut l’avouer, un peu mélodramatique, forcé).

L’essentiel est ailleurs : l’élégance toujours de Lattuada, et surtout ici une qualité de direction d’acteurs assez fabuleuse. Alors qu’on plonge allègrement dans le mélo, Lattuada tient ses acteurs, les forçant à jouer dans la retenue quand il serait si facile d’en faire trop et de jouer à la lettre ce que les péripéties mélodramatiques pourraient nous dicter de faire. C’est là que Mariella Lotti est exceptionnelle. On est littéralement (si tant est que ce soit possible) dans ses pensées ; rien ne transparaît pourtant sur son visage, sinon une certaine gravité, une dignité peut-être. Et quelle beauté, quelle autorité !…

Regarder un gros plan de Mariella Lotti, c’est comme épouser en un instant toute la face du monde, son histoire, comme si ce visage résumait à lui seul tout ce que le monde a pu produire et produira encore. L’étonnante impression que rien n’existe autour, pas même la mémoire des mille visages qu’elle arrive ainsi à éclipser en une seconde… Vaut bien l’énigmatique sourire de Mona Lisa, cette Mariella Lotti…


La freccia nel fianco, Alberto Lattuada 1943-45 | Artisti Tecnici Associati


César et Cléopâtre, Gabriel Pascal (1945)

Pygmalion 2 : l’homme invisible mentor d’Ophélie

Note : 2 sur 5.

César et Cléopâtre

Titre original : Caesar and Cleopatra

Année : 1945

Réalisation : Gabriel Pascal

Scénario : George Bernard Shaw d’après sa pièce

Avec : Vivien Leigh, Claude Rains, Stewart Granger

On en oublierait presque qu’il s’agit d’une comédie, du moins aussi d’une comédie. Car George Bernard Shaw semble vouloir d’un bout à l’autre copier Shakespeare jusque dans le baroque en cherchant à mêler cinquante genres à la fois. Seulement marier la comédie à l’intrigue politique (ce que Shakespeare pour le coup ne fait pas dans ses tragédies antiques), il faut s’accrocher. On ne croit pas une seconde à l’histoire d’amour. Vivien Leigh est tellement haut perchée en semblant s’entraîner pour le rôle d’Ophélie (qu’elle ne décrochera pas pour le film de son Olivier chéri) que comme pour elle, on guette surtout le revirement où elle pétera un câble. Ça lui laisse peu chance de séduire à la fois le spectateur et César. Cette Cléopâtre est d’ailleurs digne de la Jeanne d’Arc de Shakespeare, un modèle de bêtise, là encore George Bernard Shaw ne fait que singer l’auteur d’Antoine et Cléopâtre. Claude Rains de son côté en César vieillissant est trop peu à l’aise, focalisé sur son texte à un point qu’il en oublie d’aménager des pauses sans lesquelles là encore aucune séduction n’est possible. Mais allez donc rendre vos personnages sympathiques, ne serait-ce qu’humains, quand il faut livrer à une telle vitesse un texte souvent insipide et sans charme. Ça déclame sévère dans des séquences interminables et ça papote encore au lieu d’agir.

La pièce n’a juste pas grand-chose pour elle, et ce qu’elle pourrait offrir de mieux, Gabriel Pascal, peine à le rendre. Car si les acteurs prennent aussi peu leur temps et donnent finalement aucun relief à leur interprétation, c’est bien pour une grande part de sa faute. La pièce aurait gagné à être charcutée par tous les bouts. Elle est tellement littéraire que dès qu’il y a du mouvement, les personnages se mettent à commenter ce qu’ils font, un peu comme on le ferait dans un roman pour contextualiser la chose ; sauf qu’à l’écran, ça fait lourd, images et textes se font écho, et on a l’impression d’être pris pour un con (ce qu’on finit de toute façon bien par être vu qu’on s’ennuie tellement qu’on ne comprend souvent plus lors des longues séquences de quoi peuvent bien parler tous ces étranges animaux).

La contextualisation, éternelle gageure pour les adaptations théâtrales, passe donc par des mots inutiles (« Qui veut de mon maquereau ? Frais mon maquereau ! » merci pour la référence lourde, Gibi), quand, au cinéma, elle passe presque toujours par des décors, prises de vue en extérieur notamment, ou plans de coupe, en particulier sur la réaction des personnages. Or, si on peut s’amuser au début d’une séquence dans le désert aux pieds d’un sphinx pour situer la rencontre entre le vieux César et l’idiote Cléopâtre, on finit très vite par se sentir à l’étroit dans les décors souvent somptueux des intérieurs, et par rire des cyclos utilisés en fond pour peindre l’arrière-plan des séquences de balcons et de terrasses. Au cinéma, pour contextualiser, on montre in situ, c’est aussi simple que ça, et pas de place laissée aux alternatives (tout artifice pour y échapper est assez rapidement remarqué). Ce qui signifie qu’on ne peut se passer de plans en extérieurs ; on peut même dire que la propriété du cinéma, c’est précisément la localisation dans des extérieurs, espaces exotiques, et même en travaillant massivement en intérieur, certains décors ne peuvent pas être illustrés en arrière-plan : les personnages doivent pouvoir manger la poussière, la toucher de leurs pieds, sentir le soleil sur leur front…, et surtout, être montrés en train de passer d’un lieu à un autre (le cinéma, oui, c’est le mouvement, le voyage, le trajet, et un peu comme un chien heureux et sage à la fenêtre d’un véhicule, le spectateur adore regarder, gueule au vent, et se taire). Il faut des moyens sans doute, mais Les Dix Commandements de DeMille, pourtant réalisé plus tard et qui connaît son lot de folklore avec ses décors reconstitués et ses rares véritables extérieurs, paraît bien moins artificiel. C’est un paradoxe, mais quand on joue l’adaptation, autant parfois jouer à fond la carte du huis clos, en respectant la part théâtrale de la pièce d’origine. Resterait alors le manque de plans de coupe pour donner vie à la psychologie des personnages : les réactions sont rares, on laisse les acteurs livrés à eux-mêmes, et aucun gros plan ne vient interrompre le ronron des déclamations. Au théâtre, l’acteur peut sentir l’attention du public et aménager les pauses pour se laisser regarder, scruter par le spectateur, autrement qu’à travers le sens livré par les mots. Il y a le texte, et il y a le sous-texte. Et ce sous-texte, si nécessaire au théâtre ou ailleurs, est indispensable pour forcer l’identification et la compréhension du spectateur. S’il n’y a que les mots, les acteurs ne sont que des pantins. On peut faire le choix de la distanciation bien sûr, mais cela se fait plus souvent avec des séquences peu bavardes ou avec des dialogues sans intérêt dans lesquelles c’est la situation qui prime. Et c’est un peu la position dans laquelle on se trouve : entre l’action (essentiellement des bavardages, des intrigues politiques, des rapports de séduction ratés) et le public, s’installe peu à peu une distance, utile dans certaines formes de cinéma, pour prendre de la hauteur, réfléchir, se concentrer sur des situations ou sur une chronologie des événements, sauf que là c’est évidemment du désintérêt, de la lassitude, qui finit très vite pour poindre et nous endormir.

Triste de voir que, presque un demi-siècle après, les Britanniques demeurent incapables d’utiliser les procédés spécifiquement cinématographiques qu’ils ont eux-mêmes inventés (hors-champ, contrechamp, plans de coupe, montage alterné…).

Alors, comme on s’emmerde royalement, on s’accroche au ridicule pour survivre : Vivien Leigh s’égosille au milieu des décors avec des « Ftatateeta ! » qu’on prendrait presque pour des « fiddle-dee-dee ! » et que Claude Rains s’échine à transformer en « taratata ! » ; Stewart Granger semble habillé par la costumière personnelle de Simone de Beauvoir, et on rit du nom de l’esclave breton (écossais) de César : Brit-anus. Ah oui, grand parolier de l’ironie, ce Gibi… Une comédie on vous dit.

La pellicule proposée à la Cinémathèque avait baigné cent ans dans le formol et semblait avoir été réveillée à l’huile de fraise Tagada (virée méchamment au rose bonbon).

Bref, insupportable, rien à sauver.


César et Cléopâtre, Gabriel Pascal 1945 Caesar and Cleopatra | A Gabriel Pascal Production


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La Cage aux rossignols, Jean Dréville (1945)

L’autorité du chœur

Note : 4 sur 5.

La Cage aux rossignols

Année : 1945

Réalisation : Jean Dréville

Avec : Noël-Noël, Micheline Francey, René Génin

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Marrant de voir qu’avec le succès du remake (Les Choristes), certains se sont mis à rêver à un retour des blouses et de l’autorité des maîtres. Parce que le film en fait illustre la nécessité du contraire. La réplique qui dit tout ici, c’est : « Tiens, prends un gâteau avant ». C’est celle du nouveau directeur à l’attention d’un môme qu’il s’apprêtait à punir. Pour avoir le respect d’un enfant, ça marche comme avec les adultes, il faut d’abord lui donner des signes de son propre respect. Les mômes imitent, c’est curieux n’est-ce pas ?… On les punit, on ne les aime pas ; et en retour, ils punissent leurs bourreaux et ne les aiment pas. Alors le mythe du retour à l’autorité du maître et du retour à l’ordre à travers la brutalité…

Dans Les Choristes, il y a ce mauvais goût à reproduire une France qui n’existe plus et qui ne peut alors ne plus être que la nostalgie d’une France idéalisée… et blanche. La nostalgie, c’est le Photoshop des mémoires. On retouche les taches sombres par des enluminures et tout paraît merveilleux. Ces petits sauvageons à la française n’existent plus, ou sont pour l’éducation nationale, les cadets de ses soucis. À l’époque, il pouvait y avoir un sens à caricaturer (on flirte encore sur une logique narrative héritée de Jeunes Filles en uniforme) « ceux-là » (les sauvageons), alors que montrer les mêmes aujourd’hui ne pourrait être perçu que comme de la nostalgie envers une France plus rigide et uniforme. Dans une adaptation, il aurait fallu respecter cette très légère mais réelle dénonciation d’une éducation maltraitante et inefficace ; et donc l’adapter aux problèmes actuels. Et les problèmes actuels, on ne les trouve pas parmi les petits chanteurs à la croix de bois (ils ont poussé le vice de la ressemblance jusqu’à prendre un sosie de la “vedette” de ce film de 1945) ; mais parmi les “autres”, ceux qui aujourd’hui sont caricaturés comme les sauvageons d’autre fois. Les petits gars des cités, ou même ceux envoyés dans les « centres de réinsertion », dans les « centres d’éducation fermés » ou les « centres de déradicalisation ». Le mépris pour les petits sauvageons en 1945 devient une jolie enluminure en 2015 envers des personnages qui n’existent plus et qui nous rendent nostalgiques. Et la même jeunesse rejetée, méprisée, qui ne renvoie que ce qu’on lui apprend (mépris et brutalité), elle, n’apparaît pas dans les films, encore moins pour suivre le même message énoncé ici, qu’il faut les aimer, les inciter à vivre, les respecter, leur faire confiance.

Des gâteaux pour les sauvageons de toutes époques, merci. Car elle est là la leçon du film. Qu’il est triste que ce qui dénonçait gentiment à l’époque les pratiques inefficaces et brutales de certaines autorités, reflète la nostalgie du petit raciste d’aujourd’hui pour une France uniforme. Traduire, c’est trahir ; adapter, c’est se vautrer.

En attendant, mieux vaut l’original à la copie. Son message, très clair, reste, lui, intemporel.


La Cage aux rossignols, Jean Dréville 1945 | Société Nouvelle des Établissements Gaumont


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Deux Êtres, Carl Th. Dreyer (1945)

Thrilleurre

Två människordeux-etres-1945-carl-theodor-dreyerAnnée : 1945

5/10 IMDb iCM

Réalisation :

Carl Th. Dreyer

Avec :

Georg Rydeberg
Wanda Rothgardt

Adaptation d’une pièce sans grand intérêt. L’aspect théâtral, avec son unité spatiale, est plutôt respecté, mais on n’est pas pour autant dans le Crime était presque parfait.

Ça bavarde sans fin et surtout rien ne tient la route. Le mélange crime/romance manque de punch, Dreyer se fout pas mal du suspense qui pourrait en découler, les décors sont dignes d’une salle d’attente d’un dentiste suédois répandant une vague de suicides chez ses plus tenaces patients, et ses acteurs sont plutôt fades, sans charme, sans génie.

Dreyer semble avoir renié ce film tourné en Suède à la fin de la guerre, voilà un homme qui au moins a du goût.

Toute la question est de savoir si on en apprend un peu plus sur « l’auteur » Dreyer à la vision de cet insipide opus et s’il y a un intérêt, vraiment, à proposer des intégrales dans des cinémathèques ou ailleurs. Jusqu’à un certain point, des films peuvent trouver leur public, même proposer un regard d’ensemble, plus juste car exhaustif, sur un auteur. Il est probable ici qu’on ait dépassé ce point. Dreyer ne semblait lui-même pas bien concerné par son travail.


Deux Êtres, Carl Th. Dreyer 1945 Två människor | Svensk Filmindustri


Du sang dans le soleil, Frank Lloyd (1945)

Œil pour œil

Du sang dans le soleil

Blood on the Sun

Note : 4 sur 5.

Titre original : Blood on the Sun

Année : 1945

Réalisation : Frank Lloyd

Avec : James Cagney ⋅ Sylvia Sidney

Le film est non seulement divertissant, mais pas inutile, car il permet de s’intéresser un peu plus à une époque assez méconnue en Europe : la première moitié du XXᵉ siècle au Japon, alors superpuissance nationaliste, militariste, expansionniste… On participe ici volontairement à entretenir le mythe du document supposé exposer le plan d’expansion planétaire du Premier Ministre nippon dans les années 20 : le Tanaka Memorial.

Dans un panneau au début du film, l’auteur présumé de ce document, le chef militaire et premier ministre Tanaka est présenté comme l’équivalent d’Hitler. Si le document existe bel et bien, il est aujourd’hui reconnu par les historiens comme étant un faux. L’intérêt, même si c’est un faux, c’est qu’il décrit bien les ambitions expansionnistes de certains militaires japonais.

James Cagney joue donc le directeur de la rédaction d’un journal à Tokyo. Il vient de révéler à ses lecteurs la possible existence d’une volonté expansionniste au niveau planétaire des autorités japonaises (notamment l’attaque des États-Unis). On ne sait pas bien comment il a eu ces informations. Peu importe, à partir de ce moment, les ennuis vont commencer pour lui, et la traque, la surveillance dont il va être la cible, ne fera qu’attiser son intérêt pour ce complot international. L’existence d’un document prouvant les intentions et le plan japonais arrive très vite, Cagney croit s’en saisir, les Japonais pensent qu’il l’a, en fait non, etc.

On est dans un mélange de film d’espionnage avec ses faux-culs aux longues oreilles derrière chaque porte (on a l’impression de voir Peter Lorre toutes les dix minutes), policier (enquête seul contre tous, police secrète…), le mélo (pour les beaux yeux et la voix douce de Sylvia Sidney). Pourtant, ça tient la route. C’est fichu comme un bon Hitchcock : le MacGuffin, l’accusation à tort, la fuite, la quête de la vérité, la femme manipulatrice, etc.

On pourrait avoir des doutes sur les intentions d’un tel spectacle. On est en 1945, les films de propagandes sont nombreux. Celui-ci en est clairement un. Mais ce serait vraiment bouder son plaisir. Le lien avec les événements de l’époque est très clair. Alors que les faits du film se passent à la fin des années 20, on sent surtout à la fin la référence (montrée donc ici comme une prédiction) à l’agression japonaise de Pearl Harbor. À un chef de la police secrète venu le chasser jusqu’à l’ambassade des USA qui lui parlait de la culture du pardon des Occidentaux à l’égard de leurs ennemis, Cagney répond : « Pas sans avoir rendu la monnaie de la pièce ! ». Le film s’arrête là-dessus. Le message est clair. Hiroshima, ce n’est rien d’autre que (notre) réponse à Pearl Harbor. Violent.


Du sang dans le soleil, Frank Lloyd 1945 William Cagney Productions (3)_saveur

Du sang dans le soleil, Frank Lloyd 1945 Blood on the Sun | William Cagney Productions

Du sang dans le soleil, Frank Lloyd 1945 William Cagney Productions (2)_saveur

Du sang dans le soleil, Frank Lloyd 1945 William Cagney Productions (1)_saveur

 — Pearl Harbor, yatta !  — … ?!


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Love Letters, William Dieterle (1945)

Ayn Rand, femme fountain

Le Poids du mensonge

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : Love Letters

Année : 1945

Réalisation : William Dieterle

Avec : Jennifer Jones ⋅ Joseph Cotten ⋅ Ann Richards

Ça commençait pourtant gentiment. À défaut de pouvoir accrocher les sommets, je me disais qu’un petit 7 abrasé fera sans doute l’affaire. À classer dans les petits drames romantiques sympas…

Et puis… ça commence à déraper avec le trou de mémoire de la nana. C’est plus une crevasse, c’est un vrai gouffre moite, suffocant, de ceux dont on sait qu’on ne pourra plus jamais s’échapper. On cherche à se cramponner à quelque chose de crédible, mais y a plus un poil de raison aux fesses, et on se laisse glisser dans les profondeurs atterrantes du n’importe quoi. On se résigne, impassible, comme on se résigne face au réchauffement climatique. Le point de non-retour est atteint, et on garde les tétons rétractés d’ennui. Les glaces sirupeuses dégoulinent en torrents jusque dans la vallée perdue. On trempe dans la désolation mièvre, dans la cyprine masturbatoire. Et, on se sent bien démuni en scrutant les hauteurs d’où jaillissent encore ces grands geysers laiteux. Les derricks tendent leurs jarretelles d’acier et crachent leur soupe insatiable tandis qu’on en a plein les bottes. On sera trempés jusqu’aux couilles, et cela dans l’apathie la plus absolue, pendant encore au moins une heure sans rien pouvoir y faire.

Vient le temps du constat. L’assurance d’un beau et gras dégât des eaux. On note :

— Cause du sinistre : faux thriller à l’eau de rose, musique trempée dans le maniérisme, débordement en tous genres, et dénuement final grotesque de type twist and cry.

— Tiers : la miauleuse Jennifer Jones et l’imperméable Joseph Cotton.

— Nature des dommages subis : Le Portrait de Jennie (quelques éclaboussures).

Conclusions au doigt mouillé :

— L’arroseur arrose, mais ne plie pas.

— Ce n’est pas en mouillant qu’on fait couler les larmes.

— J’épands, donc j’essuie.

— Nul besoin de saucer les soupes de la maréchaussée, elles sont saucées, marrée saucée.

— Fountain, ne dis jamais plus Fountain.

— La Ayn ne te Rand pas plus fort.

— Quand Ayn mouille, Ayn Rand les hommes vils et les vits bas.

Bref, Dieterle, ainsi que son chef op’ (Lee Garmes), faisait le job, mais face à un tel scénario, difficile de relever le niveau. Tout ce petit monde se retrouvera, pour le meilleur, dans Le Portrait de Jennie.


Love Letters, William Dieterle 1945 Le Poids du mensonge | Hal Wallis Productions

 


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Aventures en Birmanie, Raoul Walsh (1945)

L’Enfer, maintenant.

Aventures en Birmanie

Note : 4 sur 5.

Titre original : Objective, Burma!

Année : 1945

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Errol Flynn, James Brown, William Prince

Un bon film de guerre est le plus souvent antimilitariste. Ce n’est pas aussi criant que dans un Kubrick ou dans Men in War par exemple, mais comment ne pas ressortir d’une telle expérience avec encore plus de dégoût pour la guerre ?

Comme tout film de pure propagande, il a ses élans lyriques voire épiques, mais ce n’est que pour mieux montrer la barbarie de la guerre. Le lyrisme tend parfois à la tragédie. En l’occurrence, il ne faut pas se cacher qu’il n’y en a que pour la violence des Japonais.

Dans cette guerre, on y entre de plain-pied. Pas la guerre frontale et déshumanisée avec tranchées, chars, etc. Non la guerre d’infiltration où on cherche une cible et où on évite soigneusement l’ennemi. La cible est une station radar japonaise située en pleine jungle birmane qui permet aux Japonais de surveiller les mouvements des positions alliées jusqu’en Chine. Le personnage qu’interprète Errol Flynn prend donc le commandement d’un bataillon de parachutistes pour s’infiltrer pendant la nuit dans la jungle et partir à la rencontre de ce radar à faire exploser.

À ce niveau, pour un enfant des années 80, on pense inévitablement au Retour du Jedi. Même ambiance, même mission, mêmes personnages (mais qui ne font que de la figuration chez Lucas), parfois même type de dialogues (qu’on retrouve plus dans les autres volets de la trilogie paradoxalement, preuve peut-être que le film était une référence pour Lucas). Bien sûr tout est bien plus propre dans le Retour du Jedi : c’est une histoire pour les enfants, un conte beaucoup plus positif, avec la simple volonté de distraire. Aventures en Birmanie est un film de propagande de fin de guerre : la volonté est sans aucun doute de mettre en scène les soldats, ne pas mentir sur leurs conditions de vie, sur le danger, mais ainsi faire d’eux des héros, des soldats capables de se sacrifier pour leur nation (chose qui ne passera plus vingt ans plus tard).

Il est passionnant de relever les différences de rapports à la guerre à cette époque, sans doute bien retranscrit dans le film, et notre époque actuelle. La mentalité n’est pas du tout la même. Si en France, le sens du devoir patriotique a laissé place à une sorte de combat universel contre les désastres apportés par les guerres (avec la bonne conscience et l’esprit interventionniste des « French doctors ») ; aux États-Unis, sans doute porté par la culture rock, nihiliste, consumériste et irrévérencieuse de la nouvelle jeunesse du baby-boom, on voit la guerre désormais comme un jeu, où il est facile de vaincre face à une armée ennemie forcément arriérée.

Il y a donc une différence majeure de contexte et de comportement entre la génération qu’on trouve dans le film et celle qui sera plus tard mise en scène dans les films sur le Vietnam par exemple. Ça donne à ce film une atmosphère un peu de « guerre à papa ». On ne retrouverait plus aujourd’hui le même rapport à l’autorité, au patriotisme, ou au même sens du devoir. Même si cinq ans après en Corée, les soldats pouvaient encore se poser des questions sur l’utilité d’une telle guerre, c’était encore une génération liée à celle ayant gagné la Seconde Guerre mondiale, on n’y trouvait pas tout à fait encore l’esprit qui commencera à poindre dans les années 60.

Ainsi, ici, tous les personnages sont empreints d’une certaine gravité, d’une retenue, d’une maturité aussi, face au contexte difficile de la guerre (ce qui n’empêche pas bien sûr les comportements de peur, etc.). Ce qui est le plus marquant, c’est l’extrême sérieux, la dignité et un sens assez peu développé de l’égoïsme (les Américains avec les Trente glorieuses se rattraperont, à moins que ce soit un aspect qu’on s’autorise plus volontiers à montrer dans les films plus récents). Ils ne pensaient qu’à survivre, mais étaient rarement en défiance avec leur propre pouvoir : restait en tête l’idée bien présente d’une guerre juste. Le caractère antimilitariste du film perçu aujourd’hui n’était sans doute pas volontaire à l’époque où la cruauté est toujours celle de l’ennemi. Tandis que les soldats actuels, sont des mômes, qui bien vite, en perdant leurs illusions de petits soldats, cherchent un moyen détourné pour s’amuser, prendre du bon temps et se défouler. Curieux de voir ce changement de mentalité. Et ce n’est pas seulement dû à l’évolution d’écrire des histoires et de les représenter à l’écran. On sent réellement un changement de mentalité, entre ceux qui ont toujours su qu’ils pouvaient être envoyés à la guerre comme leurs parents qui ont connu les atrocités sur les champs de bataille durant la première guerre mondiale ; et ceux qu’on envoie à la guerre dans des conflits dont on comprend mal le sens, et alors qu’on commence toujours plus tard à rentrer dans l’âge adulte, parfois même en n’y rentrant jamais (phénomène qui est encore plus spécifique à nos générations élevées aux dessins animés, Starwars et autres jeux vidéo).

Bref, après une longue digression, Errol Flynn retrouve son chemin et se faufile dans la jungle avec son bataillon à ses ordres. Très vite, l’objectif est atteint. Le radar est détruit. Mission accomplished. Ils n’ont plus qu’à rejoindre leur point de ralliement, là où un avion devrait venir les récupérer. Jusque-là tout va bien, le film pourrait se terminer et on en est qu’à vingt minutes. Seulement les Japonais rappliquent et les avions sont obligés de repartir.

Technique efficace, quand on introduit au début du récit un objectif qu’on ne pense atteindre qu’à la fin du film, et qu’on prend très vite des chemins inattendus.

Le groupe se retrouve sans moyen de subsistance, sans possibilité de passer les lignes ennemies, livré à lui-même. Ils pourront compter sur le lancement de vivres, mais une fois leur radio HS… ils seront seuls dans une jungle hostile où n’importe quel « jap » peut venir leur éclater la gueule. À ce moment, le film exploite au mieux le mythe de l’individu perdu au milieu de nulle part, rappelant au spectateur ses peurs les plus primaires.

Leur seule porte de sortie : un dernier rendez-vous, situé plusieurs centaines de kilomètres plus au nord. Ils ne savent pas ce qui les y attend mais n’ont pas le choix.

Au fil du récit, on en élimine forcément. Et après des rencontres avec des indigènes, des batailles sanglantes face à l’ennemi, après le manque de vivres, la fatigue, la maladie, les embuscades, les crises de folie, de peur, ils retrouveront le chemin du retour, non sans avoir affronté une dernière fois, dans la nuit, nos ignobles soldats japonais.

Le film est servi par des dialogues et des personnages dans le ton. On ne s’ennuie pas une seule seconde, passant d’une scène à une autre sans le moindre temps mort. Et Flynn est convaincant dans la peau de cet officier pour qui ses soldats feraient n’importe quoi.

Superbe film.

On peut lire sur le Net que la trame a été inspirée du film de Vidor, Le Grand Passage avec Spencer Tracy. Il y a des similitudes, c’est certain, mais je ne me rappelle pas suffisamment du film pour y voir des correspondances frappantes. En revanche, Walsh aurait fait avec Distant Drums un remake de ce film. Je viens de le voir. Et si on peut là encore y voir pas mal de similitudes, on peut aussi s’amuser à noter ce qui ne correspond pas. Si Aventures en Birmanie est purement un film de guerre, au sens strict (sur le front), Distant Drums, avec l’ajout d’un personnage féminin, est également plus une romance (dans le ton de ce qu’on faisait dans les années 30), voire purement un film d’aventures ; les atrocités de la guerre n’y sont pas montrées comme ici. Ce n’est pas le même contexte : le premier est un film clairement de propagande pour exalter l’élan patriotique des Américains face aux atrocités commises par le camp ennemi (le film a été produit avant la fin de la guerre et projeté huit mois avant la capitulation japonaise), le second est un divertissement racontant les faits d’une… distante histoire qu’on s’est déjà chargée d’écrire pour l’avoir gagné, la guerre.


Aventures en Birmanie, Raoul Walsh 1945 Objective, Burma! | Warner Bros


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Les Indispensables du cinéma 1945

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Le Roman de Mildred Pierce, Michael Curtiz (1945)

Les enfants ne sont pas des anges

Le Roman de Mildred Pierce

Mildred Pierce

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Mildred Pierce

Année : 1945

Réalisation : Michael Curtiz

Avec : Joan Crawford, Jack Carson, Zachary Scott

Joan Crawford se sépare de son mari et doit prendre un travail pour satisfaire aux bons goûts de sa fille aînée. Elle crée sa chaîne de restaurants (« Fine food ») et fait fortune (auparavant, ils avaient beau être pauvres, ils vivaient tout de même dans un joli pavillon de banlieue de Los Angeles avec palmiers et tout ce qui va avec… Code Hays oblige, même les pauvres paraissent riches). Mais sa fille en veut toujours plus. Crawford se marie avec l’un de ses associés, mais il la roule… sur tous les tableaux. Crawford vient dans sa maison au bord de l’océan pour taper sa crise, et y trouve sa fille… dans les bras de son mari. Elle est belle la jeunesse… La fille (qui déteste sa mère) lui avoue qu’elle le fréquente depuis le début, qu’il a promis de divorcer et de l’épouser à son tour… Le mari se défile. Crawford s’enfuit, son mari tente de la rattraper mais la fille le tue… en vidant carrément le barillet de son revolver… La mère pense à se suicider, puis les circonstances l’amènent à piéger un autre de ses partenaires qui lui court après depuis des années… en l’enfermant dans la maison au bord de l’océan et en appelant la police… Tout le film est ainsi en fait un long flashback pour tenter de découvrir qui a réellement tué le mari, à travers les gardes à vue de tout ce petit monde.Cliquez mettre à jour

Le Roman de Mildred Pierce, Michael Curtiz 1945 | Warner Bros

On aura rarement vu un personnage aussi vénal et antipathique que celui de la fille de Crawford. Le genre de garce qui doit se trouver à la pelle en Amérique. Un film noir dans le joli LA, ça change des rues sombres de New York, et j’avoue que c’est un contraste qui me plaît assez bien (ça a pas mal réussi aux Griffes de la nuit, Hollywood boulevard, le Dahlia-de-Palma, le Privé ou LA Confidential par exemple). Un bon film, tout au plus, parfaitement mise en scène et interprété. Mais après…, comme toujours quand le pognon est au centre de tout, ça le fait moins. Le personnage le plus intéressant du film, c’est la fille. Elle a sa part de mystère, de contradictions, de folie même. Mais pour être moins antipathique, elle aurait dû être au centre du film. Le second mari aussi est intéressant… Un type qui se tape la mère et la fille en même temps (et là censure alors ?) c’est plutôt original, mais on ne peut éviter le grossier et le manichéisme si on ne développe pas assez le personnage… Parce qu’il est bien là le problème. Tout tourne autour de la Crawford. Trop parfaite, trop lisse, trop larmoyante. On croit voir une étincelle de vice en elle, de remords, donc de conflit intérieur, quand pendant un temps, elle renie sa fille. Mais au lieu d’assumer, le récit la fait partir en voyages pour la retrouver quand elle décide de pardonner l’effrayant attrait de sa fille pour l’argent… C’est un peu comme si on éteignait la lumière quand ça devenait enfin intéressant.

Qualité Hollywood : du rythme, des décors, des stars. Ils savent mettre en valeur le papier et les rubans quand le cadeau ne vaut pas un clou. Pour assumer des idées un peu plus subversives, poussant à l’intelligence du spectateur, là, en revanche…



Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1945

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Fallen Angel, Otto Preminger (1945)

Un chien et ses poules

Crime passionnel

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Fallen Angel

Année : 1945

Réalisation : Otto Preminger

Avec : Alice Faye, Dana Andrews, Linda Darnell

(ceci n’est pas un commentaire de film, mais une gâchoterie, autrement dit, je spoile)

Une question essentielle : pourquoi Linda Darnell part-elle si vite ?…

Heureusement, on a droit à Dana Andrews pendant tout le film. Toujours le même type de personnages, avec la même gueule impassible. Mais il a tant la classe, il est tellement fait pour le film noir, avec sa mâchoire serrée, ses lèvres minces et pincées. Même en ayant le rôle principal, il passe souvent inaperçu. Laura, du même Preminger, Les Plus Belles Années de notre vie de Wyler, l’énorme Mark Dixon détective, du même Preminger… et bien d’autres films.

Bref… Un chien errant s’en va pour San Francisco avec trois dollars six cents dans la poche. Pas suffisant pour y arriver, alors il se fait débarquer dans un bled perdu entre Los Angeles et San Francisco, Walton. Le mythe us du type qui arrive dans une ville perdue, la nuit, arrêt n°1 dans le train fantôme… Il s’arrête dans un snack, Chez Pop, le saloon des temps modernes où les héros du film noir viennent décrotter leurs bottes sans éperons.

Fallen Angel, Otto Preminger (1945) | Twentieth Century Fox

Le chien errant tombe sous le charme de la chienne qui sert le café et qui lui pique pour l’occas’ son hamburger (« le meilleur hamburger que je n’ai jamais mangé » finira-t-il par dire). On ne voit qu’elle dans le snack. Bien sûr, c’est Linda Darnell… Dans la mythologie américaine, les déesses servent le café jusqu’à dix heures avant de se vampiriser dans des bars mal famés pour étourdir les « Ulysses » de leur fumée envoûtresse (voir aussi They drive by Night).

Notre aventurier canin se débrouille comme un renard pour trouver où crécher la nuit, c’est qu’il a la langue d’un serpent pour enrouler son monde… Bien plus qu’un chien errant, c’est un beau cabot capable de belles entourloupes… Pour gagner des sous, il se met alors pour la journée au service d’un autre charlatan (petite apparition bien sympathique de papa Carradine). Le chien se fait donc hot dog, pardon… « homme-sandwich » pour l’occasion. Il repasse par le snack pour faire la pub de son charlatan de patron qui donne son spectacle d’illuminé le soir même (pas de mythologie sans magie). L’occasion de faire connaissance avec les personnages qu’on retrouvera tout au long du récit. Car le chien errant doit d’abord aller convaincre les deux sœurs, vieilles filles, les deux poules richissimes de la ville, ce qui assurera le succès du spectacle (ou de l’arnaque). Elles aussi, on les reverra tout du long du récit.

Le chien errant obtient ce que son maître lui demandait. Fin du premier acte : le rideau retombe quand celui du magicien-charlatan se lève.

Maintenant que tous les personnages sont mis en place, que les situations sont comprises, on oublie la magie et on passe aux choses sérieuses… Carradine peut enlever sa robe d’élytres et partir vers d’autres aventures en propageant la bonne parole du kung-fu…, euh, non, pardon.

Acte II. Le chien errant essaie de s’attirer les faveurs de la belle chienne du snack. Seulement, il n’est pas le seul… Beaucoup de prétendants, et beaucoup de futurs suspects. Celui qui lui mettra la laisse au cou sera celui qui arrivera à lui promettre la plus belle niche, une vraie niche où crécher. Car elle en a assez de sa chienne de vie : elle veut mariage et tout le toutim. La vamp déchue, qui en a assez vu, qui rêve d’autre chose que de finir dans un snack perdu entre LA et SF.

Notre chien enragé ne lui propose… pas grand-chose. Des promesses et des preuves d’amour : il devait partir, mais renonce finalement pour sa belle. Il lui promet qu’il trouvera ce qu’elle recherche : sa langue n’est pas bonne qu’à lui rouler palot, mais aussi pour embobiner les animaux crédules… Tiens d’ailleurs, il y a des poules à plumer en ville. Il séduit la plus niaise en lui offrant des hotdogs sur la plage, marche pendant quelques jours sur les œufs pour ne pas éveiller les soupçons de sa vieille sœur… ; il est pris entre l’œuf et la poule pour ne pas vexer sa chienne et s’assurer qu’aucun autre ne lui mette la main à la patte pendant qu’il s’occupera de plumer la poule aux œufs d’or, à San Francisco…

Le chien errant s’envole donc avec son amoureuse et sa sœur pour la ville et utilise un stratagème misérable, digne du père Caradine, pour faire de sa poule sa femme, et faire de son fric, son fric.

Tout le monde rentre à Walton, mais au moment de consommer son mariage, notre chien errant a des remords et lui vient une envie tout à coup de hamburger (les chiens, avec des poules, ne feront jamais des chats — et j’évite toute allusion au minou, ça vaut mieux). Le chien se retrouve donc à errer la nuit de sa noce, sous une lune âpre et mélancolique, et revoit sa belle dans son snack (oh, le romantique…) pour lui offrir tout son miel… Mais les belles ne savent jamais ce qu’elles veulent, surtout quand elles courent plusieurs lièvres à la fois, et fait comprendre à son clochard de cabot, que s’il a trouvé où crécher ailleurs, c’était son problème, mais qu’elle ne voulait ne rien avoir affaire avec un chien qui sort tout juste du poulailler et qui sent la cocotte. Alors, la belle repart avec son rendez-vous de soir… Fourrée dans l’ombre du snack, la sœur de la poule, celle qui n’avait jamais eu confiance a tout entendu…

Le lendemain, le chien errant se réveille, au pied du lit de son maître. Dans la nuit, sa belle a été assassinée… Nom d’un cabot hurlant, mais qui que ça peut être ? (Fin de l’acte, on reprend son souffle, on mange un caramel).

La police demande au flic de NY, un vieux renard de la ville à qui on ne la fait pas (l’un de ceux qui tournaient autour de la belle dans son snack, un autre personnage errant, perdu, qu’on se demande bien que quoi qu’il fait dans cette ville perdue au milieu de rien) de renifler la trace du tueur.

Au matin, donc, le renard, réunit quelques-uns des coupables : le patron (une sorte de crâne d’œuf amoureux et débile) du snack, notre chien errant, et un inconnu, l’homme mystère qui semblait tenir la corde pour embarquer la belle.

C’est la scène peut-être qui fait le plus penser à du Preminger, non pas celui de Laura, mais de celui d’Autopsie pour un meurtre. Pour la première fois, tout le monde semble s’être levé à l’aurore avec les poules : tout est clair et pourtant…, non, on est dans le brouillard. On y sent tout à coup un petit coup de sobriété, la sobriété âpre, celle qu’ont les alcooliques en se levant, lucide et vide, le matin. La même sobriété, la même froideur, la même distance que dans Autopsie, où l’action n’est plus dramatique, mais “épique” (dans le sens brechtien, c’est-à-dire analytique, à la manière d’Œdipe-roi) : tout s’est déjà passé, on a déjà compté les morts, il faut maintenant déterminer les responsabilités. Ç’a un petit côté Columbo, ou Agatha Christie, mais ça ne dure pas longtemps… Le lieutenant à l’imper ne torture pas ses suspects.

La scène d’interrogatoire ne servira qu’à apprendre une chose : ce renard a la rage.

En rentrant « chez lui », à son poulailler, notre chien errant, ayant échappé à l’interrogatoire musclé, préfère se sauver avant qu’on vienne lui tirer les vers du nez. C’est que ce renard pourrait trouver des pièces d’or dans le cul d’un pauvre, et comme notre Dana a l’habitude de s’attirer la mauvaise fortune, il ne veut pas tenter le diable. La vieille sœur les regarde partir sans crainte : après tout, ce voyage de noces improvisé leur permettra peut-être de se rapprocher…

Ellipse. Le chien et sa poule vivent dans des hôtels miteux, alors que sa cocotte est pleine aux as. Pas vraiment traité comme un coq en pâte. Finalement, à force de promiscuité, le chien s’éprend de sa vieille poule… Ah, la jolie ellipse pour suggérer la nuit d’amour !…

Puis, la poule se fait embarquer sous les yeux de son mari. Scène au commissariat : on essaie de faire comprendre à la poule que son cabot de mari la prenait juste pour une cruche… Mais elle dit tout savoir. « Foi d’oie, je le savais. Et je vous répète, mon mari ne ferait pas de mal à une mouche ! »

Ellipse et dénouement. On retrouve le snack où le vieux renard a toujours ses habitudes. Le chien errant réapparaît. Mais que vient-il donc faire ici ?! Eh oui, mesdames et messieurs, la vieille poule, la sœur, n’y était pour rien dans le meurtre de la belle, mais c’était ce vieux renard jaloux qui ne supportait plus de la voir courir plusieurs lièvres à la fois.

Fin. Happy end. Ils étaient déjà mariés et eurent beaucoup de cochons d’inde.



Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1945

Liens externes :


Les Dames du bois de Boulogne, Robert Bresson (1945)

Les structures bressoniennes

Les Dames du bois de Boulogne

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1945

Réalisation : Robert Bresson

Avec : Paul Bernard, María Casares, Elina Labourdette

Journal d’un cinéphile prépubère (amendé)

Les structures dramatiques chez Robert Bresson

Le film nous rappelle quelques principes admirablement exécutés par Bresson au niveau de la mise en place d’un drame. Les questions de la proportion et de l’harmonie à l’échelle du plan et de la séquence sont capitales.

À l’échelle de la séquence, le rythme est rapide. Grossièrement, les différentes situations qui se succèdent dans un film composent des scènes ou des séquences, le plus souvent chacune d’entre elles sont délimitées en fonction d’unité de lieu et/ou de temps et fractionnent le temps diégétique (la réalité propre de la fable) un peu comme du morse en une suite ou un collage de séquences omises, suggérées, parallèles qu’on imagine, ignore ou découvre par la suite, évoquées à travers une ligne de dialogue ou non et des séquences incluses dans le récit et offertes au spectateur. Ici donc, on passe rapidement d’une situation à une autre, car ce qui compte dans le récit, ses enjeux, ses objectifs se situe dans un temps plus vaste que celui apparaissant dans une scène : il y a des objectifs qui sont faits pour être atteints dans une période courte (chercher ses clés de voiture) et d’autres (ceux d’un drame classique) dans une période plus longue.

Quand on dispose d’une suite de séquences dont chacune fait avancer l’action vers cet objectif final, on a ce qu’on pourrait appeler le cœur de l’histoire, de la trame, et un film pourrait être ainsi résumé entre une trentaine et peut-être cent ou deux cents phrases.

Dans un film comme celui-ci, thématique (la vengeance), avec un objectif clairement défini, l’échelle dominante se situe donc plutôt au niveau de la séquence. Le souci, c’est qu’on ne peut faire un film pendant deux heures sur des scènes centrées uniquement sur une information en appelant une autre, puis une autre, et cela, jusqu’au dénouement. Il faut y ajouter de la chair pour y voir autre chose que le rapport clinique, le compte rendu froid et chronologique d’une fable. Il faut pouvoir s’attarder sur les personnages, se questionner sur eux, leurs intentions, etc.

L’art du récit est donc de parvenir à trouver la proportion idéale entre ces deux éléments. On s’attarde trop, aux mauvais moments, et on s’ennuie, on perd de vue l’objectif, le récit semble faire du surplace ; on ne s’attarde pas assez, et alors, on perd le fil, on ne s’intéresse plus à ce qu’on voit, et le tout semble sorti d’un annuaire ou du Code civil.

À chaque cinéaste, son rythme. On sait que Bresson ira par la suite vers toujours plus de lenteur en asséchant considérablement sa trame en évitant toute digression.

Le rythme ici est déjà assez lent. Et il n’est plus question du rythme des séquences, qui s’enchaînent rapidement, mais du rythme des plans et de ce qui s’y trouve (on peut coller une suite de plans rapidement avec des actions lentes, voire immobiles, ou le contraire, une suite de plans lents avec beaucoup de mouvements). C’est cette lenteur qui permet au spectateur de « faire connaissance » avec les personnages, et apprendre, ou comprendre, peu à peu leurs intentions.

À l’échelle du plan, le cinéaste met au point une véritable mise en scène, c’est-à-dire un récit des corps en mouvement. Les informations distribuées au spectateur s’adressent plus à son imagination, lui suggèrent fausses pistes, malentendus, espoirs, bref tout ce qui fait finalement le plaisir du spectateur et qui permet de rentrer complètement dans une histoire en découvrant des personnages, et en s’identifiant à eux. C’est de ce point de vue qu’une esthétique personnelle peut se mettre en place pour toucher le spectateur d’une manière plutôt qu’une autre. La lenteur par exemple, présente ici, permet de s’attarder sur les intentions des personnages, d’ouvrir les portes des possibles, et parfois elle permet aussi d’offrir poésie, harmonie, détente…

Une fois que le cinéaste, le raconteur maîtrise le rythme qu’il veut adopter (séquences rapides, plans lents, ici par exemple), il ne faut pas tomber dans un systématisme et rester dans un jeu de proportion (et de choix) : ralentir, accélérer, ici ou là, va permettre de mettre du relief au récit et de porter l’attention du spectateur sur des séquences, des informations, plus importantes que d’autres (ou qu’on juge plus importantes, c’est-à-dire signifiantes, symboliques, peu importe).

Bresson semble le faire ici deux fois. Entre l’acte II (le développement) et l’acte III (le dénouement), une scène prépare ainsi l’arrivée du dénouement en exposant les origines ou les raisons de la vengeance, et donc l’aveu du « tour joué » dans le dénouement. Et comme tout est question de mesure, le cinéaste doit s’appliquer à faire preuve d’habileté dans ses choix de mise en relief, en gardant à l’esprit, par exemple, que le début et la fin d’une histoire disposent naturellement d’une puissance intrinsèque dans l’esprit du spectateur et qu’il est donc inutile de trop en faire au risque de rendre superflu le développement.

Déjà, l’habileté de Bresson à maîtriser son récit, à trouver le bon rythme et faire les bons choix, est criante dans ce film.

On peut par exemple s’attarder sur l’efficacité des plans de coupe, « d’attitude », que Bresson préfère à une ligne de dialogue. L’information passée à travers une réplique peut parfois se révéler trop claire, trop évidente, déflorer un peu trop et au mauvais moment les enjeux du récit et les attentes d’un personnage. Un regard, un geste peuvent en dire beaucoup, et on laisse le spectateur interpréter ce qu’il en est avant de lui montrer les conséquences actées de ce qu’il a pu s’imaginer dans une scène future.

La difficulté pour le cinéaste est de mettre en scène des attitudes significatives, autrement dit des attitudes qui rentrent dans le cadre de la trame, du sujet. On peut se permettre les digressions d’attitude, pour donner de la consistance à un personnage, mais Bresson semble vouloir rester dans une ligne directrice claire, unique, avec une préférence déjà pour ces plans d’attitudes ouvrant en grand les portes de l’imagination du spectateur.

La musique relie les plans entre eux et donne une impression de continuité, de logique, tout en augmentant un peu plus l’univers subjectif qui s’empare du spectateur à son insu. Et les mouvements de caméra permettent également à Bresson de faire entrer le spectateur à une place de voyeur qui est naturellement la sienne : pendant combien de temps un spectateur normalement constitué peut-il prendre plaisir à regarder un personnage qui n’existe qu’à travers la présence d’un acteur (et qui n’est elle-même qu’une illusion) et s’appliquer à se mouvoir dans des postures et des actions qui n’ont aucun autre intérêt que de le montrer dans son intimité représentée ? On regarde. On voit. Mais il ne faudrait pas s’endormir à ne regarder un personnage que dans ses errances « naturelles ».

Si « ces actions » qui sont offertes à nos yeux voyeurs ne peuvent pas suggérer quelques vices, quelques troubles ou secrets, ça ne vaudra sans doute pas le tour de reins qu’on risque d’y gagner.

Il y a donc ainsi ce qu’on peut grossièrement identifier comme des « actions dramatiques » (liées directement à la trame, aux objectifs, etc.) et des « actions d’ambiance » (qui entretiennent une relation plus ambiguë avec la trame, voire qui se révèlent n’en avoir aucune).

Il est important de noter par exemple qu’on peut offrir au regard du spectateur un peu de « chair », de vie, en prolongeant une scène dans laquelle apparaissent des informations importantes, des révélations (l’information peut aussi prendre sens dans la longueur d’une scène, quand la même action se poursuit tout en proposant un point de départ et un autre d’arrivée). Cette « action d’ambiance » se fait donc à travers les attitudes, les regards, les silences, et puisqu’elle ponctue ou assiste « l’action dramatique », on peut dire qu’elle lui donne son rythme, sa couleur, son ambiance, son style.

Le risque alors, n’est pas forcément d’en abuser, mais de s’écarter trop de la trame : c’est moins une question de nombre que de nature. Attention au hors-sujet : un spectateur jeté par-dessus bord par le roulis du cargo dramatique, alors que la mer est calme, est un spectateur de moins…

Les actions d’ambiance permettent de donner du souffle aux actions dramatiques parce qu’un récit ne peut se construire que sur des temps forts, que sur des informations essentielles, et qu’il faut pouvoir laisser l’attention du spectateur se relâcher pour lui permettre de rebondir lors des révélations et du dénouement, là où les intensités doivent être les plus fortes.

Les séquences précises, courtes, mettant en scène une seule idée donnent immédiatement penser à une intention, un objectif. Le collage des scènes, même s’il n’est pas apparent, doit exister, et on est attentif parce qu’on sait qu’il prendra sens rapidement.

Et même principe : si la révélation, ou l’explication de ce collage n’arrive pas, ou trop tard, le spectateur s’asphyxie et cherche déjà une bouée (ou un parachute, certaines histoires ayant des prétentions plus hautes que d’autres).


Les Dames du bois de Boulogne, Robert Bresson (1945) | Les Films Raoul Ploquin


Sur La Saveur des goûts amers :

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Une histoire du cinéma français

 

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