Ce plaisir qu’on dit charnel, Mike Nichols (1971)

No Friends

Note : 3.5 sur 5.

Ce plaisir qu’on dit charnel

Titre original : Carnal Knowledge

Année : 1971

Réalisation : Mike Nichols

Avec : Jack Nicholson, Art Garfunkel, Candice Bergen, Ann-Margret, Rita Moreno, Cynthia O’Neal, Carol Kane

J’avoue n’avoir jamais été bien passionné par les histoires de concours de bites. On est entre Dîner, Georgia et Annie Hall, c’est dire s’il faut reconnaître peut-être au film une potentielle influence sur certains types de films américains : les chroniques romantico-sexuelles de la petite bourgeoisie cultivée américaine. Là où malheureusement le film tend plus vers le Georgia d’Arthur Penn que vers Dîner ou Annie Hall, c’est que le regard strictement bourgeois et masculin n’est pas des plus séduisants. Le cinéma est toujours plus intéressant quand il est question d’un homme et d’une femme — ou au moins quand les rapports entre le personnage principal (masculin) et ses conquêtes féminines ne sont pas aussi déséquilibrés, ne faisant pas de ces femmes qu’un instrument ou un joujou mis à la seule disposition des fantasmes puérils d’un homme méprisable.

Assez étrangement, le film (qui se présente d’abord comme la mise en concurrence de deux hommes aux approches rigoureusement opposées quant à leurs rapports aux femmes) se détourne peu à peu d’un des deux personnages principaux pour ne plus se concentrer que sur les conquêtes d’un seul. Un concours de bites, ça n’a déjà rien de passionnant, mais quand c’est le plus vantard des deux qui gagne la partie, on frise le faux pas ou le mauvais goût. Le film n’est par ailleurs pas avare en obscénités, et on peut facilement imaginer qu’il ait un peu plus repoussé les limites de ce qu’il était possible de montrer ou de dire au cinéma après l’abandon des restrictions. La vulgarité est pourtant surtout ailleurs : dans le comportement du personnage de Jack Nicholson qui, dès la première heure, se met en tête de piquer la copine de son partenaire de chambre. Cela révèle tout du personnage, et on en aura à nouveau l’assurance pendant le reste du film : c’est un connard.

Certains parleront de libertinage, mais quand on trompe son meilleur ami avec son premier grand amour, ce n’est pas du libertinage, au mieux, c’est de l’homosexualité refoulée, au pire, c’est de l’égocentrisme maladif. Cela n’a rien à voir non plus avec la liberté sexuelle : on est à la fin des années 40 pour ce premier épisode, et la liberté sexuelle des décennies suivantes n’a jamais impliqué le mensonge. C’est même bien en partie à quoi la révolution sexuelle s’attaquera : la petite hypocrisie de l’adultère bourgeois qui vient à considérer la femme comme une proie, une conquête ou un objet.

C’est l’histoire d’un égoïste forcené, pas de celle d’un homme menant librement sa vie sexuelle et sentimentale.

Je ne suis pas sûr d’ailleurs qu’il n’y ait pas derrière ce personnage une lourde tentative d’en faire une satire. Mike Nichols y a peut-être vu une matière qui collerait à l’air du temps, mais si on regarde Le Lauréat, si la satire égratigne les desperate housewifes d’alors, elle sauve la jeunesse et prend clairement son parti en embrassant sur le tard son esprit de révolte. Ici, le personnage de Jack Nicholson est déjà un petit con de bourgeois séducteur dès les premières minutes du film et appartient à la génération qui précède. La satire aurait probablement eu plus de sens si on avait adopté le regard du personnage d’Art Garfunkel (un peu comme celui que porte le personnage de Lea Massari dans Une vie difficile) ou, au moins, si les deux étaient réellement mis en concurrence et sur un pied d’égalité.

Au-delà du sujet et de la satire ratée, toutefois, il faut noter que le film capte bien l’air du temps, cette fois, sur le plan du style et de l’écriture. Le scénario avait été écrit pour le théâtre, et Nichols ne s’embarrasse pas à en cacher l’origine. Le style d’écriture est typique de la scène new-yorkaise, et dès le générique dans lequel deux gosses parlent hors-champ accompagnés d’une musique jazz, on songe à Woody Allen (celui qui trouvera, lui, le juste milieu entre farce et chronique citadine romantico-sexuelle quelques années plus tard avec Annie Hall). Mike Nichols en profite pour mettre en œuvre à l’écran ce qui n’est pas encore tout à fait généralisé au sein des habitudes de jeu dans les productions hollywoodiennes. Car voilà vingt ans qu’on voit les acteurs de la method courir les plateaux de cinéma, mais cela ne veut pas dire pour autant que ces techniques se sont généralisées dans toutes les productions. Il faut parfois plus d’une génération pour changer complètement des usages, surtout à une époque où les studios, échaudés par la concurrence avec la télévision, ont parfois le réflexe conservateur de faire appel encore aux valeurs supposément sûres devant et derrière la caméra. Nichols avait déjà mis tout ça en œuvre dans Le Lauréat (bien que jouant le personnage d’une autre époque, Anne Bancroft était une des pionnières de la method au cinéma ; j’ironisais à ce sujet dans cet article), et il enfonce le clou ici en offrant à Nicholson un rôle qui, bien qu’antipathique, lui permettra de confirmer son talent dans le registre de l’acteur « moderne » alors qu’il sort tout juste de Cinq Pièces faciles. (L’acteur n’est lui-même pas un acteur de la method, mais disons qu’au-delà de son incapacité à construire un personnage — typiquement, comme le fera Dustin Hoffman toute sa carrière —, il avait compris instinctivement vers quoi le phrasé de l’acteur devait aller, et de quoi les acteurs devaient encore se défaire pour gagner en vraisemblance. Paradoxalement, Jack Nicholson sera reconnu pour ses outrances, mais il avait une capacité rare à être juste et profondément sincère dans ses interprétations. Une marque habituelle chez les acteurs naturellement comiques.)

Là où Nicholson pèche, en revanche, c’est donc bien dans sa capacité à rendre sympathique ce personnage, à lui offrir quelques nuances absentes du scénario. Pendant toute sa carrière, Nicholson sera abonné à ce genre de personnages méprisables, et il fait presque déjà ici du Nicholson au point de se caricaturer lui-même. La présence d’Art Garfunkel aurait dû altérer cette impression, obliger le personnage de Nicholson à sortir du ton sur ton, mais on ne le voit pas assez, et le récit s’écarte peu à peu de son propre parcours, probablement plus rangé et plus honnête. Peut-être que confronter son histoire tout aussi bourgeoise, mais basée sur des fantasmes jamais réalisés, aurait permis au personnage de Nicholson de s’humaniser en le faisant douter. Au lieu de ça, on ne tourne toujours qu’autour de sa petite personne, et le regard porté sur la vie de son « meilleur ami » s’éteint peu à peu pour ne laisser plus place qu’à la vacuité et à la vanité des désirs inassouvis et finalement solitaires d’un homme justement méprisable.

1969-1972, on est à un moment charnière du cinéma américain. Les techniques venues d’Europe censées permettre aux productions de s’affranchir du carcan des tournages en studio irriguent les nouvelles générations à l’affût avant leur prise de pouvoir au cours de la décennie. On peut notamment remarquer un travail formidable sur le son : les acteurs sont libres de leurs mouvements, même dans un espace restreint, et cela n’est sans doute possible qu’avec l’apport de nouvelles techniques, peut-être parfois des micros-cravates.

Sur le plan formel, cette fois, Nichols en est encore à choisir un dispositif hybride (symbole presque de son cinéma faisant de lui à la fois un précurseur du Nouvel Hollywood, mais un réalisateur toujours en marge de cette révolution). Certains choix radicaux du cinéaste font mouche. Les séquences rarement mises en situation se laissent guider par des dialogues qui pourraient se tenir dans n’importe quel environnement. Nichols en profite pour se passer totalement de plans de contextualisation : débarrassé des impératifs d’une mise en situation, il rentre immédiatement dans le vif du sujet, souvent en plan rapproché ou avec des plans qui s’étirent en longueur pour laisser aux acteurs, à travers les dialogues, le soin de donner le rythme à la séquence. Cette radicalité assumée avait sans aucun doute l’avantage de réduire considérablement les coûts et la durée d’un tournage alors que Nichols n’avait plus le soutien des studios traditionnels après l’échec de Catch-22. L’écran large lui permet de capturer souvent ses acteurs dans le même cadre et les champs-contrechamps servent à accentuer une émotion à travers le montage et des gros plans une fois que la séquence a bien évolué (il n’hésite alors pas à se détourner des dialogues pour opter pour le plan fixe avec regards dans le vide à la manière du Lauréat).

En dehors de cette radicalité dans le découpage technique, cela pourrait ressembler à du théâtre filmé, d’autant plus qu’on ne se foule pas beaucoup pour multiplier les seconds rôles (il n’y en a aucun), les figurants ou être bien imaginatif dans les décors proposés (surtout intérieurs). Pourtant, là où Nichols apparaît davantage encore dans l’air du temps, c’est qu’il semble filmer finalement assez peu en studio (situés à Vancouver, semble-t-il). Les intérieurs apparaissent réalistes, car ils sont filmés avec la simplicité des nouvelles caméras mobiles nécessitant peu d’éclairages et de lourds dispositifs logistiques. Le travail ici de Giuseppe Rotunno apporte ce côté hybride certainement souhaité par le cinéaste, Rotunno ayant suivi Visconti par exemple sur Rocco et ses frères, mais aussi, dans un genre radicalement opposé, sur Le Guépard. Rotunno éclairera d’ailleurs en 1977, le Casanova de Fellini, auquel on peut trouver une forme de filiation dans la thématique de la recherche vaine et absurde du partenaire sexuel idéal (on y retrouve également la même spirale folle d’une sexualité déshumanisée dans Les Pornographes d’Imamura)

Ce plaisir qu’on dit charnel n’égale, cela dit, jamais l’excellence de ces dernières références. On reste dans l’illustration des audaces contenues de la bourgeoisie américaine. Le sujet tient peut-être à cœur à Mike Nichols, mais il montre déjà ses limites après les percées dans ses précédents films face à l’effervescence du Nouvel Hollywood en phase, lui, avec toute la contre-culture et les nouvelles formes qui s’affirment au même moment des deux côtés du pays. Rappelons qu’en 1971, sortent French Connection, L’Inspecteur Harry, La Dernière Séance, Les Chiens de paille, Macadam à deux voies, Duel, Klute, THX 1138, Point limite zéro, Shaft, Un frisson dans la nuit, Panique à Needle Park et Les Proies. Après les révolutions éparses des années précédentes et auxquelles Nichols a contribué, c’est bien l’explosion. Le old Hollywood cède toujours un peu plus du terrain.

Seul faux pas dans la mise en scène qui dénote de la fine marge qui sépare Nichols de ses cadets du Nouvel Hollywood et qui marque l’hybridité du style du réalisateur : l’emploi ridicule de transparences dans deux séquences dans un véhicule. 1971, tous les films précités de la même année ont cessé d’utiliser des transparences, marqueurs bien trop évidents d’un tournage en studio et d’un rendu fabriqué désastreux plus trop en phase avec les possibilités nouvelles. Nichols s’était déjà heurté à ce paradoxe (usage d’une technique artificielle et passéiste au milieu d’une « méthode » de jeu plus moderne) dans Qui a peur de Virginia Woolf ?, évoqué dans mon article dédié à l’évolution des transparences dans le cinéma américain. Signe que Nichols était bien plus intéressé, en acteur qu’il était, à l’adoption d’une technique réaliste de direction d’acteurs que par l’aspect et le rendu visuel de ses films. En ça, il est peut-être tout aussi hybride et à cheval sur deux époques que pouvait l’être Sidney Lumet par exemple.

Quant à Jack Nicholson, on voyait que la réussite de Cinq Pièces faciles tenait pour partie de la mise à l’écart volontaire de son personnage par rapport à son milieu social d’origine. Ce retrait volontaire (qui forçait le respect dans le film de Rafelson alors que par ailleurs son personnage était déjà tout aussi odieux) manque dans le film de Mike Nichols. L’un des personnages se perd dans une errance quasiment existentielle qui semble l’avoir rendu nihiliste et désabusé (Cinq Pièces faciles) ; l’autre part égoïstement à la conquête du plaisir solitaire absolu sans jamais comprendre que ce plaisir qu’on dit charnel n’est rien sans la rencontre d’un être aimé. On sait que souvent cette altérité imposée rendra les personnages de Jack Nicholson irritables, forçant une forme de mise à distance avec le spectateur ; et sans une astuce pour faire de sa présence autre chose qu’un monstre, son talent sombrera dans la caricature (parfois pour le meilleur, quand il se mettra au service de Kubrick).

Cette astuce, ce sera souvent l’humour. Il partage avec Nichols ce passé d’acteur comique, et tous deux ne seront jamais aussi meilleurs que quand un humour insidieux, une fantaisie légère viendra nuancer la gravité de leur regard sur le monde. Pas cette fois.


Ce plaisir qu’on dit charnel, Mike Nichols (1971) Carnal Knowledge | Embassy Pictures



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Cinq Pièces faciles, Bob Rafelson (1970)

Note : 4.5 sur 5.

Cinq Pièces faciles

Titre original : Five Easy Pieces

Année : 1970

Réalisation : Bob Rafelson

Avec : Jack Nicholson, Karen Black, Billy Green Bush, Fannie Flagg, Sally Struthers

— TOP FILMS

Chef-d’œuvre nihiliste ou désabusé sur un fils de bonne famille incapable de trouver sa place dans le monde. Pas dans « le monde » (de la haute société), mais dans n’importe quelle société, car une fois le film commencé, on pourrait penser que c’est un ouvrier comme un autre, et c’est seulement plus tard que l’on apprend qu’il a fui un cercle familial privilégié.

Jack Nicholson est phénoménal à arriver à rendre sympathique un tel type odieux, incapable de supporter qui que ce soit à part peut-être sa sœur et son père qui a le gros avantage pour lui de ne plus pouvoir dire un mot. Le bonhomme est à la limite du cas social, borderline, imprévisible, insolent, narcissique maladif ou misanthrope fuyant la vie, on ne sait trop bien.

Cette manière d’être capable tant à la fois de prendre du plaisir avec ses potes ou les femmes (sans grand souci des conventions ou de la possibilité de blesser ses proches par son comportement) et tout à coup de péter un câble ou de sombrer dans un désespoir à ne plus savoir où se mettre pour supporter le monde ou les gens qui l’entourent participe à le rendre étrangement sympathique. Il ne serait pas aussi insaisissable, et manifestement incapable de s’adapter aux différentes sociétés dans lesquelles il tente de faire sa place, on ne pourrait pas l’apprécier. C’est d’ailleurs le type même de personnages qu’il vaut mieux voir en peinture. Un moment fort du film, c’est par exemple quand « Bobby » s’en prend à une pétasse prétentieuse (c’est, à peu de choses près, ainsi qu’il l’insulte) quand elle pointe du doigt sa copine avec mépris, signifiant par là que malgré les allures qu’elle cherche à se donner, la plus grossière, c’est bien elle. Autre pétage de plomb, quand Bobby réclame un menu dans une aire de repos sur la route et envoie tout valser sur la table parce qu’il est trop pointilleux pour la serveuse… Sacré tempérament…

Le film montre qu’on peut être ponctuellement, et de manière répétée, un connard, on ne l’est pas forcément parce que c’est dans notre nature, mais parce qu’on est à deux doigts de tout plaquer parce que tout nous insupporte. Cela ne justifie en rien pour autant les comportements toxiques de ce genre de cas sociaux, mais s’en faire une vue plus globale dans un film aide peut-être à voir les choses différemment… Tout plaquer, c’est ce que Bobby finira par faire, histoire de s’inventer une toute nouvelle vie et d’échapper aux deux précédentes, comme le personnage de Profession : Reporter que Nicholson interprétera cinq ans plus tard pour Antonioni… On imagine que ce désir de fuite permanente, cette quête désabusée d’identité, sujet du film de Bob Rafelson, a joué dans le choix du réalisateur italien pour choisir l’acteur pour son film…

Cinq Pièces faciles est d’une grande modernité. Il aurait pu être réalisé hier. Superbe photo de László Kovács qui avait déjà éclairé Le Cible ou Easy Rider. Tout tourné en décors naturels et avec de vraies gens. Fini les héros. Le Nouvel Hollywood prouve encore une fois qu’il n’y a rien de dégradant à montrer les parias de la société avec des caméras mobiles et avec une photographie en couleurs de haute tenue capable de sublimer les images dans les transitions de séquences ou dans des montages-séquences et de donner ainsi à voir au public généraliste (une caractéristique qui avait timidement fait le succès du Lauréat et qui sautait aux yeux dans Medium Cool). Le Nouvel Hollywood aurait-il pu se faire sans l’intermédiaire de nouveaux directeurs de la photographie (Haskell Wexler & László Kovács, notamment) et sans un matériel adapté aux extérieurs ?*

Sur ce sujet, lire Transparences et représentation des habitacles dans le cinéma américain


Cinq Pièces faciles, Bob Rafelson (1970) Five Easy Pieces | BBS Productions, Columbia Pictures

Sans plus attendre, Rob Reiner (2007)

The Bucket List Année : 2007

Réalisation :

Rob Reiner

5/10 IMDb 
Avec :

Jack Nicholson
Morgan Freeman

Deux cancéreux font chambre commune. L’un est le riche propriétaire de l’hôpital, l’autre un heureux grand-père noir. Ils font copains-copains et décident de suivre une liste de choses dont ils auraient envie de faire avant de mourir (tous les deux ayant moins d’un an à vivre).

L’un est désagréable et quasi sans famille, l’autre tout le contraire… Et comme attendu le second va permettre au second de trouver la « joie », comme d’autres (comme lui) trouvent la Foi…

Rob Reiner et les deux acteurs ont déjà fait mieux, c’est très convenu, gnangnan, sans surprise (il y en a un qui meurt à la fin, comme prévu). Mais faut pas cracher sur un peu d’émotion procurée à la fin, même si très politiquement correct (ce n’est pas bien d’être grincheux, les amis et la famille, c’est plus important que le pognon).

Parce que le film ne cherche rien d’autre qu’émouvoir ; il n’y a aucun malentendu là-dessus… C’est juste un bonbon à sucer et à jeter.

Un film construit pour ces deux acteurs, qui jouent depuis dix ans les mêmes personnages. Entendre Nicholson martyriser son homme à tout faire, c’est un plaisir (même si on connaît déjà la chanson).


L’Honneur des Prizzi, John Huston (1985)

Un Huston à oublier

L’Honneur des Prizzi

Note : 3 sur 5.

Titre original : Prizzi’s Honor

Année : 1985

Réalisation : John Huston

Avec : Jack Nicholson, Kathleen Turner

Tragédie cornélienne : le devoir contre la passion, le dilemme impossible… Malheureusement, le récit emprunte un peu aussi à la forme toute particulière de la tragédie cornélienne, sans doute sans s’en rendre compte… et ce n’est pas une réussite parce qu’on reste en permanence dans un entre-deux, celui qu’on ressent quand certains choix n’ont pas été faits.

Unité d’action, de temps, de lieu, de ton… Il y a une tradition depuis Shakespeare de multiplier les petites intrigues autour d’une intrigue principale. Cela a pour but de la renforcer en lui donnant du relief, et ça donne la possibilité de multiplier les tons, les genres, les types de situations. Les possibilités sont plus nombreuses que dans un récit qui est en quête de l’épure, de la simplicité, de l’unicité… comme dans la tragédie classique. L’intrigue classique a son charme et son rayon d’action. Et ce type de récit, prenant comme environnement les mafiosos, n’en fait pas partie. D’autant plus que si ça y ressemble, ça n’a pas la rigueur d’une tragédie classique. Ce n’était pas la volonté des auteurs, c’est évident. Juste une direction prise comme ça, par hasard. Peut-être en y allant à fond, cela aurait pu faire son effet. Mais là, on a en mémoire des films comme Le Parrain ou Scarface. Et celui-ci, à côté, paraît vraiment démodé. Il semble chercher un ton, une identité, qu’il ne trouvera jamais.

Unité d’action, pourquoi pas, même si, à mon sens, ça met un peu trop longtemps à se mettre en place. On ne perçoit pas assez la menace que représente le personnage de Turner pour flairer le danger et donc comprendre dans quelle voie le film nous embarque. On ne comprend qu’une fois que le secret de son identité est révélé. Et il arrive bien trop tard. Car au fond, ce n’est pas ça le sujet du film… Et quand on a un récit concis, basé sur l’unicité, ça ne passe pas, on ne voit que ça.

L’Honneur des Prizzi, John Huston 1985 | ABC Motion Pictures

Unité de temps… Les tragédies classiques se déroulent le plus souvent dans un temps fictif de quelques heures. Tout se concentre dans une même temporalité pour ne pas perdre l’intensité des scènes, utile pour former une sorte de crescendo jusqu’au dénouement qui doit être l’apothéose du récit. Là, l’histoire s’étale sur quelques semaines, le temps d’un récit d’une comédie, d’un film réaliste. C’est donc une période de temps, soit trop large soit trop courte. Pour gagner en intensité, il aurait fallu regrouper les événements sur moins d’une semaine, pour créer un effet de précipitation, de perpétuel danger. Ou il aurait fallu, au contraire, densifier tout ça, comme on le fait plus traditionnellement pour gagner en épaisseur, pour en faire un récit épique dans lequel les péripéties peuvent se multiplier, s’accumuler, pour que les effets, du temps puissent faire leur œuvre.

Unité de lieu… Huston cherche sans cesse à nous expliquer où les personnages se trouvent. On n’en est pas à l’image du plan d’ensemble de la maison du ranch des Ewing dans Dallas, mais le récit basculant souvent de NY à LA, il se sent obligé de nous le dire, alors que ce n’est pas essentiel au récit, en utilisant un procédé qu’on utilise plus depuis les années cinquante : l’insert d’un avion allant vers la gauche pour suggérer le départ vers la côte ouest, et le contraire… Un effet, utilisé le plus dans des comédies ou des films légers… Ça donne vraiment un côté totalement désuet à la mise en scène. Et encore une fois, soit il y a trop de lieux, soit il n’y en a pas assez. Il n’y a pas de demi-mesure en dramaturgie : il faut faire les choses à fond, il faut être extrémiste. Sinon, ça ressemble à rien, sinon à la vie, et le cinéma, ce n’est pas la vie.

Mise en scène bâclée qui ne se soucie guère des anachronismes. Ça prend l’aspect d’un film fauché qui ne peut même pas proposer une bande-son originale. Huston rend mal ce qu’une telle famille pourrait représenter. On reste accroché aux personnages principaux sans avoir aucune vision du contexte, de l’environnement. On a l’impression que les mafieux trafiquent dans leur coin ; on ne voit pas assez les marques de leur influence (elle est suggérée mais jamais montrée et c’est le genre de chose qu’il faut prouver par l’image ; c’est un peu comme dire tel ou tel personnage est intelligent ; ça ne sert à rien de le dire, il faut le prouver). Trop peu de personnages ; pas assez de densité ; le film file trop vite. C’est un aller sans détour quand un grand film, lui, proposera à chaque scène un moment d’anthologie, comme un omnibus qui jusqu’à la fin, à chaque station embarquera des nouveaux bagages alourdissant toujours un peu plus le train. Le risque en est plus grand, mais c’est bien pour ça qu’on regarde. La curiosité de voir s’il va finir par se crasher.

Bref, pas très inspiré tout ça. Soit parce que la production n’avait pas les moyens de se lancer dans un tel projet, soit parce que ce n’est pas le genre de films qui correspond à Huston. Ce n’est certainement pas un metteur en scène d’ambiance, capable de tirer au mieux un scénario vers le haut si celui-ci montre quelques lacunes. Ça pouvait marcher trente ans plus tôt, avec une mise en scène plus serrée, moins lumineuse, en adoptant les usages esthétiques du film noir. Pourquoi pas… Mais là, le film semble avoir cinquante ans de plus que Le Parrain, tourné plus de dix ans plus tôt ! Sinon, c’est tout bonnement cette histoire qui par son côté hybride était inadaptable…

Reste les acteurs. Mention spéciale à Kathleen Turner et à son charme magnétique. Nicholson est un peu en dessous, pas très crédible en sicilien, des tics de vieil acteur fatigué plein les sourcils (déjà), donnant toujours l’impression de rechercher ses clés dans les poches de son pantalon ou de prendre l’air agacé comme si tous ses partenaires sortaient des absurdités à chaque phrase… Heureusement que c’est Jack, qu’on l’a aimé dans d’autres personnages et qu’il en reste quelque chose pour nous. Angelica Huston est pas mal, mais plus ou moins ridicule dans une ou deux scènes où elle se trouve « en aparté » (le papa n’ayant sans doute plus la lucidité qu’il avait tout jeune quand il avait dirigé son propre père…).



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