Une leçon d’amour, Ingmar Bergman (1954)

Note : 4 sur 5.

Une leçon d’amour

Titre original : Lektion i Karlek

Année : 1954

Réalisation : Ingmar Bergman

Avec : Eva Dahlbeck, Gunnar Björnstrand, Harriet Andersson

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Décidément le couple composé de Eva Dahlbeck et de Gunnar Björnstrand (deux ans après L’Attente des femmes, et leur vaudeville d’ascenseur) fonctionne à merveille sur le mode comédie romantique, tendance, là encore, comédie de remariage. Cette fois, ce n’est plus dans un immeuble, coincés entre deux étages, mais plutôt dans un wagon, entre deux gares.

Comme à son habitude, Bergman multiplie et articule son récit autour de flashbacks. Il faut reconnaître que c’est pratique, on passe du coq à l’âne, d’une époque à une autre, en se passant des transitions ou des tics que le dramaturge hiémal pourrait garder de ses pièces.

Faut-il seulement faire remarquer qu’évidemment les dialogues sont savoureux et qu’il faudrait presque pouvoir les relire au calme pour pouvoir en apprécier tout le sel ?… C’est qu’une comédie de Bergman, ça peut aller vite, et la subtilité de sa repartie peut vite passer à l’as pour des esprits lents comme le mien.

On est l’année qui suit Monika, j’aurais juré, à y voir Harriet Andersson, que c’était tourné avant (j’ai l’esprit mal tourné, j’aurais bien voulu y voir un nouvel exemple de film « sur le couple déchiré » avant le soi-disant pont Monika séparant une période bergmanienne sur les amours naissantes et une autre sur la vie conjugale). Elle y est belle, Harriet, comme dans Cris et Chuchotements. Pas un millimètre de maquillage, pas un poil sur le caillou, on dirait un enfant-bulle à l’orée de son premier printemps leucémique. Le voilà le sex-symbol qui émoustilla ces pervers de cahiersards. Je me serais fait un plaisir de leur montrer cette Harriet-là en garçon manqué, peut-être aussi hargneuse et sauvage que Monika, mais encore enfant, encore bourgeoise, encore soumise malgré ses geignements puérils. Pourtant, son personnage n’est pas forcément moins “révolutionnaire” (elle veut changer de sexe, et on imagine bien que ce n’est pas une option qui passe pour sérieuse aux yeux des futurs novovagualeux). Moins érotique, là, c’est certain. On l’imagine bien, notre Godard national, lancer comme la grand-mère : « Mais quand va-t-elle donc devenir plus féminine ? ».

Si on est bien après Monika, je pourrais peut-être me consoler en imaginant que Bergman s’amuse ici avec le sex-symbol qu’il a créé dans son précédent film (et qui ne l’est pas encore tout à fait, vu que les rédacteurs prépubères des Cahiers découvriront en fait le film qu’un peu plus tard – avant qu’Antoine Doisnel arrache l’affiche dans un cinéma, je rassure ma grand-mère) pour l’envoyer aux orties. C’est lui qui écrit, qui commande, qui dicte, alors son Harriet, il en fait ce qu’il veut (et ce qui se passe hors-champ ne nous regarde pas).

À part mes éternels sarcasmes contre la critique, je n’avais, c’est vrai, et comme à mon habitude, rien à dire. J’aurais pu me contenter de l’essentiel. Voilà un Bergman théâtral, un peu champêtre, pourtant encore très cinématographique (le wagon oblige), et c’est vrai aussi assez peu photogénique (les procédés, l’écriture, font cinéma, mais les décors, qu’ils soient naturels ou des intérieurs, n’ont pas de quoi soulever les masses). Ça n’atteint pas la force visuelle de beaucoup d’autres films de Bergman, en particulier futurs, mais le génie grouille à chaque réplique, l’esquisse cynique des personnages reste d’une force et d’une justesse ordinaires dans l’écriture du Suédois. La constance, à ce niveau au moins, est bien présente. Il faudrait être idiot pour bouder l’immense plaisir qu’une fois encore cet autre pervers arrive à partager avec nous. Je pardonne plus facilement aux artistes de l’être (pervers), qu’à leurs exégètes qui ne font que vomir leurs propres fantasmes en voyant ceux dont c’est un peu le fonds de commerce, de les répandre sur la place publique. D’ailleurs je vais me taire, Monique.


Une leçon d’amour, Ingmar Bergman 1954 Lektion i Karlek | Svensk Filmindustri

L’Attente des femmes, Ingmar Bergman (1952)

Note : 4 sur 5.

L’Attente des femmes

Titre original : Kvinnors Vantan

Année : 1952

Réalisation : Ingmar Bergman

Avec : Anita Björk, Eva Dahlbeck, Maj-Britt Nilsson

La saveur bergmanienne qui s’applique cette fois à un film à sketches, mais comme toujours le Suédois se révèle toujours plus à l’aise à écrire et diriger des rôles de femmes. Gunnar Björnstrand, jouant ici un industriel dans la dernière partie, s’en sort comme à son habitude bien mieux que les autres acteurs masculins enfermés dans des personnages de jeunes premiers contrariés et assez souvent salauds. Lui seul (à moins que ce soit encore Bergman à l’écriture) est capable ici d’apporter suffisamment de fantaisie et de légèreté à son personnage une fois la rugosité habituelle de ce genre de personnages entendue (d’ailleurs, on le voit d’abord dans la seconde partie sans cette fantaisie qui apparaîtra par la suite). Parce qu’en vérité, il n’y aurait pas autant de personnages masculins antipathiques dans ces premiers films qu’ils seraient tous parfaits, déjà concentrés ainsi sur des caractères féminins que Bergman ne cessera jamais d’aussi bien dessiner et diriger (si on excepte celui de Monika).

Monika d’ailleurs, on peut en parler. Le film vient bien après (deux ou trois ans), or pour certains, il est censé avoir révolutionné le cinéma en portant la caméra à l’extérieur et en proposant des séquences estivales à peine écrites, presque, ou en totalité, improvisées. Mais on voit bien ici que Bergman a plus ou moins toujours procédé ainsi. Il tournait invariablement l’été, laissant les saisons moins propices à des tournages en extérieurs pour son travail théâtral, et c’est encore le cas ici. Des maisons au bord de l’eau, des baignades, des soleils radieux, des plans de mers calmes à midi ou en début de soirée, d’autres dans les dunes de sable… La seule révolution suédoise qu’y ont réellement vue ces pervers des Cahiers, c’est Harriet à poil et en sauvageonne telle qu’il en existera des milliers par la suite, révolution sexuelle oblige (du moins celle des hommes). Parce que certes ici, c’est comme toujours bavard, merveilleusement écrit, comme le sera toujours Bergman, mais aussi tous ces petits instants merveilleusement élégiaques dans lesquels le temps semble se suspendre, ils sont déjà là (en particulier lors de la séquence du bain du premier volet précédent la coucherie, et pendant les hallucinations en flashbacks de l’accouchement du second).

Le premier volet est peut-être le moins intéressant. Si le personnage féminin est formidable à avouer tout de go à son mari qu’elle l’a trompé le jour même avec son ami d’enfance, les deux autres (l’amant et le mari) sont pitoyables et constituent même peut-être les deux axes des personnalités les plus antipathiques dans ces Bergman : le goujat beau gosse avec pas la moindre conscience ou remord, et le bourgeois rabaissé en petit garçon immature et mélodramatique.

La deuxième partie propose son lot de détails humoristiques (la sage-femme qui lance en quittant la pièce à sa patiente venue accoucher : « Vous pouvez nous appeler, mais n’oubliez pas que nous sommes très occupées… »). Une jolie description surtout d’une femme qui se pense d’abord en femme libre, prête à partir à Paris sur un coup de tête, s’y enticher d’un soldat quelconque, se laisser engrosser par un artiste suédois fils à papa, et penser un temps élever seule son bambin. À ma connaissance, c’est d’ailleurs la seule fois où Bergman tournera dans la capitale française, avec à la clé les Champs empruntés en calèche au petit matin au mois d’août (ils sont vides), une séquence muette sur les bords du canal Saint-Martin où la future mère regarde tendrement un môme dans sa poussette et qui lui renvoie son regard avant qu’un vieil homme lui prenne la place (détail de mise en scène fabuleux, à la fois amusant et triste) (un canal qu’elle quittera en passant devant un hôtel qui n’est pas l’hôtel du Nord…), et une jolie séquence dans ce qui semble être le bois de Vincennes. À noter un recours permanent dans ce passage aux flashbacks (les sketches en sont déjà) et une séquence rêvée, muette, dans un cabaret parisien où les danseuses montrent plus de jambes et de seins nus qu’Harriet Anderrson ne le fera dans Monika.

Le dernier morceau est le plus réussi, pleinement théâtral, puisqu’au lieu, c’est vrai, de profiter des jolies lumières de l’été boréal, Bergman enferme pour la majeure partie du temps ses protagonistes dans un ascenseur. Pour l’occasion, on pourrait même dire que Bergman invente la comédie du remariage dans un ascenseur. Huis clos amusant dans lequel nos deux mariés quarantenaires réapprennent le désir l’un pour l’autre. On comprend ce que Woody Allen a pu voler au Suédois : on y trouve le même humour cérébral, axé sur le couple, le désir, la psychologie et Dieu (« Aucun mari n’arrive à la hauteur de sa femme », dit approximativement l’un, à quoi répond l’autre « Dieu ne doit pas être marié »). C’est du vaudeville de placard dans lequel aurait tout aussi pu exceller le Sjöström muet.


L’Attente des femmes, Ingmar Bergman 1952 Kvinnors Vantan | Svensk Filmindustri


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Sourires d’une nuit d’été, Ingmar Bergman (1955)

Comédie érotique d’une nuit d’été

Sourires d’une nuit d’été

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Sommarnattens leende

Année : 1955

Réalisation : Ingmar Bergman

Avec : Ulla Jacobsson, Eva Dahlbeck, Harriet Andersson

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Un vrai bonheur de film. Une comédie légère, une sorte de pièce de Marivaux sous le soleil éternel, doux et frais de l’été suédois. J’imagine que c’était, avant que Bergman l’adapte, une pièce qu’il a montée au théâtre de Malmö. C’est en tout cas structuré comme une pièce de théâtre (comme beaucoup de ses œuvres de toute façon).

Comme chez Marivaux donc, on a les jeunes ingénus qui ne connaissent rien à l’amour, qui sont les proies des vieux… Tout ça flotte dans un grand libertinage, tout le monde badine avec tout le monde, mais ce n’est pas pour autant une invitation dans le lit… On s’amuse. On fait l’amour avec les mots. Tout est futile, léger, il n’y a pas une once de drame dans tout ça. La force du film, c’est ce ton. Léger donc, un peu folâtre (une comédie du bonheur, un peu farce, mais où on n’ira pas jusqu’à se taper sur les cuisses).

Le début est un peu lourd avec le personnage du mari volage, un peu austère, marié à une jeune fleur de trois fois son âge. Dès que le film se tourne sur les personnages féminins, là c’est le grand bonheur. La jeune épouse donc, toujours vierge (« Crois-le ou non, voilà deux ans que je suis marié et ma jeune épouse est encore vierge. Je ne tiens pas à la brusquer. […] Mais elle aime beaucoup ma vieille pipe ») ; elle a la lèvre boudeuse, de jolis poils de paille sous les aisselles ; elle déshabille innocemment le fils de son mari ; il est encore question de pipe, et le fils s’exécute sans rechigner. La servante (un personnage typique du théâtre français, voire italien) qui se plaît « à rouler des hanches » (le cul c’est vulgaire) devant, toujours, le jeune fils du mari (qui déprime de ne pouvoir vivre autant dans le péché que tous ces vieux libertins) ; elle l’allume, mais quand le fils tente de l’embrasser brutalement… : « Non, non, si je t’allume, c’est pour mieux te repousser, mon mignon ». Et enfin, la maîtresse du mari, actrice, volage aussi, à qui on ne la fait plus, qui se laisse convoiter par deux maris et qui a perdu ses illusions de jeunes filles… Comme souvent chez Bergman, ce sont les femmes qui ont le pouvoir.

La troisième partie du film me fait penser à Milou en mai. C’est un peu les chaises musicales dans les couples alors que tout le monde s’est réuni à la campagne. Et bien sûr, c’est la jeunesse qui finit par gagner le combat.

À noter, Sarko dans le rôle du deuxième amant de l’actrice, une sorte de Matamore tout à fait ridicule.

Harriet Anderrson, Eva Dahlbeck et Ulla Jacobsson, c’est tout de même de la belle blonde à mâter. Photo magnifique en noir et blanc, très claire, avec une grande profondeur de champ… En gros plan, on voit les poils blonds des bras d’Ulla Jacobson scintiller en contre-jour, ou les larmes sur ses joues qui brillent comme de minuscules petites loupes. On voudrait presque y mettre la langue, sentir au moins le parfum frais de sa chevelure dans la nuit claire… Des sourires plein les yeux, des poitrines blanches et généreuses (ah, la scène où Harriet Andersson dégrafe son bustier et l’ouvre de cour à jardin pour venir y glisser la main du fils de son mari…), des postures avec un maintien comme on n’en voit plus aujourd’hui.

Rideau. L’automne arrive. Rhabillez-vous. La saison des comédies guillerettes de Bergman vient de s’achever.


Sourires d’une nuit d’été, Ingmar Bergman 1955 | Svensk Filmindustri Sommarnattens leende


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