L’Art d’être aimé, Wojciech Has (1963)

Poupée de son

Note : 4 sur 5.

L’Art d’être aimé

Titre original : Jak byc kochana

Année : 1963

Réalisation : Wojciech Has

Avec : Barbara Krafftówna, Zbigniew Cybulski, Artur Mlodnicki, Wienczyslaw Glinski

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L’art de la mise en scène de Wojciech Has

On est en 1963, et bientôt, ce type de mise en scène passera à… l’Has. C’est pourtant une manière de faire qui m’a toujours plus séduit que les méthodes de jeu jugées plus naturelles qui tendront à s’imposer par la suite. Il s’agit d’une mise en place particulièrement adaptée ou attachée dans l’imaginaire collectif au noir et blanc. En voici les deux caractéristiques principales : un jeu mécanique qui donne à voir à chaque seconde une expression ou un geste ; un centre unique d’attention ou dans le cas d’un plan large une recherche de cohérence dans les mouvements pour éviter la multiplication des centres d’attention et l’impression de chaos ou d’improvisation.

Comme ailleurs dans mes commentaires, à noter que dans mon vocabulaire, « mise en scène » se rapporte presque toujours à la direction d’acteurs, à leur mise en place (j’y intègre également, par principe les éléments que l’on nomme au théâtre « scénographie », autrement dit les accessoires et les décors). J’oppose ainsi tout ce qui est censé apparaître dans le champ (la mise en scène) ou dans l’univers diégétique du film (le hors-champ) à tout ce qui a trait à la technique d’appareils ou de montage (la réalisation). Je ne traite ici que de la mise en scène (j’évoque en fin de commentaire, brièvement, les mouvements de caméra).

Organisation du mouvement

Un jeu mécanique, précis et un centre d’attention unique, ces détails ne peuvent pas être décidés par les acteurs seuls. C’est une partition que le metteur en scène décide et organise seul. Les acteurs peuvent proposer des gestes, des expressions, des placements ou des mouvements lors des répétitions ou des prises, mais c’est bien celui qui dirige toute cette mise en place qui organise leur mise en œuvre, choisit de les adopter ou non, parce que c’est une question de coordination et de pertinence. Quand une mise en place est aussi précise, certains peuvent la trouver trop mécanique ou théâtrale, mais toujours, elle donne à voir et organise les choses (dont le récit, l’impression visuelle) afin qu’on ait l’impression que chaque chose est à sa place et paradoxalement s’organise naturellement.

Le réel est un chaos, on multiplie les gestes non signifiants, on se percute, on s’interrompt, on parle en même temps. On filmerait cette “nature” du réel qu’on n’y comprendrait pas grand-chose. Avec de l’improvisation (sauf quand elle est bien dirigée), les acteurs ont la mauvaise manie d’en faire trop, et ça devient vite une catastrophe. Même sans improvisation, en réalité, dans la plupart des films actuels, les acteurs sont laissés à leur sort : on s’assure qu’ils ont appris leur texte, le metteur en scène leur indique des positions, ils se mettent d’accord sur la situation, et basta. Tandis qu’avec d’autres cinéastes, comme au théâtre, on décide pour chaque seconde ce qui apparaîtrait dans le champ : gestes, regards, interactions, pauses, déplacements. En plus de donner une impression mécanique, il est assez simple de remarquer ce type de mise en scène travaillée : le jeu est décomposé, c’est-à-dire que les acteurs prennent soin de ne pas mélanger les répliques avec des gestes ou des expressions significatives. Les choses se font l’une après l’autre.

Les metteurs en scène choisissent au mieux parfois la place de la caméra, ils donnent des indications générales aux acteurs, mais très rarement dans les commentaires de film, on parle de ce qui parfois est l’essentiel : la mise en place. Vous ne verrez jamais des critiques faire l’éloge de la qualité d’une mise en place. Cela n’a jamais été leur sujet. Bonne ou mauvaise, riche ou pauvre, ils ne sauront pas faire la différence. Pourtant, c’est un savoir-faire qui apporte en réalité énormément à un film : elle permet de travailler sur le sous-texte, d’agrémenter sa mise en scène d’allusions, de regards en coin, d’expressions variées (souvent en réaction discrète et en contrepoint), d’améliorer la présence et l’autorité des acteurs à l’écran, etc.

Quelques exemples pris au hasard pour illustrer la nature de ces petits gestes, expressions ou mouvements qui ne sont pas le fruit du hasard ou de l’inspiration d’acteurs sur le moment.

Premier exemple

Au moment de nettoyer la table une fois que les officiers nazis et le collabo s’en vont après que leur voisin, l’acteur de théâtre, leur a manqué de respect, la serveuse, le personnage principal du film, rend au collabo discrètement ses gants et son étui à cigarettes. Elle ne le regarde pas, mais son regard se pose ostensiblement ailleurs. C’est le signe que c’est un geste délibéré pour insister sur la tension et la nécessité de faire attention à ce qu’on fait en présence des occupants. C’est plein cadre, on ne voit que ça au moment où l’actrice est face à la caméra alors que les autres se retirent à l’arrière-plan et qu’elle leur tourne le dos. Il n’y a rien de naturel ou d’improvisé : elle fait un geste à la fois, une expression à la fois, et dans ce genre de direction d’acteurs, on donne à voir à chaque instant. Le metteur en scène ne décide pas forcément de toutes les nuances d’expression que les acteurs apportent à leur jeu, mais un geste comme celui-ci peut difficilement être improvisé (même si l’imprévu n’est pas rare non plus ; on en voit d’ailleurs un exemple, puisqu’il s’agit d’une histoire d’acteurs, plus tard dans le film lors de la séquence radiophonique durant laquelle l’actrice surprend son partenaire obligé de s’adapter à ses improvisations).

La mise en place, la direction d’acteurs, disons, volontaire, souvent, ça donne cette impression de jeu mécanique : tac, tac. Une mise en scène précise, structurée, significative (elle donne à voir), et que d’aucuns qualifieraient de “théâtrale”. Quand on écrit un récit (ou une critique de film), on fait ça proprement, on structure les événements, on décide quoi montrer, on dévoile les choses les unes après les autres. La mise en place au cinéma, certains cinéastes savent ou préfèrent faire pareil. Cela ne veut pas dire que ceux qui ne maîtrisent pas la mise en place et la direction d’acteurs feront systématiquement moins bien, disons en tout cas que ceux qui connaissent cette manière de faire auront souvent ma préférence. Trop souvent, on insiste beaucoup chez les commentateurs de films sur l’aspect formel de la réalisation quand cela concerne la caméra (les mouvements d’appareil, les angles de vue, le montage) et presque jamais sur la mise en place et la direction d’acteurs. Je ne m’expliquerai jamais ce tropisme. Méconnaissance, préférence, désintérêt ?

Deuxième exemple

Dans la même séquence ou un peu plus tard, un soldat nazi prend un homme par le col pour le rejeter un peu plus loin. C’est un geste en arrière-plan, au même moment, bien autre chose se passe dans le champ. Pourquoi est-ce significatif ? D’abord, parce que ça illustre à mon sens pas mal la situation : les soldats sont menaçants et n’hésitent pas à user de violence sur la population. Surtout, aucun figurant n’oserait prendre l’initiative d’un tel geste, seul. Il arrive que des metteurs en scène décrivent à des foules d’acteurs et de figurants une situation et leur demandent d’agir en conséquence, mais le résultat est presque toujours chaotique avec des imprévus rarement allant dans le sens de la situation que l’on voudrait voir se développer dans le champ. C’est donc, là encore, le signe que c’est une indication du cinéaste à un figurant pour donner à voir à ce moment-là. Le geste est répété au préalable : les acteurs savent où commence le mouvement, où ils doivent finir et ce qu’ils font par la suite. Une telle mise en place réclame toujours des heures de travail. Parce qu’il ne faut pas croire que metteur en scène et acteurs trouvent tout de suite le geste qu’il faut… Bien sûr, en voyant le résultat, tout paraît naturel, peut-être un peu mécanique, mais en réalité ce sont des heures de répétitions et de travail en amont. C’est justement parce que ça paraît simple que ça prend du temps à coordonner. Et je serais prêt à parier qu’aujourd’hui encore plus, la majorité des cinéastes dédaignent ce travail de mise en place, par choix ou par méconnaissance. Un cinéaste donnerait des indications à ses acteurs principaux et un assistant-réalisateur (ou je ne sais qui) en donnerait d’autres, d’ordre général, aux figurants. Avec un résultat, je l’ai dit souvent chaotique : certains proposent des mouvements au même moment, on se percute, d’autres figurants restent au contraire parfaitement statiques et semblent assister en spectateur à la scène, bref, on tâche de faire comme dans la réalité, on y retrouve certes son aspect chaotique, mais non, l’improvisation mal dirigée, cela a ses spécificités, et dans les séquences avec des figurants appelés sur le tard, on voit vite qu’ils se sentent comme des potiches au milieu des acteurs professionnels. Je le répète : combien de cinéastes avant de réaliser leur premier film ont déjà travaillé avec des acteurs ?

Voilà pour ces quelques détails. Inutile d’en faire plus : ce sont deux exemples, en réalité, chaque seconde du film pourrait illustrer ce que je veux dire.

Réalisation

Pour le reste, Wojciech Has n’en est pas encore aux grandes reconstitutions ou aux décors extravagants de La Poupée ou de La Clepsydre. On serait plus dans une forme de classicisme très cadré de cinéma d’intérieurs comme pouvait l’être Le Nœud coulant. Le talent de Has, il est de parvenir en très peu de plans extérieurs à nous restituer le contexte de la guerre dans une ville polonaise occupée, puis libérée. Les jeux de raccords avec les fenêtres sont ainsi primordiaux. Les fenêtres (une fenêtre en particulier) jouent même un rôle crucial dans le récit et dans la symbolique de la mise en scène de Wojciech Has : le premier plan en flashback nous montre presque brusquement l’une de ces fenêtres, sans que l’on comprenne le sens de cette évocation brutale.

À la Ophuls, on voit le cinéaste polonais déjà habile à suivre ses acteurs avec des travellings d’accompagnement. Rien encore de tape-à-l’œil : c’est propre, discret et efficace. L’idée est d’être toujours au plus près des acteurs tout en leur permettant d’évoluer dans un espace souvent limité par un décor d’intérieur et, si nécessaire, de les cadrer avec d’autres acteurs quand on peut y trouver des actions simultanées et qu’elles se répondent. Montrer ainsi le personnage principal en regarder d’autres du coin de l’œil, dans le même cadre, cela permet de proposer rapidement un sous-texte, pas forcément essentiel, mais qui illustre bien une situation et l’atmosphère, baignant dans la nostalgie et la solitude, du film. Ça colle d’autant plus que le film est un long récit à la première personne, et que ça fait sens d’intégrer ce qui pourrait presque s’apparenter à des apartés silencieux ponctuant les longs flashbacks narratifs racontant les épisodes marquants de la vie de cette actrice pendant et après la guerre.

Les acteurs

Les acteurs sont parfaits. Dans un parfait rôle d’appoint, on remarque la présence d’une des figures majeures du cinéma d’après-guerre polonais, Zbigniew Cybulski, notamment dans les films de Wajda, et qui tournera avec Wojciech Has Le Manuscrit trouvé à Saragosse. Il disparaîtra relativement jeune, à 40 ans, percuté par un train. Destin opposé pour sa partenaire, Barbara Krafftówna, présente pratiquement dans tous les plans du film, et qui est décédée seulement l’année dernière à l’âge respectable de 93 ans. Cela semble être en tout cas ici son rôle le plus marquant de sa carrière. On peut difficilement rêver meilleur rôle. Son personnage s’apprêtait à jouer Ophélie, la guerre l’en a empêché. Et Ophélie n’est en effet jamais bien loin. L’actrice échappera à la folie et au reste, mais son cher Hamlet lui en fera d’autres…

L’histoire

Difficile de trouver meilleur rôle pour une actrice, car en plus de ces atouts formels, le film est parfaitement écrit et tragique comme il faut. Le personnage principal, une actrice, se rend à Paris en avion, et depuis son siège se remémore les épisodes marquants ayant fait de sa vie sentimentale un désert (le titre du film semble un poil ironique et désabusé). Elle apprendra vers la fin du film que lors du premier voyage en avion, on a coutume de dire que les passagers revoient leur vie défiler. Elle en sourit, car c’est précisément ce qu’elle a fait depuis une heure. Sa carrière d’actrice est donc interrompue par la guerre, et à la suite d’une brouille entre un acteur et un groupe de soldats dans le bar où elle travaille, elle propose à l’acteur de l’héberger chez elle pour lui permettre d’échapper à la police. Éprise de son ancien partenaire de jeu, elle le cache ainsi pendant toutes les années de guerre dans son appartement. Son amour est loin d’être réciproque. L’acteur lui fait comprendre qu’une fois la guerre finie, il filera vite hors de ce qui pour lui est une prison. Avant ça, de son côté, sa protectrice lui fait savoir qu’une rumeur sur sa mort circule dans la ville, et il a comme un pressentiment que ça ne présage rien de bon.

L’un des premiers tournants tragiques du film, c’est quand deux soldats viennent fouiller chez l’actrice et qu’ils en profitent pour la violer à tour de rôle. Pour ajouter à son malheur, quand elle court vers l’acteur caché sous des matelas, il est tellement mal au point qu’elle doit s’occuper de lui, et alors qu’elle pensait au moins trouver un peu de réconfort auprès de lui, que nenni, le bonhomme n’a probablement rien entendu. Double peine.

La guerre s’achève, mais les problèmes continuent. Comme il l’avait promis, l’acteur fuit sans demander son reste (puisqu’on était dans les détails de mise en scène, en voilà un autre : il pensait s’échapper en profitant de l’absence de sa protectrice, mais elle le trouve à temps juste avant son départ en train d’emballer tel un voleur un gros morceau de saucisson…). On a connu mieux comme remerciements. Et puis, comble de la déveine, à l’image de ce qu’il se faisait en France dans l’immédiate après-guerre, les nouveaux maîtres des lieux règlent leur compte avec les collaborateurs. Comme pressenti plus tôt par l’acteur en entendant qu’on le pensait mort, personne n’a eu connaissance de leur situation : personne n’était au courant. D’un côté, on reproche à l’actrice d’avoir travaillé pour les Allemands (un ami lui reproche de ne pas se défendre en n’évoquant pas le fait qu’elle ait caché une personne recherchée, mais elle n’a aucune preuve), et de l’autre, on apprendra quelque temps après que l’acteur était suspecté d’avoir été de mèche avec la Gestapo parce que personne ne savait où il était passé pendant toutes ces années… Il y a un côté savoir-faire et faire savoir dans leur malheur commun : ils se sont tellement bien caché que personne n’était au courant et que personne ne peut désormais imaginer une telle histoire… Si vous êtes des héros, rappelez-vous que l’essentiel pour tirer profit de votre héroïsme, c’est d’en faire la publicité et de connaître les bonnes personnes pour raconter votre histoire… On a connu des acteurs plus habiles en la matière.

Bref, des années après, lui est devenu alcoolique, et puisqu’une femme amoureuse, c’est une femme un peu idiote, elle lui propose de revenir loger chez elle. Bien entendu, tout ne se passe pas comme elle l’aurait espéré. Faites sortir le malheur par la porte, il entrera par la fenêtre. Elle file ensuite pour la capitale et se fait remarquer dans une émission radiophonique qui lui vaut son succès. Pèsera sur elle toujours le regret de n’avoir jamais été en mesure de passer maître dans l’art d’être aimé…

La dernière image du film est bouleversante. L’hôtesse de l’air qui s’est un peu prise d’affection pour elle en la voyant enchaîner les verres de cognac lui propose un café : l’avion va atterrir, signe que le défilement de son passé prend fin. Regard dans le vague, regard perdu. Et malgré son émotion, elle cherche à faire bonne figure. L’image bouleversante d’une femme trahie par les hommes, souillée en silence pendant la guerre, accusée de ce qu’elle n’était pas, et qui ne rencontrera jamais l’amour d’un homme. Les hommes, ces lâches.

Grand film.


L’Art d’être aimé, Wojciech Has 1963 Jak byc kochana | WFF Wroclaw, ZRF Kamera


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Une courte journée de travail, Krzysztof Kieslowski (1995)

Pour la suppression des heures supplémentaires

Une courte journée de travail

Note : 3 sur 5.

Titre original : Krótki dzien pracy

Année : 1995

Réalisation : Krzysztof Kieslowski

Avec : Waclaw Ulewicz, Lech Grzmocinski, Tadeusz Bartosik

L’aspect historique proposé est intéressant, celui de nous faire revivre à travers les yeux d’un secrétaire provincial une journée de lutte syndicale en province après l’annonce, la veille, de la hausse des prix dans les années 70. Seulement Kieslowski ne semble pas bien convaincu lui-même par le procédé narratif de son film et l’agrémente de brèves séquences postérieures durant lesquelles certains protagonistes de cette journée de lutte seront poursuivis dans un procès tenu dans les années 80.

Le cinéaste polonais s’est toujours servi du montage, même sonore, pour raconter une histoire et doubler ainsi sa composition d’une vision moins hiératique et objective. Il est vrai qu’il manque un certain quelque chose aux séquences principales du film dans lesquelles le secrétaire de province est pris entre les grévistes mécontents qui manifestent devant l’immeuble du parti et les leaders au pouvoir, situés à Varsovie, l’incitant à quitter les lieux plutôt qu’à chercher à discuter avec les manifestants. Kieslowski avait peut-être vu là le potentiel d’un conflit intérieur rappelant celui du chef de l’usine parfaitement orchestré dans La Cicatrice. Mais si l’interprétation de l’acteur est pour le moins saisissante, exceptionnelle, même, le rapport de force tant intérieur (psychologique) qu’extérieur (avec les manifestants), peine à convaincre.

Là où Kieslowski aurait peut-être dû insister sur l’unité temporelle et spatiale des faits en évitant de casser sa continuité chronologique et profitant ainsi de la tension naturelle des événements, le cinéaste essaie de revenir dans sa zone de confort grâce au montage, et en cela, empêche sans doute le film de trouver son rythme. On ne saura jamais ce qu’il en aurait été d’un film plus chronologique, jouant sur le huis clos et la promesse temporelle du titre, quoi qu’il en soit, il lui manque un certain quelque chose de difficilement définissable et Kieslowski ne semble pas avoir choisi la facilité en structurant ainsi son histoire.

Sur le même sujet ou presque, rappelons l’excellent 12h08 à l’est de Bucarest qui au lieu de montrer une journée décisive politiquement à travers les yeux d’un seul personnage (ce qui était, en soi, un angle intéressant) décidait (ou décidera, puisque le film est bien postérieur à celui de Kieslowski) de jouer sur la multiplication des points de vue avec un jeu à la fois chronologique et un jeu d’opposition entre réalité objective des faits (quasiment impossible à déterminer à travers une multiplication de divers points de vue et de détails, comme dans Rashômon) et réalités subjectives de divers protagonistes s’affrontant, jusqu’à la bouffonnerie, sur leurs divergences de point de vue.


Une courte journée de travail, Krzysztof Kieslowski 1995 Krótki dzien pracy | Zespol Filmowy, Telewizja Polska


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Cold War, Pawel Pawlikowski (2018)

Note : 3 sur 5.

Cold War

Titre original : Zimna wojna

Année : 2018

Réalisation : Pawel Pawlikowski

Avec : Joanna Kulig, Tomasz Kot

Histoire d’amour plutôt banale et tristement académique. Les péripéties s’enchaînent au gré des sauts de puce géographique du couple, des séparations ou des retrouvailles.

Deux défauts majeurs dans cette construction : d’abord l’introduction des personnages est bâclée, voire inexistante (et on pourrait en dire autant de leur amour naissant auquel on ne croira par conséquent jamais) ; ensuite, les péripéties et les personnages secondaires sont totalement délaissés au profit du couple, ce qui ne poserait problème si le récit nous faisait entrer en profondeur dans leur intimité, comme ce n’est pas le cas, tout paraît sec et vain.

Si dramaturgiquement, c’est assez vide, en revanche, techniquement, la qualité est là. Direction d’acteurs parfaite, réalisation et montage idem, jolies reconstitutions et photo. 1h20 pour un tel sujet, ça en dit long sur les manques du film.


Cold War Zimna wojna, Pawel Pawlikowski 2018 Opus Film, Polski Instytut Sztuki Filmowej, MK2 Films

 


 

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La grande strada, Vittorio Cottafavi, Michal Waszynski (1947)

La grande strada

La grande stradaAnnée : 1947

Réalisation :

Vittorio Cottafavi, Michal Waszynski

5/10 IMDb

Film de propagande polonaise pour le compte des Soviétiques et tourné avec la bienveillance des Italiens, donc de Cottafavi (si j’ai tout compris).

Résultat, en dehors d’une histoire mélodramatique de patient aveugle qui appelle sa belle dans son lit et qui prend son infirmière pour elle avant que le dénouement lui ouvre les yeux, en dehors aussi d’une des pires introductions de film qu’il m’ait été donné de “voir” avec une séquence de bombardement usant de flashs antiépileptiques (ils remettront ça à la fin avec une courte séquence d’orage insupportable pour mes yeux et ma tête), eh ben, on tient peut-être là le film qui a servi de références aux Italiens pour calibrer par la suite toute leur “vision” du doublage :

— Œdipe, nous allons vous montrer un film pour savoir si notre technique de doublage est satisfaisante. Vous êtes prêt ?

— Je suis tout ouïe.

(La projection du film La grande strada commence, avec un doublage horrible des acteurs polonais en italien.)

— Désolé pour les images de la première scène, Œdipe…

— J’ai rien vu, de quelle scène parlez-vous.

— Ah, très bien. Non rien. Alors, comment trouvez-vous le montage ?

— Ben, sur Jocaste, c’était parfait !

— Vous êtes sûr ? N’est-ce pas parfois un peu désynchronisé ?

— Qu’est-ce que vous entendez par là ?

— Eh bien que le son du doublage puisse ne pas correspondre toujours à l’image…

— Ah non, je dois être aveugle.

— Vous l’êtes ?

— Je le suis.

— Mother fucker


Sur le globe d’argent, Andrzej Zulawski (1988)

Nostalghia de la luz

Na srebrnym globie

Note : 4 sur 5.

Sur le globe d’argent

Titre original : Na srebrnym globie

Année : 1988

Réalisation : Andrzej Zulawski

Avec : Andrzej Seweryn, Jerzy Trela, Grazyna Dylag

Mitigé au départ, un peu déconcerté par l’impossibilité pour moi d’entrer dans le film faute d’introduction digne de ce nom, de coupes déjà trop conséquentes et altérant fortement la linéarité narrative et dramatique du film, un peu surpris voire exaspéré de voir que très vite Zulawski fait le choix d’un jeu frénétique qui laisse peu de place à une montée naturelle qu’on serait plus en droit d’attendre d’un récit plus classique. Et puis à la longue, effet La Maman et la Putain, on se laisse malgré tout embarquer dans un délire visuel, expressionniste, presque cathartique. Les excès qui apparaissaient de la même manière dans Possession me paraissaient plus légitimes ou plus compréhensibles parce qu’on avait affaire finalement qu’à deux personnages et que la situation était peut-être l’une des plus communes qui soit ; c’est ensuite que le film tombant clairement dans la science-fiction horreur avait fini par me refroidir. L’effet ici est donc inverse. Finalement il faut accepter de ne pas comprendre (tout), de regarder et profiter de tout ce bric-à-brac d’images et de sons, en oubliant le récit sur la durée. Ce qui revient à dire que chaque séquence devient presque un tour de force, un pari, une nouvelle histoire là encore plus ou moins compréhensible, et qu’on s’y laisse prendre ou non en fonction de ce qu’on y trouve, acceptant d’être ballotté entre exaspération et fascination. C’est Nostalghia, qui avait produit le même sentiment composite sur moi.

Pour le meilleur, certaines ambiances rappellent fortement Aguirre, en beaucoup plus expressionniste ou hystérique (décors, outrance dans certains aspects du jeu mais pas tous puisque Aguirre avait cela de fascinant qu’il proposait comme une sorte de dialogue intérieur quand ici tout est gueulé, vomi presque comme au théâtre ; la musique et le son sont tout bonnement exceptionnels). Énormément de séquences rappellent ce qu’on trouve aussi dans Possession, notamment la scène de la grotte avec Marc qu’on pourrait rapprocher à celle du parking avec Adjani. Dès qu’une automobile apparaît, je n’ai pu m’empêcher de penser au Toby Dammit de Fellini, même si justement, le sketch, par sa fulgurance, sa simplicité, sa radicalité allait droit au but, quand Zulawski a un style plus expansif, proposant plus de choses, le pire comme le meilleur.

Le cinéaste aurait pu se garder de présenter le film pour expliquer la raison des séquences manquantes. Le caractère inachevé, on peut l’accepter sans qu’on ait besoin de nous préciser pourquoi certaines séquences devront être « narrées ». Ça crée une distance supplémentaire qui n’était pas forcément utile et qui dessert le film.

Dans la première moitié, Zulawski utilise abondamment les jump cuts comme s’il voulait raccourcir la durée, mais abandonne par la suite ce procédé. Manière très étrange de procéder. Cela avait un petit côté Lars von Trier qui ne me paraissait pas bien nécessaire non plus. Par la suite, le film trouve son rythme en montant très habilement des plans de caméra à l’épaule en vue subjective, et toujours en appliquant à sa caméra la même frénésie demandée aux acteurs. C’est un des aspects réussis du film (identique à ce qu’on retrouve dans Possession, mais aussi, de manière trop systématique dans Il est difficile d’être un dieu, de Aleksey German). L’autre concerne encore l’aspect visuel avec tout ce que le film peut proposer comme décors, costumes, maquillages… Comme dans le Nostalghia de Tarkovski, certaines images sont sidérantes et appellent à ce qu’on s’y noie.

Le Globe d'argent, Andrzej Zulawski 1988 Zespól Filmowy Kadr 4

Le Globe d’argent, Andrzej Zulawski 1988 Na srebrnym globie | Zespól Filmowy Kadr

Quant au fond de la chose, je l’ai déjà évoqué, en plus d’être foutrement baroque pour ne pas dire brouillon ou foutraque, tout ce qui fait référence à la religion ou à la foi me rebute en général. Ce n’était donc pas si mal d’avoir fini par me détacher plus ou moins du propos. C’est une habitude en science-fiction, un peu comme pour illustrer l’idée d’une origine psychologique, sociale, presque pathologique même, des religions, dans les sociétés en construction ; rappeler aussi que le culte a toujours précédé la culture et que les deux ont longtemps évolué l’un à côté de l’autre. Une science-fiction qui en quelque sorte, en regardant vers l’avenir, s’interrogerait sur les principes constitutifs d’une société à bâtir ; et finalement de dire que la science pourrait tout aussi bien apparaître, ou être utilisée, comme de la magie avec des individus non éduqués, primitifs, fragiles. L’idée en soi n’est pas inintéressante (si toutefois je n’en propose pas moi-même une lecture personnelle) mais elle ne m’a jamais parlé au cinéma ou ailleurs. Si la Force dans Star Wars a un petit côté idéaliste en donnant sens à l’univers ou en transmettant certaines valeurs universelles tout en parvenant à échapper au piège des références faisant sens, c’est surtout un gadget ludique et un prétexte pour expliquer ce qui est justement du domaine de la magie (voire de la chevalerie) ; et sa réussite, c’est sa relative simplicité. Dans Dune, de mémoire, la question de la foi, de la spiritualité, de la religion était déjà moins attrayante parce qu’elle semblait recourir à des références plus ou moins lourdes (quand on parle de “prêtres” notamment au lieu de “maîtres”, ou à travers l’usage de divers symboles), et là on peut alors suspecter une certaine volonté de forcer le rapport entre la religion inventée et celles connues… C’est presque aussi subtil que de représenter Richard III en leader nazi. Je n’ai jamais été bien friand de ce genre de rapprochements, surtout quand ils sont évidents ou liés aux religions existantes. Encore une fois ce n’est pas que la question est inintéressante, mais elle me paraît presque trop souvent mal exploitée, et un peu comme les films dénonçant la violence en la montrant (cf. Oliver Stone incapable d’apprécier la tonalité bien particulière de Tarantino pour faire passer la pilule dans Tueurs nés), j’ai toujours un peu la sensation d’y trouver une critique de ou des religions, à travers ce qui devrait en être le plus éloigné, la SF, mais qu’en la faisant la plupart des spectateurs (ou des metteurs en scène) finissait par ne plus prendre la distance nécessaire qu’impose par nature la SF avec ce sujet. On voit par exemple que dans certains milieux de la contre-culture ésotérique ou ufologique que les aberrations d’une théorie comme celle des Anciens astronautes peut gagner un certain crédit en dépit de toute logique ; une théorie qui aurait très bien pu être lancée par un auteur de SF soucieux de présenter une religion alternative, cohérente, mais totalement farfelue. La violence, comme la foi, dès qu’on en fait des sujets pour des films ou des histoires, et c’est toute la problématique d’une dramaturgie basée sur la référence, on peut ne pas y voir la critique du fait exposé, et prendre alors tout au premier degré. On retrouve donc ici tout un sujet qui me rebute un peu à l’habitude, qui m’est, je dois l’avouer, assez étranger, et auquel j’arrive à m’extraire malgré tout grâce à la richesse formelle du film. Là encore, c’était probablement le cas avec Nostalghia ; mais comme je le rappelle souvent : on ne voit finalement que le film qu’on veut voir, jamais celui que l’auteur aurait voulu en faire, et c’est un peu avec ce genre de films suscitant autant de sentiments contraires qu’on peut s’en rendre compte.

Un film, c’est finalement comme se mettre à une table sur laquelle seraient servis divers plats : on ne prend jamais que ce qu’on préfère, ce qu’on juge le meilleur, et on délaisse ce qui nous paraît le moins appétissant. À moins de décider de sortir pour de bon de table, il est toujours enrichissant d’interroger son palais avec de nouvelles saveurs…

 


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Possession, Andrzej Zulawski (1981)

La mouche

Note : 4 sur 5.

Possession

Année : 1981

Réalisation : Andrzej Zulawski

Avec : Isabelle Adjani, Sam Neill

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Le meilleur Zulawski que j’ai pu voir jusqu’à présent (L’Important c’est d’aimer et La Femme publique, d’autres films français, ne m’avaient pas bien convaincu).

Celui-ci est particulièrement déjanté en plaçant ses deux personnages (un couple en pleine période conflictuelle) en permanence sur une corde raide. Pendant bien une heure et demie, on y retrouve les excès d’un Lars von Trier ou d’un Cassavetes quand ces deux-là axent également leur travail sur le couple. Les allusions horrifiques ne me dérangeaient alors pas tant qu’elles restaient cachées et qu’on pouvait alors interpréter le film à travers le prisme de la psychologie. Cela aurait obligé à ne pas ouvrir aussi parfaitement les portes de l’horreur.

C’est pourtant vers quoi Andrzej Zulawski finit par nous embarquer. Le film perd alors un peu de son charme et la fin frise le Grand-Guignol extraterrestre. Une petite baisse de régime pas bien grave, tout ce qui précède pendant une heure sinon plus demeure fascinant.

Le film est sidérant dans son rythme (ce n’est pas tant jouer les funambules qui impressionne, c’est de le faire à cent à l’heure sans jamais se gaufrer — sauf sur la fin), son manque de fausses notes malgré un sujet et des excès très casse-gueule. Il y a comme un petit miracle à voir autant de justesse et de complicité avec des artistes ne parlant pas la même langue. Probable que le fait de s’accorder sur l’essentiel, une couleur générale, une sorte d’élan, une impulsion primale, au lieu de discuter de tous les détails pour en faire des éléments essentiels ou de se concentrer sur des subtilités de communication verbale, ait aidé à mettre tout ce petit monde cosmopolite sur une même longueur d’onde… Les vibrations des tripes quand elles se soulagent par tous les orifices. Est-ce qu’on dit « parler avec ses tripes » en polonais, en français, en allemand et en anglais ? Possession quoi qu’il en soit nous dégueule bien quelque chose qui fait mouche dans la gueule.

Distingué.


Possession, Andrzej Zulawski 1981 | Gaumont, Oliane Productions, Marianne Productions


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Le Charlatan, Jerzy Hoffman (1982)

Coups de tête

Note : 4 sur 5.

Le Charlatan

Titre original : Znachor

Année : 1982

Réalisation : Jerzy Hoffman

Avec : Jerzy Binczycki, Anna Dymna, Tomasz Stockinger

Après une trépanation miraculeuse, un dénouement tiré par les cheveux. Logique.

« De ton trépas, je serai la négation ! Ah, ah, ah !… J’invoque… La trépanation ! »

« Mais quel charlatan ! »

Et la fille ainsi déflorée se réjouit de retrouver après tant d’années son papa. C’est beau comme du Cosette Madeleine.

C’est donc un mélo, tourné comme un film intelligent. Excellent sens du rythme et de l’à-propos. Que demander de plus.

À souligner tout de même une interprétation exceptionnelle de l’acteur principal. Une justesse sans accroc tout en subtilité. L’art de faire le plus avec le moins. Ça s’appelle du génie. (Je suis sincère, là.)

Et l’essentiel : le joli minois de la fillette avec un sourire à faire tomber les murs : « Silence… Souris ! » Et là, boom, tout s’écroule. Parce qu’un sourire, on ne l’a pas « à la bouche », mais sur tout le visage. Des yeux d’un vide sidérant (qui même quand ils ne vous regardent plus vous fixent encore) et des cernes sous les yeux comme d’étranges fossettes pour souligner le plissement complice du regard délicieusement frisé. Il y a du génie aussi là-dedans, mais on appelle ça plus communément du charme. Les acteurs sont parfois si rétifs à sourire de peur de paraître idiots qu’on peut appeler ça aussi du talent. D’autant plus qu’elle et son beau ne font pas semblant pour nous convaincre de leur amour. « Ton espace vital est le mien : ta bouche, ma source, tes yeux, mon foyer. » Hum… Des bécoteurs comme ça, j’en veux tous les jours sur mon écran.


Le Charlatan, Jerzy Hoffman 1982 Znachor | Zespół Filmowy


(Ayant bien connu la belle, je partage une photo tirée de mon carnet de « notes » personnel : Rinçons-nous l’œil pendant que Charles attend.)


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La Poupée, Wojciech Has (1968)

Vains travellings

Note : 3.5 sur 5.

La Poupée

Titre original : Lalka

Année : 1968

Réalisation : Wojciech Has

Avec : Mariusz Dmochowski, Beata Tyszkiewicz, Tadeusz Fijewski

Les qualités de Has sont là, sans aucun doute. Mais ses points forts sont aussi souvent ce qui cache l’essentiel. Si dans La Clepsydre, la forme passe pour virtuose, c’est que le fond n’a pas grand intérêt. Point de délires visuels ici, Has reste sage et s’applique à mettre en scène son sujet. Trop sagement peut-être. Une mise en place savante, des travellings virevoltants, des dialogues et des acteurs soignés… D’accord, tout cela est formidablement bien agencé. Pourtant il me faudra attendre deux heures pour être enfin convaincu par la mise en scène…

La virtuosité n’est pas l’à-propos. Un travelling (et c’est le cas aussi de son grand frère, le plan-séquence) doit se mettre au service de son sujet. Si on ne voit plus que ça, c’est déjà perdu. Certes, tous les boutonneux pourront s’émouvoir de la dextérité des machinistes, de l’inventivité (sic) du mouvement de la caméra, mais le problème est bien là. Toutes ces vantardises ne font que détourner le spectateur de l’essentiel. Si on accepte l’idée que la caméra écrit en image le récit, user de longs travellings, c’est un peu se complaire dans les longues phrases dont on peinerait à saisir le sens ; c’est se perdre en descriptions inutiles ; en ponctuation, en petits points… Pour fixer le cadre (si j’ose dire), pour aller à l’essentiel, rien ne vaut qu’un plan fixe, ou qu’une succession de plans fixes. Le travelling d’accompagnement est lui-même, une sorte de plan certes mobile mais fixé sur la présence d’un personnage. On peut donc imaginer une certaine tolérance au procédé. Reste que Has va bien trop souvent au-delà du simple travelling d’accompagnement. Un cinéaste qui persiste à vouloir rester sur le même plan est à l’image du dribbleur au foot qui garde trop la balle : celle-ci circulera toujours mieux, et plus vite, avec une passe. Un peu travelo le Has… Le cut, ç’a la puissance d’un point, ou d’un retour à la ligne. Certains trouvent un certain confort à délayer leur pensée au milieu des virgules et des points-virgules (voire des parenthèses) sans avoir à décider de quand foutre un point ; or un point est un tournant, une décision, un parti pris, un pari. Chaque cut est un choix. On ne juge pas de la beauté de la césure, mais de sa pertinence. Aussi, l’hypercut est un viol. De la pertinence, de la mesure… C’est en un sens là où s’exprime la pensée de son auteur, son autorité, sa force de décision. Et son efficacité. Le point, ou donc le cut, aide à faire ressortir les articulations logiques du récit. C’est le montage qui lui donne sens. Un plan après l’autre. La mise en place à l’intérieur du même plan, c’est certes souvent fort joli comme ici, mais ça a la précision d’un régisseur de théâtre. La mise en place, ce n’est pas de la mise en scène. Alors bien sûr, un travelling (ou un plan-séquence) peut s’organiser pour proposer, sans cut, une succession de plans à l’intérieur du plan. C’est ce que Has fait le plus souvent, et même plutôt bien, mais à la manière des points-virgules, on ne saurait trop en user. Ça l’Has, à la longue… Pourquoi accepter de devoir se farcir sans cesse le même point de vue, travelling après travelling, quand un ou deux plans successifs d’une grosseur différente et proposant un autre angle auraient montré plus de choses en moins de temps ?

Instant de cinéma : regard hors-champ, virgule, contrechamp et vue extérieure subjective

L’autre point fort de Has qui tend à la longue à devenir un défaut, c’est la théâtralité du langage. La Clepsydre, là encore, était très verbeux, mais ça participait au tableau général. Ç’aurait pu causer mandarin, c’était pareil. Les particularités d’un tel procédé, c’est l’uniformisation des tonalités, le manque d’identification, la trop grande densité des dialogues, voire leur inutilité. Quand le muet a cessé d’exister, la crainte, c’était que le cinéma devienne un échange de dialogues et se contente de reproduire ce qu’on voyait sur les scènes de théâtre. Cette crainte était largement justifiée, et de fait, le cinéma est devenu, du moins pour beaucoup de cinéastes, moins visuel, et plus verbeux. La caractéristique des dialogues théâtraux, c’est qu’ils font état des enjeux, du cadre, des sentiments, du passé, du futur… Ils dévoilent tout. Parce que sur scène, pour éveiller l’imagination, donner matière, il faut enfiler ces évocations pour éveiller le spectateur. Un silence, et on voit les anges tomber du ciel. Au théâtre également, la situation s’étire en longueur autour d’un même espace et d’un même temps, parce qu’il faut bien concentrer tout ça à cause des impératifs intrinsèques à la scène. Le cinéma, même aux premiers temps du parlant, n’a jamais cessé alors de chercher à éviter de donner l’impression de s’installer. Le montage permet de s’émanciper de l’espace et du temps, il ne faut pas s’en priver. Il est toujours profitable de montrer ou de suggérer par l’image au lieu de le faire dire par un acteur à travers une ligne de dialogue (une alternance des procédés est sans doute même préférable). C’est le muet qui a rendu cela possible : un gros plan insistant sur un regard en dit souvent davantage que le texte. Et le parlant a alors inventé le plan de réaction quand l’autre déblatère son texte. Richard Brooks le fait à merveille dans Les Frères Karamazov par exemple. Un serveur qui passe déposer un verre, une vendeuse ? Les mains passent, la parole reste, mais notre regard se porte sur l’essentiel : les visages. Une réaction (un plan répondant à un autre), ou les deux personnages compris dans le même plan et jouant une situation commune, un jeu corporel, qui n’apparaît pas dans le texte : un regard qui se détourne, un sourire complice, un soupir, un levé de sourcil… Le langage corporel, le sous-texte infiniment plus significatif que le texte. L’un papote, l’autre fait des personnages nos potes… On ne s’identifie pas à des informations, mais à des comportements, des postures.

Has propose donc un film affreusement verbeux, et statique, malgré les travellings. Les intentions, les doutes, les enjeux, les conflits ou les malentendus, tout est censé passer à travers la parole, et le tout donne une impression d’inexpressivité qui n’est pas sans rappeler les figures de cire qui jalonnent son film. Au lieu d’une poupée, on a plutôt affaire à un manège entier de poupées, toutes aussi inexpressives les unes que les autres.

Vain travelling

On suit donc le parcours de ce personnage dans le monde pour gagner les faveurs de sa demoiselle avec un peu de distance. Comment s’intéresser à un homme qui jamais ne bronche, qui jamais ne doute, qui ne fait que jacasser ou écouter les autres le faire, et qui se trouve finalement très peu souvent confronté à sa « poupée ». L’objet de son attention, de ses rêves, qui devrait être au centre de tout, paraît éloigné, distant, inoffensif, sans intérêt. Si l’enjeu, c’est de séduire la belle, tout le reste est accessoire. Les regards, les silences, doivent ici dire l’essentiel.

Has s’évertue à gesticuler avec sa caméra et ses acteurs, à remplir le cadre de son génie technique, de décors pompeux (moins fascinants que dans la Clepsydre), mais peine trop souvent à faire décoller le film, et quand tout à coup une scène de moins d’une minute pointe le bout de son nez, on est presque surpris. On se met alors à hurler « mais c’est ça le cinéma !  ».

Alors, on peut lire que l’habilité de Has rappelle celle de Visconti ou de Welles. Peut-être dans la mise en place oui. Il se met aussi au niveau de ce que ces deux-là ont de moins glorieux : l’image un peu crade est celle de Senso et les enfilades de dialogues (voire la pesanteur des lieux) rappellent les derniers films de Visconti.

Trois éléments, absents le plus souvent, symbolisent à eux seuls les principaux défauts du film. La musique (quasi absente), les gros plans (quasiment absents, sauf à la fin), et les ralentissements bien sentis pour accentuer un détail, un événement, une expression. Tout fuit au même rythme et à la même échelle. Comme une mécanique de théâtre, comme les rouages d’un automate. Manque donc le cœur, la profondeur, et l’interprétation. Elle est là la science de la mise en scène. Quand la mise en place se focalise sur l’organisation théâtrale des postures et du langage, la mise en scène au cinéma permet l’accentuation par le ralentissement, l’insistance, le choix de l’angle, le silence, le regard. La mise en scène vise à suggérer, quand la mise en place se limite à gérer. Manque au dernier le point de vue, le regard. Rester dans une forme de théâtralité permet de ne jamais avoir à choisir, donc de se tromper. C’est un peu comme jouer un concerto en s’interdisant de jouer de la pédale. C’est pourtant d’elle, aussi beaucoup, que le cœur passe. Accélérer, ralentir, quand il faut, c’est aussi le sens de l’interprétation… On pourrait regarder le film avec un métronome pour noter le rythme à chaque seconde, il serait invariablement le même. Une sorte de rythme d’entre-deux, ni trop rapide ni trop lent, comme le confort toujours de ne pas avoir à choisir. On est un peu comme à la radio où dès qu’un silence passe, c’est le drame. Le bruit, les jacassements des voix sont censés remplir l’image et notre imagination. On a peur que le spectateur s’ennuie, alors on l’ennuie avec un flot continu de dialogues… ou de travellings.

Champ-contrechamp en plan rapproché rare et bienvenu entre les deux personnages principaux

Avant qu’un peu tardivement tout cela prenne son envol (au bout de deux heures tout de même), un détail vient une dernière fois (presque) irriter nos attentes. Nos deux tourtereaux papotent, c’est déjà mieux que d’habitude parce qu’on les voit finalement assez peu réunis, et puis, au moment où une incompréhension jaillit, où on se dit, allez on va gagner un gros plan, un silence évocateur, une interrogation répondant à une pique, eh bien, pas du tout. À peine le temps de rêver à tout ça, et voilà le valet qui vient interrompre le doux concerto qu’ils s’apprêtaient à nous jouer. Et ce n’est pas son entrée seule, c’est le langage… Une présence, on peut l’ignorer, les jacasseries, un peu moins. Surtout à ce rythme. « J’ai un joli nichon…, mais je ne te le dévoilerai pas. » Ça marcherait si on en avait vu un bout. Si on nous le dit, et si on passe à autre chose…, elle peut se les tripoter seule dans son lit, ça nous laissera parfaitement indifférents.

Regardons par exemple l’usage qui est fait du hors-champ (outil de contextualisation comme je le souligne assez souvent, comme dernièrement ici). Si les travellings arrivent assez bien à poser un regard sur le décor, le jeu émotionnel (passant à travers les regards et les gros plans) est peu exploité ; le sous-entendu (s’il existe) ne passe qu’à travers le texte, jamais à travers l’expression faciale ou corporelle ; et les réactions (contrechamp) sont rares. Il faut attendre pratiquement la fin du film pour voir enfin un jeu purement cinématographique entre le chasseur ou sa proie (et l’intérêt ici, c’est bien que les rôles sont un peu inversés), fait de champ-contrechamp. Le procédé est en soi un montage alterné réduit à sa plus simple expression. Si le procédé est souvent surexploité (et passe pour être beaucoup plus créatif ou complexe qu’un travelling savant), il n’y a pourtant rien de plus expressif, de plus suggestif, de plus mystérieux, et de plus beau, qu’un visage (alors un visage qui ment, ou qui pourrait mentir, ou qui, vu à travers l’autre personnage, pourrait mentir…) alors là…, c’est du cinéma. L’intimité apparaît tout à coup à l’écran, on y croit, on voudrait en être.

Étrangement donc, c’est à partir de là que le film décolle. Une gentille scène de lévitation, qui prend son temps, repose l’œil et l’esprit, émerveille. Bientôt suivie d’un plan (travelling…) sur des visages impassibles de femmes. Mais oui, impassibles. Et tout à coup, on n’y voit ni Welles ni Visconti, mais Fellini (il y avait aussi une jolie collection de nibards dans la Clepsydre, et là, si j’ai bien remarqué l’opulente poitrine de la « poupée », il ne saurait être question pourtant de la felliniser).

La scène dans le train par exemple est admirable. Jusqu’à la tentative de suicide et un panoramique final merveilleux (et silencieux) pour achever la séquence… Trop tard. La maîtrise est là ; mais le maître s’est fait un peu trop attendre.


La Poupée, Wojciech Has 1968 Lalka Zespol Filmowy Kamera (11)La Poupée, Wojciech Has 1968 Lalka Zespol Filmowy Kamera (12)

La Poupée, Wojciech Has 1968 Lalka | Zespol Filmowy Kamera 


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Certificat de naissance, Stanislaw Rózewicz (1961)


Les Enfants d’Ivan

Certificat de naissance

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Swiadectwo urodzenia

Année : 1961

Réalisation : Stanislaw Rózewicz

Avec : Henryk Hryniewicz ⋅ Beata Barszczewska ⋅ Andrzej Banaszewski

TOP FILMS

Savoir-faire et techniques de l’école polonaise. Une idée simple, parfaitement menée de bout en bout, structurée autour de trois histoires différentes. Ce film est un petit bijou inattendu à voir absolument pour les cinéphiles appréciant les films sur l’enfance, et sur la guerre. L’Enfance d’Ivan n’est pas loin.

L’idée de départ, c’est de montrer l’invasion allemande en Pologne à travers le regard de trois enfants plus ou moins du même âge. Trois histoires distinctes mais les mêmes errances, les mêmes peurs. Et toujours le refus de tomber dans le pathos. Les enfants de la guerre ne pleurent pas. Ils survivent.

Dans l’une ou l’autre histoire, peu de choses sont expliquées pour comprendre comment ils sont arrivés à ces situations d’abandon. C’est mieux comme ça. On entre directement dans le sujet, et le sujet, c’est eux. Trois contes. Trois Petits Poucet devant trouver leur chemin pour échapper aux ogres. Dans la première histoire, un garçon cherche sa mère sur les routes et se lie d’amitié avec un soldat aux premières heures de l’invasion. Dans la seconde, l’aîné doit aider ses plus jeunes frères en l’absence de leur mère partie chercher de la nourriture à la campagne. Chaque jour, il croise des soldats allemands en train de procéder à des contrôles ; chaque jour, il passe devant un camp de prisonniers qui, un jour, se vide… Dans la troisième histoire, sans doute la plus poignante, une jeune fille juive erre dans la ville à ne pas savoir où se réfugier. Quelques “justes” se relaient et la font placer dans un orphelinat jusqu’à ce que des officiers allemands viennent y fourrer le nez… Sublime finale, à la fois ironique et cruel.

Il y avait matière à faire n’importe quoi. Très peu de lignes de dialogues, on ne fait que suivre les enfants, sans explication, on est mis à leur niveau. Il aurait été facile de tomber dans le pathos, la démonstration, la surenchère. Comme toujours l’art de la mise en scène est une question de bon goût, de juste niveau, de bon angle, de bon ton. Juste, sensible, mais discrète et délicate : la maîtrise est totale. Rien qui dépasse, pas un plan, pas une expression qui tirent vers la mauvaise direction. Ça reste un cinéma orienté, c’est sûr, mais aussi pudique et subtil. Souvent une gageure quand on met en scène des enfants.

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Certificat de naissance, Stanislaw Rózewicz 1961 Swiadectwo urodzenia | P.P. Film Polski

Les enfants, justement, ce qui impressionne, c’est leur jeu. La mise en scène consiste à leur laisser la liberté d’être eux-mêmes et d’attendre de voir ce qui arrive. Le résultat est toujours naturel, mais souvent inintéressant. La méthode polonaise du jeu d’acteur ne doit pas être très éloignée de la russe. C’est une école qui se forme sur les planches, l’école de la rigueur. Même jeunot, un acteur doit être capable de comprendre son personnage, donner du sens à ce qu’il fait, et proposer matière à voir. On ne dit pas qu’il faut être “naturel”, mais “juste”. Quand on dit à un acteur, jeune ou pas, qu’il doit passer à tel ou tel endroit, qu’il doit exprimer tel ou tel sentiment ici ou là, il ne discute pas, il le fait. Il comprend les enjeux, les objectifs, l’état d’esprit, les craintes de son personnage, et alors, il fait, il montre. Et rien ne dépasse : s’il doit être à tel moment à tel endroit, il le respecte. Et pourtant, au milieu de cette rigueur, de ses passages obligés pour donner du sens à une interprétation, les bons acteurs, sont capables d’offrir une aisance et une liberté qui laisse croire que c’est tout le contraire de quelque chose de construit. Seulement, quand vous avez la caméra qui vous attend à un endroit en gros plan, c’est tout sauf le hasard. Et c’est une mécanique digne des plus beaux ballets. Que des gamins arrivent à maîtriser cela, chapeau. Et cela, avec une même constance, une même logique, qui obéit à un désir dans la mise en scène de montrer l’enfance dans sa dignité, son courage face à des événements sur lesquels ils n’ont aucune emprise. Les adultes peuvent être lâches, avoir une peur bestiale, eux sont des héros capables d’affronter sans broncher les vicissitudes de la guerre. Seule la fille dans le dernier volet est parfois à la limite de craquer, mais c’est aussi parce qu’elle est la plus exposée (pis, c’est une fille). Mais elle ne se plaint jamais, elle ne réclame rien, elle n’insiste jamais, et est toujours tendue, à l’affût du danger. Ce sont des roseaux ballottés dans la tempête : inflexibles, droits. Il faut être souple et ferme en même temps. Et c’est pour cela qu’ils sont si sympathiques. Ce ne sont pas des pleurnichards, et même quand ils pleurent, ils regardent leurs bourreaux droit dans les yeux, pour les défier, et pour leur rappeler qui sont les héros, qui sont les véritables « grandes personnes ».

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Les Indispensables du cinéma 1961

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Roman Polanski

Classement :

10/10

9/10

  • Le Locataire (1976)

8/10

  • Chinatown (1974)
  • Macbeth (1971) 
  • Carnage (2011)

7/10

  • Le Pianiste (2002)
  • Rosemary’s Baby (1968)
  • Répulsion (1965)
  • Le Couteau dans l’eau (1962)
  • La Jeune Fille et la Mort (1994)
  • The Ghost Writer (2010)
  • Cul-De-Sac (1966)
  • J’accuse (2019) 

6/10

  • Tess (1979)
  • Lunes de fiel (1992)
  • Frantic (1988)
  • Oliver Twist (2005)
  • Pirates (1986)
  • Quoi ? (1972)

5/10

  • Le Bal des vampires (1967)
  • La Neuvième Porte (1999)

Films commentés (articles) :

simples notes :

J’accuse (2019)

Reconstitution un peu plan-plan. Polanski s’efforce de faire passer une leçon d’histoire pour un thriller — et cet aspect ne me paraît pas bien convaincant : la faute au rythme du film, à l’atmosphère très réaliste malgré les excellents extérieurs et au caractère intrinsèque du film qui pourrait mal s’émanciper de sa nature historique. En revanche, l’intérêt principal du film réside pour moi dans sa jolie brochette d’acteurs, et les meilleurs ne sont pas les plus connus. Si Jean Dujardin s’en tire finalement assez bien, je trouve Louis Garel assez mauvais, Didier Sandre paresseux, et Emmanuel Seigner dispensable comme d’habitude. J’ai été très impressionné par Grégory Gadebois qui dès les premières secondes sort un regard en coin vers Dujardin qui dit déjà tout de son personnage, et j’ai rarement vu un acteur avec un phrasé aussi parfait ; autre acteur avec un phrasé qui écrase tous les autres : Hervé Pierre dans le rôle du général Gonse.

 

Roman Polanski