Le Grand Attentat, Anthony Mann (1951)

Note : 3.5 sur 5.

Le Grand Attentat

Titre original : The Tall Target

Année : 1951

Réalisation : Anthony Mann

Avec : Dick Powell, Paula Raymond, Adolphe Menjou

Un joli polar méconnu de Mann à ranger dans les films à suspense se déroulant dans un train avec un coupable à dénicher parmi les passagers et… une sorte de bombe à désamorcer ou de course contre la montre (déjouer en fait l’assassinat de Lincoln lors de son investiture annoncée à Baltimore).

On est entre Speed et Le Crime de l’Orient-Express avec une touche de The Narrow Margin. C’est parfois un peu naïf dans sa morale (il faut sauver Lincoln parce que c’est vraiment un type bien, du genre à vous tenir la porte, si, si), des rebondissements que même moi je les vois signalés à des kilomètres par le chef de gare.

Le seul hic du film vient du manque de charisme évident de l’ancien benêt des comédies musicales, Dick Powell, tenant ici le rôle principal. Un freluquet pour jouer un dur, rusé et sage. On sent qu’il a appris sa leçon, il copie comme il faut les petits gestes des meilleurs acteurs qui en imposent, mais dès qu’il prend un air sérieux, investi, pénétré, autrement dit tout le temps, on sent qu’il force sa nature et on rêve de voir un vrai acteur qui en impose, naturellement, à sa place.

Un qui n’a pas à forcer sa nature, c’est Adolphe Menjou, qui trouve ici un rôle de salaud conspirateur à la hauteur de sa jolie carrière de fasciste : il est parfait. (Comme quoi, ce n’est pas toujours les types biens qui ont le plus de talent.) (Sinon Lincoln en aurait été un, d’acteur, et il n’aurait pas été assassiné par un autre… acteur.)



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T-Men, Anthony Mann (1947)

Une brigade d’acteurs et de personnages formidables

La Brigade du suicide

Note : 4 sur 5.

Titre original : T-Men

Année : 1947

Réalisation : Anthony Mann

Avec : Dennis O’Keefe, Charles McGraw, Wallace Ford, Alfred Rydern, June Lockhart, Mary Meade, Jane Randolph

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Comment un film de propagande à la gloire du fisc américain arrive-t-il à être produit par une société de production anglaise ?… Et surtout, comment arrive-t-on à tirer le meilleur sur un tel sujet ? Non, mais pourquoi ne pas faire de bons polars avec des huissiers de justice aussi…

L’idée est donc plutôt originale, au départ. Les agents du fisc, vu comme ça, ça ne donne pas vraiment envie. Sauf qu’on les voit en pleine action, mener une large infiltration dans tout le milieu des faux-monnayeurs. Film noir, oui. Des flics, bien particuliers, qui ne sont pas pour une fois à la poursuite d’un meurtrier ; des gangsters, mais un milieu très peu montré au cinéma, et c’est sans doute dommage, parce que les usages ne changent pas de ceux qu’on peut voir dans les autres films « policiers », leurs méthodes restent les mêmes.

Le plus réussi ici, c’est l’atmosphère de film noir. Le sujet se prête particulièrement bien au genre. Des flics qui s’infiltrent chez l’ennemi. Un ennemi qu’il faut d’abord identifier. C’est un peu comme un jeu de piste : il faut débusquer l’ennemi, se faire passer soi-même pour un faux-monnayeur et remonter petit à petit les échelons qui vous mèneront au boss des boss. On n’est pas loin d’un scénario de jeu vidéo. Rarement le même décor, une rencontre avec des tas de personnages secondaires (je vais y revenir). Ce n’est pas statique. Rarement une scène dépasse les deux minutes. Au point de vue du rythme, c’est typique du film noir : des scènes lentes mais courtes, auxquelles quelques scènes des violences servent de contrepoint, tout ça monté très rapidement ; seule l’action de la trame générale qui doit mener le héros à s’approcher de plus en plus près du grand boss, compte. Aucune scène ou dialogue superflus. À la limite d’une démonstration, d’un documentaire — un play-by-play d’une opération du fisc pour approcher et faire arrêter ces faux-monnayeurs.

Le ton est volontairement sérieux, austère, avec une voix off assez didactique, qui pour une fois dans un film noir ne reflète pas la pensée du héros, mais présente en quelque sorte le point de vue du Trésor américain (le film commence d’ailleurs par un représentant du Trésor…, est-ce un comédien, un mec qui « joue » son propre rôle ? difficile à dire, mais ça donne au film son caractère, ancré fermement dans la réalité). Mêler style documentaire et film noir, avec ses ambiances étouffantes, c’est quelque chose qui se marie bien.

J’en ai déjà dit pas mal sur l’histoire, donc inutile de dévoiler le reste. Je voudrais revenir sur les personnages et les acteurs. Rarement, j’aurais vu dans un film autant de personnages secondaires si bien écrits, parfaitement définis. Souvent des archétypes du film noir : le truand couard et apeuré, la fille de bar qui sert de la messagère, l’homme de main, le flic dévoué mais malchanceux (en opposition avec le personnage principal souvent plus roublard, qui, lui, a un bol toujours énorme dans son malheur : d’un côté, le récit a besoin de le plonger dans des intrigues impossibles, et d’un autre, il arrive toujours à s’en sortir par la ruse ou la chance…), la femme fatale, le technicien à lunettes indispensable dans un organigramme, etc. Ils sont pratiquement tous là, et le film arrive pourtant à leur laisser suffisamment de champ pour qu’on les identifie bien, même si on ne les voit que pendant une, deux scènes. C’est même ça la force du récit : dans un tout autre film, on a des personnages secondaires, on les voit une fois et on les oublie. Là ce sont bien souvent de vraies scènes avec le personnage principal, et ils sont un peu comme des repaires sur une pelote de laine que le héros tire pour arriver au boss : dans un premier temps la pelote en tirant dessus dévoile un à un ses personnages, puis on tire dessus pour faire apparaître d’autres personnages qui sortent de la pelote. Ils naviguent autour du personnage principal comme des satellites ou des mouches commandés par le boss qui, lui, reste dans l’ombre, alors que ses hommes font les go-between entre lui et le héros.

Les acteurs, pour cela, aident bien. Il faut pour ces personnages secondaires fabuleux, des comédiens pleins d’autorité et d’intensité. Comme dans L’Île au trésor : le récit nous dévoile un à un au début du livre les hommes de Long John Silver, tous de braves gaillards qui inspirent à la fois crainte et fascination dans l’esprit de Jim, jusqu’à la rencontre avec le boss… crescendo… On n’est donc pas du tout dans l’optique des moins-que-rien travaillant pour un boss. C’est beaucoup plus intéressant et spectaculaire ainsi. Il fallait trouver des acteurs de qualité pour cela. Ils donnent au récit une tenue bien plus crédible que s’il y avait une star et à côté des zouaves : là, le personnage principal est excellent acteur mais pas une star, et les autres sont à son niveau (chacun ayant droit à ses gros plans si c’est nécessaire).

Nous avons donc Dennis O’Keefe en infiltré du Trésor américain (un petit côté Dana Andrews).

Charles McGraw, en homme de main (chargé des interrogatoires : la scène est visible sur Youtube). Grosse carrière pour lui : il est notamment l’entraîneur des gladiateurs dans Spartacus ou le policier dans l’excellent Énigme du Chicago Express.

Les femmes y ont un rôle très anecdotique, mais on les remarque dans des scènes marquantes. June Lockhart, qui joue la femme du coéquipier infiltré. On ne la voit que dans une scène aux conséquences terribles pour son mari.

Mary Mead, qui joue la fille de bar (boîte de nuit plutôt, qu’il faut avoir dans tout bon film noir).

Le meilleur pour la fin, un rôle un peu moins anecdotique, celui du personnage le plus haut placé après le boss, donc une surprise de voir cette vamp à cette place (et dire que ça fait seulement trois ans que les femmes ont le droit de vote en France… et là, on voit que le Premier ministre de la pègre est une femme). Jane Randolph ; avec son petit nez assassin à la Janet Jackson.

Il faut remarquer aussi la belle ironie du titre français (Brigade du suicide), qui rappelle bien à quel point cette opération d’infiltration est dangereuse. Le « T » de T-men renvoie, lui, à Treasery dans Secretary of Treasery. C’est le surnom des super gentils que les super méchants ont inventé pour les identifier (la mission est d’autant plus difficile qu’ils se savent infiltrés et la suspicion est donc permanente dans le film : il suffit de voir le regard Mrs Simpson…).


La Brigade du suicide, T-Men, Anthony Mann 1947 | Edward Small Productions, Bryan Foy Productions


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Men in War (Côte 465), Anthony Mann (1957)

Carrousel pour le mort

Côte 465

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Men in War

Année : 1957

Réalisation : Anthony Mann

Avec : Robert Ryan, Aldo Ray, Robert Keith

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Excellent film de guerre antimilitariste.

Unité d’action : durant la guerre de Corée, un détachement de quelques soldats menés par un lieutenant interprété par Robert Ryan et cherchant à rejoindre leur division, se retrouve bloqué devant une colline tenue par l’ennemi. Ils essayeront de la contourner en vain : un à un les soldats de cette unité vont disparaître comme dans les meilleurs films d’élimination (du type Dix Petits Nègres, Alien…).

Unité de temps : l’action se déroule sur à peine une journée et montre toute l’absurdité de la guerre, le désespoir des soldats, leurs craintes, leurs folies… Tout tend à montrer dans ce jeu d’élimination où l’ennemi est invisible, que la guerre est absurde. Tant de morts en si peu de temps, pourquoi ? Rien. Tenir une position, retrouver les siens qui ne sont qu’à quelques mètres…

Men in War (Côte 465), Anthony Mann 1957 | Security Pictures

Unité de lieu : énorme paradoxe. Ils cherchent à rejoindre leur unité, à contourner cette colline, à éviter le feu de l’ennemi, donc ils avancent, mais au fond ils sont comme dans un carrousel : ils ont beau avancer, marcher, ils n’avancent pas d’un iota, puisqu’ils continuent de se faire canarder, un à un.

Une structure modèle donc pour cette histoire. Après, il reste le ton du film. On est très loin de la propagande de certains films où le soldat est la figure moderne du héros : courageux, inventif, intelligent, investi pour sa patrie. Là, les simples soldats sont apeurés et bientôt fous. Le général et son « fiston » sont des personnages de théâtre, semblant sortir des no man’s land de Beckett : le génie de ces personnages qui arrivent dans un second temps, un peu comme Pozzo et Lucky dans En attendant Godot, c’est qu’ils ont un vécu fort, ils portent en eux, dans leur comportement, les blessures et les traumatismes du passé. Pourtant, on ne saura rien des raisons de ces traumatismes. Ce qu’on imagine en voyant ça — toujours le pire — c’est qu’ils réchappent du cauchemar que vont maintenant vivre ceux qu’on suit depuis vingt minutes. — Ça rappelle un peu dans le principe, l’imaginaire de Cube : « Tu crois que tu es dans la merde parce que tu es bloqué ? Non, tu n’as encore rien vu ! ». Ils sont comme des personnages revenant de l’enfer, aidant ceux qui plongent : ils en sont sortis, ils y retournent, mais s’ils en réchappent, c’est aussi parce que le « fiston » se méfie de tout et flingue tout ce qui bouge. La morale est claire : ceux qui réchappent à cet enfer ne peuvent être que des salauds ou des fous. La réussite, c’est de ne pas faire de ce « fiston » un cinglé total ou un salaud conscient de ses actes : il passe pour un rusé, un roublard qui se méfie de tout et de tout le monde. Et bien sûr les roublards, le public adore ça.

C’est un théâtre d’ombres et de carcasses fumantes, d’antihéros, ou des héros désabusés, indisciplinés, las. Personne n’obéit aux ordres. Parce que seule la mort gouverne sur ce seuil. Tout le monde se plaint. Mais le lieutenant s’en fout. Il a le sens des responsabilités et aime ses hommes, mais il ne se fait guère d’illusions sur l’issue de leur voyage. En enfer, chacun roule pour sa pomme.

Un plaidoyer efficace, mais désespéré, contre la guerre et son absurdité.

Je ne suis pas fan des westerns d’Anthony Mann. Je préfère de loin ce Côte 465 un peu en marge.



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Les Indispensables du cinéma 1957

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Les antifilms

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Romance inachevée (1954), Anthony Mann

The Glenn Miller Full Pschitt

Romance inachevée

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : The Glenn Miller Story 

Année : 1954

Réalisation : Anthony Mann

Avec : James Stewart, June Allyson

La première partie est bien. On suit Miller dans son évolution vers le succès. C’est un type de récit classique : l’artiste fauché qui va peu à peu se faire sa place dans le monde. Son rapport avec sa femme est singulier, ça fait avancer le film.

Mais une fois qu’ils arrivent au succès on quitte le récit traditionnel pour une simple hagiographie de Miller. L’histoire vraie de Glen Miller… sauf que je ne vois pas ce qu’il y a de particulièrement singulier dans cette histoire… Elle est tragique bien sûr, mais affreusement banale. Et pour une fois le titre français est bien vu et ne manque pas d’humour. Parce que certes, il y a une romance inachevée, comme toujours quand un membre du couple disparaît tragiquement, mais là, c’est le film qui est inachevé. Une demi-heure sans intérêt où on suit la réussite de Miller, sans un brin de conflit, d’obstacle à l’avancée de sa gloire, et puis tout s’arrête d’un coup dans un accident d’avion qui n’est qu’évoqué. On ne prend même pas la peine de mettre en scène son “aventure” durant la guerre, parce qu’il n’y a rien à raconter. Le seul fait d’armes, du « commandant Miller », c’est d’avoir osé jouer sa musique durant un défilé de troupe (ouh là là ! quelle audace ! quelle impertinence !)… Et là, même pas de problème pour le personnage, puisque le général a aimé. C’est un peu comme si on racontait ce qui se passe après le « et ils se marièrent et eurent tout plein de mioches »… aucun intérêt.

Romance inachevée 1954, Anthony Mann | Universal Pictures

Heureusement qu’il y a cette première partie avec notamment une apparition de Louis Armstrong et la présence de June Allyson (déjà charmante dans Les Quatre Filles du Docteur March). Une manière de prouver une fois encore que derrière chaque « grand homme » il y a souvent une femme pour montrer la voie (c’est souvent valable pour les hommes politiques — cf. la femme de John Adams pour citer un exemple qui me vient à l’esprit — mais souvent aussi pour les artistes, donc).

Ce film était peut-être une manière de remercier Miller qui a beaucoup contribué à la musique d’une époque (la bonne vieille musique de papa qui paraissait si insolente, si “hot” à l’époque). Mais le film ne mérite pas tous les honneurs qu’il a eus à l’époque. C’est un demi-film, un film inachevé.



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Les Indispensables du cinéma 1954

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La Ruée vers l’Ouest (Cimarron), Anthony Mann (1960)

L’urée de l’Ouest

La Ruée vers l’Ouest

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : Cimarron

Année : 1960

Réalisation : Anthony Mann

Avec : Glenn Ford , Maria Schell , Anne Baxter , Charles McGraw

Une épopée qui manque vraiment de souffle. C’est une excellente idée de vouloir raconter l’histoire d’un pionnier de l’Amérique, un idéaliste qui ne tiendra pas en place, incorruptible, tandis que tous ses amis finissent par s’enrichir. Il s’agit en fait plus d’un film sur sa femme qui reste à la maison et qui l’attend, tandis que lui vit des aventures aux quatre coins de l’Amérique ou du monde. L’épopée prend du plomb dans l’aile. L’idée, on le sent, c’était sans doute de vouloir faire une sorte d’Autant en emporte le vent sur ce thème des pionniers, avec Maria Schell au centre de cette histoire en lieu et place de Vivien Leigh. Mais Scarlett est toujours au centre de tout, elle est active, c’est elle la pionnière quand son mari est lui aussi on ne sait où. Le personnage de Maria Schell n’a rien de passionnant. Si c’était vraiment l’histoire de Cimarron, il aurait fallu le suivre dans ces périples, ses envies de bougeotte. On aurait eu notre épopée et le titre du film (français) aurait un sens. C’est dommage parce que ce film reste à faire.

La Ruée vers l’Ouest (Cimarron), Anthony Mann (1960) | Metro-Goldwyn-Mayer (Image tirée de la b-a)

Ce qui dérange également, c’est le manque d’unité d’action. On ne sait pas trop quel est véritablement le sujet du film. Ça part dans tous les sens, et à force de s’égarer, on ne va nulle part. Un film sur les pionniers, d’accord, mais dans ce cas, il faut rester là-dessus, creuser ça au lieu de perdre de vue le personnage de Glenn Ford en route et surtout l’envoyer dans des lieux qui n’ont plus rien à voir avec l’histoire de ces pionniers… Entre Cimarron et la Ruée vers l’Ouest, il faut choisir (d’ailleurs la confusion entre le titre us et français symbolise bien ce manque de cohérence). Un tel sujet aurait nécessité plus d’ampleur, plus de cœur. On a droit à une histoire du type « triangle amoureux », mais ce n’est pas creusé, et c’est un de ces éléments qu’on perd en route sans raison.

Dommage, un tel thème mériterait son film, sa grande épopée. Il y a un certain nombre de thèmes qui sont à peine développés et qui auraient été plus intéressants si le récit y avait montré plus d’attention. On a une suite de scènes réussies prises séparément mais inégales et sans rapport. Le film ne vaut finalement que pour ces quelques scènes. Par exemple on a la scène qui va déterminer les places de chacun dans le nouvel état qui vient de se créer et qui est encore inhabité, l’Oklahoma : tous les pionniers se tiennent sur une ligne et quand l’armée lance le départ, tous s’élancent à l’assaut de leur parcelle de terrain sur leurs chevaux, à bord de leur chariot, à pied, sachant qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde. C’est un peu l’ouverture des magasins le jour des soldes, sauf que là, le magasin, c’est tout un État. Ensuite, il y a aussi cette scène dans laquelle, une petite fille indienne se prépare à rentrer à l’école pour son premier jour de classe. Elle entre dans l’école, sa veuve de mère la regarde toute fière en compagnie de Glenn Ford et de Maria Schell qui sont les amis de cette Indienne, et quelques instants après, la petite fille sort de l’école, vient dans les bras de Ford et lui dit qu’ils ne veulent pas d’elle… 1960, dans le Sud, on assistait à des scènes identiques… Le côté obscur de cette ruée vers l’Ouest. Ce n’est malheureusement pas creusé, tout comme le thème de l’incorruptible Cimarron, à qui on propose de devenir gouverneur, mais qui refuse parce que c’était l’un de ses amis pionniers, un magnat du pétrole qu’il avait aidé à une époque, qui voulait le mettre en place… La morale de l’histoire est claire : il est facile de réussir, si on met ses idéaux au placard ; et les véritables pionniers, ceux qui se sont enrichis, sont ceux qui se sont laissé corrompre ou qui ont eux-mêmes corrompu. Le parcours de cet ami de Cimarron est justement intéressant, mais toujours… anecdotique dans le film. Ford le rencontre sur la route vers l’Oklahoma, alors qu’il n’a même pas de cheval pour tirer son chariot, Ford l’aide, puis il échoue pour récupérer une terre cultivable, Ford lui conseille de rechercher du pétrole, il en trouve finalement des années plus tard, devient riche, vient alors la scène où leur destin s’oppose. Ford vient tout heureux apporter une nouvelle qui le ravit : les Indiens qu’on avait enfermés dans une réserve, sur une terre que personne ne voulait, ont finalement trouvé du pétrole… Son ami, lui dit qu’il est déjà au courant et qu’il s’est empressé d’acheter les terres de la réserve… Encore une fois Ford-Cimarron, l’idéaliste ne supporte pas le sort réservé aux Indiens. Et c’est d’autant plus douloureux venant de l’ami qui lui doit tout…

Il y avait matière à un super film, mais il est trop mal fichu. Et Mann est probablement un des cinéastes les plus surcotés de l’Ouest. Ses autres westerns sont corrects sans jamais être transcendants. Et ses meilleurs films sont des films noirs (T-Men[1]) ou des films de guerre (Men in War[2]).

L’original tourné trente ans plus tôt est bien meilleur.


[1] T-Men

[2] Men in War



Sur La Saveur des goûts amers :

Les 365 westerns à voir avant de tomber de sa selle

Liens externes :


Anthony Mann

Filmographie et classement :

10/10

9/10

  • Côte 465 (1957) 

8/10

  • La Brigade du suicide (1947) 
  • Incident de frontière (1949)

7/10

  • Winchester 73 (1950)
  • L’Homme de la plaine (1955)
  • L’Appât (1953)
  • Du sang dans le désert (1957)
  • L’Homme de l’Ouest (1958)
  • The Tall Target / Le Grand Attentat (1951) 
  • La Porte du diable (1950)
  • Les Furies (1950)
  • Il marchait la nuit (1948)

6/10

  • Les Affameurs (1952)
  • Le Cid (1961)
  • Quo Vadis (1951)
  • Je suis un aventurier (1954)
  • La Chute de l’Empire romain (1964)
  • La Charge des tuniques bleues (1955)
  • Marché de brutes (1948)
  • L’Engrenage fatal (1947)
  • Le Livre noir (1949)

5/10

  • Romance inachevée (1954) 
  • La Rue de la mort (1950)
  • La Ruée vers l’Ouest (1960) 

Films commentés (articles) :

Simples notes : 

Le Livre noir (1949)

Mélange étonnant de noir, de film historique, d’espionnage et, comme toujours à Hollywood, de romance (voire de western, à la fin). L’alliance est assez réussie, et il faut saluer les efforts d’inventivité, mais film noir rime aussi souvent avec série B. C’est pas mal du tout si l’on considère les limites budgétaires du machin, mais ce sont justement aussi ces limites qui empêchent le film de réellement décoller. Quelques audaces de mises en scène (surtout au début), propres aux noirs de Mann, et qu’il cessera d’employer en tombant dans le classicisme des westerns. Richard Basehart en Robespierre, ça vaut aussi le coup d’œil.

Il marchait la nuit (1948)

Pas mal du tout pour un noir sans grandes prétentions sinon à parfaitement servir la soupe à la police. On y retrouve un petit côté Dirty Harry sans (code Hays oblige) l’inspecteur Harry. Les criminels solitaires abondent dans les films noirs, voire les séries B de cette époque, mais ils sont presque toujours dépeints comme des psychopathes ou des personnages antipathiques. Le fait que le film relate (c’est en tout cas ce qu’il prétend) une histoire vraie pousse sans doute les studios à accepter de coller à la réalité (le criminel est présenté sous un jour plus ou moins flatteur : une sorte de génie). La performance de l’excellent Richard Basehart (l’un des frères Karamazov dans l’adaptation de Richard Brooks) va d’ailleurs dans ce sens : l’acteur ne force pas trop le trait (de la caricature maléfique du meurtrier) et en fait un être presque quelconque et charmant (on insiste beaucoup sur ses failles au début du film). Annonce la vague de films sur des criminels solitaires des années 70.

L’Engrenage fatal (1947)

La même année que T-Men, on retrouve le joli minois (sorte de Janet Jackson blonde) de Jane Randolph (images du phénomène dans le commentaire sur T-Men). Elle est malheureusement beaucoup moins crédible en idiote qu’en femme fatale. Pas une question d’emploi, mais bien de talent. Jane n’est pas très douée. Elle l’aurait été, avec un physique pareil, elle serait devenue une star. Les autres acteurs s’en sortent légèrement mieux (sauf le chef mafieux amateur d’Oscar Wilde qui est vraiment pitoyable), pour une série B. Et pour le reste, un noir tout ce qu’il y a d’anodin. Un faux coupable idéal, tellement parfait qu’on préfère l’oublier à toute vitesse derrière les barreaux. Une sœur forcément dévouée au petit chef de famille capable de défier les malfrats et leurs méchantes balles. Et des flics, au début, à côté de leur plaque. On se demande comment un cerveau ayant imaginé un coup aussi bien ficelé arrive à être si peu précautionneux au point d’apparaître très vite comme un coupable de substitution idéal, mais ça, c’est le code Hays, il faut toujours que les criminels soient trahis par leur bêtise, et… soient méchamment exécutés à la fin (la justice, c’est pour les cols blancs ou les innocents, pas les criminels ; eux, la morale exige qu’ils soient malencontreusement assassinés par le gentil flic de l’histoire : refus d’obtempérer, dirait-on de nos jours). Il y a une idylle en plus de l’enquête criminelle, on s’en serait douté. Voilà, rien de fabuleux. On enchaînait les films noirs à l’époque, on « broyait du noir », et celui-ci n’est ni le plus mauvais ni le meilleur du lot. Circulez.

Les Furies (1950)

Jolie production comparée à La Porte du diable sorti la même année. J’aurais toujours un petit faible pour les intérieurs composés avec des éléments denses remplissant l’espace. La photo est magnifique quand bien même on aurait pu se passer des nuits américaines. Le casting surtout est au poil : Barbara Stanwyck, Wendell Corey, Walter Huston et Judith Anderson. Wendell Corey, sans doute plus habitué aux personnages dangereux, excelle dans sa partition (pas de cils, yeux clairs, grand front, pas sûr que ça aide à l’écran). Tout pourrait être parfait, sauf que les histoires d’ambition et de lutte de pouvoir familiale, les guerres de territoires, cela ne m’a jamais bien transcendé. Au final, tous les personnages sont antipathiques ; on frôle peut-être la satire, mais j’avoue qu’il manque un petit quelque chose capable de m’enthousiasmer… Au mieux, on peut y voir une critique de la propriété privée (avec un sujet qui court également dans La Porte du diable, voire dans Winchester 73, celui de l’appropriation des terres par des Blancs).

La Porte du diable (1950)

Deuxième western pour Tony juste après Winchester 73. Une fois n’est pas coutume : louons le travail du scénariste (Guy Trosper) pour cette histoire pleine d’humanité qui met l’Amérique face à ses démons (le génocide des autochtones amérindiens). Pour le reste, ce n’est guère brillant. Je me rappelle une forme assez classique dans Winchester 73 ; or ici, à mon goût, Mann s’amuse un peu trop avec la profondeur de champ comme il avait pu le faire, de mémoire, dans certaines séquences d’Incident à la frontière. Ce ne serait pas aussi pénible si sa direction d’acteurs était parfaite, mais c’est loin d’être le cas. Robert Taylor (si on accepte d’omettre l’idée qu’il n’a rien d’un Amérindien) est trop vieux pour le rôle. L’acteur a surtout l’air complètement perdu dans certaines séquences, ce qui laisserait penser que Mann ne l’a pas suffisamment dirigé en lui rappelant le sens ou le style qu’il voulait donner à la situation. On le voit ainsi reproduire des attitudes qui ne correspondent parfois pas totalement à la situation, et comme on sent encore qu’il s’agit d’un acteur de la vieille école, on peine à y croire. C’est même peut-être pourquoi je n’ai jamais apprécié les westerns de Mann : bien qu’il s’amuse ici quelques fois trop avec la profondeur de champ, sa mise en place générale d’un classicisme rigide et ennuyeux n’a rien de suffisamment transcendant pour en faire des chefs-d’œuvre. Qu’il fasse des films noirs ou des films de guerre, Mann donnera toujours l’impression d’être perdu dans les années 40.

Anthony Mann