L’Histoire d’Adèle H., François Truffaut (1975)

Le meilleur film de François T.

L’Histoire d’Adèle H.

Note : 5 sur 5.

Année : 1975

Réalisation : François Truffaut

Avec : Isabelle Adjani, Bruce Robinson, Sylvia Marriott

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Ce n’est pas un film, c’est une fulgurance. Une unité d’action parfaite, un seul personnage et un récit qui fuit jusqu’à une issue prévisible et fatale.

Pour moi, le meilleur film, et de loin, de François Truffaut (dont je suis loin d’être fan). À la fois, le premier film révélant le génie d’Isabelle Adjani en tant qu’actrice adulte, et aussi sans doute encore son meilleur film également (elle reviendra un peu plus de dix ans après avec un film assez similaire, Camille Claudel).

L’histoire retrace une époque de la vie d’Adèle Hugo, fille du poète, follement amoureuse d’un lieutenant anglais qu’elle suit jusqu’en Nouvelle Écosse alors que lui ne veut plus la voir. Amour impossible, à sens unique, qui se transforme petit à petit en obsession et en folie. Tout le film, Adèle est au centre de tout. Quand on la quitte brièvement, ce n’est que pour montrer les conséquences de ses actes et de ses audaces folles. Le sujet, c’est Adèle, son obsession pour son homme, et rien d’autre.

My father is Hugo, Victor Hugo

Le sujet a un côté littéraire, voire théâtral, qui a dû bien plaire au cinéaste en bon fan de Balzac qu’il était, car Adèle occupe ses journées et ses nuits à écrire son journal (journal réel qui sert de base au film). L’occasion pour Truffaut d’utiliser des effets baroques qu’il a rarement utilisés, mais qui donnent un côté romanesque, romantique, au film. C’est le Taxi Driver de Truffaut, son Apocalypse Now. Pas besoin de voix off cependant. Les « monologues », c’est Adèle qui les produit en direct en écrivant son journal ou ses lettres. L’effet aurait pu tomber dans le ridicule avec une actrice ordinaire, seulement, c’est peut-être la meilleure actrice qu’ait connue le cinéma français (avec Isabelle Huppert, Jeanne Moreau ou Catherine Deneuve). Adjani a vingt ans dans ce film, et je n’ai pas le souvenir d’avoir vu une performance d’acteur aussi parfaite, aussi pleine d’imagination, de folie, de création, de sensibilité, de justesse, à cet âge… Un véritable génie qui déjà à 17 ans interprétait le rôle d’Agnès dans L’École des femmes à la Comédie française (il y a des images assez connues de son « le petit chat est mort »[1]).

Un film que je revois pour la quatrième ou cinquième fois avec toujours autant de plaisir.


[1] Pas trouvé la représentation filmée, mais des extraits sur le site de l’INA : http://www.ina.fr/art-et-culture/arts-du-spectacle/video/CAF90050388/l-ecole-des-femmes.fr.html

L’Histoire d’Adèle H., François Truffaut (1975) Les Artistes Associés, Les Films du Carrosse, Les Productions Artistes Associés

Padre padrone, Paolo Taviani, Vittorio Taviani (1977)

Padre padrone 

Padre padroneAnnée : 1977

Vu le : 19 mai 1997

9/10  IMDb

Réalisation :

Paolo & Vittorio Taviani


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Journal d’un cinéphile prépubère : 19 mai 1997

L’ensemble (scénario, mise en scène) est incroyable. À l’image d’une séquence : l’enfant garde la bergerie, le premier, le second, et le troisième plan montrent successivement un chien qui crie, un serpent qui siffle et un âne affolé ; seulement au quatrième plan, on voit l’enfant qui a peur ; au cinquième, avec l’ellipse de la transition (on va droit à l’essentiel), l’enfant court et son père vient le rattraper. Ainsi la mise en scène ne montre que ce qui est nécessaire, et exceptionnel, d’où l’utilisation d’ellipses dans les transitions, et la stéréotypisation des actions (toujours une action ou une situation pour une séquence et un plan pour une sous-action, pour la clarté). On est loin du naturalisme. Ce serait plutôt du symbolisme, voire quelquefois du surréalisme. Le récit a quelque chose de mystérieux, de fataliste. Cela pourrait parfois rappeler Pasolini, mais avec moins d’intellectualisme et de cocasserie folklorique (Des oiseaux petits et gros), et avec plus de pathétisme (panthéisme ?), de ludisme, de spectacle : c’est un vrai drame, une chronique où le temps s’échelonne sur plusieurs années, les actions sont concrètes, moins thématiques que chez Pasolini. Le sujet, le thème, c’est l’histoire, la fable, la morale est celle qui pourrait être suggérée par l’action (?).

Certains procédés de mise en scène sont intéressants, comme avec le traitement du son, les voix des animaux, la musique subjective en pleine campagne.

La première partie utilise beaucoup ce genre de procédés pour mettre en scène l’attente, le néant, de la vie du garçon. Alors que la seconde partie, dès ses vingt ans, l’action se met en route : relations entre le père et le fils, son éducation… Effet superbe quand, à la fin, le narrateur réapparaît, et on revoit la scène du début où son père le cherche à l’école, là même où on l’avait laissé sous cet angle (presque à ce moment du Tarantino.)


Au fil du temps, Wim Wenders (1976)

Au fil du temps

Im Lauf der Zeit Année : 1976

7/10 IMDb

Réalisation :

Wim Wenders


Vu le : 18 mai 1997

Journal d’un cinéphile prépubère : le 18 mai 1997

Un peu chiant, mais techniquement, dramatiquement, c’est épatant. Chaque séquence (quelques fois très courtes comme au début avec un montage alternatif) présente une action générale, et chaque plan présente une sous-action. Pas à proprement parler d’histoire, aucune problématique énoncée, c’est une rencontre et la description quotidienne de cette rencontre.

Il y a dans ce néant et ce mystère une description autistique des personnages entre eux et avec leur environnement (le road movie est un thème récurrent chez Wenders), un peu comme chez Antonioni, avec une intelligence dans le découpage qui fait qu’on suit malgré l’ennui ou l’absence de but défini.

Wenders admire l’Amérique, mais son style est très proche du cinéaste de Profession : Reporter avec lequel il a réalisé Par-delà les nuages.

On ne trouve certainement pas plus clair et précis qu’un scénario de Wenders. Chaque plan détermine une étape de l’action séquentielle (exemple : il arrive = un plan ; ils discutent sur un sujet précis = un autre plan ; l’un des deux n’est pas content = un plan qui conclut la séquence). Il construit ainsi son découpage selon la construction et l’évolution dramatique naturelle imposées par la logique des personnages. L’échelle de chaque cadre est par ailleurs déterminée en fonction de l’importance qu’il veut donner à l’action (une sous-action sera unique dans un plan, et si on change de sous-action, il change de plan).

Au fil du temps, Wim Wenders (1976) | Westdeutscher Rundfunk (WDR), Wim Wenders Productions

C’est dommage qu’un tel talent formel, constructif, n’ait pas un sujet plus concret, moins intellectuel, en tout cas plus dramatique ou spectaculaire. Une rencontre entre deux personnages si différents est, sur un point de vue dramatique, anecdotique ; l’essentiel du spectacle se situe sûrement dans leur passé, voire parfois dans les ellipses (c’est classique, dans un certain naturalisme, on évite tout ce qui est dramatique, ce qui pourrait trop faire évoluer l’action ; on évite l’officiel ou les démarches publiques, dramatiques). Pickpocket avait le même génie constructif mais le sujet était plus concret et plus dramatique, constitué d’événement d’importance, au moins dans la vie du personnage principal (comment devient-on pickpocket, suggérer le pourquoi en montrant que les conséquences, et montrer une certaine morale sans sa déchéance). Au mieux, les évolutions dramatiques dans Au fil du temps, sont psychologiques, mais toujours banales, quotidiennes et sans conséquences, à l’image de leur voyage inutile, et qui fait faussement évoluer le drame en faisant croire qu’ils vont quelque part, qu’il y a une destination à leur périple.

Le style de Wenders est un faux naturalisme. On n’y manque pas de contrôle ni de choix. Les situations générales (la rencontre et le reste) sont cocasses, la plupart des actions sont naturalistes (descriptives et banales, ne permettant pas d’évolution dramatique franche entre les séquences ou à l’intérieur même des séquences), mais la manière de leur donner un sens et une place dans un cheminement dramatique aussi précis, l’artificialise, la rend narrative, et presque l’expression naturelle d’un cinéaste (?).

Le manque d’évolution dramatique est compensé par la structure et le genre propre du road movie qui à lui seul attise l’imagination du spectateur. Il compense la sécheresse du drame, et on a l’illusion d’un drame grâce à sa seule nature codée et suggestive : on suit, contemplatif et interrogatif.

Voici donc pour la forme. Mais le fond, s’il existe, m’échappe totalement. Même si je ressens l’unité, je ne peux comprendre ce qui l’érige dans les thèmes abordés. Bref, je n’y comprends rien. Je me sens comme un idiot, émerveillé par ce fond plein de mystère pour moi, mais surtout par une construction et une mise en scène qui me laissent rêveur.

Même si c’est franchement ennuyeux, l’intérêt n’est pas celui d’action pure, ni par exemple la recherche d’un criminel, c’est plus fin : l’intérêt naît du mystère et de l’inconnaissance du sujet. On tente ainsi de comprendre en cours de route la signification d’un tel voyage et ce voyage est en soi un road movie, le nôtre. Cette idée se rapproche de ce que Kieslowski disait : pour lui il fallait tâcher de comprendre (sauf peut-être qu’il était question pour lui de comprendre les personnages, alors qu’ici, on en est presque à essayer de comprendre le film, qui devient ainsi peut-être lui-même cet objet étrange, personnage à part entière, qu’il faudrait comprendre). Une évolution possible du cinéma, se questionnant sur l’objet cinéma, plus que sur les sujets mis en évidence dans un drame classique. Bresson par exemple disait que le mystère naissait de l’absence de causes dans le récit, et l’exposition des effets : c’est exactement ce qui arrive ici, car on ne perçoit que les effets d’un thème abordé, autrement dit l’action, qui ne serait ainsi que la conséquence d’autres événements qui, mêmes là encore, tout aussi banals ne nous sont pas connus. On le voit bien, toute la question minimaliste de Wenders est toujours d’en dire le moins possible sur de possibles causes à ce qu’on voit décrit dans le film ; c’est pourquoi, même quand ils semblent se dévoiler un peu, ses personnages se reprennent et refusent d’en dire plus finalement sur leur passé. Ce qui ne fait qu’alimenter nos conjectures mais surtout notre intérêt. Cela donne l’effet d’assister un peu comme au long épilogue d’une pièce plus importante qu’on ne verrait pas. Paris, Texas, procédera de la même manière, avec le même suspense. L’errance des personnages devenant notre enquête à nous pour en comprendre les raisons et donc les causes passées. (Avec la différence majeure qu’à la fin, un autre dénouement, celui-ci réel, nous permettra de reconstituer le puzzle du passé.)



Le Diable probablement, Robert Bresson (1977)

Le Diable probablement
Année : 1977

 

Réalisation :
Robert Bresson
5/10  lien imdb
Avec :
Antoine Monnier, Tina Irissari, Henri de Maublanc

 

21 avril 1997 (commentaire brut et non retravaillé, attention les yeux)

Le pseudo-intellectualisme (ou didactisme) explicite, et qui semble être revendiqué par l’auteur, mine totalement l’identité, le style du film. Dès que le message écologique réapparaît dans ce contexte « m’as-tu vu ce naturalisme sociologique » à la Godard mauvais cru, on s’emmerde profondément, ce qui pourrait nous intéresser est bâclé : cette histoire d’amour, le développement psychologique du personnage solitaire et rebelle. Là où Bresson pourrait mettre en scène des corps, des situations (dans les lits, sur les quais…, tout ce qui est autre chose qu’un bureau ou un appartement), mais surtout, on s’ennuie à cause (certains diraient grâce) aux voies déshumanisées propres au style bressonnien, mais qui là en fait trop, parce que ces personnages n’en sont pas pour autant rendus plus attrayant ou mystérieux. L’ambiance est donc antipathique, chloroformée. Où quand l’absence de talent d’un acteur à la Léaud se fait passer pour un art en se créant toute une technique du faux.

N’est-ce pas Bresson qui disait mettre en scène des effets pour suggérer des causes, créant ainsi le mystère ? Là, rien. Ce Bresson est une petite poubelle renversée sur un trottoir urbain.

Par contre, la scène avec le psy est intéressante (très inspirante…). Car si elle n’est pas extraordinaire, elle suggère, elle, beaucoup de nouvelles situations et dialogues possibles : Bresson aurait pu faire des répliques courtes dominées par un ado cruel en dirigeant tel un diable la conscience du psy. Avec des répliques intelligentes et audacieuses : un drame peut-être basé là-dessus et faisant aller la situation jusqu’au bout en la faisant évoluer satiriquement dans les règles de situations rares et surprenantes (cf. Fellini par exemple) avec des thèmes comme la cruauté et la cupidité (à la fin l’ado se fait bien tuer pour son fric). Un truc presque absurde dans le sens incohérent dans l’évolution des actions, pas de séquence, juste une continuité.