L’engagement a tué l’expression et les échanges entre cinéphiles sur Twitter

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Tristesse des échanges codifiés visant à l’engagement plus qu’à la discussion ou à l’expression détaillée d’un point de vue sur les comptes cinéma Twitter/x

J’ai créé, un jour, une liste sur les comptes censés parler de cinéma sur Twitter, et je n’y vais jamais. Pourquoi ? Parce qu’on n’y trouve rien. Normal, sur un réseau social, me direz-vous. Sauf que je pense qu’on y trouve même sur les autres réseaux des posts autrement plus intéressants que la majorité des comptes dédiés au cinéma. Et je ne parle pas des comptes supposés de cinéma et qui, comme moi, n’en parle jamais. Non, je parle des comptes qui sont centrés sur le cinéma et qui créent du contenu en fonction d’un public, comme eux, cinéphile.

On n’y trouve rien. Pourtant, ça marche.

Les gens sont réunis en communauté, et tout le pire du réseau social se trouve condensé sur ces comptes (les insultes en moins — quoique, je ne vais pas sur les commentaires).

Le cinéma n’est la plupart du temps qu’un prétexte, qu’une sorte de MacGufffin, à se mettre en avant et à requérir des likes ou des retweets de sa communauté. On le fait ainsi gonflé à hauteur de son activité. Tous les comptes s’y mettent, même les comptes « institutionnels ».

Il y a des codes, des posts à faire qui tournent sans cesse : votre x préféré, votre top de x, les « moi quand je » suivis d’un GIF, les anecdotes de films, etc.

Tous ces gens passent des heures à lire et à partager des contenus totalement vides de sens, ne parlent en réalité jamais du sujet qu’ils sont censés mettre en avant, et le plus triste, c’est qu’ils ne semblent même pas comprendre que cela ne mène nulle part, la grande majorité d’entre eux n’ayant (en plus) rien à vendre. (À part tuer, je ne vois pas la finalité. C’est du picorage.) Leur quête illusoire de visibilité en ligne n’est pas l’expression de leur goût pour une forme d’art ni pour une forme spécifique de cinéma, mais au contraire un puits sans fond rempli de miroirs déformés capables de leur retourner une image qu’ils croient positive d’eux-mêmes.

Triste…

Moi qui n’ai pas particulièrement apprécié les échanges sur les forums ou les sites dédiés à leur apparition, qui ne suis pas bien actif à lire des blogs ou à écouter des podcasts (c’est rarement dédié à l’histoire du cinéma — celui de la Cinémathèque française, à la limite), j’en serais presque nostalgique en voyant le néant qu’est devenu le partage sur Internet. J’espère seulement qu’il y a un ailleurs que Twitter pour partager entre cinéphiles. Mais partager vraiment. Penser qu’on puisse le faire sur un réseau social qui pousse plus à l’engagement qu’à discuter n’est qu’une illusion ; il est étonnant, en 2024, de voir un public pour s’en rendre, volontairement, victime. Les liens vers des contenus, des articles amènent rarement à l’engagement. On change d’époque : les revues, les journaux disparaissent, désormais remplacés par des « influenceurs ». J’avais déjà été passablement agacé par les comptes comme « les garçons officiels » qui pour moi ont une activité qui s’apparente aux faux comptes d’information sur Twitter (Mediavenir, Brèves de presse).

Petit aperçu de posts sur ces douze dernières heures (et encore, je n’ai que fureté du côté des cinéphiles français, rien sur les sites, les institutions, les amateurs de classic movies, etc.) :

La polémique du moment à lancer (s’indigner, c’est exister — je m’indigne aussi, mais mon compte, c’est mon journal intime pas un appel à l’engagement^^) :

L’appel direct à répondre avec image qui suit (si ça fait un flop, c’est que tu n’as pas encore atteint le niveau 2 de l’influence ou c’est que tes appels directs sont un peu longue distance et difficile à joindre) :

Appel direct à l’engagement reprenant exactement le même tweet (sorte de chaîne de Ponzi du retweet ou d’engagement pyramidal) (le cinéma ne sert même plus de prétexte, il est absent) :

La microcritique à la syntaxe tarabiscotée (ça pourrait presque être un chapeau appelant à aller lire un article, mais même pas, il s’agit d’une pratique commune, sorte de haïku de la critique, très populaire sur Vodkaster, un peu moins sur Twitter — ça provoque assez peu d’engagement) :

Avant, Twitter, c’était le royaume des 250 signes. Mais parfois, on se demande si ce n’est pas celui des 250 pixels. Un film, résumé en quelques pixels. (Ici, le compte se laisse sans doute aller à une simple évocation qui lui fait plaisir. D’autres fois, le passage d’un film quelque part est l’occasion de renvoyer vers une critique. De bonne guerre dans tous les cas. Ce n’est pas le pire des méthodes de l’engagement. À noter toutefois l’oubli du hashtag sur le nom du cinéaste — comme dans mon exemple précédent.) :

« Moi », suivi d’une capture. (« 250 signes, c’est trop. Qu’est-ce que je vais pouvoir dire ? « Moi », Trois signes, zut. ») Je crois que ça vaut bien les images de chaton, je suppose que l’idée c’est du feel good post ? :

La liste dédiée à un hashtag incompréhensible (30 000 vues, je suppose que c’est un post essentiel) (je remarque en revanche qu’il n’y a pas de faute dans les capitales de titres d’œuvre) :

Le commentaire outré de Kevin, 12 ans qui trouvera toujours que sa mère est plus belle que l’actrice que tout le monde adule (exarchopoulos) (je fais parfois mieux : les commentaires outrés de douze ans d’âge mental, je les place directement en critiques de film — et heureusement, tout le monde s’en moque) :

Le pavé dans la mare, histoire de relancer des polémiques en cours (notez que l’indignation peut être tout à fait sincère ; il n’en reste pas moins que quand on a une communauté, ça provoquera de l’engagement — les polémiques ne s’éteignent jamais sur Twitter, il y aura toujours quelqu’un pour rajouter une pièce) :

Un aphorisme à la con = une citation. Plantez tout ça sur une image de l’auteur (ou un autre, on fait pas du fact checking) et votre fan base en a eu pour son argent :

Polémique toujours. Mais l’avantage de certaines institutions centenaires, c’est que de rien, on en fait encore un article (alors que… pourquoi faire ?) :

Variante du « moi quand », le « mood » (ici, on n’est pas loin de l’engagement ring) :

Voilà ce que j’ai pioché en… trois minutes. Du vide, du vide, du vide. Au mieux, beaucoup de solitudes qui se font face et se répondent sans se voir. Au pire, on est devenus les esclaves d’une plateforme d’échanges qui se nourrit de notre attention et qui ne nous apporte rien en retour. Sinon le mirage d’être lu. Un océan de sueur et de larmes.

Revues et blogs sont morts, mais que restera-t-il de ces échanges ? (Sans doute rien dans un monde qui s’écroulera sous le poids du vide que l’on ne cesse de produire et qui est loin d’avoir une empreinte nulle ou virtuelle… Tout le paradoxe de notre civilisation. On utilise nos dernières ressources pour partager des images de chat, des états d’âme et pour crier qu’on existe. On ne mérite définitivement plus de vivre. Moi le premier. Place aux cloportes et aux nénuphars.)


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