Tabou, Nagisa Ôshima (1999)

Cerise sur gohatto

Note : 4 sur 5.

Tabou

Titre original : Gohatto

Année : 1999

Réalisation : Nagisa Ôshima

Avec : Takeshi Kitano, Ryûhei Matsuda, Shinji Takeda

Oshima souffle toujours le chaud et le froid, et c’est parfois difficile d’entrer dans ses aventures ouvertement subversives. Ça peut lasser, agacer, et paraître en tout cas toujours un peu forcé.

Je resterai pour celui-ci pas trop exigeant, car ses défauts sont nombreux, mais malgré tout, je lui trouve un certain charme, voire une retenue bien vue dans son audace. Parce que c’est bien au moins là-dessus que Oshima m’a surpris. Il ose un thème (celui de l’homosexualité au sein d’une milice armée au cours du XIXᵉ siècle), mais il arrive à adopter la bonne distance qui lui permet de ne pas trop en faire afin d’éviter le mauvais goût ou l’outrance bavant sur son sujet.

Tout cela reste en permanence descriptif et présenté comme une sorte de thriller psychologique où chacun essaierait de tirer avantage d’une situation, de sauver toujours à cette époque ce qui prime, c’est-à-dire l’honneur, et de démêler les intentions cachées de tel ou tel camarade. Le titre du film est par conséquent ici bien trouvé parce qu’il s’agit bien de ça, arriver à y voir clair dans une jungle de tabous.

Le point fort du film est sans doute d’arriver à adopter malgré tout un angle contemporain faisant de la pratique, du rapport, ou de l’amour homosexuel quelque chose d’entendu mais tabou, autrement dit, l’homosexualité n’est jamais présentée comme une pratique impure, dégueulasse, criminelle ou perverse, juste un problème de cul, d’amour, de jalousie, suscitant trahisons et connivences cachées comme si tout cela se faisait aussi bien entre hétéros. Je doute qu’une telle approche puisse être réellement vue ainsi dans le Japon de cette époque, mais c’est encore possible.

Là où en revanche le film est beaucoup moins réussi, c’est au niveau de sa dramaturgie, de sa construction. Là encore Oshima ose les audaces (en particulier les voix off des pensées de certains personnages, les cartons explicatifs), mais à force de déstructurer son récit et de chercher à vouloir prendre de la distance, notamment en ralentissant volontairement le rythme pour jouer sur le mystère et la tension, il en vient à perdre le fil et c’est le thriller qui ne décolle plus. La fin est à ce niveau plutôt mal foutu : manque de tension, et dans la dernière minute, un épilogue trop démonstratif avec un Kitano tirant de tout ça une morale “orale” quand on se serait tout autant contenté du symbole du cerisier en fleur tranché. Pour un film jouant sur le mystère, la fin en manque sensiblement.


Tabou, Nagisa Ôshima 1999 Gohatto | Oshima Productions, Shochiku, Kadokawa Shoten Publishing Co.


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L’audace au cinéma

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L’Été de Kikujiro, Takeshi Kitano (1999)

Yaku-san

Kikujirô no natsu

Note : 3 sur 5.

L’Été de Kikujiro

Titre original : Kikujirô no natsu

Année : 1999

Réalisation : Takeshi Kitano

Avec : Beat Takeshi, Yusuke Sekiguchi, Kayoko Kishimoto

Le mystère Kitano continue. J’ai découvert le cinéma japonais il y a presque vingt ans à travers lui, et ça ne m’avait jamais bien emballé, jusqu’à renoncer à retourner à l’époque au cinéma pour voir ses nouvelles fantaisies ; plus ennuyeux, jusqu’à m’éloigner du cinéma japonais pendant longtemps ne comprenant pas ce qu’on pouvait y trouver de bien fameux dans ce cinéma-là.

Kitano fait tout un peu comme Yôji Yamada, les yakuzas en plus et la justesse en moins. L’humour de Kitano, c’est ce qui surgit de bien cocasse quand vient à dérailler le train des habitudes, des codes, des archétypes, des genres. Même sa gueule de clown passée à tabac concourt à suggérer ce cocasse. L’acteur Kitano, Beat, c’est un transgressif mou. Capable de t’éclater la gueule, pour rire, et de préférence avec la sienne. En cousin nippon de Bill Murray, il suffirait à Beat Takeshi d’apparaître alors face caméra, impassible mais la chemise maculée de sang, pour déclencher l’hilarité de l’assistance. Son humour pince-sans-rire rappelle assez bien le découpage en cases de BD (plus Droopy que Tora-san, probablement) : des images statiques pour décrire une situation, sans mouvement, des natures mortes, et puis une ellipse pour opposer une autre image à la première, puis s’il le faut une troisième, une quatrième… La mécanique du rire naît d’un jeu d’opposition des images. Ce n’en serait pas aussi systématique que c’en serait efficace. Et quand il ne découpe pas son humour en cases (ou en natures mortes), Kitano compose ses gestes par une suite de lazzis aussi étranges et saccadés que les acrobaties des personnages secondaires apparaissant dans cet opus. L’humour japonais est fait de poses grotesques héritées du théâtre, et même en proposant un style épuré et un rythme lent, Kitano n’oublie pas cette tradition. Trop sans doute, car à force d’apporter des contrepoints et de chercher à sortir des rails en permanence, les petites virgules humoristiques proposées (en jouant de ses tics par exemple), et censées être subtiles, finissent par s’étirer en exclamations un peu lourdes.

Le mystère est là. On dit à juste titre que l’humour passe mal les frontières, et si celui de Yamada a su me séduire par sa justesse et sa sensibilité (le grotesque y est rare et les expressions de Kiyshi Atsumi dans Tora-san, si elles tendent vers la même bêtise du personnage, apparaissent toujours plus justes et plus humaines), celui de Beat Takeshi m’a toujours paru trop fabriqué, trop répétitif.

L’humour n’est pas le seul défaut du film. L’histoire paraît un peu facile, et comme tout chez Kitano, forcée. La structure du récit, bien que composée invariablement d’ellipses, est tellement linéaire qu’elle finit par paraître complètement plate. Kitano soigne à peine le contexte qui poussera nos deux personnages (l’enfant à la recherche de sa mère et le yakuza en claquettes) à passer quelques jours ensemble. Tout aurait été prétexte à les faire se rencontrer, car le souhait de Kitano était là : reproduire un des couples les plus rentables du cinéma et de l’humour gnangnan, du Kid de Chaplin en passant par la Vie est belle de Benigni ou le Champion[1] de King Vidor. Une fois arrivés au bout de leur quête, la déception était prévisible. L’occasion pour Kitano d’appuyer sur le sentimental avec quelques notes de piano opportunistes, et la suite est là encore toute tracée, puisqu’il va falloir redonner le moral à ce pauvre enfant délaissé. Beat Takeshi rappelle ses potes comiques à la rescousse, et c’est parti pour la campagne et quelques sketchs qui ne seraient pas aussi ennuyeux s’ils n’étaient pas aussi répétitifs et loin de la trame initiale. On se dit que le film aurait dû se finir ici, mais Kitano nous le fait plonger (le moral) en s’imaginant que tout ce cirque, ces jeux, ces pitreries, ces acrobaties, pourraient être d’une quelconque utilité pour réveiller en nous la fibre ou l’instinct paternelle. Que c’est rigolo un tonton prêt à tout pour amuser son gamin…

C’est là que le style lent et décalé de Kitano commence à sérieusement agacer. Chez certains cinéastes, il faut lire entre les lignes, Kitano préfère souligner tout au Stabilo, répéter à envie pour être sûr qu’on ait bien compris ses clins d’œil. Dans les deux heures, il y a bien une heure qu’en un clignement j’aurais lâché dans l’ellipse. Ça devient interminable comme dans ces soirées où on doit faire deviner un mot en le mimant. C’est la répétition à l’infini d’un même procédé ludo-comique qui finit par achever les participants. L’humour de Kitano, c’est celui de l’oncle Lim répétant encore une fois sa dernière blague pour être sûr qu’on l’ait bien entendue. Kitano est lourd quand Yamada est léger. L’un est un humaniste, l’autre un sentimentaliste lazzant.

Bref, rien d’étonnant à ce qu’à mon sens le « meilleur » film de Takeshi Kitano soit précisément le seul (ou un des seuls) où son double, Beat Takeshi, n’apparaît pas. L’acteur Kitano n’apporte aucune sympathie particulière aux personnages qu’il interprète (on pourrait même le surprendre à mal se diriger) et sa maîtrise, son contrôle, sur les autres aspects du film n’en serait que plus grand s’il passait plus de temps derrière que devant la caméra.

Le mystère de son succès, ici ou ailleurs, demeure en tout cas total. Les voies de l’humour sont impénétrables.

L’Été de Kikujiro, Takeshi Kitano 1999 Kikujirô no natsu | Bandai Visual Company, Nippon Herald Films, Office Kitano


Liens externes :


Takeshi Kitano

crédit Takeshi Kitano
Classement :

8/10

7/10

  • Zatoichi
  • A Scene at the Sea
  • Violent Cop

6/10

  • L’Été de Kikujiro *
  • Jugatsu

5/10

  • Hana-bi
  • Aniki, mon frère
  • Sonatine, mélodie mortelle
  • Dolls

4/10

3/10

*Film commenté (article) :

Takeshi Kitano