The Dead Zone, l’adaptation et le roman (Stephen King, Jeffrey Boam, David Cronenberg)

Commentaires croisés

Les événements actuels aux États-Unis (tentative d’assassinat et réélection de Trump) m’ont incité à lire le roman et à revoir le film. J’avais écrit une vieille critique (presque vingt ans) que je n’ose relire, et je me suis essayé très brièvement (ça m’arrive) à la comparaison entre quelques éléments séparant et réunissant Stillson et Trump ici.

Mais cette lecture a surtout été l’occasion de repérer la manière dont l’adaptation avait été remarquablement faite. King a une écriture très visuelle et la structure de ses récits pourrait ressembler à du cinéma. Il serait donc tentant de coller parfaitement à la trame de son histoire, sauf que tout en empruntant pas mal des caractéristiques du cinéma (le montage alterné notamment), l’écriture de King adopte par ailleurs un certain nombre de procédés ou d’approches impossibles à réaliser au cinéma.

Il y a 28 chapitres dans le roman, et à peu de choses près, c’est le nombre de séquences dans un film. Le problème, c’est qu’à l’intérieur de ces chapitres, King y inscrit souvent différentes « séquences » supplémentaires, ce qui reviendrait à faire quelque chose qui ressemblerait à des montages-séquences. Impossible, à moins de se prendre pour Coppola, de s’en tenir à la structure du romancier. Malgré les apparences, aucun scénariste n’aurait pu faire l’économie de pas mal de coupes.

Plus intéressant encore : la manière dont Boam concentre le temps du récit autour de quelques mois si l’on met le prologue à part : cinq ans avant le temps du récit, puis l’histoire semble cantonnée aux saisons froides de la région. C’est peu ou prou un temps très cinématographique. En effet, la durée des événements diégétiques excède rarement quelques mois.

Si à l’époque du cinéma muet, de nombreux mélodrames jouaient sur les possibilités du cinéma de passer d’une époque à une autre, tout le monde s’est peu à peu rendu compte que cette possibilité se heurtait à un problème : changer d’époque implique de modifier l’apparence des personnages, et par conséquent les vieillir. Et c’est rarement crédible.

L’astuce dans le film est capillaire, uniquement capillaire. Les autres personnages n’ont pas à être vieillis parce qu’on ne le voit pas dans l’introduction.

Celle-ci est par ailleurs profondément remaniée : King se perd dans une interminable séquence de jeu de hasard et insiste sur les relations entre les deux amoureux, le tout en mêlant aux passages dédiés à Johnny d’autres concernant deux criminels de l’histoire.

Boam ne se complique pas la tâche : une intro, ça sert à introduire. En cinq minutes, c’est plié.

Astuce amusante, Boam élimine tout le début racontant l’accident de hockey de Johnny pour le réintroduire plus tard, mais cette fois pour l’appliquer au personnage dont le médium est le précepteur : on passe du football et à l’adolescence au hockey et à l’enfance. Boam peut supprimer ainsi toute la partie devenue inutile sur l’épisode de l’incendie.

En condensant l’action sur quelques mois, cela permet également de le faire sur l’élection de Stillson, alors que dans le roman, Johnny suit d’abord l’ascension de Carter et celle du psychopathe se fait plus lente.

Inutile de multiplier les événements précédant la rencontre avec le futur autocrate, et dans le film, l’accent est surtout mis sur l’enquête du tueur en série menant à l’implication d’un des flics de la ville. Toutes ces péripéties dans le roman ont une épaisseur relativement identique. Dans le film, cela vient crescendo et des liens logiques apparaissent : si Johnny accepte la proposition de devenir précepteur (ce qui lui permettra de rencontrer une première fois Stillson), c’est parce qu’il doit faire face à différents événements trop pesants pour lui : la mort de sa mère, la brève relation avec Sarah qui signifie aussi la fin de leur relation, la presse et les fans qui s’intéressent bien trop à lui depuis qu’il a aidé à résoudre les crimes mystérieux dans la région.

Dans le roman, Johnny part vivre des mois, voire des années, à l’ouest du pays où il se fait oublier (évidemment, dans un film, changer ainsi de région, d’univers est quasiment impossible, l’unité visuelle, donc géographique, est trop importante pour la cohérence du film). Ce retrait volontaire (qui se manifeste surtout par une fine ellipse : il ne se passe probablement que quelques jours entre la première rencontre avec l’enfant et la leçon qu’il reçoit chez Johnny dans sa nouvelle maison) et le recours à un enfant plutôt qu’à un adolescent permet de prendre une légère respiration avant de venir à l’événement majeur qui conclura le film (et l’on sait combien King a des difficultés souvent à livrer une fin à ses histoires).

Il n’y a pas que des avantages à se restreindre à de telles coupes : ainsi, les raisons du titre disparaissent dans le film alors qu’elles sont évoquées à la fin du roman. Les migraines qui préfigurent l’état de santé de Johnny et sa tumeur existent dans le film, mais on les attribue à l’accident. L’accident initial (l’harmatia en quelque sorte) transféré ainsi de l’enfance de Johnny à son élève qu’il sauvera de cette fin tragique n’a donc plus de raison d’être si tout l’aspect lié à la tumeur disparaît : Boam s’est passé de ce qui était explicatif dans le roman de King. Aucune raison véritable à justifier médicalement les visions de Johnny, encore moins à précipiter son meurtre en se sachant condamné.

Le film s’achèvera d’ailleurs sur la séquence de l’assassinat raté. King, de son côté, surfe ensuite sur l’émotion et sur l’explication en imaginant des lettres écrites par Johnny. Un tel épilogue se rencontre parfois au cinéma, mais on sent dans le scénario de Boam une volonté d’aller droit au but et de proposer un récit droit, froid, presque clinique, voire scolaire, mais terriblement efficace. Une fois Johnny assuré qu’il avait modifié le futur, il n’y avait aucune raison de s’attarder si autre chose que les larmes de Sarah (que Boam a très judicieusement impliqué dans la campagne de Stillson). Comme pour Shining on dira, Stephen King, c’est encore les autres qui en « parlent » le mieux. L’auteur peut critiquer les adaptations tant qu’il veut, il doit probablement une large partie de son succès à ces adaptations plus réussies que l’original.

Dans ce qu’on peut lire de la biographie du scénariste sur Wikipédia, on comprend que Cronenberg a soumis à Boam une série d’indications qui se sont révélées judicieuses pour gagner encore en simplicité. L’ironie, c’est que dans beaucoup des succès des adaptations des histoires de King au cinéma dans les années 80, la sophistication y est prohibée. Pourtant, les romans n’en sont pas totalement dénués. Elles gagnent ainsi à l’écran un côté conte pour enfants qui aura probablement participé en retour un peu plus au succès du romancier du Maine…


Dead Zone, David Cronenberg (1983) | Dino De Laurentiis Company, Lorimar Film Entertainment

Stephen King et la prédiction de l’ascension de Trump dans Dead Zone

Si l’on fait une recherche dans un moteur de recherche « Stephen King prediction Trump » (ou ici), une série d’articles sortent en résultat considérant que l’auteur de thriller américain avait d’une certaine façon prédit à la fois l’éclosion d’un populiste comme Trump, mais aussi sa tentative d’assassinat.

Je me joins à ces articles. À l’approche des résultats, je m’étais mis dans l’idée de lire le roman connaissant déjà le film adapté par Cronenberg.

Évidemment, King ne prédit rien, cela aurait été assez loufoque de voir qu’un livre traitant d’un médium fasse preuve de médiumnité. D’ailleurs, la fiction a très souvent mis en garde contre les populismes (Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche en 1933, Un homme dans la foule, en 1957, Les Fous du roi, en 1949, etc.).

Cependant, c’était trop tentant de relever les éléments coïncidant avec le personnage qu’incarne trop bien Trump et avec d’autres qui pourraient s’appliquer peut-être plus à des personnalités françaises…

Rappelons d’abord quelques points qui ne collent pas : le Stillson de King n’a pas du tout les mêmes antécédents que Trump. On peut à la limite y retrouver un profil héritant d’un père puissant et d’une mère laissant trop de liberté à son bambin (stéréotype dans la fiction américaine censée engendrer des psychopathes), et encore, je n’ai pas assez d’éléments pour savoir si ça correspond réellement à Trump… Pour le reste, Stillson est issu de la classe populaire. Ensuite, Stillson est de gauche, voire écologiste. Pour le coup, je trouve qu’on y retrouve là surtout la technique du coucou employé par Mitterrand et surtout par Macron qui n’aura en réalité jamais adopté la moindre mesure de gauche. On peut souligner aussi que comme la plupart des récits de l’auteur américain, l’action prend place en Nouvelle-Angleterre, le plus souvent dans le Maine, or, c’est peut-être un des territoires relativement épargnés par le vote Trump : ces dernières élections, dans le district censé basculer aux mains de Stillson, Trump a fait 48 % (la gouverneur en revanche appartient au camp républicain).

À un moment, encore, King (ou son narrateur) prétend que si Stillson avait été condamné pour des délits, il n’aurait jamais pu se présenter, car il en aurait été immédiatement discrédité. Trump a pourtant fait la preuve qu’une personnalité ayant déjà gagné le bulletin (et le cœur) des gens, aucune condamnation ne pourra par la suite le discréditer au regard de ses électeurs (c’est même une caractéristique devenue répandue en France).

Parmi les correspondances troublantes, il suffit de laisser un extrait du roman résumer la chose :

« Que ferons-nous à Washington ? Pourquoi voulons-nous aller à Washington ? rugit Stillson. Quel est notre programme ? Notre programme se compose de cinq points, amis et voisins, cinq points bien connus. Et quels sont-ils ? Premièrement : foutre les bons à rien à la porte. »

Un rugissement d’approbation s’éleva de la foule. Quelqu’un jeta une double poignée de confettis en l’air, un autre hurla : « Haaaoh Hoo. »

« Savez-vous pourquoi je porte ce casque, amis et voisins ? Je vais vous le dire. Je le porte parce que quand vous m’aurez envoyé à Washington, je leur rentrerai dedans, comme ça. »

Et, sous les yeux ahuris de Johnny, Stillson baissa la tête et se mit à charger l’estrade comme un taureau tout en poussant des cris aigus. Roger Chatsworth était écroulé de rire. La foule délirait.

Stillson recommença sa charge, puis enleva son casque qu’il jeta à la foule. Une émeute s’ensuivit quasiment.

« Deuxièmement, hurla Stillson dans le micro, nous mettrons dehors tous ceux qui au gouvernement, du plus gros au plus petit, passent leur temps au pieu avec une pute qui n’est pas leur femme. S’ils veulent coucher avec des putes, ils ne doivent pas le faire avec les deniers publics. »

— Qu’est-ce qu’il raconte ? s’inquiéta Johnny.

— Oh, il s’amuse. Il adore faire montrer la pression, expliqua Roger en essuyant ses larmes de joie.

Johnny aurait bien voulu s’amuser autant que lui.

« Troisièmement, gronda Stillson, nous balancerons la pollution dans l’espace. Dans de grands sacs en plastique, on l’enverra sur Mars, Jupiter ou les anneaux de Saturne. Nous aurons un air pur, une eau pure, et tout ça dans les six mois. »

« Quatrièmement, nous aurons tout le gaz et l’essence dont nous avons besoin. Nous allons cesser de faire joujou avec les Arabes. Il n’y aura plus de vieilles gens qui mourront de froid quand viendra l’hiver comme l’année dernière. »

Cette remarque provoque une tempête d’applaudissements. (…)

« Nous avons du muscle, amis et voisins, nous pouvons le faire. Y a-t-il quelqu’un ici pour dire que c’est impossible ? — Non ! » hurla la foule.

« Pour finir, poursuivit Stillson en s’approchant du bac métallique. (…) Pour finir… des saucisses.

« Et quand vous m’aurez envoyé à la Chambre des représentants, vous pourrez dire que les choses changeront enfin. »

George Herman résuma:

« Le candidat démocrate David Bowes qualifie Stillson de plaisantin qui perturbe le jeu démocratique. Harrison Fisher est plus sévère dans son jugement. Il dénonce en Stillson un cynique guignol qui considère les élections comme une farce de carnaval. »

(…)

Johnny se leva et ferma brusquement la télévision.

— Je n’arrive pas à y croire. Ce type est vraiment candidat ? Ce n’est pas une plaisanterie ?

— Plaisanterie ! C’est une question d’appréciation personnelle, dit Roger en riant. Mais il est certain qu’il se présente. Je suis moi-même un républicain convaincu, et je dois admettre que ce Stillson ne m’est pas antipathique. Il a engagé une demi-douzaine de motards comme gardes du corps, de vraies brutes. Mais pas du tout du genre « Hell’s Angels », il les a convertis. (…) C’est un clown, et après ? Peut-être les gens attendent-ils cela ? Ils ont envie de se détendre de temps en temps. On ne parle que du pétrole, de l’inflation galopante ; les impôts n’ont jamais été aussi lourds et, apparemment, nous sommes prêts à élire un casse-noisette de Géorgie, débile léger, président des États-Unis. Alors les gens veulent rire. Mieux, ils veulent faire un pied de nez à cette élite politique qui semble incapable de résoudre quoi que ce soit. Stillson est inoffensif.

— Vous trouvez normal que les gens de troisième district élisent l’idiot du village pour les représenter à Washington ?

— Vous n’y êtes pas, répondit patiemment Chatsworth. Mettez-vous à la place de l’électeur, Johnny. Les gens du troisième district sont pour la plupart des cols bleus et des commerçants. (…) Parfois, ces cinglés font du bon travail. Mais même si Stillson se révélait être aussi fou à Washington qu’à Ridgeway, il ne sera en poste que pour deux ans. En 78, ils le renverront et le remplaceront par un nouveau venu qui aura compris la leçon.

Quelques pages après cet extrait, Stephen King raconte la rencontre entre les deux hommes. Johnny évidemment voit tout en lui serrant la main. Plus tard, il se posera la question : « Si vous aviez su ce que ferait Hitler qu’auriez-vous pour l’empêcher ? ».

Je préfère de loin l’adaptation qu’en a faite Cronenberg. Il va droit au but alors que King comme d’habitude surfe d’abord sur une excellente idée de départ, puis tergiverse, meuble, contextualise, jusqu’à ne plus savoir comment finir son thriller fantastique.

La qualité évidente de King, c’est sans doute de savoir s’emparer des archétypes de nos sociétés, les adapter à sa sauce (fantastique) et en tirer un récit simple et rythmé qui ressemble à un scénario de cinéma. D’autres écrivains ou cinéastes avaient avant lui joué sur la peur de l’arrivée d’un tel énergumène au pouvoir, simplement parce qu’après le fascisme des années 30, leur ascension est devenue une des principales hantises de nos sociétés. Et manifestement, ces mises en garde sont inefficaces, car partout les autoritarismes reprennent de la vigueur.


The Dead Zone, David Cronenberg 1983 | Dino De Laurentiis Company

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The Dead Zone, l’adaptation et le roman (Stephen King, Jeffrey Boam, David Cronenberg)

Ancienne critique du film (journal d’un cinéphile prépubère, 1996)


Doctor Sleep, Mike Flanagan (2019)

Hommage à la hache

Note : 1 sur 5.

Doctor Sleep

Année : 2019

Réalisation : Mike Flanagan

Avec : Ewan McGregor et le fantôme de Kubrick

Quelle idée saugrenue de vouloir proposer une suite du film de Kubrick… Parce que c’est bien ça dont il est question, non pas d’une suite adaptée du roman de Stephen King… Peut-être même qu’on peut voir ça comme une mise au point, voire comme un règlement de compte, adressé par le biais d’un tiers, de l’auteur du Maine vis-à-vis de Stanley Kubrick.

On sait que l’auteur avait moyennement apprécié l’adaptation de son roman, à cause des coupes et adaptations un peu trop larges à son goût faites par Kubrick. Stephen King ne s’était jamais fait à l’idée qu’un autre (génie) puisse s’approprier sa chose et en faire un succès cinématographique, presque contre son gré. Pourtant Kubrick semble avoir bien (de mémoire) simplifié le roman pour en faire un objet purement cinématographique, et King l’a sans doute compris très vite : le Shining de Kubrick ne lui devait plus grand-chose, c’est ça qu’il avait du mal à accepter. Voir un autre pointer du doigt ce qui ne convient pas, d’abord d’un simple point de vue dramaturgique, puis pour ce qui est de l’adaptation à l’écran, alors que King s’est toujours vanté d’être un maître dramaturge, ça ne passe pas. Pourtant Stephen King doit une fière chandelle à Kubrick : une grosse partie de ceux qui le lisent vient à lui pour les adaptations de Carrie et de Shining. Toutes les autres sont des merdasses clairement inadaptables. Pour beaucoup parce que Stephen King n’est pas le génie qu’il croit, et en particulier parce que ses romans reposent presque toujours sur un même principe : une bonne idée de départ, une narration d’abord efficace, et puis un récit qui ne sait plus quoi faire de ses idées et qui s’empêtre dans la surenchère et les idées toujours plus grotesques pour tenter d’en venir à bout.

D’ailleurs, il me semble bien que Stephen King, agacé par le film de Kubrick, aurait commandé une seconde adaptation plus fidèle à son roman. La chose a été faite, et c’est une merde. Qu’est-ce que ç’aurait pu être d’autre.

Le problème avec cette adaptation, et sans présumer de ce que King a pu y fourguer dans sa suite, c’est qu’elle prend en permanence référence au film de Kubrick. Or, si la suite est une mise au point de King, il n’y a aucune logique à voir le film reprendre les idées transformées par Kubrick ; pire, à en retourner des scènes (sorte de sacrilège digne de la construction d’un hôtel sur un ancien cimetière indien). Là où ça sent même presque le règlement de compte, c’est quand le film évoque l’histoire de la chaudière. On sait que Kubrick a enlevé cette idée idiote par laquelle King tentait de mettre un terme à son histoire (Carrie repose sur le même principe cathartique me semble-t-il) pour achever son film sur la mort de Jack dans le labyrinthe évoquant plus une certaine tradition fantastique qu’horrifique (en lieu et place d’une morte violente, on assiste plutôt à une mise en sommeil du « mal » puisqu’il est ici congelé). Cette idée idiote de la chaudière est pourtant reprise ici en suivant paradoxalement les transformations apportées par Kubrick (puisque l’hôtel n’a pas explosé comme dans le roman de King) pour… réutiliser la même idée foireuse de King ! Donc si on suit la logique : Kubrick supprime l’idée de la chaudière estimant qu’elle est nulle, Flanagan se réfère en permanence au film de Kubrick en prétendant lui faire hommage, mais reprend l’idée pour son film que Kubrick avait lui-même supprimée en la trouvant géniale. Si ce n’est pas de la bêtise, c’est de la provocation. Et tout le film est comme ça. Si dans un premier temps, il semble vouloir rendre hommage au film de Kubrick pour en reprendre la logique narrative, c’est pour mieux s’en détourner en se rapprochant des défauts de l’écriture de King. Et qu’en est-il de la logique du roman de Stephen King puisque l’hôtel dans sa version a bel et bien fini incendié ?… J’avoue ne pas avoir le courage de voir à quel point l’adaptation de Flanagan, cette fois, est fidèle. Mais je serais curieux de savoir ce qu’en pense en retour King de cette nouvelle adaptation si, à nouveau, on se fout de sa gueule avec cette histoire de chaudière (ou encore plus avec les références permanentes plus au film qu’à son roman — à moins qu’il s’agisse donc d’une mise au point…).

J’en reviens d’ailleurs assez souvent au même constat ces derniers temps où les « hommages » et les références pleuvent : un film perd instantanément toute crédibilité dès qu’il inclut dans son récit ou sa mise en scène une quelconque référence à un film préexistant. Seul genre échappant à cette quasi-règle, la parodie. Inutile de préciser que Doctor Sleep est dépourvu de second degré.

Au-delà des séquences bêtement reproduites (il faut un sacré toupet, ou au moins de l’inconscience, pour refaire des séquences d’un film avec des acteurs d’aujourd’hui), si le film dure 2 h 30, c’est bien que dans sa construction, il se rapproche plus d’un rythme et d’une écriture de série que de cinéma. Il faut ainsi attendre plus d’une heure pour que tous les éléments à introduire le soient, et qu’on sente enfin un semblant de sentiment de précipitation, d’opposition réelle entre les personnages (il faut noter ainsi qu’il faudra attendre plus de deux heures pour voir les deux principaux protagonistes du film se rencontrer, ce qui fera dire à Rose : « Salut, t’es qui en fait, toi ? », on croit rêver). Avant ça, on passe d’une époque à une autre, d’un espace à un autre, tout ce petit monde se débat dans un récit à part et ne se rencontre pas ou peu. Ce qui doit déjà passablement marcher à l’écrit, mais qui au cinéma, passé le premier acte, ne pardonne pas : on s’ennuie et on se demande quand le film va enfin commencer. Signe donc que, comme souvent, le récit de King est trop dense, et que paradoxalement, c’est toujours sur ces premiers actes qu’il arrive toujours à séduire : la force de ses histoires, c’est qu’elles sont souvent imbriquées fortement dans le réel et que l’horreur est à ce stade plus dans ce qu’on imagine que ce qui se décrit réellement d’horrifique ou d’étrange sous nos yeux. Dès qu’il faut en venir au concret, montrer des superpouvoirs (le film a parfois des accents d’Xmen…), des fantômes, ça ne marche plus, sauf à en faire comme chez Kubrick des fantômes qu’on suspecte fortement d’être des démons intérieurs de Jack, des visions de Danny. C’est bien le doute entre réalité et fantastique, démence et horreur, qui faisait la réussite du film de Stanley Kubrick. Parce que Kubrick n’avait aucun intérêt à montrer des personnages se débattre avec des fantômes. Il avait décelé dans le roman ce potentiel, avec un père de famille alcoolique, mais il insistera bien plus, lui, sur la démence de Jack peu à peu vampirisé par l’esprit de l’hôtel, et donc la capacité de cette situation à maintenir en permanence en nous le doute sur ce que nous voyons à l’écran. Là où l’alcoolisme chez Kubrick ne sert que de déclencheur à la folie, chez Stephen King, c’est la cause désignée permettant la vulnérabilité par où les fantômes pourront s’infiltrer et donc le rendre violent.

Ironiquement, l’une des seules propositions que le présent film reprend à son compte dans le roman de King, c’est l’alcoolisme de Danny qu’il aurait ainsi hérité de son père. En insistant lourdement encore. Comme avec le reste : ce qui, toujours, chez Kubrick, pouvait être interprété comme des délires ou des visions des personnages, ne peut plus l’être ici quand on voit se multiplier les « preuves » de toute une palette d’éléments fantastiques et de leur intrusion dans le réel. Plus aucun doute possible, plus de folie, on est dans un grand cirque où tout est possible.

Pour le reste, preuve que le film s’inspire plus du film que de ce que, potentiellement, King aurait pu écrire dans sa suite : Dick Halloran est mort, puisque Danny continue de voir ses apparitions et de suivre ses conseils (on rappelle d’ailleurs que c’est une des idées un peu à la con de Kubrick dans son film : lancer une sorte de fausse piste avec le retour attendu de Halloran, qui est tué à la hache par Jack dès son retour à l’hôtel — dans le roman, il semble bien qu’il ne soit pas tué, ce qui vient donc en totale contradiction avec ce qu’on nous présente ici puisque c’est un fantôme — sorte d’apparition à la Obiwan Kenobi pour l’acteur jouant précisément ce même personnage à l’écran…). Il est question également de la chambre 237, et donc la chaudière n’a pas explosé comme dans le roman…

Tout cela n’a donc aucun sens. Plus un hommage, j’y vois surtout un sacrilège, une exhumation, où Flanagan se permet d’utiliser tout l’imaginaire de Kubrick, jusqu’à en refaire des séquences entières, pour mieux le ramener ensuite vers un style brouillon à la Stephen King.

Parmi les séquences refaites, il faut par exemple souligner que Flanagan pousse le délire de reproduction jusqu’à choisir une actrice imitant « parfaitement » la voix insupportable de Shelley Duvall (oui, parce qu’une des idées honteusement géniales de Kubrick, c’était bien de proposer une fille tellement insupportable qu’on en viendrait presque à s’identifier un peu trop bien au mari tueur : jouer sur les zones de flou, c’est ça le génie de Kubrick). Mais autre détail significatif : si l’actrice jouant Wendy imite Shelly Duvall, elle est bien plus jolie, un peu comme s’il était inconcevable qu’un acteur moyennement beau puisse apparaître à l’écran. C’est un truc de casting habituel des séries B : un bon acteur, c’est un acteur beau (et cela vaut à l’évidence bien plus encore pour les actrices). Si on fait le compte ici, tous, sans exception, sont beaux : le petit qui reprend le rôle de Danny (qui dans le film original était plutôt du genre commun, mais avec ce petit quelque chose d’étrange qui justifiait sa présence) est beau, la gamine qui joue Abra est belle (avec en plus ce petit air insupportable des enfants stars qui les rapproche déjà plus des adultes que des enfants), sa mère, pareille, et les deux filles de la secte sont des canons… Quel talent… Une logique de casting qui m’échappe. À l’image de la logique de tout le reste en somme.



Liens externes :


Chambre 1408, Mikael Håfström (2007)

1408Année : 2007

Réalisation :

Mikael Håfström

5/10  IMDb

Du Stephen King tout craché. L’idée de départ est très alléchante, comme d’hab’, et on se demande comment il va sortir de cette chambre sans passer pour un nul.

La première demi-heure est très intéressante, et puis on tombe dans du grand-guignol. On multiplie les effets pour remplir le vide et l’impasse de l’histoire, et dans ce train fantôme sans destination finale, on se lasse très vite de la succession de tous ces « booh ! ».

Alors Stephen, cette fin ? « bah non je me suis encore viandé ». C’est peut-être bien la première fois que j’ai failli m’endormir devant un thriller… voire un rêve. Ou un cauchemar, parce que c’est bien ce que c’est, une histoire sans queue ni tête, une succession d’images affolantes sans structure, sans but. Non décidément, on n’en est pas sortis de cette chambre, on s’y est même bien assoupis. Appelez la réception, qu’on me réveille à la fin du film…

Ah, j’oubliais la morale de l’histoire : « Les fantômes, il faut y croire, vraiment, ils existent, je les ai vus… S’il vous plaît, ne cessez pas d’y croire, sinon je ne vianderai plus mes histoires ! »

Bref, je comprends que King n’en a tiré qu’une nouvelle. Au moins, dans d’autres, il a su garder un peu plus de mystère sur la fin.

Pour l’accroche du film j’aurais bien mis : « Cusack dans un cul-de-sac ».


Dead Zone, David Cronenberg (1983)

Dead ZoneDead Zone, David Cronenberg (1983) Année : 1983

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 SF préférés

Réalisateur :

David Cronenberg

9/10

 

Avec  :

Christopher Walken,
Brooke Adams, Martin Sheen, Tom Skerritt

Journal de cinéphile prépubère : 5 février 96

Exemple de drame thématique. Le récit ne s’attarde pas sur le superflu et s’attache à garder une unité d’action stricte. L’action trouve cette unité à travers un thème, un sujet, devenant vite par la suite une problématique (la voyance). Chaque séquence est donc une nouvelle illustration de ce problème, une nouvelle avancée, et l’évolution n’est pas linéaire (la fin d’une séquence appelant la suivante), mais procède par ellipses à la fois temporelles et spatiales.

L’ennui ne peut pas être de la partie parce que le spectateur s’applique sans cesse à situer la scène dans un contexte et une compréhension plus vaste. Une certaine simplicité, mais aussi une forme de réalisme distant, se dégage ainsi du film. C’est la marque de Stephen King. L’effet produit sur une histoire fantastique est saisissant puisqu’on est sans cesse attentif à ce qui se passe sous nos yeux comme pour ne pas se laisser noyer par le mystère de l’ensemble.

Le réalisme et la simplicité apportent quant à eux une forme de proximité de la terreur qui est encore la marque de l’auteur et qui fait son succès. Seul problème et il est de taille : puisque, pour l’essentiel, l’intérêt est dans la mise en place du sujet, une fois que le récit se recentre au second acte sur un objectif à atteindre, on perd toute possibilité de jouer sur le mystère, tout concourt au contraire à dissiper ce mystère, et les objectifs, voire les résolutions, peuvent paraître illusoires face aux interrogations et aux possibilités suggérées dans le premier acte. La question de la résolution dans un récit basé sur le mystère est presque toujours une voie sans issue. Et dès lors, la simplicité de l’ensemble n’est plus un avantage. La solution possible (à vérifier) est peut-être chez King d’étirer au maximum ce premier acte et de faire de la suite le résultat évident de ce qui précède. D’autres multiplieraient les intrigues et les péripéties dès le second acte, joueraient avec les nerfs du spectateur dans le troisième, mais on aurait alors affaire à un tout autre genre : le fantastique ne serait plus qu’un prétexte à une mise en action qui fait depuis toujours la recette du cinéma : le mouvement, la poursuite, la chasse, l’action. King préfère lui rester dans une trame thématique, vite épuisée, mais efficace.


Dead Zone, David Cronenberg (1983) | Dino De Laurentiis Company, Lorimar Film Entertainment

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Stephen King et la prédiction de l’ascension de Trump dans Dead Zone

The Dead Zone, l’adaptation et le roman (Stephen King, Jeffrey Boam, David Cronenberg)