La Maison et le Monde, Satyajit Ray (1984)

La Maison et le Monde

Ghare-Bairela-maison-et-le-monde-ghare-baire-satyajit-ray-1984Année : 1984

Réalisation :

Satyajit Ray

avec :

Soumitra Chatterjee

Victor Banerjee

Swatilekha Sengupta

7/10  IMDb

Certaines longueurs, parce qu’on y retrouve le petit défaut des films de Ray des dernières décennies, à savoir, un refus, un peu étouffant, à filmer des plans ou des scènes à l’extérieur. On croit même presque y reconnaître le palais de Charulata, et Soumitra Chatterjee y reproduire de la même manière une chanson a cappella comme il le faisait vingt ans plus tôt.

C’est le titre qui pourrait presque résumer à lui seul l’espèce de dichotomie bancale rencontrée dans la filmographie de Ray. Dans ses premiers films, très souvent, les deux “mondes”, celui du foyer et celui du monde extérieur, sont liés, puis petit à petit il resserre ses intrigues dans des intérieurs en négligeant toute forme de contextualisation (même dans Kanchenjungha, Ray utilise sans cesse les mêmes décors extérieurs jusqu’à les faire passer pour de simples décors de théâtre).

Heureusement le film retrouve un second souffle dans son dernier acte où la nature trouble du leader révolutionnaire est révélée au grand jour et où tout ça finit par déteindre sur sa relation sentimentale avec la femme du maharadja. Le maharadjah, lui, au contraire (à l’image du mari cocu à la fin de Charulata, toujours) gagne encore un peu plus de noblesse d’âme.

La dernière image, faite de surimpressions multiples pour montrer le temps qui passe jusqu’au deuil final, est tout à fait saisissante. Trois petits points qui s’effacent en fondu…

Un Satyajit Ray correct est un Satyajit Ray dispensable.


La Maison et le Monde, Satyajit Ray, Ghare-Baire 1984 | National Film Development Corporation of India


Trois Femmes, Satyajit Ray (1961)

Famille en poste restante

Teen Kanya

Note : 4 sur 5.

Trois Femmes

Titre original : Teen Kanya

Année : 1961

Réalisation : Satyajit Ray

Avec : Anil Chatterjee, Chandana Banerjeex, Sita Mukherjee, Nripati Chatterjee

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Trois histoires assez inégales.

La seconde n’a pas beaucoup d’intérêt avec un couple passablement tête à claque et pas loin d’être des archétypes de Bollywood. La troisième se tient déjà plus avec un jeune avocat qui refuse le mariage que sa mère a arrangé pour lui et qui préfère s’amouracher de la sauvageonne du village. Problème, le jeune avocat oublie de lui faire la cour et la suite est alors prévisible : la jeune mariée ne se laissera pas si facilement dompter…

La première histoire est bien la meilleure, la plus courte, la plus belle et la plus tragique. Cruelle aussi.

Un postier s’établit dans un petit village, s’y ennuie, et bientôt sa seule consolation devient une petite orpheline qui lui sert de servante. Il lui apprend à écrire, ils se tiennent compagnie, et une sorte d’amour, de celui qu’un père peut éprouver pour sa fille, et d’une fillette pour son père, naît entre ces deux âmes solitaires. Tout l’art de Ray est d’arriver, sans les mots, à exprimer, moins ce qui unit ces deux êtres (on retrouve d’une certaine manière le même thème que Les Dimanches de Ville d’Avray), mais au contraire ce qui les sépare. C’est plutôt habile, car le spectateur voudrait les voir s’accepter l’un et l’autre, il serait alors assez peu productif de se concentrer sur ce qu’on voudrait voir à l’écran ; au contraire, insister sur ce qui contrarie cette réunion, c’est provoquer une frustration chez le spectateur qui voudrait leur crier de s’accepter l’un et l’autre. C’est d’autant plus réussi qu’à l’image d’un film fonctionnant selon le principe du suspense, on sait très vite que c’est vers ça que l’histoire va nous mener, et la frustration n’en est que plus grande, comme savoir qu’un personnage ne doit pas monter au premier étage car un tueur l’y attend et lui hurler de ne pas s’y rendre.

On comprend au regard et aux attentions de la fillette qu’elle n’espère qu’une chose : que le postier l’accepte et l’adopte pour de bon comme sa fille. Il faut ici une excellente direction d’acteurs pour arriver à suggérer l’idée du manque, l’attente de l’autre (à moins que les images suffisent pour qu’on s’y laisse tromper un peu comme dans un effet Koulechov : un homme, une fille, tous deux seuls, on devine le reste). Pourtant, à l’attitude du postier, on comprend là aussi immédiatement, qu’il n’en sera jamais question. Rien n’est dit, et pourtant on comprend tout de ces enjeux contradictoires.

La fin prévisible, presque écrite d’avance, n’en est que plus cruelle : jamais on ne pense tout au long du récit qu’il pourrait en être autrement.

Une nouvelle fois, le génie est d’en faire le moins possible : on comprend tout, inutile de forcer le trait. Probable aussi que seul le format court soit en mesure de proposer l’évidence et la concision nécessaires à une histoire aussi simple et cruelle. La fulgurance des lames courtes : ni mise en garde ni parade, droit au cœur et la fuite.

C’est d’autant plus précieux que c’est un sujet très rarement traité au cinéma ou ailleurs. Il y a des amours impossibles, et il y a des paternités (ou des adoptions) impossibles. Qu’on soit au Bengale n’y change pas grand-chose. On aura rarement vu chez Ray une histoire toucher autant l’universel.


Trois Femmes, Satyajit Ray 1961 Teen Kanya | Satyajit Ray Productions


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1961

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Charulata, Satyajit Ray (1964)

Charrue Bovary

Charulata

Note : 4.5 sur 5.

Année : 1964

Réalisation : Satyajit Ray

Avec : Soumitra Chatterjee, Madhabi Mukherjee, Shailen Mukherjee

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Si Emma Bovary, le personnage de Flaubert, peut agacer parfois par sa futilité, sa bêtise rêveuse, il en est tout autrement dans ce film de Satyajit Ray adapté d’un roman bengali de 1901, Nastanirh. Charulata, comme l’ensemble des personnages du film (en dehors de son frère qui finira par partir avec l’argent du journal qu’édite son mari) sont tous d’une grandeur d’âme irréprochable. Clairement, Satyajit Ray fait un autre choix que celui de Flaubert quand il se moque du provincialisme ou de la petite bourgeoisie oisive. Il aime ses personnages, ça se voit, et on finit par les aimer autant que lui. C’est d’ailleurs une constante dans ses films : assez peu de personnages malintentionnés, quand le malheur s’abat sur eux, c’est toujours la fatalité ou parce qu’on les a forcés à prendre une mauvaise direction. Satyajit Ray dépeint les Bengalis à la fois oisifs et généreux. Toutes les classes sont concernées, et le regard est le même qu’il soit sur les princes ou les domestiques (celui du palais ne cesse de se faire réprimander pour sa paresse, mais rien de méchant, c’est surtout un jeu de miroirs amusant).

Charulata est donc mariée à un riche propriétaire qui au contraire des autres de son rang refuse de rester inactif et édite un journal politique (on est à la fin du XIXᵉ siècle). Son travail lui prend beaucoup de temps, et comme il le dit lui-même, son journal est un peu comme une seconde femme. Pour passer le temps et s’occuper, Charulata lit des romans, de la poésie indienne, et surtout… s’ennuie. Beaucoup. Quand elle demande à son mari s’il a lu un livre qu’elle prend dans sa bibliothèque, il lui répond qu’il n’a pas besoin de roman ni de poésie, car il l’a elle. Preuve qu’il l’aime, mais cette réponse laisse Charulata insatisfaite. Comprenant la solitude de sa femme, la voyant souffrir sans se plaindre de cet ennui accablant, il lui propose de faire venir son frère pour lui confier les comptes de son journal. Ils ont de la place, le palais est grand et désert…

Ellipse. Charulata joue aux cartes avec la femme de son frère. En une situation, tout est dit. Elle montre moins d’entrain que sa belle-sœur au jeu. Comme toujours, c’est la beauté des gens dignes, on garde ses émotions pour soi, on ne se plaint pas, on ne contrarie pas ses amis, encore moins sa belle-famille. La situation est posée, on peut lancer l’élément perturbateur qui va déclencher ce qui était en gestation déjà depuis longtemps. La passion de Charulata se réveille quand le cousin de son mari, écrivain amateur, passablement oisif comme il se doit pour un personnage de sa condition, plutôt occupé à rêvasser, s’invite au palais. Charulata peut partager avec lui son goût pour la littérature, et peu à peu naît entre les deux, ou plutôt, elle pour lui, un amour secret, non consommé, non avoué, mais forcément interdit, rappelant les meilleurs romans à l’eau de rose dont Charulata est friande. On appelle ça aussi un fantasme, ou se monter la tête. Triangle amoureux suggéré, on ne parle précisément pas d’amour… Charulata profite de cette compagnie heureuse quand son mari passe sa journée au rez-de-chaussée du palais à jouer les éditeurs et rêver avoir une influence politique jusqu’en Angleterre. Quand on est oisifs, on peut se laisser aller à des questions existentielles, et puis…, on peut rêver dans son confort d’une existence plus trépidante. Chacun ses rêves, mais on rêve toujours seuls.

Charulata, Satyajit Ray 1964 | R.D.Banshal & Co

Pour réveiller tout ce petit monde, le frère de Charulata vide les caisses du palais, puis disparaît. Une péripétie bien réelle, mais qui a tout du songe, de l’illusion qui s’évapore à l’instant même où on en prend conscience. Un retour à la réalité, et à la bassesse des hommes. Ruinés, le journal ne peut plus être édité, et le cousin, ne voulant pas être à une charge inutile, part à son tour, plongeant Charulata dans un chagrin contenu mais profond. Son mari la surprend dans sa chambre évoquant le nom de son amoureux fantasmé. Pas d’esclandre, on dépense trop d’énergie, alors il va promener son cul en calèche pour mouiller sa barbe de gros nounours. Il revient sécher ses larmes chez sa femme : il la trompait, lui, avec son journal, avant qu’il soit obligé de s’en séparer. Ils se comprennent, ils étaient nourris des mêmes illusions. Ça ne sert à rien d’en faire tout un drame. On est chez Satyajit Ray, on accepte son sort, et on se réconcilie avant de s’être emporté. Chez Satyajit Ray, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. On songe à la douceur aussi…

Retour à l’ordre des choses donc. Comme dans Le Repas de Naruse. Le couple se reconstitue. Les “infidélités” ne sont rien, surtout si on finit (ou si on nous pousse) à y renoncer. La bienséance comme première règle de l’ordre. 2+1-1 = 1. Le compte est bon. Ou presque : deux fesses bien calées, bien séantes, font un cul, c’est la logique aristotélicienne.

L’intérêt d’une histoire est de faire une boucle, et revenir à son point d’origine. Nul besoin de faire le tour du monde en 80 jours pour cela. Un palais au Bengale suffit. En restant le cul bien assis à sa place, il y a toujours un petit quelque chose qui a changé, quand on y songe. Juste un poil. C’est là toute la tâche de la boucle.

La France a sa Bovary, le Japon a son Repas, l’Inde a sa Charulata. La petite-bourgeoise qui s’ennuie est un thème universel qui fait le tour du monde.

Il est facile d’intéresser son monde en montrant toute une société au travail, ça l’est moins avec une brochette de personnages rêveurs et oisifs.


L’ennui mis en scène (le tout avec travellings d’accompagnement en gros plans rapides, surimpressions, ajustement de caméra vers un point d’attention, etc.) :


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1964

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