Spetters, Paul Verhoeven (1980)

Le funambule au volant

Note : 4 sur 5.

Spetters

Année : 1980

Réalisation : Paul Verhoeven

Avec : Hans van Tongeren, Renée Soutendijk, Toon Agterberg, Rutger Hauer

On comprend avec Spetters comment Paulo a pu finir à Hollywood. Tout dans l’écriture et dans sa mise en scène copie les codes de films de studios américains. On pense notamment à American Grafitti, à The Wanderers ou à la série de films bons aujourd’hui pour un karaoké dont tous ceux avec la star, largement épinglée au mur ici : John Travolta. Le film de jeunes adultes concentrés sur une poignée de personnages d’une même bande amenés à vivre des événements tragiques qui auront des répercussions lourdes (et un sens initiatique quasi symbolique) sur leur vie future représente un genre en soi à Hollywood. Le tout, pour Paulo, consiste à rester subversif sans toutefois égratigner la bonne conscience conservatrice du spectateur lassé des outrances libérales des années 70 (les limites ici sont moins repoussées que dans Turkish Delight par exemple, même si certains morceaux restent difficiles à avaler).

Le film est ainsi très nerveux. Dans ses transitions, souvent accompagnées par la musique et quelques brefs mouvements de caméra descriptifs, Verhoeven reproduit ces codes américains bien plus que ce qui se pratique en Europe avec des respirations plus lâches, moins systématiques, et moins stéréotypées. C’est parfaitement exécuté, et le cinéaste, avec son acolyte au scénario, arrive surtout à donner au genre une plus-value libertaire et sexuelle impossible à Hollywood (mais avec les limites décrites plus haut). Un travail d’équilibriste rare qui ne pouvait qu’attirer l’attention de l’autre côté de l’Atlantique.

La direction d’acteurs est de qualité : Paulo sait comment acquérir l’expression souhaitée tout en répondant aux exigences du rythme (et aux codes hollywoodiens où il est censé toujours se passer quelque chose à l’écran). Cela commence souvent par le choix des acteurs : on le verra par la suite avec Showgirl, se planter dans la distribution hypothèque largement la réussite d’un film. Ici, on a beau chercher, tous sont à la fois remarquables et idéaux dans leur rôle respectif.

Paulo, le funambule, lorgne presque toujours vers la satire, au risque de tomber dans le foirage complet. Or, dans une satire, les acteurs, c’est parfois ce qui peut faire basculer le film d’un côté ou de l’autre. Seuls des acteurs suffisamment charismatiques peuvent inciter le public à suivre, malgré leurs travers, des personnages aussi antipathiques. Cela constitue un des intérêts principaux de ce genre de satire : ces personnages imbuvables offrent dans un film une des clés expliquant les raisons qui, dans la vie, poussent certains suiveurs à fermer les yeux sur des leaders ou des personnes dont ils peuvent être conscients de leur perversité, mais dont ils se révèlent incapables de se démarquer ou de condamner les actions. Grâce au travail d’identification, le film illustre une adhésion qui nous serait par ailleurs incompréhensible.

Parvenir à garder cette touche sociale et psychologique au milieu d’une matière ou d’une forme essentiellement rigide, réussir à faire cohabiter ces éléments souvent contradictoires dans un film, c’est ce que Paulo fait ici, et qui n’est pas loin de rappeler la maîtrise de ses glorieux aînés dans quelques-uns des grands films hollywoodiens de la belle époque. À l’époque où déjà, à Hollywood, on devait composer entre volonté d’apporter le sens de ses valeurs européennes et obligation de se conformer à des codes naissants indispensables pour parler à l’ensemble des publics de l’Amérique de la première moitié du XXᵉ siècle (et avant que ces codes finissent par être étouffés par un autre, unique). Peut-être le meilleur film de Verhoeven de sa première période européenne.


 

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Elle, Paul Verhoeven (2016)

Viols lents, lancinants, silencieux

Note : 3.5 sur 5.

Elle

Année : 2016

Réalisation : Paul Verhoeven

Avec : Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Anne Consigny

La satire est plaisante, ça se regarde comme un bon Chabrol. Même si justement la satire ne va pas assez loin à mon goût. Quand le personnage d’Isabelle Huppert évoque son viol à ses amis, l’actrice et le réalisateur font le choix du réalisme, de la cohérence psychologique. On se trouve alors un peu coi à essayer de comprendre, à scruter la réaction de tous après ces aveux, mais finalement on ne réagit pas. L’étonnement reste timide, attentif, au lieu de créer un malaise (né justement de l’amusement de la satire). Psychologiquement, cette réaction faussement désintéressée peut s’expliquer, et il n’y a aucune raison d’être mal à l’aise, choqué ou scandalisé. Là où ç’aurait été bien plus subversif et aurait questionné notre rapport, nous, spectateurs, au(x) viol(s), ç’aurait été d’insister bien plus sur le décalage, si la scène tournait à la plaisanterie sans qu’on décèle la moindre parcelle de traumatisme. Parce que le fait de savoir change tout. Huppert et Verhoeven se laissent prendre un peu au piège et tiennent à expliquer le refus du personnage à dramatiser en en faisant un traumatisme souterrain, mais malgré tout, on perçoit ce traumatisme. Trop. Or il est avéré que dans de nombreux traumatismes, et donc plus particulièrement dans le viol, beaucoup de victimes agissent réellement ainsi sans laisser rien paraître avant de voir ressurgir bien plus tard le traumatisme dont ils ont été victimes, et les proches s’en étonneraient alors. La satire plus franche au moins ici, la volonté claire de nier la réalité d’un tel traumatisme pour le personnage à travers une absence totale d’émotion (réellement totale), aurait permis paradoxalement de coller à la réalité des situations traumatiques de ce type, en illustrant ce que beaucoup de victimes et proches pourraient décrire mais qu’on aurait du mal à nous représenter. Le voir ç’aurait été le comprendre, nous questionner au moins, être comme les proches, choqués et interrogatifs devant l’absence apparente de réaction. Mieux, on se sentirait coupables de rire, on interrogerait notre interprétation des faits, notre capacité à nous émouvoir. Ce que permet la satire quand elle touche au génie.

La fantaisie, à travers la satire, peut aider à mieux jouer sur des fils d’équilibriste, parce qu’elle force à l’intelligence, à la prudence, après peut-être le malaise. C’est ce que Chabrol réussissait très bien dans Que la bête meure, avec une interprétation de Jeanne Yanne admirable dans un personnage tellement odieux qu’on ne peut y croire, jusqu’à oublier les raisons même de la venue du personnage de Michel Duchaussoy, jusqu’à nous surprendre à apprécier en même temps qu’on les regrette, les envolées misanthropes de l’assassin.

Je prends un exemple. Immédiatement après son premier viol, le personnage d’Isabelle Huppert prend un bain et semble se désintéresser de son sort. Cette scène fait étrangement écho pour moi à la scène de bain que Humbert Humbert s’impose après le décès de sa femme dans Lolita. Pour insister sur la joie intérieure du personnage, et donc le malaise, et jouer sur notre capacité à rire d’abord de la situation avant de nous rendre compte de son horreur, Stanley Kubrick y ajoute une petite musique de ukulélé qui n’a franchement rien d’une marche funèbre. Paul Verhoeven va dans ce sens mais il fait encore preuve de trop de timidité. La satire dans cette situation n’a pas à faire dans la subtilité, car c’est bien le contrepoint, la grossièreté du procédé qui doit faire son petit effet.

Reste que si la satire ne va pas assez loin (des Que la bête meure, ou des Lolita, il n’y en a pas deux par décennie), d’autres aspects du film sont beaucoup moins convaincants ou trouvent moins d’intérêt à mes yeux.

Le thriller est raté par exemple (un genre qui se noie assez mal dans la soupe ou le mélange proposé) et tout l’aspect interprétatif, supposé psychanalytique, me passe par-dessus la tête (c’est peut-être le signe que le film est bon parce que je ne vois personne proposer la même interprétation).

Les acteurs principaux sont très bons et c’est assez surprenant avec une direction étrangère (le casting avant tout) et assez rare dans des productions françaises. Quelques seconds rôles pas à la hauteur ou quelques moments plutôt embarrassants toutefois, qui pour le coup, là, peuvent s’expliquer par la nationalité du réal et le manque de compréhension sur le plateau. Le réal d’ailleurs propose le service minimum en termes de mise en place toujours comme dans un bon Chabrol et c’est une sobriété plutôt bienvenue. Le contraire aurait plongé le film dans une sorte de thriller schumacherien d’un goût suspect. Et même si une austérité (et un humour noir) à la Haneke a sans doute encore rendu l’approche du sujet plus efficace.

La fausse note du film en revanche, franchement chiante, c’est sa musique. À me faire presque regretter l’austérité et la distance de Haneke. Et c’est bien le reproche majeur que je peux faire au film : son caractère composite. Un peu comme si dix films étaient montés en même temps avec l’espoir qu’au moins un contente chaque spectateur. Eh bien oui, j’ai aimé l’humour, la satire timide, et quand il y avait un autre film à l’écran j’attendais indifférent comme pendant une pub.

Mais comme quoi, parfois ça se joue aussi, à peu de choses. Je suis convaincu qu’Isabelle Huppert est une actrice exceptionnelle, pourtant je peine toujours à m’identifier aux personnages qu’elle interprète. Dans Haneke, encore, comme ici, je la trouve froide et presque trop forte. C’est parfois le problème des stars vieillissantes qui survolent presque et dominent trop leurs personnages. On ne peut plus croire à une quelconque fragilité parce qu’on les a déjà vues survivre à tant d’histoires. Plus jeune, Huppert possédait cette fragilité : corps menu, les rousseurs candides de la jeunesse, une timidité encore présence derrière la dureté de façade. Et quelque chose s’est perdu en route. La timidité s’est effacée pour ne plus laisser que la dureté, l’autorité. Difficile de s’émouvoir, de croire aux tracas et à la vulnérabilité d’une demi-déesse. Quand l’autorité s’impose à soi, malgré soi, aucun acteur ne peut lutter contre, et il faut choisir alors des rôles en conséquence.

 

Elle, Paul Verhoeven 2016 | SBS Productions, Twenty Twenty Vision Filmproduktion GmbH, France 2 Cinéma, Entre Chien et Loup


Liens externes :


Paul Verhoeven

crédit Paul Verhoeven

Classement :

10/10

9/10

  • Black Book (2006)

8/10

  • Total Recall (1990)
  • Robocop (1987)
  • Spetters (1980)

7/10

  • Qu’est ce que je vois? (1971)
  • Elle (2016) 
  • Starship Troopers (1997) 
  • Turkish délices (1973) 
  • Soldaat van Oranje (1977)
  • Le Quatrième Homme (1983)

6/10

  • Basic Instinct (1992)
  • Hollow man – L’Homme sans ombre (2000)

5/10

  • La Chair et le Sang (1985)

4/10

  • Showgirls (1995) 

3/10

Film commenté (article) :


Listes :

Simples notes :

Turkish délices (1973)

À la base, faire un film sur le loukoum, c’était pas du nougat.


Réponse à un article sur LeMagduCiné concernant Showgirl de Paul Verhoeven et de sa réhabilitation auprès de la critique et du public actuel. (J’en ferai peut-être un article plus tard, le sujet est suffisamment intéressant pour s’y pencher de plus près.)

Une époque formidable. C’est amusant, je compare l’interprétation de certains de ce film à celle qu’aurait voulu qu’on fasse de son film Oliver Stone pour Tueurs nés sorti l’année précédente. Dans une satire, ce qu’on juge, c’est pas que ce soit présenté comme une satire, mais que la satire soit réussie. Perso, je doute qu’on réussisse une satire à grands coups de marteau et d’opulence vulgaire. La satire, c’est un peu comme une histoire drôle, ce n’est pas parce que c’est fait pour être drôle, qu’elle sera réussie. La satire peut d’ailleurs passer par l’ironie, c’était la spécialité du cinéma italien au cours des années 60. Mais comme pour toutes formes de satire, ça réclame de la subtilité. Et là encore, c’est vrai, la satire, c’est un peu comme l’humour, elle est rarement partagée par tous. Sauf quand on franchit allègrement les limites du ridicule et du vulgaire comme dans Showgirl.

Les spectateurs ont ça de particulier qu’ils cherchent toujours à se démarquer de leurs pairs/pères. Et pour tuer le pair, on va à contresens de ses goûts et de ses interprétations. Showgirl devient ainsi un trésor de subtilité et une satire que n’aurait pas su comprendre les anciens.

Hé, tout le monde à l’époque a compris que c’était une satire. Mais une satire vulgaire, moche et globalement insupportable.

En réalité, la question ne se pose pas là. Si Oliver Stone avait eu l’année précédente la volonté de dénoncer la violence avec Tueurs nés sans comprendre la “subtilité” de l’univers de son auteur (Tarantino) et tombait donc dans ce qu’il cherchait au départ à dénoncer, la question est presque identique pour Verhoeven : l’humour faisait-il partie de son numéro d’équilibriste visant, comme d’autres, la comédie satirique ?

C’est bien de ré-interpréter un film vingt ans après (et on fait ça sans arrêt depuis un siècle), mais il n’est pas inutile de le remettre dans le contexte de l’époque pour comprendre ce qu’aurait plus probablement cherché à faire, et raté, Verhoeven :

Il sort de Basic Instinct, dont une des scènes mémorables joue précisément sur la confusion des genres, sur la satire ironique et subtile. Il suffit souvent à ce stade d’un rien pour basculer dans le ridicule, ce que ne manqueront pas de faire à la place Verhoeven certains comiques en parodiant la scène en question. Puis Verhoeven, aux yeux de tous alors, se vautre avec Showgirl en allant cette fois trop loin ou en dosant mal ses effets. On comprend qu’il fait une satire, il a toujours été dans la critique de la société américaine, rien de neuf sous le soleil, mais cette fois, ça capote, c’est en tout cas sur quoi s’accordent à la fois le public et la critique.

Il s’en moque lui-même, et ça apparaît semble-t-il comme un aveu et une preuve qu’il considère lui-même son film comme un échec. Non pas incompris, mais raté. Parce qu’une satire, c’est comme une blague mal racontée, ça marche ou ça rate. Tout le monde a compris la « blague », c’est juste que racontée comme l’a fait Paul, elle est loin d’être drôle, et donc pour la satire, réussie.

Que fait-il après cet échec ? Ben, une nouvelle satire pardi, pourquoi changer ? C’est un « auteur », il creuse un sillon… Seulement, il semble comprendre, un peu, là où son film précédent péchait et il tente de réajuster la recette de sa satire, et ça donne Starship Trooper qui n’est pas non plus un modèle de satire (et pour être franc, je ne crois pas que l’humour, ou le second degré caustique, de Paul Verhoeven soit aussi subtile que celui des films italiens des années 60, ni même que le fort de Verhoeven soit précisément la satire tendance ironique : la nullité de Showgirl n’était pas dans son absence totale d’humour, après tout, Robocop est une critique de la société américaine sans disposer du moindre humour — du moins, le peu d’humour qu’on y trouve alourdi plutôt le film, et c’est valable aussi pour Total Recall).

Il n’est pas le seul à avoir tenté ça au cours des années 90. Tarantino, les frères Coen ou Tim Burton ont plus ou moins joué sur ce registre. Y a rien dans ces années qui ne se lit au premier degré. Et si on lit un peu plus Showgirl au premier degré à cette époque, c’est bien parce qu’à côté de tous ces maîtres du second degré, Verhoeven était en dessous.

Alors, l’article est intéressant, seulement comparer Showgirl à A Star is Born ou à All About Eve, d’accord, mais pour le coup, je ne suis pas sûr de comprendre si l’auteure de l’article a compris ces films : parce que ce sont justement des satires et des critiques sévères du « rêve américain ». Et accessoirement, des chefs-d’œuvre.

Parfois, trouver la bonne tonalité d’un film, ça tient à peu de chose. Showgirl, c’est Elizabeth Berkley. C’est elle qui tient tout le film sur ses épaules et qui, par conséquent, lui donne sa couleur. Vous mettez n’importe quelle actrice que Sharon Stone dans Basic Instinct, et j’ai peur qu’il y ait de grandes chances que la scène des jambes croisées deviennent sidérantes de vulgarité et au final réellement ridicule. Parce que c’est Sharon Stone, parce qu’on la sait à la fois pleine de classe et assez intelligente pour savoir jouer toute la duplicité de la situation. Et parce que dans cette scène, ce n’est pas le minou qui joue le mieux, mais bien l’expression de l’actrice. Vous mettez une actrice de série comme Elizabeth Berkley dans la même scène (ou dans n’importe quel film quelconque), et je suis sûr à 100 % qu’on ne peut y croire et qu’elle serait incapable de jouer sur la même duplicité. Parfois on est un peu esclave de son physique, et c’est ainsi, certains acteurs, on pourra jamais les encadrer ; et parfois, on n’a tout simplement pas le talent d’une Bette Davis ou d’une Judy Garland.

Dans la même veine, autour de Showgirls :

juillet 2021

Réaliser une satire, c’est comme avancer sur un fil de faux-souvenirs. Certains seront certains d’y avoir vu un chef-d’œuvre, d’autres un navet.

Cette révision de Showgirls m’amusera toujours autant. Pas assez cependant pour me faire revoir le morceau.

Exemple de commentaires :

https://t.co/EmH7aP31MP

Et parfois, ça tient vraiment à un fil. Je suis persuadé qu’avec une autre actrice, ça aurait déjà plus fonctionné. Comme disait Hitchcock, les emplois passés d’un acteur influencent les suivants. J’imagine que cette révision ne peut se faire qu’en ignorant le passé de l’actrice. Starship Troopers par exemple ne tombe pas aussi bas. Pourtant le principe utilisé par Verhoeven semble identique. La nullité est plus diluée dans un ensemble d’acteurs médiocres.

Mais le mieux encore, c’est d’en prendre de bons et de se souvenir qu’une satire ce n’est pas une parodie de série B.

RoboCop et Total Recall sont à ce titre pour moi quasi parfaits (voir Spetters). Tout le reste se maintient péniblement sur le fil ou se vautre de manière grotesque dans le vide.

J’ajoute qu’il y a un phénomène qu’on pourrait presque qualifier de psychologique, difficile à mesurer, et qui là encore ne cesse de me fasciner. C’est de voir à quel point le spectateur se nourrit et se laisse influencer par des éléments extérieurs au film. Si de mon côté, le passif télévisuel de l’actrice avait sans aucun doute joué sur ma réception du film, et si les spectateurs plus récents ont échappé à cet argument de poids en défaveur du film, je serais curieux de voir jusqu’à quel point cette révision (non pas ratée mais aux proportions ici spectaculaires), est aussi le résultat d’un mouvement général de réhabilitation de la critique concernant ce film, et que certains spectateurs ne feraient que suivre (sans que cela n’altère la légitimité de leur perception — le spectateur ayant toujours raison). Il serait bon que chacun s’essaie à déterminer son degré supposé de sensibilité aux suggestions et influences extérieures au film.

Un facteur connu consiste, inconsciemment, à rejoindre la perception ou le jugement des personnes du groupe avec qui on a vu le film, voir celui qui nous l’a recommandé. La presse en est un autre. Et chez certains, elle opère un peu comme les tendances, les modes, en matière d’habillement ou de comportements. Trouver du génie dans Showgirls serait ainsi aussi tendance que… de commander un café dalgona en terrasse. La hype.

Paul Verhoeven