Le Lézard noir, Kinji Fukasaku (1968)

Le Lézard noir

Kuro tokagele-lezard-noir-kuro-tokage-kinji-fukasaku-1968Année : 1968

6/10 IMDb iCM

Réalisation :

Kinji Fukasaku

Avec :

Akihiro Miwa, Isao Kimura, Kikko Matsuoka, Yûsuke Kawazu, Kô Nishimura

On peut difficilement imaginer film plus baroque (voire kitsch), et c’était probablement l’ambition affichée… mais de qui ? Est-ce un film de Rampo Edogawa (l’auteur de l’histoire) ? de Kinji Fukazaku (le réalisateur) ? de Yukio Mishima (qui a assuré ici l’adaptation “théâtrale” et qui s’amuse en y jouant une “poupée”) ? J’aurais tendance à penser vu la réputation dont peut jouir l’auteur du Pavillon d’or qu’on irait sans problème mettre toutes les qualités supposées (mais aussi parfois réelles, bien que très très rares) du film à son crédit. Sauf que tout ce que touche Mishima n’est pas d’or, non. Sans compter que le problème majeur du film, c’est bien qu’on n’a aucune idée de qui tient la barre. Ç’a son charme, à la Casino Royale, reste que si on juge le film dans sa cohérence, ça n’a ni queue ni tête. Quant au plaisir, il se limite surtout au format…

Le début du film est plein de promesses, et cela, on le doit principalement à Fukazaku qui semble se faire la main pour ses prochains effets de Combat sans code d’honneur (zooms, gros plans, panos rapides et montage syncopé, parfois même comme ici avec un rythme lent). Le jeu de regards (encore et toujours) est très réussi. Malheureusement la suite part complètement en vrille, volontairement souvent, mais c’est rarement drôle. Reste, c’est vrai, quelques fulgurances dans les dialogues. Et surtout une image comme on en fait plus aujourd’hui.


(Vu également quelques jours plus tard, le Nain, de Seiichiro Uchikawa (1955), adapté du même Rampo Edogawa… et c’était une catastrophe — Seiichiro Uchikawa réalisera presque dix ans plus tard Dojo yaburi.)

Le Lézard noir, Kinji Fukasaku 1968 Kuro tokage | Shochiku


La Maison des geishas, Kinji Fukasaku (1998)

Masoguchi

La Maison des geishas

Note : 2.5 sur 5.

La Maison des geishas

Titre original : Omocha

Année : 1998

Réalisation : Kinji Fukasaku

Scénario : Kaneto Shindô

Avec : Maki Miyamoto, Sumiko Fuji, Kaho Minami, Mariko Okada

Intéressant (mais raté) de voir une tentative de réveil des films de geishas des années 50, âge d’or du shomingeki où le problème de la fin de la prostitution avait déjà été parfaitement raconté. C’est presque un sous-genre en soi, puisqu’au lieu de découvrir la vie de gens de la classe moyenne, on se focalisait sur la trajectoire tragique d’une geisha, d’une maiko, et plus souvent encore d’une maison de geishas.

Les vieux nostalgiques remettent les couverts. Kaneto Shindo est aux commandes du scénario et y produit un mix de deux films de cette période du réalisateur qui lui avait en quelque sorte mis le pied à l’étriller : mélange assez peu convaincant donc entre Les Musiciens de Gion (surtout concentré sur l’apprentissage de la maiko) et La Rue de la honte (la fin de la prostitution) de Kenji Mizoguchi (Ayako Wakao y tenait d’ailleurs deux rôles opposés, celui de la maiko naïve, puis celle de la geisha intéressée et sans illusions). C’est l’un des problèmes du film : le scénario se révèle particulièrement verbeux (ironique quand on sait que le meilleur, ou le plus connu, des films de Shindo, LÎle nue, était totalement muet).

Je passe sur le désintérêt total d’une telle resucée (le Geisha de Hideo Gosha, parmi les tentatives pour relancer le « sous-genre », en 1983, me paraissait bien plus intéressante et efficace en choisissant une période un peu moins traitée, et en le mixant, là, au style yakuza de l’avant-guerre), parce que le plus grossier est ailleurs. Si Shindo ne s’est pas collé à la réalisation, c’est peut-être qu’il avait mieux à faire cette même année en en réalisant un autre avec Rintaro Mikuni… Mystère. Reste que, ce qui s’apparente d’abord à un hommage à Mizoguchi finit en farce moisie parce que pour faire un film tout ce qu’il y a de plus classique, on vient pécho le maître de la caméra syncopée, Kinji Fukasaku, réalisateur de la série des Combat sans code d’honneur… Fukasaku, honnête, ou inspiré, voyant les lauriers recueillis indûment pour ce film (il a été nominé pour le Prix de la meilleure réalisation de l’Académie japonaise), foutra un grand coup dans l’okiya en réalisant deux ans après Battle Royale (allez viens, pépé, on s’en moque de la politique des auteurs).

C’est que pépé Fukasaku ne se foule pas trop. En fait, il demande à ses actrices de gueuler comme ses acteurs de films de yakuzas pendant que lui, pour une fois, regarde sans rien faire (je vais t’en faire un film façon Ozu, tu vas rigoler : « silence ! moteur ! action… sieste »). Ça donne un spectacle de télévision où les acteurs parlent trop, trop vite et trop fort, où la caméra n’est jamais à la bonne distance (dans une scène avec du monde et différents groupes, choses que Fukasaku faisait pourtant systématiquement dans Combat sans code d’honneur, au lieu de foutre la caméra au milieu de tout ça et de balancer les champs contrechamps, il place au contraire sa caméra à l’extérieur provoquant des champs contrechamps fades où tout le monde apparaît à l’écran), où le montage et les mouvements de caméra semblent être faits en direct (un peu comme dans un match de foot où bien sûr les techniciens n’ont aucune idée d’où ira la balle : la technique qui suit les acteurs, au lieu de jouer la même partition… raccords et désaccords).

Ce qu’il y a de pire (mais ça, c’est le drame des films japonais depuis des décennies), c’est sans doute l’image qui semble être littéralement chiée dans la pisse (flous jaunis et ombres coagulées). Après tout ça, n’importe quel pépé nostalgique du temps de la prostitution aurait certes envie de foutre des claques aux nubiles en jupe courte remplaçant désormais les frêles et dociles maikos dans le cœur pervers des Japonais. Quand Combat sans code d’honneur rencontre La Maison des geishas, ça donne Battle Royale. Normal.

On se consolera (pour les nostalgiques du cinéma de l’âge d’or des années 60) avec la présence de Sumiko Fuji (Lady Yakuza — en voilà une qui pissait dans l’opusculaire) et de Mariko Okada (pour une fois débarrassée de son Yoshida chéri).


La Maison des geishas, Kinji Fukasaku 1998 Omocha Toei


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Kinji Fukasaku

 

Ce qu’il y a de reposant chez Fukasaku, c’est que c’est toujours la même chose. Je capte que dalle aux histoires des yakuzas, mais il suffit de comprendre que c’est une bande d’agités contre d’autres agités. Tout l’intérêt de la chose, c’est cette sorte de composition presque chorégraphique du chaos. À première vue, ça ne ressemble à rien, des types qui se tapent dessus. Sauf que tout est charcuté au millimètre. Seuls le rythme et l’atmosphère comptent alors et, à l’intérieur de ça, c’est du rock’n’roll. Jamais une note de trop ; la caméra est toujours là où il faut, quand il faut.

Ensuite, c’est dirigé au métronome. Alternance entre les séquences boom boom où ça pétarade et les séquences plus feutrées. À l’intérieur même des séquences, il arrive à changer de rythme, preuve d’une grande maîtrise sur la question (on aurait tendance à confondre rythme et vitesse, alors que le sens du rythme, ce serait plutôt cette capacité à varier le tempo, à savoir jouer des ruptures, des moments de suspension, des relances, des accélérations). Pas besoin de comprendre, c’est de la musique.

Son style ne semble pas avoir changé d’un iota en quarante ans. Je n’aime pas Nolan, mais il y a un peu du réalisateur d’Inception chez lui. Nolan maîtrise beaucoup moins bien les changements de rythmes, mais il y a la même conception syncopée du montage, une préférence pour les gros plans, une caméra mobile pour changer rapidement d’angle (et utilisation du zoom si nécessaire) et une utilisation constante (là, je peux me tromper, n’étant pas spécialiste de la photo) des longues focales pour enfermer les personnages dans le cadre et réduire l’espace visible autour d’eux (ce qui a pour effet d’augmenter le hors-champ et de nous pousser à imaginer ce qu’on ne voit pas au-delà des bords du cadre). À l’image du Parrain à la même époque dont la réalisation parait toujours aussi moderne, là ça fait la même chose, vu que beaucoup de réalisateurs continuent d’utiliser ce type de mise en scène. Il ne prend pas une ride, le Mick Jagger de la caméra.

Pour Battle Royale, certains s’étonnaient quand on leur donnait l’âge du type qui avait réalisé le film. Imagine-t-on Manoel de Oliveira réaliser un James Bond ? (il n’est pas trop tard d’ailleurs Manoel !).

Fukasaku a aussi réalisé La Marche et Sous les drapeaux l’enfer. On est loin des yakuzas. Le premier est une comédie absurde ; le second, une enquête sur un disparu de guerre. On y retrouve pourtant la même densité (de mémoire, la réalisation repose moins sur le montage et la chorégraphie du chaos). Les ambiances n’ont rien à voir.

Classement : 

10/10

9/10

  • Battle Royale (2000)

8/10

  • Le Cimetière de la morale (1975)
  • Sous les drapeaux, l’enfer (1972)

7/10

  • La Marche de Kamata (1982)
  • Battles Without Honor and Humanity I / Combat sans code d’honneur (1973)
  • Battles Without Honor and Humanity II / Qui sera le boss à Hiroshima ? (1973)
  • Battles Without Honor and Humanity III (Proxy War) (1974)
  • Battles Without Honor and Humanity IV (Police Tactics) (1974)

6/10

  • Shogun Samourai (1978)
  • Le Lézard noir (1968) **

5/10

  • La Maison des geishas (1998) *
  • Battles Without Honor and Humanity V (Final Episode) (1974)

*Film commenté (article) :

**Film commenté (court article)

Kinji Fukasaku