Frankenstein, Guillermo del Toro (2025)

Note : 4 sur 5.

Frankenstein

Année : 2025

Réalisation : Guillermo del Toro

Avec : Oscar Isaac, Jacob Elordi, Christoph Waltz, Mia Goth, Charles Dance

Encore un petit effort et le prochain qui se colle à l’adaptation du roman comprendra que le génie de Frankenstein (et celui de Mary Shelley) tient plus de sa composition narrative que de la composition de sa créature.

Dans mon commentaire sur le roman, je m’interrogeais sur la manière dont le cinéma pourrait précisément illustrer le dilemme non seulement narratif mais linguistique de l’œuvre. Parce que Frankenstein est bien plus qu’un simple roman de science-fiction horrifique, c’est un patchwork narratif de génie qui reproduit l’éclatement cosmopolite de l’Europe du XIXᵉ siècle, une allégorie, presque, de la fécondité des relations sociales et internationales de l’époque illustrée par la créature (à travers son adaptabilité, sa sensibilité et son génie propre — Mary Shelley ne cherche pas à rabaisser la créature par l’intermédiaire de la langue, au contraire, elle l’élève à notre niveau pour en faire un alter ego).

Comme on pouvait s’y attendre, Guillermo del Toro évite de faire parler ses personnages français et les transpose vite en Grande-Bretagne. L’aspect continental, dira-t-on (voire polymorphe ou composite du roman), n’apparaît que dans l’évocation de l’enfance du docteur (sans préciser qu’il s’agit de la Suisse, sauf si cela m’a échappé), et l’on y entend quelques mots de français qui ne semble pas être un français de Suisse, ni même un français international de la haute société européenne, mais un français de personne non francophone choisi sur le tard pour le casting… Bref, il s’agit de toute façon d’une adaptation et en dehors de cet aspect étrange et difficile à transposer, c’est en revanche l’aspect narratif qui pour une fois tente un minimum de reproduire à l’écran l’écueil du roman épistolaire.

J’écrivais dans mon commentaire que le roman comptait trois voix, on n’en a plus que deux ici. Le roman est parcouru de peu de péripéties, c’est sans doute pour cette raison qu’il est à la fois si difficile à adapter « à la lettre » (en respectant l’essence polymorphe du roman) et susceptible de laisser une grande marge de créativité (Guillermo ne s’en est pas privé : il s’approprie quantité d’éléments — autobiographiques, expliquait-il à la séance — en recomposant largement les lieux et les péripéties). Le choix a pourtant presque toujours été de se focaliser sur les événements (rarement conformes à Shelley). L’intérêt du roman, comme la plupart des chefs-d’œuvre, se situe autant dans son fond (sujet, thème) que dans sa forme (narrative et symbolique). L’une des surprises à la lecture du roman après en avoir vu diverses adaptations est de voir lire la créature : voir en particulier ce que la lecture et son apprentissage ont fait d’elle (parce que c’est elle qui s’exprime, à l’écrit, dans le roman). Au cinéma, même si l’on peut s’autoriser à y voir adapté d’une manière ou d’une autre l’aspect littéraire et épistolaire du roman, cela passe forcément par la parole. Toutes les adaptations se focalisent sur la créature au moment où celle-ci parle à peine. Guillermo del Toro se contente de la faire brièvement philosopher et d’évoquer ses lectures.

Alors, gageons que la prochaine fois sera la bonne. Un récit enchâssé à la Citizen Kane apporterait quelque chose de plus à Frankenstein. Cette autre voie devrait être possible. À la fois plus fidèle et capable de moderniser le mythe en insistant sur l’aspect polyphonique (et polymorphe) du roman. La créature n’apparaît pas seulement comme un monstre à cause de sa physionomie, mais parce que partout où elle passe, elle est « l’étranger » dont on se méfie : elle « naît » en Allemagne, mais sa langue « maternelle » devient le français, et le tout doit être retranscrit… en anglais. La créature, c’est donc le migrant d’aujourd’hui, l’être cosmopolite, le savant vagabond méprisé dans les sociétés modernes, celui que l’on craint parce qu’il pourrait nous « grand-remplacer » (Guillermo del Toro, plus que Mary Shelley, joue sur la peur de voir les pauvres petites demoiselles du continent succomber au charme « monstrueux » de l’étranger, reprenant ainsi plutôt un motif de Dracula). Le rapport de la créature avec le docteur Frankenstein n’est ainsi pas exclusif. Le sujet du roman, c’est autant l’expérience de l’altérité que la quête de l’espace vital d’une créature modelée par l’homme condamnée à lui survivre. Cette altérité ne se trouve pas seulement évoquée à travers la question de l’apparence de la créature, mais aussi à travers les différentes langues diégétiques du récit, à travers les différentes classes sociales abordées, à travers les différents lieux. Compacter tous ces aspects en une seule langue, un seul lieu, une seule classe, c’est un peu réduire la créature à un vulgaire animal de compagnie, à un simple bout de viande qui se dérobe à notre fourchette.

Le film possède une autre qualité : son design. Je ne suis pas fan des lumières créées par ordinateur, mais costumes et décors valent le détour. Le château des expérimentations évoque à la fois la version de 31 (de ce que je m’en rappelle, surtout pour son entrée, son escalier) et celle de Branagh (la chambre d’expérimentation et sa tour). Quant à la créature, elle évoque plus… le Prométhée de Ridley Scott. Elle est plus proche de l’homme augmenté que de la vision néandertalienne proposée dans les précédentes versions.

Le film est long. Il aurait gagné à prendre encore plus le temps lors des grandes séquences émouvantes « créature/humain ». Les obligations hollywoodiennes… La distribution Netflix ouvrait la voie à une adaptation en deux ou trois volets… Une série, un jour peut-être…


Frankenstein, Guillermo del Toro (2025) | Bluegrass Films, Demilo Films, Double Dare You, Netflix


Liens externes :


Si vous appréciez le contenu du site, pensez à me soutenir !

Unique
Mensuellement
Annuellement

Réaliser un don ponctuel

Réaliser un don mensuel

Réaliser un don annuel

Choisir un montant :

€1,00
€5,00
€20,00
€1,00
€5,00
€20,00
€1,00
€5,00
€20,00

Ou saisir un montant personnalisé :


Merci. (Si vous préférez faire un don par carte/PayPal, le formulaire est sur la colonne de gauche.)

Votre contribution est appréciée.

Votre contribution est appréciée.

Faire un donFaire un don mensuelFaire un don annuel

Le Baron fantôme, Serge de Poligny (1943)

Le Baron fantôme

4/10 IMDb

Réalisation : Serge de Poligny

Avec : André Lefaur, Odette Joyeux, Alain Cuny, Alerme

Une histoire du cinéma français

Cent ans de cinéma Télérama

Mélange des genres plutôt baroque et mal fichu. On recycle les acteurs parfois géniaux des comédies des années 30, mais plus à l’aise dans le vaudeville (où prime le rythme, la situation, la tonalité, sur la justesse cinématographique), et on plante tout ce joli monde dans les pieds d’Odette Joyeux (qui s’en tire, elle, pas si mal) et d’Alain Cuny, le spectre cunéiforme de la mort incarnée…

Si on assiste peut-être avec ce Baron fantôme à une des fantaisies jamais bien sérieuses de Jean Cocteau, il faut souligner la mise en scène à la fois pompeuse et maladroite de Serge de Poligny. De belles ambitions poétiques (veine féerique), voire vaguement expressionnistes, mais aucune maîtrise de la tension, du mystère et encore du rythme (quand on mêle divers genres, ça tient souvent de l’impossible gageure).

C’est plus facile d’adapter Claudine à l’école.

Dans mon souvenir, ça ressemble pas mal aux films à la noix comme L’Éternel Retour (de la même année d’ailleurs). Un certain troll allemand avait dit alors : « J’ai donné des ordres clairs pour que les Français ne produisent que des films légers, vides, et si possible, stupides. » Mission remplie. Cocteau a dû se sentir comme un coq en pâte.


Le Baron fantôme, Serge de Poligny 1943 | Consortium de Productions de Films


Macbeth, Roman Polanski (1971)

Note : 4 sur 5.

Macbeth

Titre original : The Tragedy of Macbeth

Année : 1971

Réalisation : Roman Polanski

Avec : Jon Finch, Francesca Annis, Martin Shaw

Excellente adaptation. Polanski fait de Macbeth une tragédie presque lumineuse quand on la charge peut-être trop souvent d’obscurité. Il évite le ton sur ton et arriverait presque à gommer ce qu’il y a d’antipathique chez un individu à poursuivre une quête folle du pouvoir. Macbeth est plus montré comme victime du destin qui se joue de lui à travers les sorcières, que celui de sa femme manipulatrice. Les deux sont extrêmement jeunes ici, voire un peu naïfs. Pas con, puisque leur folie et leur sort final n’en deviennent que plus tragiques. Le côté lugubre de la pièce avait tendance à me rebuter un peu, mais avec un tel éclairage, il faut avouer que les deux Macbeth gagnent plus facilement notre sympathie. Bien meilleure adaptation en tout cas que celle de Welles* et de Kurosawa (les deux tombant, là, dans le piège du ton sur ton).

*Mis B donc 9 ou 8 au Welles, en fait, en 2006, pas grand souvenir.

Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point Macbeth, Hamlet et Richard III étaient structurées pratiquement de la même manière. Trois tragédies sur des usurpateurs, sur le pouvoir conquis ou à conquérir. Une entité initiale chargée d’éveiller et de prédire le sort, l’ambition, du personnage principal (Lady Marguerite, les sorcières, le spectre du père d’Hamlet). L’utilisation des éléments surnaturels entrant en contact avec le héros tourmenté (le père d’Hamlet, les sorcières mais surtout les visions des fantômes pour Macbeth, les fantômes également dans Richard III). Un combat annoncé contre un freluquet exilé (Fortinbras, Richmond, Macduff), et donc un combat final (à l’épée) se terminant par la mort du personnage principal. L’utilisation par le héros de personnages de seconde zone pour agir à sa place mais qu’il convainc lui-même de tuer avant de les faire tuer à son tour (les assassins divers dans Richard III, ceux qu’engagent Macbeth pour faire tuer Banco, et de manière plus détournée dans Hamlet, qui engage là des acteurs pour jouer un meurtre en espérant ainsi confondre — démasquer — le roi). Le rapport aux mains souillées après un meurtre et donc la culpabilité qui va avec (pas souvenir dans Hamlet cela dit). Un personnage qui peu à peu tombe dans la folie (qui parfois ne l’est pas toujours, comme avec l’intervention des spectres). Des consciences tourmentées par des actions (ou une quête du pouvoir) que d’autres voudraient qu’ils entreprennent en leur nom (moins clair dans Richard III qui passe pour l’arriviste de première, mais on voit bien aussi que sa monstruosité est cet élément qui le pousse comme une revanche à prendre le pouvoir, tout comme sa volonté à légitimer sa branche royale ; Hamlet est pressé par le spectre de son père et par sa conscience de fils à le venger ; Macbeth est lui poussé par sa femme). Trois pièces identiques avec un habillage différent…


En prime, un petit « raté » à la Cinémathèque.


Macbeth, Roman Polanski 1971 The Tragedy of Macbeth | Columbia Pictures, Playboy, Caliban Films Ltd.


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables de 1971

Top films britanniques

Listes sur IMDb  : 

MyMovies: A-C+

Liens externes :


Les Hauts de hurlevent, William Wyler (1939)

La Horde de Hurlevent

Les Hauts de hurlevent

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Wuthering Heights

Année : 1939

Réalisation : William Wyler

Avec : Merle Oberon, Laurence Olivier, David Niven

Du Bronté produit par Samuel Goldwin, mise en scène par William Wyler, et interprété par Laurence Olivier. Si ce n’est pas de la dream team ça…

Une mise en scène qui fout bien les boules au début avec les violons dans la neige (on aura les mêmes quarante ans plus tard dans LEmpire contre-attaque). Tout en flashback, comme toutes les bonnes histoires gothiques (oui, il n’y a pas que le film noir), comme pour mieux entrer dans une histoire qu’on veut fantastique ; ça pourrait tout aussi bien être un rêve, un mensonge (la sophistication de la mise en abîme qui plongerait presque le film dans le baroque si on y avait en plus les couleurs et des optiques torsadées). Le reste, c’est du mélo. L’amour impossible qui rentre en conflit avec le paraître.

Ça ressemble pas mal à Jane Eyre finalement. Le même personnage de l’homme autoritaire dévoré par sa passion ; et ces femmes rendues idiotes par leur amour. Les mêmes patelins paumés habités par le mystère et ses fantômes. Et puis, au moins, le mauvais temps, c’est crédible dans le nord de l’Angleterre.

An -2 avant CK. Pas de contre-plongée, pas de plan-séquence. Mais ça paraît bien sophistiqué tout de même pour 1939. Bien léché, rien à dire. Peut-être l’effet gothique déjà. La sophistication s’écrit avec un W, qui veut dire Welles, ou bien donc Wyler… (Ça marche aussi avec D.W Griffith ou Josepth L. Mankiewicz ; un peu moins avec Wilder, sauf pour Boulevard du Crépuscule peut-être… Le K, c’est pas mal non plus. Et le Z. OK, je range mes runes.)


Les Hauts de hurlevent, William Wyler 1939 Wuthering Heights | The Samuel Goldwyn Company


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1939

Listes sur IMDb :

MyMovies: A-C+

Liens externes :