Tempête à Washington, Otto Preminger (1962)

Note : 4 sur 5.

Tempête à Washington

Titre original : Advise & Consent

Année : 1962

Réalisation : Otto Preminger

Avec : Franchot Tone, Lew Ayres, Henry Fonda, Walter Pidgeon, Charles Laughton, Don Murray, Peter Lawford, Gene Tierney, Burgess Meredith

Il y a donc une époque durant laquelle aux États-Unis les secrétaires de département (l’équivalent des ministres) se faisaient nommer et devaient ensuite montrer patte blanche devant une commission d’investiture dirigée par le Sénat (il est question ici de valider la candidature du secrétaire d’État chargé de la politique étrangère). C’est tellement plus exotique que de promouvoir prosaïquement les grands financiers de sa campagne et de se servir du Sénat comme d’une simple chambre d’enregistrement…

Le passé comme ennemi

Sur le plan institutionnel, la leçon est d’importance. L’éclairage apporté concerne aussi certains usages de la petite politique américaine (le genre d’usages que les partis finissent par dévoyer à des fins différentes de ce pour quoi ils ont été créés).

L’événement censé être anodin d’une validation de candidature prend des proportions plus imposantes qu’attendu face d’abord aux conséquences et aux enjeux de la situation internationale (on est au tournant de la nouvelle décennie, et même si le roman initial évoque une autre période, ce début des années 60 est marqué par des tensions accrues avec l’Union soviétique, l’envoi de Spoutnik et de Gagarine dans l’espace, la bombe nucléaire qui commence à proliférer dans le monde, etc.). Mais c’est surtout ensuite le passé communiste supposé du personnage incarné par Henry Fonda qui sera la pierre d’achoppement compliquant sa nomination au poste de secrétaire d’État. Cet aspect obsessionnel renvoie aux années noires du maccarthysme. L’époque ayant changé, l’enjeu de cette nomination oppose deux logiques peut-être absentes du roman : le risque de l’infiltration et le pragmatisme d’un secrétaire d’État capable d’éviter la guerre. Preminger, aidé de son scénariste, a sans aucun doute permis de poser un regard beaucoup moins caricatural, plus incertain et plus cynique sur les enjeux et les préoccupations parfois paranoïaques entourant cet événement.

Il est suggéré que l’auteur du roman, jamais marié, aurait pu être homosexuel. Or, au passé trouble du candidat, s’ajoute un jeu d’influence qui finit en chantage impliquant le président de la commission de candidature : il n’est alors plus question d’accusation de communisme, mais d’homosexualité. Le passé comme ennemi. J’ignore la manière dont à la fois les communistes et les homosexuels sont dépeints dans le roman de cet auteur conservateur lui-même suspecté d’avoir été secrètement homosexuel ; il est certain en revanche que Preminger les traite comme des victimes. Au pire, le spectateur américain de l’époque pourra y voir des repentis.

Rôle de la mise en scène

C’est tout le rôle de la mise en scène qui se pose ici. Réaliser un film, ce n’est pas que placer sa caméra ou choisir des acteurs, c’est aussi lui conférer la direction vers laquelle aller quant à l’interprétation des personnages et à la couleur à donner aux enjeux du film. Je suis en train de lire Les Tommyknockers de Stephen King. Vers la fin du roman, la sœur du personnage féminin principal vient à sa rencontre parce qu’elle refuse de donner des nouvelles alors que leur père est mort. Un peu à l’image d’un Hitchcock dans Psychose, King passe une longue période à décrire son personnage avant de s’en débarrasser. À la lecture, la sœur est imbuvable. C’est pourtant dans ses excès qu’il est réussi. Odieux, haut en couleur, tandis qu’on se délecte de ses agressions verbales et de son tempérament volcanique dans le roman, il pourrait faire l’objet dans une adaptation d’une des pires représentations de la femme acariâtre à l’écran et aurait toutes les chances de dégoûter le spectateur. Il y aurait pourtant un moyen de lui faire « passer la rampe ». Au théâtre, on apprend aux jeunes acteurs à défendre coûte que coûte leur personnage, quel qu’il soit. Rendre sympathique, éclairer un caractère est loin d’être un caprice de star qui s’efforcerait de ne pas froisser son image auprès du public. Cherchez les films que vous appréciez avec des personnages imbuvables. Les méchants, les salauds, les tyrans doivent exercer une certaine fascination sur nous à l’écran. On aime Richard III, on aime Joe Pesci dans Les Affranchis, on aime Dark Vador. Le tempérament de cette sœur odieuse chez Stephen King doit être préservé, mais l’interprétation doit aussi la sauver de la médiocrité, de l’excès et de la caricature. Sans chercher à en faire un personnage de comédie, le but consistera à trouver un entre-deux qui attire le regard du spectateur, l’intrigue, comme le personnage de Patty intrigue dans La lune était bleue.

Comme tous les bons cinéastes, c’est ce vers quoi tend Preminger dans ses meilleurs films et en particulier ici dans Tempête à Washington. Qui pourrait croire que le candidat à l’investiture pour le département d’État joué par Henry Fonda puisse faire preuve de déloyauté envers son pays ou être un homme malhonnête le rendant inapte à la fonction ? Les actions passées sont une chose, comme les mensonges sous serment. La sincérité, en est une autre. Non, en voyant ce que font Preminger et Henry Fonda de cet homme, impossible de lui imaginer de mauvaises intentions. Il y a une scène magnifique (probablement pas dans le roman) dans laquelle le candidat semble parti pour faire la leçon à son fils. Oui, il a menti et ce n’est pas bien. Pourtant, dans certaines situations, et en cas de force majeure (quand il en va de l’intérêt supérieur de l’État), cela devient nécessaire. Il faut cependant accepter humblement les conséquences éventuelles de ces actes. (L’argument ouvre toutefois droit à toutes les justifications… de la part des pires crapules, mais disons qu’ils auront moins de scrupules à user de ce discours et seront moins enclins à faire profil bas.)

Roman/mise en scène

Il aurait été si simple de faire du candidat le pourri de l’histoire et gageons que dans le roman, la perception du personnage est tout autre. Si Henry Fonda échappe au déshonneur d’un personnage ayant flirté avec le communisme, le rôle du pourri de l’histoire revient à un des seuls acteurs capables de jouer autant les comédies que les drames, de jouer les entre-deux indéfinissables et de rendre sympathiques, truculents, les pires salauds possibles : Charles Laughton.

Le sénateur de Caroline du Sud interprété par Laughton tire les ficelles, s’immisce dans la commission d’investiture en fournissant des éléments à charge contre le candidat : aujourd’hui, on dirait qu’il trolle. Mais il ne trolle pas sans atouts dans sa manche. Il y a fort à parier que dans le roman initial, il soit présenté de manière positive par l’auteur, comme une sorte de garant de la moralité et des valeurs républicaines face à ces dégénérés de communistes.

Le roman semble en revanche, malgré ses aspirations conservatrices, adopter le regard positif et bienveillant qu’emploiera Preminger pour le candidat au passé communiste sur le président de la commission, victime, lui, de chantage : son passé n’est plus communiste, mais homosexuel.

Le récit décrit efficacement l’aliénation et le dilemme auquel sont condamnés les homosexuels, emprisonnés derrière les murs du secret. Le message est limpide : ces hommes forcés de taire leur orientation sont les victimes des intolérances de la société, pas des pervers. Si l’homme politique finit traumatisé par l’éventuelle révélation de son homosexualité, c’est qu’il a organisé toute sa vie professionnelle et familiale autour d’un mensonge. Il se mentait plus à lui-même qu’aux autres. Difficile de jeter la pierre à un tel personnage. (Par ailleurs, les brèves apparitions d’homosexuels dans le film évitent également la caricature : pas de cage aux folles ici.)

Chaque camp semble ainsi agir comme de véritables chefs de la mafia pour faire céder leurs opposants, avec chacun ses coups fourrés : accusation d’un passé communiste pour l’un, chantage à la révélation d’un passé homosexuel pour l’autre. Elle est jolie la politique. On se croirait presque dans du Shakespeare.

Plus que jamais, mettre en scène, c’est faire des choix, définir des orientations. Et paradoxalement, c’est aussi insister sur une forme de juste milieu ou d’indécision. Cela consiste donc ici à « défendre » tous les personnages. Anciens communistes comme homosexuels.

Dans le film, notamment, le président semble moins coupable que dans le roman : on souligne plus le fait qu’il est fatigué (alors qu’il vient d’être élu ?) et qu’il s’attache obstinément à la nomination de l’homme qu’il pense être le plus qualifié pour le poste (dans le roman, il semble clair que l’auteur voit ce président libéral comme une menace et un futur allier des Soviétiques, tandis que dans le film, c’est un choix rationnel pour nommer un homme capable d’éviter une escalade en période de guerre froide). L’instigateur de ce chantage visant à faire céder le président de la commission implique ainsi plus volontiers un sénateur de la majorité décidé à passer en force pour faire accepter la nomination du candidat du parti (ou du président)…

Autre différence probable : la dernière partie du roman semble faire du vote une formalité en défaveur du candidat, alors que tout le suspense du film repose au contraire sur une égalité et un twist mettant fin à la procédure de désignation. (Si dans le roman, le président ne meurt pas, ce serait une légère incohérence à noter dans l’adaptation. Même si l’on a vu depuis qu’élire des grabataires à la Maison-Blanche n’avait rien d’exceptionnel.)

Sur la forme, je ne serais pas loin de penser que Preminger a initié, malgré lui sans doute, une esthétique, un type de récit qui donnera la décennie suivante les films paranoïaques ou les thrillers mettant en scène des journalistes ou des hommes politiques, à commencer par Point limite, encore avec Henry Fonda, ou par Sept Jours en mai. La multiplicité des décors, le passage rapide d’un lieu à un autre, l’absence de personnage central, tout cela donne au drame un rythme particulièrement haletant. L’histoire serait basée sur la perte d’une aiguille à tricoter dans une série d’hospices qu’avec un tel entrelacement d’événements se répondant les uns aux autres d’une séquence à l’autre que l’on regarderait sans broncher.

La réussite de Preminger face à Lumet ou à Frankenheimer par exemple, c’est sa capacité à tourner simplement dans des décors naturels. Pour sortir des bureaux où se trament le plus souvent ces histoires politiques, il faut être un champion pour trouver les meilleurs coins possible et les justifier avec des lignes de dialogues. Et si, quand on vient réunir tout ce monde dans des pièces en intérieur, on s’arrange pour trouver la meilleure scénographie à tout cela, le spectacle est assuré malgré l’austérité supposée du sujet. (En même temps, qui irait prétendre que les pièces de Shakespeare souffrent de sujets trop austères ?)

Les 4 dimensions de la mise en scène

Voilà qui me fait dire qu’il y a quatre dimensions à la mise en scène.

D’abord, j’identifierai ce que je qualifiais autrefois spécifiquement de « réalisation », autrement dit, tout ce qui est lié à la caméra, l’aspect technique, la mise en lumière, le découpage technique, etc.

Dans cette ancienne qualification, la réalisation hardware s’opposait à la « mise en scène », censée être software : elle concerne tous les aspects mouvants, moteurs, acteurs au sein de la diégèse, par conséquent, la direction des acteurs et du sous-texte, la définition des actions autour de la scène principale, la détermination des enjeux secondaires, et les interactions de toutes sortes à l’intérieur et en dehors du champ.

Viendrait ensuite la scénographie (confiée à un art designer ou à un chef décorateur) : les cinéastes s’impliquent plus ou moins dans ce secteur, mais presque toujours, sauf dans un système de studio, ils se contentent d’avoir le dernier mot sur tout ce qui est en rapport avec le choix des décors intérieurs comme extérieurs, le choix des accessoires et leur utilisation par les acteurs ou dans le cadre.

Enfin, il conviendrait de mettre le « regard porté » à part : j’en parle plus haut, réaliser un film, c’est faire les choix consistant à donner les directions aux acteurs qui ne les enferment pas dans des caricatures, donner une patte personnelle, parfois humaine, cynique, amusée sur l’histoire mise en scène. C’est le facteur le plus subjectif et le moins identifiable. Certains peuvent identifier la patte d’un cinéaste, des motifs personnels, entre conjectures et fantasmes, on sait jamais ce qui appartient au cinéaste ou à celui qui le commente. Sans ce regard porté, pourtant, le cinéma n’est plus un art.

Voilà pour une définition personnelle du rôle de la mise en scène.

Parce que quand les critiques (ou les autres) parlent de mise en scène (ou de réalisation), on sait en définitive rarement de quoi l’on parle. Rester vague permet de brasser des évidences ou des concepts rassembleurs. Et quand on ne joue pas de l’effet barnum, on confond le « regard porté » avec les éléments de l’intrigue en prêtant au cinéaste des intentions qu’il n’a pas. Non, dans une histoire, la plupart du temps, même quand vous êtes le seul auteur, la direction que vous donnez aux événements contés reste limitée à ce que vous pouvez dire aux acteurs. Les enjeux sont déjà établis par une histoire, un scénario, et la morale suggérée par l’intrigue même ou par la direction d’un dénouement. De ce qu’un cinéaste peut alors transformer à sa guise pour que les événements portés à l’écran se conforment à ce que lui veut y voir quitte à changer des éléments de l’intrigue ou du scénario, on en sait, en général, peu de chose. Alors on suppute, et l’on a raison de le faire, mais il faut en admettre la portée limitée.

C’est ce que j’ai fait ici en ne m’interdisant pas quelques suppositions à propos des différences entre le roman et l’adaptation, en prêtant à Preminger des intentions qui pourraient ne pas être les siennes. Quand les divergences abondent entre un roman et son adaptation, et quand le réalisateur se trouve être le producteur ayant acheté les droits du livre, je crois qu’on peut s’autoriser à penser que Preminger est l’auteur d’une bonne part de la direction prise par l’histoire. La plupart du temps, critiques et cinéphiles ne disposent pas autant d’indices autorisant ce niveau d’audace interprétative…

Transparence

Pour finir, j’avais évoqué certains films de Preminger dans mon article sur l’histoire des transparences au cinéma. Preminger fait mieux que bien d’autres cinéastes. Il est réaliste, il y a assez peu de doute quant au fait qu’il se méfiait de ces séquences tournées en studio. De plus en plus. C’est même probablement pour échapper aux studios qu’il est venu tourner Bunny Lake a disparu en Angleterre. Un plan tourné dans un habitacle de Tempête à Washington m’avait échappé pour mon article. Le plan est très court.

Presque toujours, Preminger se limite à montrer les automobiles arriver dans des séquences avec un personnage qui en ressort pour vite se rendre à l’intérieur d’un bâtiment. C’est ce qu’il fait quand le président de la commission rejoint la boîte gay new-yorkaise. À une différence près : le cinéaste nous gratifie de ce plan rapproché très court semblant avoir été réalisé à la sauvette dans la rue (depuis l’habitacle ou l’extérieur). Il y a presque déjà du Haskell Wexler là-dedans. Une fraction de seconde si utile pour contextualiser l’ambiance d’une ville et une transition dans un récit. Une image prise sur le vif comme on vole une image dans un bar homosexuel au début des années 60…

L’Europe te tend les bras, Otto.

Mobile.

As-tu songé à dire « Au revoir, tristesse ? » Non. Alors, reviens.



Tempête à Washington, Otto Preminger (1962) Advise & Consent | Otto Preminger Films, Alpha Alpina


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Les indispensables du cinéma 1962

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Mickey One, Arthur Penn (1965)

Note : 2.5 sur 5.

Mickey One

Année : 1965

Réalisation : Arthur Penn

Avec : Warren Beatty, Alexandra Stewart, Hurd Hatfield, Franchot Tone

Film sous influence probable de la nouvelle vague européenne, mais ça ressemble peut-être plus à une comédie tchécoslovaque ou nippone de la même époque qu’à un bon film. Ce qui frappe de prime abord, c’est que le film ne procède pour ainsi dire à aucune introduction. Le générique est constitué de séquences bordéliques dont on ne sait quoi penser, puis un long flashback se met en place. Après cela, aucune présentation du personnage principal digne de ce nom ne se fait. Et par conséquent, puisque ce moment crucial d’identification n’est pas respecté, aucune empathie envers lui n’est déclenchée ni possible. Tout par la suite ne semble alors plus apparaître que comme une grande agitation forcée, un peu comme une mascotte de MMA polonais faisait le pitre à la mi-temps d’un match de basket dans les Landes. L’humour de l’Est venant s’échouer dans une soupe hollywoodienne, voilà qui est original.

La critique aurait moqué la prétention du film. Et je ne peux qu’abonder dans leur sens. À quoi toute cette agitation montée en jump cut peut bien servir sinon à dire « regardez-moi » ?

J’avoue ne trouver toujours aucun intérêt à Warren Beatty. Un énorme talent, mais qui me laisse froid. Une histoire de présentation avortée peut-être. J’aurais beau faire tous les efforts possibles, sa présence ne m’inspirera qu’antipathie et indifférence. Quelque chose dans les yeux ou dans la surinterprétation, le côté agaçant des personnes trop expressives, trop envahissantes. Les petits yeux rapprochés donnent un air vide que l’acteur compense par des expressions justes, mais bien trop nombreuses à mon goût. Sa sœur souffrait du même problème, mais le pauvre Warren ne peut pas souligner son regard de faux cils (les acteurs burlesques usaient de crayon noir, comme au théâtre, peut-être que Warren aurait dû en prendre de la graine…). L’insolence des belles gueules peut-être aussi, pour qui tout est dû et facile. À moins que ce soit le côté saoulant des types qui ne s’arrêtent jamais de parler, de bouger, de séduire… Ce n’est pas un pitre, c’est un lapin Duracel.

Le silence… Le talent, c’est aussi se laisser regarder, c’est aussi laisser les autres prendre de nous le peu qu’on leur donne. Le vaudeville et la screwball comedy en avaient fait la démonstration : même une comédie à cent à l’heure doit aménager des instants de ruptures, des micropauses permettant au public de respirer.

Je vous foutrais le beau Warren dans un personnage de criminel, moi. Un producteur pour donner à ce Beatty, un rôle de tueur ? Vous le flanquez ensuite d’une jolie blonde tout aussi perverse que lui, et le tour est joué ! Les petits yeux ne sont pas faits pour la comédie.

En dehors de son acteur, de son agitation lourde et de son introduction ratée, paradoxalement, par certains aspects, le film évoque Lenny, mais en bien plus réussi. Par son sujet loufoque (un comique qui le devient par accident et qui refuse le succès de peur de voir son passé ressurgir…), le film rappelle cette fois les fantaisies loufoques (et pas forcément très drôle non plus) de Woody Allen.

Quelque chose dans l’air dans ces années 60 laisse décidément penser que le cinéma américain se cherche et craint de ne trouver la solution. Et que fait-on quand on a peur de disparaître ? On force beaucoup, on abat ses dernières cartes, on se met à poil, et l’on fait tout pareil, mais avec de nouveaux excès. Pourtant, le burlesque mêlé à une forme arty, ça passe moyen. En Europe de l’Est, peut-être, à Hollywood, non.

Par d’autres aspects, le film se rapproche de Daisy Glover tourné la même année. Une volonté identique presque de refaire A Star is Born l’humour en plus (et, ici, l’ambition en moins). Robert Redford et Warren Beatty, surtout dans leurs premiers films, représentent tellement ce Old Hollywood qui se cherche avec de nouvelles têtes… Beatty, lui, n’a pas rencontré son Sydney Pollack capable de gommer ses gesticulations d’acteur « moderne ».

Parce que, moi, les acteurs qui gesticulent, ça m’épuise.


Mickey One, Arthur Penn (1965) | Florin, Tatira


L’Intruse, Alfred E. Green (1935)

Note : 2.5 sur 5.

L’Intruse

Titre original : Dangerous

Année : 1935

Réalisation : Alfred E. Green

Avec : Bette Davis, Franchot Tone, Margaret Lindsay

Film bâclé et sans grand intérêt hormis pour ses deux acteurs principaux. L’intrigue est resserrée comme un vieux slip de grand-mère, et on doit compter les péripéties sur les doigts d’une main. Heureusement d’ailleurs, parce que rien d’autre ici à se mettre sous la dent que du bien prévisible (ça abrège les souffrances).

Un architecte tombe amoureux d’une ancienne actrice à succès, réputée pour porter la poisse et alcoolique. Il délaisse alors sa dulcinée, a l’honnêteté de lui dire (les personnages honnêtes au cinéma, c’est ennuyeux, ça coupe net toute possibilité de corser l’intrigue), et retourne vers sa belle bientôt remise sur pieds pour retourner sur les planches. Et là, quand l’actrice lui demande comment sa fiancée a réagi, il balance ça d’un magnifique revers de main : « Tu sais, elle est plus forte que nous tous. » L’excuse idéale pour ne pas se soucier des problèmes que l’on cause aux autres. Magistral d’inconsidération masculine.

C’est le premier Oscar pour Bette Davis. On ne va pas dire qu’elle est formidable, mais sa récompense annonce comment les acteurs seront récompensés par la suite : surtout pour un certain type de personnage, sur une manière d’aborder un rôle, plus que pour leur talent. Pour être plus clair : des personnages devant passer par toutes sortes d’états d’âme, d’émotions, de vicissitudes (on doit les voir au plus bas et au plus haut) et en particulier les voir composer des personnages soit en rupture totale (ici, misère et alcoolisme) soit en décalage avec leur emploi habituel (ce qui forcera l’admiration des “professionnels” pour la “composition” de l’acteur en question).

Le talent de Bette Davis est ailleurs. Une personnalité d’abord, un sacré sens du rythme (à Hollywood, il faut savoir donner à voir, avoir l’œil vif et expressif, capable de jouer les changements d’humeur dictée par la situation, quitte encore à manquer de justesse) et donc malgré tout une justesse rare à l’époque (même si quand on compare à ce qui arrivera vingt ans plus tard, tout sonne forcé). On la connaîtra bien meilleure, notamment dans Eve.


L’Intruse, Alfred E. Green 1935 Dangerous | Warner Bros.


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Sadie McKee, Clarence Brown (1934)

Note : 3.5 sur 5.

Sadie McKee

Année : 1934

Réalisation : Clarence Brown

Avec : Joan Crawford, Gene Raymond, Franchot Tone, Edward Arnold

Le charme des productions hybrides au sortir du muet (on est pourtant en 1934). Clarence Brown, qu’on imagine plutôt adepte du classicisme (comme tout-venant de la MGM en fait), qui se mue ici, du moins dans la première partie du film, en prince du naturalisme. Aucune musique d’accompagnement sinon le Auld Lang Syne final à la Capra (toutes les autres musiques sont diégétiques).

Audace aussi d’un débutant avec pour le coup un procédé loin du naturalisme : le passage d’une pièce à une autre en travelling latéral d’accompagnement en cassant le mur (et forcément réalisé en studio) : une proposition qu’on retrouvera maintes fois par la suite mais un procédé plutôt incongru dans une production MGM.

Cedric Gibbons (directeur artistique de la major) est de la partie, et si toute la première partie naturaliste ne lui ressemble pas, c’est par la suite dans les riches décors intérieurs qu’on reconnaît la marque des productions du studio.

Edward Arnold est exceptionnel en nouveau riche alcoolique sauvé par sa précieuse : c’est son personnage de La vie est belle, en plus positif, bouffé par la bonne humeur (et l’ivresse) de Falstaff.

Joan Crawford & Edward Arnold

On retrouve le rythme hybride, lent, du naturalisme (là encore, loin des exigences de rapidité qui est souvent la règle dans l’univers des studios) : les séquences s’éternisent, ce qui laisse, au contraire des productions qui se font au montage (et autour des raccords, afin de formater les avancées dramatiques en cours), la possibilité aux acteurs de prendre le pouvoir et d’imposer leur rythme (si cette lenteur semble parfois coupable, car illégitime dans les séquences de routines, comme si on attendait un rebondissement important, elle sert au contraire à marquer l’intensité lors des moments importants de l’intrigue).

Étrange objet.


 


 

 

 

Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1934

 

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L’Inconnu du palace, Dorothy Arzner (1937)

Bride et Préjudice

The Bride Wore RedThe Bride Wore RedAnnée : 1937

Réalisation :

Dorothy Arzner

5/10  IMDb

Avec :

Joan Crawford, Franchot Tone, Robert Young, Billie Burke, Reginald Owen

Typique des films de studio de l’époque : production mainstream réunissant la crème des artistes et techniciens sous contrat pour initier un projet coûteux mais parfaitement calibré pour le goût du public. Aucun risque, on assure avec ce que le spectateur connaît et apprécie déjà sans se soucier de faire un film ambitieux ou cohérent.

Résultat, un fric de fou dépensé mais aucun à-propos.

Une histoire, un film, pour la ou le raconter, il faut un certain sens des proportions, savoir quand couper des scènes inutiles, quand d’autres sont nécessaires pour éviter les raccourcis faciles, et pour ça il faut autre chose que les gros sabots d’un grand studio. Quand ce n’est pas la chance, c’est un cinéaste capable de prendre les bonnes décisions en dépit des vents contraires qui vous assurent ce savoir-faire… Et là, on a juste l’impression de voir un paquebot que personne ne dirige.

Dorothy Arzner assure dans le découpage ; les décors sont parfaits si on excepte les extérieurs parfois ridicules ; tous les acteurs sont formidables, mais à peu près tous à contre-emploi ; certaines répliques font mouche ; mais le sujet est ridicule, et personne n’est là pour redresser la barre de ce qui aurait été probablement impossible à rendre meilleur.

Le premier des talents, c’est celui du renoncement. On se compromet, on est aux ordres, ou pas. Triste de voir autant de talents filer à la catastrophe.

L’Inconnu du palace, Dorothy Arzner (1937) The Bride Wore Red Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)


Si l’on mariait papa, Frank Capra (1951)

Si l’on mariait papa

Here Comes the Groom
Année : 1951

Réalisation :

Frank Capra

Avec :

Bing Crosby
Jane Wyman
Alexis Smith
Franchot Tone
James Barton

9/10 IMDb iCM

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L’obscurité de Lim

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Lim’s favorite musicals

Plus une screwball comedy qu’une véritable comédie musicale (Robert Riskin — NewYork-Miami, Vous ne l’emporterez pas avec vous — est de la partie). Ç’a peut-être quinze ans de retard (y compris sur l’âge des acteurs), mais ç’a le bon goût de rester en noir et blanc, et quel bonheur… À croire que Gene Kelly a piqué toutes les expressions de Bing Crosby et que Jane Wyman n’a pas eu la carrière (comique) qu’elle méritait, plus abonnée par la suite aux mélodrames sirupeux. Le moindre second rôle est un régal. Pas l’ombre d’un personnage antipathique. Et un bel exploit, trouver un gosse de dix ans parfaitement bilingue et être capable de nous décrocher chaque fois un sourire… Le sourire d’ailleurs, il ne nous quitte pas tout au long du film.

Si l’on mariait papa, Frank Capra 1951 Here Comes the Groom | Paramount Pictures


Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche, Gregory La Cava (1933)

Nul prophète à la Maison-Blanche

Note : 2.5 sur 5.

Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche

Titre original : Gabriel Over the White House

Année : 1933

Réalisation : Gregory La Cava

Avec : Walter Huston, Karen Morley, Franchot Tone

Les deux premiers actes sont très bons (le premier au niveau des dialogues et de l’humour, le second pour la mise en place de petites idées utopistes du président), malheureusement, le troisième est une sorte de discours du Rebelle illustré par des maoïstes intégristes… Une demi-heure de conneries sans nom, propagandiste d’un autre temps, à coup de « on va faire la guerre à tous les méchants de la planète, nous, la race anglo-saxonne, parce qu’on n’arrive pas à nous mettre d’accord avec les autres, ces sous-développés ; on va leur montrer combien le christianisme va sauver le monde »…

Rarement vu un film se vautrer à ce point en commençant fort et finir ainsi dans la boue. Ne jamais faire confiance à des artistes pour trouver des solutions aux problèmes du monde. Toutes les utopies mènent à une forme de fascisme…

Reste les acteurs formidables et une mise en scène efficace. À se demander pourquoi Franchot Tone et Karen Morley ne sont pas devenus de véritables stars à cette époque. Leur talent est indéniable et ils sont tous deux plutôt charmants… Un petit côté trop lisse peut-être pour l’époque, un manque de fantaisie. On loue plutôt, pour franchir cette ultime marche de la gloire, l’impertinence, voire la sauvagerie ou un côté tendant franchement vers la screwball. Trop sages, trop policés. Soit. Mais avoir de tels seconds rôles dans une distribution, c’est un luxe. Dommage de les y voir dans un film qui les oublie trop vite.

Il est à noter aussi que cette rétrospective « élections américaines » à la Cinémathèque (en réalité plus une rétrospective sur la politique américaine) permet assez bien de pointer du doigt les errances jamais irrésolues d’un système en politique et cela quel qu’il soit. Depuis les Grecs (qui avaient inventé ce qui se rapproche le plus de la démocratie directe), les mêmes constats, le même espoir d’un monde meilleur, et toujours la nécessité de se résoudre à une seule conclusion : le monde évolue, change, progresse sans doute dans un sens sans qu’on sache souvent vers où, mais il avance seul, poussé par des forces souterraines qui sont presque toujours issues de la société civile ; le progrès, s’il existe, est presque toujours à mettre au crédit des avancées scientifiques, médicales ou technologiques. Aucune utopie n’a jamais fait la preuve de sa capacité à promouvoir le bien-être, le progrès ou le bonheur pour tous. Peut-être parce que justement, le monde et le progrès ne se nourrissent pas de bonnes intentions, et parce qu’aucun « programme » ne saurait satisfaire l’ensemble des populations ou « lutter » pour un hypothétique bien commun.


 

Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche, Gregory La Cava 1933 | Le Président dictateur, Gabriel Over the White House | Cosmopolitan Productions, Metro-Goldwyn-Mayer


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