Wonder Bar, Lloyd Bacon (1934)

Note : 3.5 sur 5.

Wonder Bar

Année : 1934

Réalisation : Lloyd Bacon

Avec : Al Jolson, Kay Francis, Dolores del Rio, Dick Powell, Guy Kibbee

Comédie musicale sans grandes prétentions tournée juste après la trilogie à succès de la Warner des Gold Diggers. On profite des chorégraphies kaléidoscopiques de Busby Berkeley, mais bien plus encore des pitreries chantées d’Al Jolson, l’interprète du Chanteur de jazz. Ses numéros de cabaret, typiques du music-hall de l’époque, consistent à proposer différentes vignettes chantées et dansées des cultures du monde (le bar en question possède une enseigne lumineuse écrite en plusieurs langues, ça donne le ton cosmopolite du film).

À noter quelques sketches en russe pleins de jeux de mots malheureusement incompréhensibles (un côté Marx Brothers), un duo sadomasochiste de domination du mâle sur la femme où Dolores del Rio danse et se soumet au fouet avant de poignarder son amoureux… Et surtout un finale où Al Jolson reprend son numéro qui l’a rendu célèbre, dit-on, celui du blackface : les visionneurs contemporains qui ne comprennent rien à cette représentation positive (c’est souvent le cas au cinéma) des Noirs du sud pourront être scandalisés parce qu’on y trouve un numéro rempli de centaines de blackfaces façon Busby Berkeley (disponible ici).

En réalité, ces artistes, dès l’époque du ragtime, puis avec le jazz, n’ont jamais cessé de servir de ponts entre les cultures. Si certains minstrel shows dans le Sud étaient clairement racistes, ragtime et jazz étaient dans un autre registre et ont définitivement cassé les barrières culturelles d’alors : chacun empruntait aux autres pour ne finalement plus constituer qu’une culture commune, qu’une histoire commune. Celle des artistes.

Sur d’autres extraits, Jolson reprend les gants blancs rapportés aux grooms ou aux gentlemen, costume repris quelques années après par Eleanor Powell, puis des années après par Michael Jackson, qui poursuivra et finira d’achever cette tradition de passerelles entre les cultures pour ne constituer qu’une seule communauté, celle des artistes.

Sacré interprète que cet Al Jolson : un formidable chanteur, une autorité certaine.


Wonder Bar, Lloyd Bacon 1934 | First National Pictures


Sur La Saveur des goûts amers :

Le rehearsal movies

The Matinee Idol, Frank Capra

Liens externes :


Carioca, Thornton Freeland (1933)

I have a good feeling about this…

Note : 2.5 sur 5.

Carioca

Titre original : Flying Down to Rio

Année : 1933

Réalisation : Thornton Freeland

Avec : Dolores del Rio, Gene Raymond, Raul Roulien, Ginger Rogers, Fred Astaire

Il y a un avantage certain à évoluer parmi les seconds rôles dans un film médiocre. Quand l’histoire ne tient pas la route, quand les numéros proposés sont globalement pitoyables, le spectateur, ou les critiques, cherchent à se raccrocher à ce qui semble sortir du lot. Ginger Rogers et Fred Astaire, ici, steal the show, non pas parce que leur performance est remarquable en comparaison de ce qu’on connaît de la suite, mais parce que le scénario les place plus que nécessaire sur le devant de la scène, que les premiers rôles sont mal définis et plutôt quelconques, et bien sûr parce que grâce à leur(s) talent(s), ils parviennent malgré tout à créer un peu de vie dans ce grand néant.

L’histoire est probablement un prétexte à proposer aux spectateurs un peu d’exotisme, à travers le personnage de Dolores del Rio et de l’environnement (Floride, puis Rio). Alors, c’est très joli, le design est parfait, la photographie tout autant. Seulement, si on peut accepter pour certains films basés sur des numéros que l’ensemble ne soit qu’un prétexte, ici on met l’accent sur le romantisme et le classique triangle amoureux. Et quand ça ne tient pas la route, on regarde ailleurs.

Dans les vaudevilles, les revues, à Broadway, il y a toujours un maître de cérémonie qui fait le lien entre les numéros. Il présente la suite, propose lui-même de courts numéros, commente souvent avec ironie… Ici ce rôle est tenu par Ginger Rogers et par Fred Astaire. Ils survolent en quelque sorte cet océan de médiocrité, regardent avec ironie et distanciation le monde qu’on nous présente, et c’est bien pour ça qu’ils captent non seulement notre attention, mais reçoivent immédiatement notre adhésion. Ils sont à la fois à l’intérieur de l’action, et à côté, avec nous. Un peu comme le duo C3-PO R2D2 de la Guerre des étoiles ou Statler & Waldorf dans le Muppet Show… Et puisqu’on s’emmerde pendant tout le film, on se met à fantasmer sur la vie qu’ils pourraient mener en dehors de ce monde.

Ginger Rogers apparaissait la même année dans deux des trois chefs-d’œuvre musicaux de la Warner de 1933 (elle n’apparaît pas dans Footlight Parade) et se faisait surtout remarquer pour son tempérament et son talent comique. Elle tient ici un rôle tout aussi acerbe et la RKO gommera cet aspect grincheux dans les films où elle tiendra le haut de l’affiche avec Fred Astaire, mais si on peut rêver tout à coup à une idylle entre ces deux énergumènes, il est fort probable qu’on les ait réunis ici pour leur tempérament comique. C’était plus délicat avec Fred Astaire, qui comptait bien commencer une carrière solo maintenant que sa sœur Adele avec qui il avait dansé plus de vingt ans, était mariée. Officiant ici en maître de cérémonie, il doit également jouer les comiques et ne s’en tire pas trop mal. On retient surtout cette carioca interprétée avec Rogers. Pas franchement très emballant, mais on voit la maîtrise, et déjà l’alchimie du couple qui fera sensation par la suite : difficile à dire ce que pouvait donner Astaire avec sa sœur, car il n’en reste aucune image, mais il adopte bien ici la fantaisie de Ginger Rogers, comme elle profitera sans doute de la rigueur et de l’aisance d’Astaire. Comme il le fera par la suite, on sent que c’est lui qui dirige, commande. Avec sa sœur, c’était elle qui était mise en lumière. Et Astaire sait probablement comment faire en sorte pour que ce soit lui qu’on remarque, à moins que cette aisance lui prodiguant une autorité immédiate, vienne précisément de l’habitude de mettre l’autre en lumière, sans jamais à avoir à forcer son talent. De l’autorité, et un œil surtout attentif à la performance de sa partenaire. Un œil à la fois bienveillant, mais aussi l’œil du professeur guettant les erreurs de ses élèves. Sa maîtrise à lui est telle qu’il n’y a que des certitudes dans le moindre de ses gestes, et de la facilité aussi, car on sent qu’il en garde toujours sous la pédale, ce qui est clairement le signe des génies. De la désinvolture aussi, celle que seuls les plus grands encore peuvent laisser apparaître pour gommer tout ce qui est technique et effort (l’art de rendre les choses simples et faciles comme le soulignera Eleanor Powell en lui rendant hommage cinquante ans après). Notre C3PO dansant a également l’occasion de se produire ici en solo, et même de pousser la chansonnette, mais il ne sera jamais aussi bon, ici ou ailleurs, qu’avec une partenaire, justement parce qu’il savait comme personne les rendre meilleures (toujours le même principe dans le jeu des acteurs, certains ont la capacité d’écouter et de regarder leurs partenaires : et celui qui sait écouter et voir, c’est lui qu’on écoute se taire et qu’on regarde ne rien faire…).

Le pouvoir des critiques était tel à l’époque que la RKO s’est laissé convaincre de les réunir en adaptant La Joyeuse divorcée. Ceux qui font la publicité, à l’époque, c’est avant tout les critiques. Et les critiques iraient difficilement se contredire… Il n’y avait de toute façon pas de quoi. L’histoire était belle, alors que dans le duo avec sa sœur, Fred n’avait jamais semblé être autre chose qu’un faire-valoir de sa sœur, voilà qu’il laissait supposer dans un film médiocre, assisté d’une autre partenaire, qu’il pouvait, et méritait, les premiers rôles. On connaît la suite. C3PO et R2D2 formeront le duo le plus célèbre de la comédie musicale, et on cherchera longtemps l’ombre d’Adele dans les pas de son frère… Les héros sont rarement là où on le croit.

Les premiers pas de Ginger & Fred (juste un doigt) :

Carioca, Thornton Freeland 1933 Flying Down to Rio | RKO


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L’Oiseau de paradis, King Vidor (1932)

Tintin chez les Vahinés

L’Oiseau de paradis

The Bird of Paradise

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : The Bird of Paradise

Année : 1932

Réalisation : King Vidor

Avec : Dolores del Rio, Joel McCrea

En dehors de l’indéniable talent de raconteur d’histoire de King Vidor, le film n’a plus grand intérêt aujourd’hui tant la connaissance, et la perception du monde dans son ensemble, avec ses différents environnements et ses différentes peuplades, a évolué depuis 1932. Le film avait sans doute une saveur exotique à l’époque, on y sent une exaltation des beautés des mondes paradisiaques des îles du Pacifique… À la limite, le film illustre et donne à voir un monde inconnu, même en trahissant probablement les usages des Polynésiens ; ce qui comptait pour le public d’alors était moins l’intérêt ethnologique que l’exhibition d’un fantasme sexuel. Et le film a ses côtés sensuels, oui.

Derrière le mythe du bon sauvage et du paradis perdu qui nous sont servis au début du film, on a droit à l’utilisation d’un peuple autochtone comme opposant au récit, au même titre que pouvaient l’être les Indiens dans certains westerns. Dans une perception contemporaine multiethnique, métissée, qui a vécu l’horreur de l’extrémisme xénophobe durant la Seconde Guerre mondiale, et dont nos tabous actuels tirent leurs origines, le film ne peut plus passer.

Si durant les années qui suivirent, sous la censure du code Hays, le film pouvait choquer par sa grande sensualité, aujourd’hui, c’est bien le visage montré des étrangers qui choque…

La femme (interprétée par une Dolores del Rio, au mieux mi-nue ; mais, c’est vrai, d’une beauté fascinante) est une représentation fantasmée du désir de l’homme, docile et aimante, prête à quitter son peuple de sauvages pour l’homme « civilisé ». Leur rencontre commence pourtant bien, telle Sephora sauvant Moïse après ses quarante jours passés dans le désert, Luana sauve Johnny des eaux… C’est ensuite que ça devient un peu plus douteux et que le fantasme va un peu loin. L’illusion qu’un homme « civilisé » puisse séduire une « sauvage » rien qu’en la désirant, que leur intérêt puisse être mutuel, ça paraît peu crédible, voire vulgaire, aujourd’hui. Lui ne veut que l’embrasser, elle, d’abord, se débat… puis se laisse faire. Aujourd’hui, on parlerait de harcèlement ou de viol. Ce qui est douteux, c’est de présenter ça comme une chose facile et due : je te désire, tu ne peux pas dire non, une fois que je t’aurais prise, tu comprendras que tu m’aimes. La xénophobie, elle commence dès cet amour forcé, fantasmé, sans une once de psychologie ou de réalisme, dès ce rapport simpliste et grossier de l’homme et de son éternelle étrangère, la femme. L’étranger est soit un ennemi barbare, soit un objet sexuel fasciné par la sophistication de l’homme blanc.

Ce « petit racisme » s’accentue quand nos deux héros jouent les Roméo et Juliette. Le choc des cultures est inégal. Chez Shakespeare, c’est le monde, les deux familles qui s’opposent à cet amour impossible et interdit. Ici, on présente clairement l’Occident comme une civilisation, un monde évolué, en opposition aux barbares, aux Polynésiens, sauvages, brutaux et cruels (forcément puisqu’ils refusent d’accepter leur amour). Johnny s’intéresse au cul de sa Luana aussi bien que nous guettons un bout de téton derrière son collier de fleurs. Mais quand il s’agit de commu-niquer, la cul-ture de Luana ne l’intéresse pas, parce que jugée inférieure, et c’est à elle d’apprendre sa langue. Le bon occidental qui la libère de son état animal pour en faire une femme évoluée… On rêve… L’idée du monde que se fait ici le pseudo-homme civilisé est simple : le monde appartient à l’homme évolué, donc à l’homme occidental, parce que sa culture est supérieure aux autres et, par conséquent, il se proclame le droit de piller, violer, ce monde à envie, sans avoir de compte à rendre à personne et certainement pas à ces animaux que sont ces indigènes, ignorants tout des beautés qui les entourent.

C’est ainsi que Johnny s’empare de la fille du chef polynésien. Il ne cherche même pas à discuter, à marchander : il la veut, et ça lui paraît tout naturel qu’il puisse la prendre s’il la veut. Je l’aime, je la désire, donc elle est à moi. On pille une femme comme on pille des ressources d’un pays, ou comme on vole les pêches du voisin sous prétexte qu’il ne les cueille pas. Un peu comme si l’Occidental, par son raffinement supérieur, était capable d’apprécier des choses que ces sauvages ne pouvaient pas. Le droit de la propriété, ça marche chez nous, mais quand on est chez les autres, on oublie nos principes et on se permet tout sous prétexte que « l’autre » n’est pas assez « évolué » pour apprécier certaines choses… Qui est le sauvage au final ?!…

Quand Luana invoque son dieu, Johnny lui dit sans ironie, sans le moindre doute sur sa supériorité, presque comme un ordre, qu’elle ne peut invoquer qu’un seul dieu, le sien. Là encore, le plus grossier, c’est que c’est présenté comme une évidence. L’homme blanc qui éduque l’indigène à la bonne parole, comme autrefois les missionnaires en Amérique du Sud ou ailleurs.

À un autre moment, pour la nourrir, l’homme chasse la tortue marine… espèce aujourd’hui protégée. Bien sûr s’offusquer d’une telle scène est anachronique, reste que c’est bien à cause de ces comportements idiots où l’homme se croit tout permis et au-dessus de la nature qu’on en arrive aujourd’hui à s’en agacer parce qu’on connaît la situation critique sur notre planète et que ce sont ces comportements qui en sont à l’origine. Anachronique oui, mais surtout un exemple de ce que nous étions, une preuve de notre mépris pour la nature et notre perception biaisée de son caractère « infini » ou « invulnérable ». Ce qui était autrefois perçu comme un véritable instant de bravoure, de courage, est aujourd’hui considéré comme un crime. On a cessé d’apprivoiser le monde. On le sait désormais : il est fini et fragile. Nous en rendre maître ne nous a pas plus aidés à le comprendre.

Cette histoire — la plus vieille que le monde ait contée —, c’est celle de la belle Hélène enlevée par Pâris. Sauf qu’il y a plus de 2 500 ans, Homère, un peu comme le fera Shakespeare avec Roméo et Juliette, construit deux blocs et raconte l’histoire selon les deux points de vue. C’est même probablement tout l’intérêt du récit : montrer les conflits d’intérêts, les dilemmes… On est déjà dans le choc des cultures, mais il y a un enjeu, celui de l’emporter face à un ennemi redoutable qui croit tout autant que l’autre camp être dans son bon droit. Trois mille ans plus tard, on a sacrément régressé dans le choc des cultures et dans la subtilité des confrontations… Il n’est plus question que du camp des hommes civilisés pour qui tout est permis, et celui des sauvages venant poursuivre bêtement leur femme comme un chien après son os. Il n’y a pas de débat possible : il y a l’homme légitime, et la bête qui doit obéir à son maître — lui devra apprendre à la dompter, ou simplement, fuir face à une telle férocité animale. Un peu rétrograde, donc.

Le récit, lui, est efficace. Il y a le savoir-faire de King Vidor. Mais c’est un rêve, un peu trop simpliste et con. Dolores del Rio n’est pas une vahiné, mais un fantasme facile, une Mexicaine maquillée comme un camion latino. Certes magnifique, envoûtante, charmante, mais elle est la preuve que son personnage est un prétexte à fantasmer, donc bien une Occidentale, une femme « civilisée »…, une femme facile, pour laquelle il ne sera pas nécessaire d’user de trop de sophistication pour la séduire. Une hymne à la femme facile. Un hymne à la bêtise bien occidentale.

dolores del rio, bird paradise, king vidor

L’Oiseau de paradis, King Vidor 1932 The Bird of Paradise | RKO Radio Pictures

Le film est entièrement disponible sur le Net, car tombé dans le domaine public

http://www.archive.org/details/Bird_of_Paradise_1932


Liens externes :