Parasite, Bong Joon-ho (2019)

Note : 4.5 sur 5.

Parasite

Titre original : Gisaengchung

Année : 2019

Réalisation : Bong Joon-ho

Avec : Kang-ho Song, Sun-kyun Lee, Yeo-jeong Jo, Woo-sik Choi, Hye-jin Jang

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Il y a une fable amusante dans Parasite rappelant un peu la fourberie du coucou pondant ses œufs dans le nid d’autres espèces pour que ses petits soient élevés par d’autres. L’ironie ici serait qu’il y aurait double filouterie avec une morale assez noire. Parce que si chez Molière ou dans la commedia dell’arte, les rôles sont inversés et on montre que les valets, s’ils n’ont l’argent, disposent au moins de l’intelligence, ici les pauvres accepteraient presque leur situation de pauvres en adoptant une posture de « parasite » vis-à-vis des riches qui seraient alors intouchables. Et la réelle lutte en fait n’aurait lieu alors qu’entre les pauvres pour s’assurer la meilleure place dans le nid des riches. Il y a toujours plus bas que soi (bien symbolisé dans le film par les deux sous-sols). L’ambition des « pauvres » à ce moment-là n’est pas de prendre la place des riches, mais de correspondre le plus à ce que les riches attendent d’eux (ne jamais « dépasser la ligne ») pour bénéficier d’une place de choix à leurs côtés. Ils éjectent les employés de la maison un à un comme un coucou jette dès sa naissance les œufs de ses hôtes, mais ils ne cherchent pas à prendre réellement la place des maîtres, peut-être parce qu’ils savent intuitivement qu’ils ne feront pas long feu dans leur monde : si le fils s’amuse lors de la beuverie « quand le chat n’est pas là les souris dansent » à noter que sa sœur passerait, elle, incognito dans ce milieu, il s’interroge plus tard sur sa propre capacité à se fondre dans cette société où les riches sont tout à leur aise (d’ailleurs, celle censée être la mieux adaptée à ce monde sera celle de la famille qui ne survivra pas — peut-être un signe que le dieu Wi-Fi veille et châtie ceux qui chahuteraient un peu trop l’ordre établi). Et si au final, le « maître » est agressé, c’est moins pour lui piquer sa place que par un geste non prémédité (le père ne fait jamais de plan comme il le dit) et en réaction à la condescendance un peu forcée de son « maître » à le pousser à associer la classe des individus à leur odeur (un cliché peut-être un peu facile mais tellement représentatif de nos préjugés).

Il y a peut-être d’ailleurs dans cette fable la même incongruité que peut inspirer l’escroquerie du coucou, parce qu’une des grandes réussites du film de Bong Joon-ho, c’est de ne pas avoir fait des « maîtres » des personnages antipathiques. Pas seulement parce que l’opposition réelle viendra une fois nos « coucous » bien installés dans leur nid et se fera avec d’autres « parasites », mais parce que ç’aurait été pousser la farce un peu loin que de faire des pauvres les gentils et des riches les méchants. Je dois avouer qu’on n’a pas toujours connu le cinéma coréen aussi subtil… Aucun doute sur la nature de ces riches : ils sont victimes d’une escroquerie, et pour beaucoup, de leur crédulité. On gagne alors à ne pas avoir de personnages réellement antipathiques, chacun étant parfaitement nuancés (sauf peut-être les deux enfants de la famille riche qui restent toutefois en retrait tout au long du film), et on se rapproche alors bien de la fable du coucou, qui pourra bien devenir trois fois plus gros que ses parents adoptifs, ces derniers seront toujours aussi dévoués et crédules. Tout au plus le « maître » pourra relever l’étrange odeur de l’élément parasite placé insidieusement dans son nid, mais ne s’en offusquera pas plus que ça (jusqu’à ce qu’au contraire, ce dégoût passager irrite tragiquement celui qui est censé en porter la marque…). La fable aurait pu être grossière, au lieu de ça, elle fascine et on tente longtemps après à en démêler les fils, les implications comme les conséquences. À la fois simple à comprendre, mais assez floue pour qu’on s’y arrête avec l’impossibilité d’y trouver une image nette et établie avec le temps. C’est à mon avis cette capacité à dépeindre des espaces flous où l’attention du public s’arrêtera sans être capable d’y trouver la netteté attendue qui fait souvent une grande œuvre. On s’approche de ces espaces, on tente une approche différente dans l’espoir d’y voir enfin un objet clairement défini, mais on n’y trouve jamais qu’une tache floue qui se dérobe à notre entendement. Comme un effet de sfumato.

La fable concerne tous les parasites qui luttent plus ou moins pour gagner les faveurs des maîtres. Ainsi quand la mère prétend que si elle était riche elle serait tout aussi gentille (voire probablement naïve) que sa maîtresse, elle ponctue sa phrase par un geste violent à l’égard d’un des chiens (autres parasites) la ramenant bassement à sa condition de parasite. On rit jaune, parce que si la plaisanterie est amusante car paradoxale, il n’en reste pas moins que la morale en creux qu’on peut lire dans cette situation, c’est qu’on ne s’élève jamais de sa condition (de parasite). Le constat suggéré est noir : l’ascenseur social est un mythe.

Le récit est parsemé de petites incohérences, mais on les accepte comme on accepte de voir les animaux parler dans une fable. Le réalisme n’est pas un souci, même si parfois, on peut être en droit de se demander si l’absence de cohérence de certains éléments ne nuit pas un peu à une certaine forme de bienséance en nous sortant du film quelques secondes (perso j’ai levé un sourcil quand le père est censé rester plusieurs mois dans le sous-sol, se nourrit dans le frigo des Allemands quand ils sont là, mais se contente de boîtes de conserve pendant les mois où il n’y a personne dans la maison, alors qu’on nous a précédemment fait comprendre qu’il n’y avait pas assez pour vivre : sinon pourquoi la gouvernante s’inquiéterait-elle de son mari après son renvoi ?). Par exemple, quand on sait que chacun des membres de la famille finit par se faire employer dans la maison, et cela en quelques semaines, on n’est pas si choqué que ça de les savoir habiter toujours leur sous-sol miteux : parce que ça relève précisément plus de la fable que du réalisme. Il y a un souci de fabulisme comme il y a un souci de réalisme. L’erreur (et peut-être Bong Joon-ho s’y est-il laissé prendre à deux ou trois reprises) aurait été de vouloir rendre chaque recoin de la trame en cohérence les unes avec les autres avec le risque de dénaturer la fable.

S’il n’est pas recommandé de raconter les différents détours d’un film, avouons qu’on échappe pour cette fois à un twist final trop souvent de rigueur dans les thrillers. Au mieux assiste-t-on à deux coups de théâtre : un, une fois que le « plan » s’achève et qui sert à relancer efficacement l’intrigue et lui faire prendre un détour plus violent (la lutte des classes inférieures pour l’accès aux ressources détenues par les « riches ») ; et un autre dans le dénouement. Rien de plus classique. Aucun retournement qui vous oblige à remâcher ce que vous avez vu ou qui subrepticement vous fait avaler votre chewing-gum. Si le film tire à la fin légèrement sur le pathos et sur les fils de la cohérence (faute notamment à l’emploi un peu trop grossier des possibilités du morse), c’est tout de même appréciable de ne pas tomber dans un excès de retournements gratuits malgré la touche ludique, divertissante, du film (c’est le principe de la satire à l’italienne). Arriver à jouer sur les deux tableaux sans que l’un n’empoisonne ou ne finisse par phagocyter l’autre, c’est assez rare. Une forme réussie de symbiose par parasitage.

Autre réussite rare, l’usage narratif des smartphones. Il n’est jamais facile d’intégrer ces nouveaux objets dans une histoire tant la place qu’ils peuvent prendre dans la mise en scène et dans le montage peut vite devenir un problème. Le défi est alors d’apporter du contenu, du sens, à travers l’écran et par le biais de quelques mots. On revient presque un siècle en arrière quand il fallait jauger le nombre d’intertitres dans son film. Et Bong Joon-ho s’en tire très bien en se limitant le plus souvent à un plan, un message, intervenant dans le montage. L’information donnée fait avancer l’action, mais la réaction à cette information sera toujours visuelle : jamais (ou rarement), un texto ne répondra à un autre. Ce serait déjà une répétition. Les Coréens étant des fous de Kakao Talk (l’équivalent de WhatsApp), on remercie Bong Joon-ho de ne pas nous noyer (comme dans la vie) dans un tunnel de plans de messagerie (deux plans d’écran de smartphone qui se suivent, c’est déjà trop : on s’inquiète déjà d’en voir apparaître d’autres).

Il est assez rare de trouver chez un même réalisateur deux talents cohabiter, celui de la direction d’acteurs et celui de la réalisation (le montage technique comme on disait à une époque). Ceux capables de faire les deux comptent parmi les meilleurs. Reste alors plus qu’à savoir raconter une d’histoire, et on peut dire qu’on a affaire à un maître. Tous les acteurs sans exception sont parfaits, et ce n’est pas seulement dû à un choix de casting ou à la chance : la mise en scène de Bong Joon-ho est si précise, qu’aucune raison de penser que certains détails dans l’interprétation des comédiens soient le pur produit du hasard. Diriger un acteur, c’est souvent l’aider à se débarrasser de tout le superflu, c’est-à-dire l’expression, le geste, le regard, qui au moment voulu donnera du sens à la situation, éclairera le récit, les intentions ou l’état d’esprit de son personnage. Un acteur, ç’a toujours tendance à vouloir en faire beaucoup ; le metteur en scène doit donc être là pour le canaliser et l’obliger à respecter une sorte de ligne claire. Voilà pour la direction d’acteurs. Quant à la réalisation, elle se met justement au service du contenu. Les acteurs doivent servir le récit pour le mettre en lumière, la réalisation aide les acteurs (et à travers eux les spectateurs) à éclairer encore plus le sens (quitte à éclairer une zone de floue comme dit plus haut). En ce qui concerne le cinéma coréen actuel, on pourrait être toujours un peu tenté de craindre une réalisation sophistiquée à l’excès, maniérée. Et étonnamment, si Bong Joon-ho se fend de quelques mouvements de caméra, ceux-ci sont toujours justifiés : un travelling latéral d’accompagnement sur un personnage marchant vite, ça aide à suivre, et à coller, à son humeur ; un travelling lent commençant sur le visage d’un personnage révélant en une seconde ce qu’il pense en laissant échapper juste ce qu’il faut pour qu’on comprenne la situation (parce qu’il se pense observé par personne, en tout cas pas par l’autre personnage qui lui fait face mais qui ne le regarde pas à cet instant), puis bougeant lentement vers cet autre personnage, ça aide à comprendre l’opposition des personnages, à les inclure dans un même espace narratif qu’un champ-contrechamp aurait moins bien rendu (dans cet exemple, c’est moins le mouvement de caméra qui importe, mais le temps de latence entre les deux visages) : le mouvement de caméra permet de garder les personnages dans le même plan et d’insister sur leur nature (d’un côté le prédateur, de l’autre, la proie). Tout se tient : le metteur en scène dirige des acteurs pour donner sens à son histoire, il dirige sa caméra pour rendre au mieux les interactions entre les personnages, et au final, le but est de raconter au mieux son histoire… Pas de faire un film spectaculaire, drôle, non, raconter une histoire. La fable avant tout.

Notons encore le rythme assez échevelé du film : ce ne serait pas une qualité si Bong Joon-ho ne savait distiller parfaitement ses effets, ralentir quand il faut la cavalerie. Parce que faire un film haletant de bout en bout, rien de plus simple. Ici, jamais on ne s’ennuie : curieux et amusés au début, on profite à la fin du premier acte, et avec les membres de notre famille d’escrocs d’un repos bien mérité. L’objectif défini au début du film est atteint, on se questionne alors de ce vers quoi pourra alors s’orienter le film. Et ça repart de plus belle. Dans les deux cas (ou les deux actes), deux procédés me semble-t-il ponctuent assez souvent parfaitement le film pour diversifier les rythmes : si la comédie use d’effets lents et laisse toute la place aux acteurs pour nous faire entrer en empathie avec eux, la seconde partie, plus thriller et action, les deux sont parsemés ici ou là à la fois de montages-séquences pour nous montrer les avancées rapides de la trame (notamment dans l’évolution de l’escroquerie, et avec toujours un choix de musique judicieux), mais aussi de montages alternés (trois sections : les trois familles en prise le plus souvent avec un membre d’une des deux autres familles). (On notera à ce propos peut-être un épilogue certes maîtrisé du côté de l’emploi du montage-séquence, avec cette fois la voix du fils servant de lien entre les plans au lieu de la musique. Il fallait certes conclure le récit, et c’était sans doute le moyen le plus pratique pour ce faire, mais Bong Joon-ho en fait à ce moment peut-être trop, trop longtemps sur ce qui n’est plus du ressort de la trame principale.) Je n’avais pas vu une telle réussite en matière de montages-séquences (de mémoire) dans un thriller depuis Gone Girl (avec le même emploi du ralenti pour évoquer l’inéluctable majesté d’un plan se déroulant comme prévu).

Je ne vois guère que certaines comédies italiennes (ou un Molière) pour rivaliser avec la maîtrise de Bong Joon-ho en matière de satire. Je pense particulièrement à Une vie difficile pour l’alliance réussie de la comédie satirique (sociétale) et le drame attachant, et au Pigeon, pour l’aspect choral et branquignolesque. Mais la réussite encore plus palpable chez Bong Joon-ho, c’est en plus sa capacité à y adjoindre encore dans ce pot-pourri déjà bien garni de styles, une pincée de thriller. Et là, en plus d’évoquer cette fois Shakespeare pour son habilité à finir assez souvent ses films dans un joyeux carnage (ce n’est pas si commun de voir autant de personnages principaux disparaître de nos jours à moins de faire un film à élimination), on ne peut s’empêcher de penser à l’archiconnu Servante, œuvrant dans les mêmes sphères domestiques et le même rapport malsain entre maîtres et serviteurs (inversement des rapports entre maîtres et domestiques, appropriation par la plèbe du bon vieux sweet home cher à la classe « moyenne »).


 


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Mademoiselle, Park Chan-wook (2016)

Mademoiselle

Ah-ga-ssi Année : 2016

7/10 IMDb

Réalisation :

Park Chan-wook

Avec :

Min-hee Kim, Jung-woo Ha, Jin-woong Cho

Partagé. Je me suis réellement réveillé au moment du twist à la fin de la première partie. Un électro-choc, ça réveille toujours, mais la réanimation qui suit est parfois douloureuse. Je me suis laissé bercer encore quelques minutes, peut-être pendant toute la seconde partie, et puis le soufflé retombé, les effets de Park m’ont lassé un peu.

Il faut cependant reconnaître un certain plaisir lié à reluquer la richesse des décors. Le montage ne nous laisse pas suffisamment le temps d’en profiter, mais on voyage, et c’est peut-être ce que cherche à faire avant tout ce genre de films.

Ce vieux garçon qu’est désormais Park Chan-wook apprendra sans doute un jour à faire plus dans la subtilité, se plaira peut-être à se situer entre les lignes plutôt qu’à les surligner, et là ça deviendra franchement passionnant. Pour l’heure, mesdemoiselles, je prends congé.



A Cappella / Han Gong-ju, Su-jin Lee (2013)

Note : 3.5 sur 5.

A Cappella

Titre original : Han Gong-ju 한공주

Année : 2013

Réalisation : Su-jin Lee

Révoltant et… éprouvant. Quelques réserves sur l’utilisation de la musique et des amies en contrepoint du traumatisme initial comme pour donner une note d’espoir alors qu’on commence à en savoir un peu plus sur la tragédie dont a été victime la principale protagoniste. J’aurais souhaité en voir plus sur les manipulations, les corruptions, les intimidations qui ont suivi les faits (traitant des suites de l’affaire, notamment judiciaires), plutôt que de voir un autre choix narratif se faire, moins distant ou documentaire, et plus focalisé sur l’empathie à l’égard de Gong-ju.

Dans ce cas de figure (adaptation d’un fait divers), je serais toujours tenté de privilégier la mise à distance avec le sujet et l’approche quasi-documentaire, voire tenté d’adopter une tout autre manière de présenter les faits en jouant à fond la carte de la stylisation.

Cette mise à distance, le film réussit très bien par ailleurs à la faire de manière générale (au contraire d’un film comme Hope), surtout dans sa première partie. L’approche reste assez subtile : le jeu de va-et-vient entre passé et présent est bien mené, utile pour qu’on puisse prendre connaissance peu à peu des événements (pour un Coréen connaissant déjà les faits, l’approche serait différente, mais dans le bon sens, parce qu’elle doit ainsi sembler plus respectueuse vis-à-vis de la victime).

L’interprétation des acteurs est excellente, tout en retenue la plupart du temps (à l’exception du père). Et la première heure, dans cette première partie où on comprend qu’elle cherche à échapper à un milieu dans lequel elle a été plongée et probablement victime, est excellente, même si encore une fois on peut se demander si cet intérêt, voire ce plaisir, suscité par les effets narratifs ainsi constitués, compte tenu du fait, encore, qu’il s’agit d’un fait divers réel particulièrement sordide, ne nous rend pas spectateurs un peu coupables et complices, ou au moins voyeurs.

Difficile d’aborder un tel sujet quand on le sait lié à des faits réels. Tout comme il est difficile de les recevoir (un défi récurrent pour les auteurs, on l’a vu récemment avec le film d’Ozon sur la pédophilie).


A Cappella, Su-jin Lee 2013 Han Gong-ju 한공주 | Vill Lee Film


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A Girl at My Door, July Jung (2014)

A Girl at My Door

3/10 IMDb

Réalisation : July Jung

aka Dohee-ya

Top des films avec des femmes indépendantes

Scénario irréaliste dans un pays où la subtilité est sévèrement réprimée. Celui qui s’en rend coupable risque une Corée-ction…

On y apprend en tout cas que les services sociaux n’existent pas en Corée du Sud, pas plus que les avocats, les juges ou les psys. Une telle manière de procéder laisse penser qu’on est dans l’esprit d’une fillette de quatre ans à qui on demanderait avec ses moyens de raconter une histoire : les adultes sont soit de gentils individus ne nous voulant que du bien (les policiers en l’occurrence) soit des gens louches dont il faut se méfier. Pour faire semblant d’ajouter de l’épaisseur à son personnage principal July Jung lui invente une histoire de gourde à classer dans le rayon mystère à découvrir, et un passé forcément lourd et victimisant.

Il y a des personnes qui écrivent des scénarios et il y en a d’autres qui mettent sur papier, puis sur pellicule, leurs fantasmes, avant de les barioler pudiquement de caractères et de motifs mosaïques.

Assez navrant dans son écriture. Dommage parce qu’à la mise en scène July Jung se défend. Cette fois-ci, on tient bien une petite sœur de Hope en matière de subtilité. Tout le monde ne peut être Lee Chang-Dong (qui produit le film d’ailleurs).


 

A Girl at My Door, July Jung 2014 | Pine House, FilmNow Films


Oasis, Lee Chang-dong (2002)

Oasiseu

7/10 IMDb

Réalisation : Lee Chang-dong

Le défi ultime d’un cinéaste : arriver à mettre en scène l’amour d’un débile profond et d’une handicapée moteur.

Impossible à jouer avec des acteurs professionnels (un détail de l’intrigue interdit de pouvoir avoir recours à une vraie handicapée). Pourtant, ça marche plutôt bien grâce à une mise en scène retenue : je n’ai pas eu l’impression que Lee Chang-dong tirait sur la musique pour appuyer sur la corde sensible par exemple, et le rythme des séquences, avec des ellipses très efficaces, ne laisse en fait jamais le temps de trouver ça exaspérant. Habile…

Le plus dur avec un tel sujet, c’est de trouver la distance, entre le danger du ton sur ton en s’identifiant totalement à la situation, en appuyant chaque effet à la façon d’un Hope par exemple et pour rester en Corée, et entre une trop grande distance qui rendrait le tout ennuyeux ou grossier (la distance pouvant alors être un prétexte ou un moyen à en montrer toujours plus, plus longtemps). Sans la délicatesse d’un grand cinéaste une telle histoire serait franchement suspecte, le sujet étant malgré tout fort casse-gueule.

C’est peut-être d’ailleurs ce qui est étonnant dans le cinéma de Lee Chang-dong (Poetry ou Secret Sunshine, je mets à part Peppermint Candy, sophistiqué, certes, mais moins dans le ton des suivants). Il y a toujours dans ses histoires des détails ou des sujets sordides, mais le traitement qu’il en fait est toujours juste. Il y a un peu de Shôhei Imamura en lui.


 

Oasis, Lee Chang-dong 2002 | Dream Venture Capital, East Film Company, UniKorea Pictures


So-won (Hope), Lee Jun-Ik (2013)

À cœur ouvert

Note : 2 sur 5.

Hope

Titre original : So-won

Année : 2013

Réalisation : Lee Jun-Ik

Le  cinéma sud-coréen brille assez peu pour sa subtilité, avec Hope (en bon français dans le texte…), on frise même des sommets de vulgarité. Rarement on aura vu un film enfiler avec une telle insolence les effets tire-larmes, multiplier les grosses ficelles pour soutirer au naïf spectateur une adhésion certaine et immédiate, enfoncer les portes ouvertes des petites et puantes certitudes, et au final, refuser avec une persistance malhonnête à regarder au-delà des apparences, des préjugés ou des faux-semblants. Un tel film en fait devrait être exposé dans une galerie de monstres afin de dévoiler la nature mystificatrice et superfétatoire de sa démarche. Un monstre qui se complaît sans honte à vautrer son spectateur adoré dans ses petites combines d’être humain reposé sur sa bienveillante mièvrerie, son sentimentalisme béat et sa bêtise flemmarde. Il n’y a pas grand-chose de pire que la vulgarité de ceux qui se refusent aux efforts d’intelligence.

Une gamine, évidemment gentille et belle comme un cœur, rencontre sur son chemin de l’école un vil, sale et stupide bonhomme. Évidemment. On nous évite la séance de viol, mais on ne manquera pas de nous montrer avec force détails l’immonde pornographie des conséquences chirurgicales voire scatologiques de l’agression. Viendra ensuite la complaisance des bons sentiments, les tentatives ridicules et attendues pour réveiller chez la fillette l’appétit de vivre, la réussite bienheureuse de tout ce petit monde vers le chemin du retour sur terre ; et puis, la recherche du grand méchant loup, la dénonciation polie et facile des incompétences de la police, les dénégations du violeur très vite suivies d’une rencontre improbable avec le père de la victime… Excès après excès, comme une bonne sauce de conneries au vermicelle et aux boyaux fumants, on se retrouve face à la justice, qui, on le pense alors va nous la mettre, elle aussi, bien profond. L’agresseur écope d’une douzaine d’années. Scandale : la famille en voulait pour au moins vingt ans. Là, on sent le spectateur étourdi gronder qu’il faudrait réhabiliter la peine de mort pour les violeurs d’enfant, mais celui-là tournera vite sa chemise dans sa bouche. Le twist tiré par les yeux finira en effet par contenter tout le monde : c’est la fillette, dans sa belle magnanimité, princesse au cœur tendre, sage parmi les mages, impératrice de la bonne conscience du monde, qui les rappellera à la réalité de son beau nuage enchanté. La vérité sort de la bouche des enfants, c’est bien connu, alors ne nous privons pas pour le rappeler. « Les enfants sont formidables !… »

J’étais bien ennuyé au sortir de ma séance. Je pensais me retrouver face à un Blind Mountain ou à un Secret Sunshine. Deux films traitant plutôt subtilement, et avec deux angles diamétralement opposés des crimes sordides (le film chinois, le premier, a ses excès, mais il parvient toujours à rester digne). Ces sujets sont difficiles à traiter et la moindre des choses qu’on puisse réclamer aux auteurs, c’est un peu de pudeur, de retenue, de distance, de bon goût et d’un peu de subtilité. Hope, c’est The Host sans les effets spéciaux. On maquille le monde d’une même horreur pour mieux s’en prémunir ou se défendre : les monstres sont toujours ailleurs.

Pour la décence, on repassera, pour la capacité à s’immiscer dans les recoins sales de la conscience et de l’humanité pour, non pas refaire jaillir de nulle part les spectres de l’ombre, désigner toujours les mêmes monstres, mais pousser au contraire à une réflexion, maladroite peut-être, mais la seule et digne nourriture dont nous avons besoin pour nous élever de notre condition de grands sauvages, pour tout cela, on repassera.

On m’a taxé de sans-cœur quand j’ai timidement exprimé mon sentiment à la réception de… cette chose hostile. Face à la mièvrerie, il y a ceux qui se laissent prendre et tombent dans le sentimentalisme ; et il y a ceux que ça fait vomir. Les premiers pleurent peut-être quand on leur apprend qu’une fillette a eu l’anus déchiré et qu’elle devra faire le reste de sa vie avec un anus artificiel, moi ça me fait gerber. Il y a la sensibilité de façade ou de circonstance, et la sensibilité… de cœur, celle-là, elle se tait. Une chose est certaine en tout cas, le type qui a pondu cette horreur, de sensibilité, il en est totalement dépourvu. Une actrice porno aurait plus de tendresse et de subtilité pour faire croire qu’elle y met du sien. Quand on a ni subtilité ni sensibilité, reste le chantage à la sensiblerie. Pour un œil, ou un cœur, non averti, ça fera toujours l’affaire. Les escrocs meurent en paix.

(Je ferai au moins mienne une des leçons du film : brosser toujours le spectateur dans le sens du spoil. Amen.)


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Sonagi, The Shower, Youn Nam Ko (1979)

The Shower

Sonagisonagi-the-shower-youn-nam-ko-1979Année : 1979

Réalisation :

Youn Nam Ko

6/10  IMDb

C‘est beau, c’est certain. Les images, les prises de vues, la lumière, les paysages, la Corée… Mais le reste est un peu tendre.

Le scénario n’est pas si mal, il tend vers une certaine simplicité, même si le mélo a au fond ici peu d’intérêt (l’amourette d’un garçon et d’une fille).

L’exécution en revanche est plus qu’aléatoire. La direction de ces jeunes acteurs les pousse à en faire trop là où la situation parlait pour eux ou un brin de mystère ou d’incertitude aurait ajouté un peu de poésie à ces relations. Toujours une question de trop ou de pas assez, et là c’est trop, et c’est probablement une tendance du cinéma coréen de cette période. Voire une tendance générale.


Sonagi, The Shower, Youn Nam Ko 1979 | Nam-a Pictures 


The Host, Joon Ho Bong (2006)

Host tel

Gwoemulthe-host-joon-ho-bong-2006Année : 2006

4/10 IMDb iCM

Réalisation :

Joon Ho Bong

Avec :

Kang-ho Song, Hee-Bong Byun, Hae-il Park

C’est amusant. L’humour est à la fois la seule consolation de ce nanar mouillé et une de ses plus grandes faiblesses. La tonalité générale, plutôt baroque pour un film de ce genre, ne fait jamais mouche : à quelques reprises seulement, on sourit, des images furtives, des gags, des expressions, tout ça pour rehausser un scénario qui frise l’écriture automatique et le papier mâché.

C’est que le film aborde énormément de sujets et ne va finalement jamais au bout d’un seul. Le scandale écologique ? Oublié. Les mutations rigolotes ? Oubliées. La manipulation des autorités ? Oubliée. La farce ? Oubliée. C’est du free style en permanence, ça ressemble à rien, c’est laid, c’est con ; et pire que tout, c’est affreusement mal fichu techniquement.

De la conscience (ou la peur) de faire un nanar à la résignation de se moquer de ce qu’on est en train de faire pour donner le change, il n’y a qu’un pas. « Oui, oui, c’est nul, ah ah, mais c’est parfaitement voulu. »

Pour faire un film, même une comédie, il y a une règle à respecter, au moins, celle de croire en ce qu’on voit. Et là, on ne peut y croire une seconde. La comédie est ratée, le thriller aussi, la satire aussi.

Ça commençait pourtant bien… avant que le monstre pointe le bout de son nez. Imaginons le requin des Dents la mer faire du streaking sur la plage, levant les nageoires, remuant ostensiblement sa queue, riant à pleines branchies, et retournant aussi vite à l’eau… Du grand n’importe quoi.


The Host / Gwoemul, Joon Ho Bong 2006 Chungeorahm Film, Boston Investments, CJ E&M Film Financing & Investment Entertainment & Comics 


Adada, Im Kwon-taek (1987)

Le bidet

Note : 3 sur 5.

Adada

Titre original : 아다다 

Année : 1987

Réalisation : Im Kwon-taek

Avec : Hye-soo Shin

Comment dit-on, déjà ? Inégal. Voilà. Im Kwon-taek assure pendant trois bons quarts d’heure, nous laissant espérer le meilleur pour la suite ; et puis, tout d’un coup, à force d’épicer son film d’un humour mesuré, comme son personnage, il finit par laisser tomber son bol, et son film finit par ne plus ressembler à rien.

C’était donc pourtant bien parti. On est dans ce qui fera le succès du cinéaste dès La Chanteuse de Pansori, et là où manifestement, il est le plus à l’aise et le plus efficace : le mélodrame rural sur fond de traditions coréennes. La même année Gong Li et Zhang Yimou entament leur collaboration en Chine avec le Sorgho rouge, et il faut reconnaître que c’est dans cet aspect-là, proche des traditions (et sans doute des clichés), que les histoires peuvent paradoxalement plus facilement toucher le regard d’un Occidental.

Adada est donc maladroite, travailleuse, mais elle est aussi muette. Pour s’en débarrasser, on lui propose alors de se marier avec un voisin ni très fute-fute ni très riche. La dot des parents de la jeune fille parviendra à convaincre la famille de son futur mari, et la voilà donc embarquée (étonnante similarité entre les cultures du monde) vers un nouveau foyer… Adada n’y trouve rien à redire… et accepte son sort comme un devoir. Là, on craint le schéma mille fois répété, celui de la bru méprisée par des Thénardier de l’autre bout du monde. En fait, on échappe, un temps, à cet écueil, et c’est une des raisons du plaisir qu’on prend à la suivre dans la première moitié du film. L’humour y est encore très léger et donne à ce drame annoncé une saveur toute particulière.

Et puis, tout se gâte quand son mari (censé donc être stupide), dépense plus que nécessaire l’argent du foyer, en ville, et surtout dans un nid à putes où il s’entiche d’une poupée à bouclettes. Jusque-là, encore, tout va bien, le mari volage, on l’a vu à l’œuvre chez Naruse notamment, et c’est toujours une bonne manière de faire tomber les péripéties tragiques. Sauf que tout s’étiole pour de bon quand le mari revient après une longue absence, riche et… avec une seconde femme. On se demande où est passé le bon goût, la mesure, et on a des haut-le-cœur à suivre le passage d’un genre à un autre (le retour est presque une farce, et avec un peu plus de goût, de rigueur ou de mesure, on aurait pu glisser vers la satire italienne).

Tout d’un coup, l’histoire devient presque insipide. Pire, les acteurs eux-mêmes ne semblent pas bien savoir quelle partition jouer. Les scènes s’étirent en longueurs, deviennent répétitives (le père et la mère du mari ne cessent de se chamailler quand on aurait préféré à cet instant de l’histoire plus nous concentrer sur le sort d’Adada), et le jeu est souvent excessif, voire carrément peu crédible. Ainsi l’acteur jouant le mari, était plutôt convaincant jusque-là en benêt, et une fois l’étrange détour dramatique amorcé, au lieu d’en atténuer le peu de vraisemblance en gardant son air idiot, monsieur ne se contente pas seulement du costume trois pièces, des lunettes à la japonaise et de la gomina, il faut qu’il adopte un petit air intelligent qui le ferait presque passer pour son clone nord-coréen (peut-être que deux invraisemblances font une vraisemblance…).

Heureusement, au milieu de tout ce désordre, on ne sait guère comment, Im Kwon-taek arrive malgré tout parfois à proposer quelques instants de grâce, préfigurant la Chanteuse de pansori (et ce qui suit). En restant dans le registre de l’émotion, de la contemplation (l’utilisation à cet effet de la musique est parfaite, notamment les coups de… tambours — ou de battoirs, ou que sais-je, elle tape sur des bambous et ça lui va bien). Il faut dire que bien souvent, à ce niveau, il suffit d’un paysage (ah, les chemins…) et d’un joli minois. Pas un de ces visages tout gentils choisis pour faire beau. Non, Shin Hye-soo, sans avoir la beauté de Gong Li, montre ici la même dureté, le même regard noir et… doux. L’œil parfois un peu hagard, absent, qui ne dit rien mais qui bout de l’intérieur et vous fixe quand vous mettez à l’épreuve son intelligence et sa fermeté… Il serait facile de la rapprocher sans doute plus d’Hideko Takamine (qui a joué d’ailleurs une muette dans Happiness of Us Alone), avec ces personnages féminins souvent bafoués et dignes. « Non, je pleure pas, je t’emmerde. »

Sans elle, le film était foutu.

Son personnage d’ailleurs finit comme le reste, à agacer, quand le récit s’attarde inutilement dans une répétition de destin qui voit son nouvel amour (lequel avait vaguement essayé d’être présenté comme un premier amour) reproduire les mêmes vices que le précédent… La ficelle est un peu grosse, la morale en poil trop évidente, si bien que quand Im Kwon-taek revient à ce qu’il maîtrise le mieux, le mélo, ça tombe (et c’est de circonstance) à l’eau, tant on a fini par ne plus s’émouvoir du sort d’Adada (et avec elle, de son quasi premier amour). Le subtil prétexte, à ce moment-là, pour la noyer dans les limbes du spoil, est en ce sens, quelque peu ridicule : après avoir jeté l’argent par la falaise, elle oublie soudain son petit œil d’insolente et ses exigences (les mêmes qui l’avaient poussée ainsi à se débarrasser du magot), pour obéir à son amant qui lui enjoint de ramasser ce qu’elle vient de laisser tomber. Pour une fois que c’était volontaire…

Une constante toutefois, le réalisateur sait parfaitement où poser sa caméra et, malgré tout (même s’il y a donc des exceptions ici), aller à l’essentiel permettant de naviguer d’une péripétie à l’autre sans trop s’ennuyer. Après une centaine de films au compteur, on n’en attend pas moins d’un metteur en image.

Bien dommage en somme parce qu’on y voit clairement l’Im Kwon-taek des années 90, celui du moins que j’apprécie et que je connais, celui de la Chanteuse et de ce qui suit… Moins d’humour, adieu la satire ou la morale, et adoption de la carte traditionalisme à fond, à la Mizoguchi.

Et j’en reviens à ma marotte : où sont donc passés nos films de cape et d’épée, nos films de chevalerie, nos contes ruraux, nos films de troubadours… et le reste (en même temps, j’aurais trop peur de voir ce qu’on en ferait).


아다다  / Adada , Im Kwon-taek 1987 | Hwa Chun Trading Company


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Marriage Story, Kim Ui-seok (1992)

Pas Taipei

Gyeolhon iyagi Marriage Story (1992) Kim Ui-seokAnnée : 1992

9/10  

Réalisation :

Kim Ui-seok

Excellente comédie romantique, qui comme son nom l’indique tourne autour des vicissitudes d’un couple de jeunes mariés. C’est un peu Marley et moi, le chien en moins…

Un sujet unique et une forme de récit plus souvent dédiée aux films-métiers (nouveau concept : Taxi Driver, Pickpocket, Le Facteur). Comme quelque chose d’obstiné avec une unité stricte traçant une trajectoire rectiligne jusqu’à la fin. C’est un peu Taipei Story avec de l’humour (parce que oui, Edward Yang est chiant à mourir).

Ça aurait très bien pu faire une excellente comédie US des années 50 ou une comédie indépendante des années 90. Quelque chose sans prétentions, sans grands moyens, mais juste et universel. Le rythme est enlevé, on ne s’ennuie jamais, et le film est totalement dénué de contexte social ou intellectuel pouvant parasiter cette ligne stricte qui ne s’applique qu’à s’intéresser aux deux mariés.

Le film ne serait sans doute pas une telle réussite sans alchimie des deux acteurs principaux. Tant dans les scènes émouvantes et drôles que dans les chamailleries ou les disputes. Ces deux-là font corps (normal pour un film coréen…) et tout le plaisir et pour nous. Simple et rafraîchissant.

Le film est proposé gratuitement sur Youtube par la Korean Film Archive avec des sous-titres anglais (le film fait partie des 100 chefs-d’œuvre coréens établis par les mêmes archives).

MARRIAGE STORY


Marriage Story, Kim Ui-seok 1992 Shin Cine Communications (2)

Marriage Story, Kim Ui-seok 1992 | Shin Cine Communications

 

Marriage Story, Kim Ui-seok 1992 Shin Cine Communications (1)



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