La Légion noire, Archie Mayo (1937)

Note : 3.5 sur 5.

La Légion noire

Titre original : Black Legion

Année : 1937

Réalisation : Archie Mayo

Avec : Humphrey Bogart, Ann Sheridan, Dick Foran

Volontaire ou non, cinq ans plus tard, le film Échec à la Gestapo, de Vincent Sherman, avec le même Humphrey Bogart reprendra une scène où l’acteur se retrouve dans une réunion d’un groupe dangereux en sous-sol. La scène est devenue même sans doute une sorte de cliché, peut-être déjà utilisée dans les films de série B de l’époque du muet, vu que ça tient un peu du fantasme et de la peur des groupes secrets. Si ici et dans Échec à la Gestapo, ces groupes ont bien existé, on en reprend presque toujours un poncif principal : les “intrus” (ou comme c’est le cas ici, l’initié) arrivent alors que la séance secrète a déjà démarré. Dans d’autres films plus récents, on joue au contraire sur la peur induite de groupes inexistants comme dans Eyes Wide Shut, je ne sais plus quel Indiana Jones ou dans Un bourgeois tout petit, petit.

Pour le reste, le film fait partie de ces films politiques “humanistes” des années 30 cherchant à mettre en garde contre les mouvements “séparatistes”, on dirait aujourd’hui. Il manque alors peut-être un peu de relief, mais certains films, s’ils ne tombent pas totalement dans les évidences, peuvent se révéler nécessaires à faire, car ils décrivent une situation politique réelle et contiennent ainsi en eux un peu de l’histoire du pays et du contexte où ils ont été produits.

La fin (avec un retournement vite expédié du principal accusé) est trop facile, mais là encore, c’est assez conforme aux films d’époque qui s’encombraient rarement de détours psychologiques ou de mises en suspension du récit pour gagner en relief et en réalisme. De l’action, de l’action, de l’action. Et pas mal aussi de concision. On produit à la chaîne : les sujets politiques et sociétaux ne sont pas interdits, mais on ne s’attarde pas.

À noter que Bogart n’est pas encore une star quand il tourne le film, il vient seulement de s’assurer un rôle de second couteau sur les films de la Warner Bros. grâce à La Forêt pétrifiée du même Archie Mayo et sera ainsi employé par le studio jusqu’au Faucon maltais qui lui assurera une place en tête d’affiche le reste de sa carrière. Ceci explique pourquoi on l’y retrouve ici ce qu’on pourrait identifier comme un contre-emploi (en rapport aux personnages bien installés et mythiques qui feront bientôt de lui une star et l’icône presque à la fois d’une période, voire d’une certaine forme de virilité appréciée ou reconnue des cinéphiles). Bogart n’est pas encore Bogey : on le découvre surtout fragile, revanchard, acculé avant de finir détruit par la culpabilité. On est loin de l’assurance et du charme qu’on lui connaîtra bientôt. Comme quoi, l’attitude, le statut, ça joue beaucoup dans le charisme et l’autorité que l’on croit naturels chez les acteurs ou les individus, dans la vie, capables ou soucieux de se mettre en avant.


La Légion noire, Archie Mayo 1937 Black Legion | Warner Bros.


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1937

Liens externes :


L’Aventure de minuit, Archie Mayo (1937)

Chut, chute, chère Olivia

Note : 3.5 sur 5.

L’Aventure de minuit

Titre original : It’s Love I’m After

Année : 1937

Réalisation : Archie Mayo

Avec : Leslie Howard, Bette Davis, Olivia de Havilland

Screwball typique de l’époque — dans son écriture. On sent le lien évident avec le vaudeville à la française, avec une constance remarquable toutefois dans la pâte des grands studios hollywoodiens (et qui est un peu, avant même l’application effective du code Hays, la marque de l’âge d’or hollywoodien), c’est ce choix systématique dans le design des demeures riches ou des grands hôtels. La pâte des grands studios, c’est avant tout du joli carton-pâte. Dans un Guitry à la même époque, on sentirait les billes de naphtaline, le vieux parquet en chêne, et on aurait ressorti les vieux accessoires de théâtre à papa. Une fois qu’on a trouvé un filon, on ne le quitte plus (ce n’était d’ailleurs pas encore le cas dans New-York-Miami) : pas d’âge d’or sans pensée industrielle…

Le film aurait été idéal avec Ernst Lubitsch aux commandes, parce que si le scénario et donc l’aspect visuel sont parfaits, le choix des acteurs et leur direction ne sont pas toujours à la hauteur. Certains gags sont particulièrement lourds et redondants, on s’attarde parfois un peu trop sur certaines mimiques qui ne devraient être que des virgules vite oubliées… Plus embarrassant, avec trois acteurs merveilleux, certes pas forcément connus pour avoir excellé dans les comédies, le ton juste, le rythme, et pire que tout dans un genre qui réclame bien plus de rigueur et de savoir faire que le reste…, la sincérité, eh ben, tout ça manque un peu trop souvent à l’appel.

Alors certes, on pardonnerait tout au joli minois d’Olivia de Havilland, et comme elle dort encore à côté, je ne voudrais pas l’achever avec mes commentaires. Surtout qu’à sa première apparition où on la dévoile au balcon (presque nue), j’ai failli m’évanouir. Bette Davis, elle, (petite virgule dans mon extase oliviesque) s’en tire toujours mieux quand elle évite les tunnels et balance ses piques philanthropiques. Ces deux-là, souvent, si elles étaient si convaincantes dans des drames, c’est qu’elles savaient mettre une petite couleur d’ironie dans le jeu. Là, elles pouvaient être sincères (et probablement plus à l’aise, ou simplement mieux dirigées), mais dans une screwball, donc dans du burlesque, où la tentation serait toujours d’en faire trop, ça passe assez mal la rampe. (À remarquer au passage, qu’elles devaient être bien assorties parce qu’elles ont souvent travaillé ensemble, notamment presque trente ans plus tard dans Chut, Chut, chère Charlotte où le comique pointe subtilement son nez grâce aux outrances de l’une et la sincérité feinte de l’autre…)

Ça se gâte pour de bon avec Leslie Howard. L’Anglais fait pâle figure au milieu de ses deux collègues. Et c’est probablement moins ici le souci d’Archie Mayo que de la production Warner (dommage pour le petit Leslie, j’aurais été curieux de le voir dans des films après-guerre mis en scène par Carol Reed ou David Lean, seulement pour la screwball, on ne peut guère compter que sur une dizaine d’acteurs pour assurer le job à l’époque — c’est bien pourquoi le genre a fait long feu et qu’on a raison de parler d’âge d’or ; ceux qui mettent cette période faste au crédit seul d’un savoir-faire presque industriel n’ont rien compris à l’histoire — je sais qu’ils existent, qu’on me les présente, que je leur explique qu’une génération d’acteurs hors du commun, ça ne se commande pas).

La grande difficulté du vaudeville face à des films d’action ou des drames, c’est que si, comme dans tout récit qui se respecte, la situation est ce qui prévaut sur le reste, on retrouvera dans la farce, un peu comme dans la commedia dell’arte, une pause pour souligner ou établir une connivence avec le public. Et là, ça ne pardonne pas. On oublie la situation et l’acteur se retrouve nu, face à ce public qui attend de lui une attitude, une mimique (un lazzi), à son attention : ce n’est alors plus une question d’en faire trop ou pas assez (De Funès en faisait des caisses), mais de ne pas être sincère. Même dans la comédie, on peut tout foutre en l’air si on n’est pas crédible dans cette fraction de seconde où on se livre totalement au regard du public. Dans le drame, c’est beaucoup plus simple : la situation va commander l’émotion, et si la sincérité est importante, elle paraît en tout cas plus évidente, donc un enjeu toujours pris au sérieux par l’acteur et le metteur en scène ; surtout, en en faisant le moins, on peut être sûr de ne pas se tromper, et autour on peut lâcher la machine en cas de naufrage (les violons ou relancer l’action). Dans une farce, il y a toujours cet instant en suspens où ça rigole plus : « Mon bonhomme, l’action s’arrête, les projecteurs sont sur toi, tu as un commentaire à faire ? Oui ? Ah, pas mal, continue ». C’est cruel. Et là, la comédie l’est (cruelle) avec Leslie Howard. Alors oui, la plupart du temps, il est convenable, on sent l’acteur britannique…, et puis plouf, dès qu’il est livré à lui-même et qu’on attend de lui l’attitude qu’il faut, quand il faut, il n’y a plus personne. Et souvent, un acteur perdu se cache derrière quelques petits excès malvenus, comme un petit garçon chopé sur le fait. Les excès, il faut les réserver pour le reste, parce que quand on éteint les lumières et qu’on braque un projecteur sur vous, l’idée c’est au contraire, parfois, d’en faire un peu moins. Pour ne pas se décomposer : ne pas composer. En tout cas, pour être sincère, il faut être à l’aise. La capacité de certains acteurs de comédies, leur humour, il est là, dans la distance et la nonchalance quand tout à coup ils se savent regardés et qu’on ne voit qu’eux, la situation et le personnage étant plongés dans le noir, et qu’ils se laissent regarder. Même dans la farce (surtout dans la farce), il y a un moment où les masques tombent.

Dire qu’Olivia de Havilland survit maintenant depuis 70 ans à son partenaire d’Autant en emporte le vent, si ce n’est pas flippant…

L’Aventure de minuit, Archie Mayo 1937 It’s Love I’m After | Warner Bros

Archie Mayo

Classement : 

10/10

9/10

8/10

7/10

  • L’Aventure de minuit (1937)
  • La Légion noire (1937)

6/10

  • Une nuit à Casablanca (1946)
  • La Forêt pétrifiée (1936)

5/10

*Films commentés (articles) :


Archie Mayo