Civil War, Alex Garland (2024)

Assaut sur la capitale

Note : 2.5 sur 5.

Civil War

Année : 2024

Réalisation : Alex Garland

Avec : Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny, Nick Offerman, Stephen McKinley Henderson

Les récits de road movie apocalyptiques se multiplient ; j’ai l’impression de ne plus voir que ça en ce moment (Finch, la série The Last of Us, rien que ces dernières semaines). Celui-ci se distingue des autres : la réalité sombre d’une société assistant à l’ultime chapitre de son effondrement proposée ici ne paraît désormais plus si éloignée de ce qui pourrait advenir dans un futur proche. Chaque année, une nouvelle région du monde plonge dans le chaos (Syrie, Gaza, l’Est de l’Ukraine, Birmanie, Soudan…), alors pourquoi pas la plus grande puissance du monde ?

Alex Garland a de toute évidence écrit son film en écho à l’assaut du Capitole en janvier 2021. Avec les menaces et tensions liées à la candidature de Trump et avec son retour éventuel à la Maison blanche ou à une contestation des résultats, rien n’interdit plus de penser à la possibilité d’une guerre civile. Le film du réalisateur d’Ex Machina propose un monde dans lequel le Rubicon aurait sans doute déjà été franchi avec le maintien au pouvoir du président et la sécession de la Californie et du Texas. Avouons-le : dans n’importe quelle production du genre (que ce soit un film apocalyptique, d’horreur ou de science-fiction), le spectateur se rue dans les salles, appâté par la promesse que lui soit soumise une série d’événements, d’évocations ou de simples images illustrant un théâtre des « possibles ». Dans la série B ou le cinéma de genre, le contexte et le sous-texte priment presque toujours sur le texte. Le temps du récit n’est pas le futur, mais bien le conditionnel. On examine d’un œil un peu obscène ces histoires terribles, et l’on évalue ensuite dans ces propositions des possibles, celles qui valent le coup d’œil. La curiosité de celui qui regarde prime cette fois sur la qualité de l’objet ainsi « jugé ». C’est cette même appétence pour le gouffre qui nous attend et nous angoisse, mais auquel on espère encore échapper, qui nous incite sur les réseaux sociaux à partager des fausses nouvelles : là encore, nos réactions conditionnent notre inclination naturelle envers tout ce qui nous fait peur, en sécurité derrière nos écrans. « Si c’est vrai, c’est grave. »

Peu importe alors si un film s’égare dans ses incohérences, si les personnages répondent un peu trop facilement à des stéréotypes. On veut en avoir pour notre argent.

Moi, mon argent, je le gagne à démonter les films.

(Comme une seule fleur ne fait pas une Garland, merci de penser à remplir mon assiette en faisant un don.)

Or, après avoir suivi le cahier des charges des propositions apocalyptiques faites et comptabilisées dans le film, j’avoue rester quelque peu sur ma faim. Se livrer à l’exercice du road movie immersif en compagnie d’un groupe de photographes pouvait représenter la solution idéale pour se faufiler à hauteur d’homme dans l’univers chaotique d’une guerre civile. En réalité, en dehors de quelques séquences-chocs mettant en lumière la violence absurde de la situation, les propositions faites censées contextualiser l’effondrement de la société en cours s’avèrent pour le moins décevantes.

Le récit ne se risque pas à trop en révéler sur la situation politique, et les allusions pour se l’imaginer restent rares : j’ai même eu du mal à saisir au début si les deux États sécessionnistes le faisaient chacun de leur côté ou s’ils s’unissaient contre le gouvernement fédéral (et quand on comprend qu’ils se sont unis, on se demande par quel miracle un des États les plus conservateurs se serait allié à un autre parmi les plus progressistes). Un road movie, qu’il soit apocalyptique ou non, sert habituellement à développer des personnages forts et des histoires personnelles qui illustreront ce précieux contexte pour lequel on a payé notre place.

Mettant ainsi de côté toutes les allusions des possibles et la curiosité mal placée, la structure mal fagotée du récit, son incohérence ou l’élaboration défaillante des personnages, que nous reste-t-il à nous glisser sous la dent ? Eh bien, un autre genre qui s’impose de lui-même et finit par prendre toute la place : le film de guerre. De nombreux films de guerre font reposer leur trame sur une forme de road movie (à travers une mission ou une opération militaire, une incursion en territoire dangereux, etc.). Mais paradoxalement, l’action y reste en arrière-plan, et les confrontations, les attaques ponctuent le récit à des moments clés. Pas lors de chaque séquence. Si la violence armée, militaire, assure le séquençage du récit, ce n’est plus spécifiquement un film de guerre, encore moins un « récit de voyage », mais un film d’action. Et tout le temps que vous perdrez à faire exploser des voitures ou à vous cacher des balles ne sera pas alloué au développement des relations entre les personnages et par conséquent à la contextualisation attendue des « propositions politiques et apocalyptiques ». Le chaos ne se montre pas ; il s’illustre par le dialogue, par la crainte et les attentes des personnages, il se commente et s’évoque dans un récit à l’intérieur d’un récit qui n’est plus cette fois au conditionnel, mais au passé.

Et tout cela devient d’autant plus préjudiciable pour la cohérence du film que Garland s’essaie à un dernier genre. Entre deux fusillades, c’est la poésie qui pointe le bout de son nez lors de séquences plus lentes et volontairement hors du temps. Quand un film dure moins de deux heures et qu’on s’attarde sur les pâquerettes au lieu de retourner à ses personnages et les faire interagir, j’aurais tendance à penser qu’on fait plutôt fausse route.

Se pose aussi la question de la cohérence avec laquelle ces photographes se retrouvent plongés dans l’enfer de la guerre : non seulement, cette guerre, telle qu’elle est illustrée, échoue à convaincre (ce n’est pas comme si l’on manquait de modèles de guerre civile dans le monde), mais j’ai du mal à saisir comment des troupes peuvent accepter d’intégrer la presse à leur assaut contre la Maison blanche alors qu’ils y multiplient les crimes de guerre. Je veux bien croire au chaos et à la possibilité des exécutions sommaires (une manière hypocrite de dire pour Garland qu’il ne prend pas parti dans les événements récents alors que son film ne peut évidemment que faire écho aux dérives qui sont exclusivement le fait des partisans de Trump) ; dans ce cas, pourquoi rester attaché à la préservation du droit de la presse ? Dans une guerre qui ne respecte plus le droit, la première chose qui disparaît, me semble-t-il, c’est le droit d’informer.

Et que dire de cette fin pathétique en forme de passage de relais à la fois cynique, prévisible et plutôt hors de propos ? Qu’est-ce qu’a pu se dire Garland encore à ce moment : « Ah, tiens, il faudrait que ce soit un film initiatique et de passage de relais aussi. » On dirait moi quand j’écris une critique. À force de partir dans tous les sens, ça ne ressemble plus à rien.

Vous venez voir l’illustration de toutes sortes de propositions sur l’avenir craint des États-Unis ? Vous serez servis, mais rationnés. Il y a plus de sous-genres dans Civil War qu’un « théâtre des possibles » réellement stimulant, effrayant, révélateur ou un tant soit peu créatif. Gageons que la réalité se montrera plus féconde…, au moins pour éviter le pire. Jusqu’à présent, le pays a connu des tentatives d’assassinat, des menaces, un assaut avorté contre la démocratie. Avant de tomber dans le chaos, le réel peut encore nous inventer bien des stratagèmes.

Reste un détail tout bête : si la réalité est amenée à ressembler de plus en plus à la fiction, Alex Garland ne pourra pas profiter de la situation en voyant le titre de son film cité en référence comme on peut le faire avec Idiocracy. Au moins, tirer son épingle du jeu du chaos, merde. En français, on parle de « guerre de sécession ». « The new Alex Garland’s film, soon, in theater! Secessionny! »

Where are you from? Are you unionist or sesesse… cesesseson, sessessessecon…

 Just shoot him.


Civil War, Alex Garland 2024 | A24, DNA Films, IPR.VC


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Ex Machina, Alex Garland (2015)

L’Ex-Fiancée de Frankenstein

Note : 2.5 sur 5.

Ex Machina

Année : 2015

Réalisation : Alex Garland

Avec : Alicia Vikander, Domhnall Gleeson, Oscar Isaac

Bien pâlot pour un film qui est censé fournir une histoire de haute volée. Rien de neuf sous le soleil SF rayon IA. La problématique n’a pas évolué depuis Asimov, voire depuis Frankenstein, en pire.

L’IA progresse, en vrai, mais de tout ça, on ne saura rien. On prend du vieux, et on le sert à la mode 2015. Le savant fou n’est plus inspiré des personnages de Jules Verne (reste le côté “entrepreneur” dans sa tour d’ivoire), mais du yuppie (c’est comme ça qu’on dit ?) : forcément intelligent avec un QI hypertrophié (à la sauce anglo-saxonne, sorte de mythe de l’intello touche à tout, capable autant de créer sa boîte à treize ans, que de citer Oppenheimer), forcément cool et adepte de la gonflette. Musk en must. Le personnage est insupportable, mais les autres ne font pas mieux.

Depuis vingt ans, on ne peut plus voir un film sans l’indispensable twist. Il a au moins le bon goût de se pointer assez tôt et de réserver le dernier acte à une séance de facepalm fatiguée. Avant ça, la manière dont les deux “amoureux” sont amenés à s’intéresser l’un à l’autre se fait en un claquement de doigts. J’ai même peiné à comprendre l’intérêt d’illustrer le test de Turing. C’est à la fois incompréhensible et pas franchement susceptible de provoquer des situations dramatiques. On cause, on cause, et on cause. Le tout derrière une vitre… C’qu’on s’emmerde. Le film est d’ailleurs censé être un thriller en lieu clos, et rarement j’aurais vu une telle idée aussi mal exploitée. Faut dire que si le rythme est plutôt lent (façon « on va faire un film pesant, avec du mystère »), le montage est un gros bordel insupportable. Difficile dans ces conditions de jouer avec un lieu clos. (Un choix par ailleurs parfaitement gratuit. Disons que ça fait beau pour la cave postale.)

Pour montrer à quel point l’illustration du problème IA paraît un peu aujourd’hui rétrograde, il suffit d’y voir comment le corps de la femme y est systématiquement exploité. On se croirait replongé tout d’un coup dans les années 50, avec un vague assaisonnement cronenbergien (période post-porno oblige). Une IA, les mecs, c’est top, mais parlons plutôt des pin-up aux viscères électriques, aux ovaires stroboscopiques, au poil juvénile, et aux yeux de toutous dociles… Attention toutefois, les mecs, c’est un jouet pouvant se révéler castrateur !… Ouais, tu sais, comme toutes les femmes…

Bref, une horreur. Rien de mieux sur le sujet, que de se replonger dans Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? K Dick était déjà passé au niveau supérieur, la question n’était plus de savoir si une IA était possible, mais quel regard porterions-nous sur eux, et comment eux-mêmes se regarderaient-ils, et considéreraient-ils leurs “créateurs” ? Voilà un sujet plus bien profond qu’un vulgaire « Aurai-je un jour une copine avec des hanches chromées qui fait tchou-tchou quand je lui tire le sifflet… ? Oh, mais attends, suis-je vraiment le mécanicien ou la machine est-elle vouée à se révolter contre son créateur ?… » Allô, Mary Shelley ? On a retrouvé votre machin, ça fait deux siècles qu’il se balade dans nos coursives à fantasmes…


Ex Machina, Alex Garland 2015 | A24, Universal Pictures, Film4


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