Radical, ou le Patriarcat est dans le fruit (court-métrage)

Radical, ou le Patriarcat est dans le fruit (court-métrage)

Trois ou quatre séquences dialoguées entre un homme et successivement avec différentes femmes à qui il propose de créer un groupe terroriste et société secrète de femmes pour faire tomber le patriarcat et la société des hommes qui les gouvernent. Il le filme et peine un peu à expliquer pourquoi au moment de leur entretien. La plupart trouvent étonnant et audacieux de sa part, entant qu’homme, de chercher à créer ainsi une société de femmes. Mais pourquoi terroriste ? Parce que ce qui gouverne le monde des hommes, c’est une forme de terreur. Comment s’exerce cette terreur sourde ? Par la violence contre les femmes, les minorités ou tous ceux qui n’appartiennent pas au groupe de dominants stéréotypiques, mais pas seulement : l’avantage et la réussite de ces hommes par rapport aux groupes qu’ils oppressent et contraignent à leurs désirs et pouvoir, c’est leur capacité à s’entendre, se réunir, créer des amitiés, se reconnaître entre dominants. Cette violence insidieuse, cette terreur qui ne dit pas son nom, c’est l’ostracisme des corps masculins privilégiés opéré sur les femmes et toutes les autres minorités. Leur société est une société de l’exclusion, de l’entraide des forts contre les faibles désorganisés. Et une de leurs réussites précisément, c’est d’être parvenu à éteindre l’union de ces corps opprimés trop divers pour se reconnaître et lutter contre leurs oppresseurs rarement reconnus comme tels.

Pourquoi fait-il ça, lui qui est un homme ? Qu’elle le regarde bien : oui, c’est un homme, mais il n’appartient pas pour autant aux hommes privilégiés. Pour faire partie de ces sociétés des hommes dominants, qu’on l’appelle patriarcat, sociétés d’hommes à différents échelons de la société, il faut toujours présenter les mêmes caractéristiques. En dehors du fait que c’est un homme, il ne possède aucune de ces caractéristiques. Ce n’est pas qu’il a cherché à appartenir à ces groupes de dominants quand pour la première fois une femme lui a parlé de ces rapports de force déséquilibrés et déloyaux entre les forts unis et les faibles désunis, mais depuis il a compris qu’il n’en serait jamais parce qu’il ne correspondait pas aux caractéristiques requises. Les hommes qui font autorité se reconnaissent entre eux, ils vivent par cooptation et trouvent ça parfaitement naturel ; tandis que tous ceux qui en sont exclus ignorent que de tels liens peuvent se nouer entre d’autres hommes et ignorent surtout jusqu’à quel point « en être » peut être un moteur spectaculaire pour accéder à des postes à responsabilité.

Ainsi, depuis qu’il a compris être exclu de tous ces facteurs favorisant la réussite autour de profil toujours identique, il s’est juré de chercher un moyen de pirater ces réseaux de domination. En cherchant à créer ses propres réseaux. Avec pour ambition de lier entre eux toutes ces minorités opprimées.

Il dit avoir commencé dans des communautés d’où il est originaire puisqu’il est d’origine yougoslave comme il aime à le dire, et musulman. A-t-il réussi à réunir des hommes et des femmes originaires des Balkans ? Ce serait pour le moins étonnant. Il reste vague sur la question, et il s’efforce désormais de chercher du lien entre les femmes.

Dans un second temps, quand les femmes qu’il cherche à mettre en contact auront crée un lien, non pas pour discuter, refaire le monde, mais réellement pour s’assister au quotidien pour accéder à des postes à responsabilités, il forcera une intersectionnalité de groupe. En quoi ces groupes changeront-ils des autres ? Eh bien, justement en ce sens qu’ils ont une visée révolutionnaire et terroriste : non pas développer une terreur de la violence physique, mais sur le modèle des réseaux patriarcaux, des réseaux d’ostracisation d’un groupe clairement identifié, celui des dominants. Désormais, ce sont eux, elles, à l’échelle de leur propre réseau, qui fixeront les règles, prioriseront les leurs, et terroriseront par ostracisme ceux qui jusqu’à présent définissent les règles et profitent d’en être les seuls bénéficiaires. Il ne veut pas une société secrète de femmes, il veut au contraire que les femmes fassent connaître leurs priorités : rien de plus normal que d’aider une amie. Elle est là la terreur.

Ce projet est diversement compris, puis l’homme disparaît. Certaines femmes se retrouvent, et l’on apprend qu’il a abusé sexuellement de quelques-unes d’entre elles qui par hasard se sont retrouvées.

En fait, l’homme n’avait jamais eu l’intention de créer un tel réseau « terroriste ». Il cherchait, par ce stratagème, d’une part, à réaliser un film (sorte de docufiction et d’expérience
cinématographique), d’autre part, à jouer de sa position privilégiée pour adopter un comportement de prédation que tout homme (même sans correspondre pas aux codes des hommes abuseurs, dominants) adopte, et cela pour… abuser des victimes séduites par son projet. Un comble.

Mais un homme restera toujours un homme, se disent-elles. Et face à ça, elles décident tout compte fait… de poursuivre ensemble ce projet d’union des opprimées et des opprimés. Leur action terroriste commencera par un sacrifice : celui par qui tout avait commencé.



Théâtre :