
Ça commence à Vera Cruz, Don Siegel | RKO Radio Pictures
Evolution des usages dans le cinéma américain visant à filmer une séquence mettant en scène des acteurs placés dans un véhicule en marche
Page 1 | Page 2 | Page 3 | Page 4 | Page 5 | Page 6 | Page 7 | Page 8 | Page 9
Table :
Les films en noir et blanc avant la couleur (du cinéma muet aux années de guerre) : le règne de la transparence
- Avant la transparence, on improvise
- La transparence, solution de facilité (on se replie dans les studios)
- Focus sur le début des années 40 avec le basculement progressif vers le film noir et l’occasion manquée d’un cinéma résolument réaliste tourné en extérieurs
Intermède : le néoréalisme
Les films en noir et blanc d’après-guerre (1945-1955) : hésitations, tâtonnement et entêtements
- Les limites du procédé dans les productions d’après-guerre
- La révolution éphémère et inachevée de Gun Crazy
- L’étrange cas de la motocyclette
- L’ère de la modernité et prémices lointaine du Nouvel Hollywood
- Le paradoxe Sabrina
Milieu des années 50 : séries A ou séries B, grosses productions ou petites et moyennes productions, drame ou cinéma de genre, cinéma en couleurs ou en noir et blanc
- La transparence face au défi de la couleur
- La nouvelle approche réaliste dans le film noir
- C’est dans les plus gros pots qu’on voit les meilleures voitures (l’exemple de Ben-Hur)
Fin des années 50, début des années 60 : incohérences & innovations à l’heure des nouvelles vagues européennes
1967-1969, le Nouvel Hollywood : révolution des usages & fin progressive des transparences à l’ancienne
——————– Deuxième partie ——————–
Les films en noir et blanc d’après-guerre (1945-1955) : hésitations, tâtonnement et entêtements
Les limites du procédé dans les productions d’après-guerre
Détour (Edgar G. Ulmer, 1945)
On se rappellera que Ulmer avait participé au film allemand Les Hommes le dimanche que l’on pourrait qualifier de réaliste. Rien de réaliste pourtant dans Détour : en à peine une heure et malgré une dizaine de séquences prenant place dans un véhicule, Ulmer use sans détour et sans limites de transparences. On imagine le casse-tête pour raccorder tous ces procédés entre les séquences tournées sur place avec les acteurs, celles tournées en studio avec les transparences et celles devant servir d’arrière-plan à ces mêmes transparences.

Le facteur sonne toujours deux fois (Tay Garnett 1946)
Trois ans après Ossessione, Hollywood propose sa propre version du Facteur sonne toujours deux fois. C’est la MGM qui s’y colle, et comme on peut s’en douter, malgré une jolie présence en extérieur, le studio, comme tous les autres, adopte la transparence pour mettre en place les quelques séquences prenant place dans un véhicule.

On peut noter une jolie différence avec le film de Visconti : si le sien se termine sur la fuite des protagonistes dans leur voiture, celui de Tay Garnett, code Hays oblige, s’achève avec un accident et la séparation jusque dans la mort des amants criminels : punition mortelle pour elle, accusations en série pour lui. Le néoréalisme ne passera pas par là.
Les Amants de la nuit (Nicholas Ray, 1948)
Pour son premier film à la réalisation pour la RKO, Nicholas Ray atteint un certain niveau de réalisme qui jure avec les habitudes des petites productions de l’époque. La voiture joue un rôle central dans le film et si les transparences sont bien présentes, Ray utilise les éléments naturels comme la pluie pour les rendre plus réalistes, certaines séquences tournées à l’arrière pour filmer l’avant sont particulièrement réalistes (voire innovantes). Mais surtout, le film incorpore une séquence filmée toujours depuis l’arrière avec le conducteur de dos ou sur le côté sans transparence et même des plans tournés depuis un hélicoptère. Effet réaliste garanti, possible grâce à la lenteur relative du véhicule (la séquence est potentiellement filmée dans les fausses rues reconstituées en studio et qui servent à beaucoup de tournages au sein des majors).

Nicholas Ray se montrera beaucoup moins innovant dans Le Violent deux ans plus tard où dans sa séquence d’introduction, il fait communiquer deux personnages depuis leur décapotable, à l’arrêt… tout en reproduisant la scène en studio. Pour La Maison dans l’ombre, il reproduit exactement le même effet (tourné dans une rue en plaçant la caméra à l’arrière) :

Les Fous du roi (Robert Rossen, 1949)
Attaché, semble-t-il, à adapter le roman de Robert Penn Warren de manière réaliste, Robert Rossen évite autant que possible les séquences tournées dans une voiture. On remarque un seul plan, très court, avant un accident mortel. Le cinéaste s’efforce de montrer la scène de biais en révélant le moins possible l’arrière-plan, mais la transparence paraît malgré tout évidente et tranche avec les autres plans très réalistes de la séquence.

(La même année, Robert Siodmak dans Pour toi j’ai tué est moins embarrassé : même angle, mais un procédé bien trop visible.)
Les Bas-Fonds de Frisco (Jules Dassin, 1949)
Nouveau film réaliste (que l’on pourrait même qualifier de naturalisme). Une bonne partie du film se situant sur la route à bord de camion de marchandises, Jules Dassin ne peut pas faire l’impasse des transparences. Il use de quelques stratagèmes pour éviter le côté non réaliste de certains plans : en montrant Richard Conte sortir son bras pour sentir le vent sur sa main, en usant de surimpressions, de courtes contre-plongées (je ne l’illustre pas ici en exemple, mais l’idée est assez bonne : en montrant le ciel, on peut tout à fait placer une caméra au sol avec le visage du conducteur et un coin de ciel bleu immobile, le tout avec un véhicule à l’arrêt), mais c’est inévitable, certains plans laissent trop bien apparaître le procédé.

Ça commence à Vera Cruz (Don Siegel, 1949)
Don Siegel a souvent été confronté à la nécessité de filmer des personnages dans des automobiles, plus tard, il participera même sans doute beaucoup à faire appel à de nouveaux usages, et dans un de ses premiers films, un road movie (thriller comique et routier), malgré les nombreux défis auxquels il doit faire face, il est peut-être un de ceux qui s’y prennent le mieux pour faire oublier les transparences. Ses principales astuces : préférer une décapotable qui permettra de faire interagir les personnages avec les éléments naturels, et surtout, adopter une caméra très flottante comme si elle naviguait à côté du véhicule (cela ne marche que pour les plans sur le côté). (Voir The Lineup, 1958.)

Dans l’ombre de San Francisco (Norman Foster, 1950)
Réaliser des séquences à bord d’une automobile dans les rues sinueuses de San Francisco peut s’avérer être un casse-tête pour les productions. Si dans les années 70, la ville mettra en évidence comme jamais la plus-value réaliste de séquences tournées sur place, au début des années 50, on multiplie encore les transparences. Le film de Normal Foster se fait cependant remarquer par sa relative habilité à proposer des arrière-plans crédibles de transparence (pour les gros plans surtout, avec un axe différent chaque fois). Là où en revanche, le procédé montre ses limites, c’est quand on voit les remous fous et typiques de la ville ballottant l’axe de la caméra dans la transparence, tandis que les acteurs remuent à peine au premier plan. San Francisco attend Bullitt.

La suite, page 5 :
Deuxième partie (suite) : la révolution éphémère et inachevée de Gun Crazy