Transparences et représentation des habitacles ou des véhicules en mouvement dans le cinéma américain 2

Monsieur Smith au Sénat, Frank Capra, | Columbia Pictures

Evolution des usages dans le cinéma américain visant à filmer une séquence mettant en scène des acteurs placés dans un véhicule en marche


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Table :

Introduction

Première partie :

Les films en noir et blanc avant la couleur (du cinéma muet aux années de guerre) : le règne de la transparence

Intermède : le néoréalisme

Deuxième partie :

Les films en noir et blanc d’après-guerre (1945-1955) : hésitations, tâtonnement et entêtements

Troisième partie :

Milieu des années 50 : séries A ou séries B, grosses productions ou petites et moyennes productions, drame ou cinéma de genre, cinéma en couleurs ou en noir et blanc

Quatrième partie :

Fin des années 50, début des années 60 : incohérences & innovations à l’heure des nouvelles vagues européennes

Cinquième partie :

1967-1969, le Nouvel Hollywood : révolution des usages & fin progressive des transparences à l’ancienne


Première partie (suite)

Les films en noir et blanc avant la couleur (du cinéma muet aux années de guerre) : le règne de la transparence

La transparence, solution de facilité (on se replie dans les studios)
The Champ (King Vidor, 1931)

La même année que L’Ennemi public, King Vidor fait un choix opposé à celui de Wellman. Apparition de la transparence. Quand on voit qui est au volant, on se demande bien pourquoi. (Le procédé aurait été inventé pour Liliom en 1930.)

Aucun souci de réalisme. Vidor semble même s’amuser de la fausseté de la séquence (on ne plaisante pas avec les enfants au volant). Quoi qu’il en soit, le procédé sera désormais largement employé dans les studios. Encore habitué des conventions théâtrales, aucune raison de penser que le public exige un réalisme irréprochable pour toutes les séquences. L’artifice fait encore partie de la représentation du monde à l’écran (les morts tombent raides morts après un coup de « pétard », les Blancs interprètent des personnages racisés, des adultes jouent des gamines, ce n’est donc pas une transparence qui va mettre à mal leur « suspension volontaire de crédulité »).

Carioca (Thornton Freeland, 1933)

Carioca ne serait pas seulement le premier film où Ginger Rogers et Fred Astaire sont réunis, ce serait aussi le premier film à proposer des transparences en mouvement derrière un premier plan d’acteurs dans un véhicule. Enfin, dans, ou sur un véhicule.

Mais restons sur terre.

New York — Miami (Frank Capra, 1934)

La première screwball comedy est un road movie, et de ce fait, le film implique de nombreuses séquences prenant place dans des véhicules.

Trente ans avant Macadam cowboy ou Le Lauréat, la production de la Columbia ne s’encombre pas de réalisme, et au lieu de placer une caméra (éventuellement) dans la rangée centrale d’un bus, un bus entier est reproduit en studio. Un choix coûteux qui rappelle celui d’Airport en 1970, mais qui permet un contrôle total sur la mise en place de la scène et de limiter les risques des tournages en extérieurs (on peut même contrôler le temps qu’il fait : dans cette séquence, il pleut).

On voit que la caméra est placée à l’extérieur de l’habitacle supposé et on n’y voit que du feu.

Même pour les séquences censées se passer à l’extérieur et pour lesquelles la production n’a pas pu faire l’économie de plans tournés sur place, même pour des décapotables, Capra utilise les transparences. Les acteurs n’avaient aucune idée qu’ils étaient en train de tourner un chef-d’œuvre, cette manière de tourner à droite et à gauche des petits bouts de scène y a peut-être contribué : difficile pour les acteurs de se représenter les séquences (jouant sur le comique de situation) quand le tournage est ainsi charcuté.

Beaucoup de codes et d’usages « classiques » se mettent en place à Hollywood dans les années 30 et la transparence en fait partie. L’usage semble tellement évident ici et le public semble si peu s’en émouvoir qu’on se soucie assez peu des questions de vraisemblance que cela pose.

J’ai le droit de vivre (Fritz Lang, 1937)

On peut être prisonnier des transparences, on ne se satisfait pas pour autant du manque de vraisemblance que cela procure. À l’orée du film noir qui se souciera rarement de réalisme, Fritz Lang dans J’ai le droit de vivre fait confiance aux éléments de la nature et à la nuit pour échapper au carcan imposé de la reproduction en studio.

Le plan reste toutefois large et filmé plein face. Certains pourraient y voir une forme de symbole…, la caméra prenant la place du moteur de l’engin en marche… « Moteur ! Ça tourne ! — Coupez ! »

L’Impossible Monsieur Bébé (Howard Hawks, 1938)

Notons que cette époque bénie des transparences permet un surcadrage étonnant qui préfigure le cinémascope avec des personnages situés de part et d’autre derrière un pare-brise (ironiquement, cette configuration évoque également la manière dont certains publics américains vont regarder les films : dans des drive-in).

Mr. Smith au sénat (Frank Capra, 1939)

On note encore que les transparences sont réservées presque toujours aux séquences dialoguées de nuit, tandis qu’on se réserve encore la possibilité de tourner in situ sur de larges routes à faible trafic pour des séquences non dialoguées de jour.

Y avait-il une certaine frustration à l’époque chez le public à qui pouvait proposer un arrière-plan de qualité si médiocre ?

Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks, 1939)

Pas d’autres choix que d’utiliser les transparences pour mettre en scène des séquences prenant place dans un habitacle d’avion.


La suite, page 3 :

Focus sur le début des années 40 avec le basculement progressif vers le film noir



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