Les Chemins flottants – Ici se dessine l’esquisse

Table des matières

 

 

Ici se dessine l’esquisse quasi mystique des questions laissées sans réponse.

 

Le ciel noircit et une agitation électrique vint s’établir jusqu’au sol. Le vent de l’aurore bruissait dans les voiles élancées des bois, et alors que la porte déchirée du monde se laissait ainsi dévorer par les froides terreurs de l’aube, que le paysage baignait dans un bref déluge de vagues enflammées, un enfant, impassible et mauve, sortit du néant satiné du velours de l’ombre — forêt mystérieuse, impasse terrible et gaie.

L’enfant s’avance.

Sa physionomie est étrange, son sourire figé. Sa présence ouvre une dimension jamais éprouvée. Je le vois sans le voir, comme l’image d’une récurrence volatile, comme le reflet faussé d’une figure clandestine. Un fantôme.

Du ciel tumultueux, tombent, de manière disparate et rare, les premières gouttes de pluie. Premiers signes attendus de l’orage, cette transpiration céleste hâte vers les abris les rares promeneurs de cette société endormie. Et l’enfant, lui, invisible pour qui ne sait le voir, presque imperceptible au milieu de ce chaos de couleurs et de vices, marche, confiant, et considère ton corps avec tranquillité achevant vers toi son mouvement flottant et funeste.

Vos ombres se confondent et prennent une forme dérisoire, presque vide. En se penchant affectueusement l’enfant se débarrasse de sa stature lugubre. Sa main se pose sur ton épaule. Le geste est sensuel, comme un réconfort apporté à une âme délicate et fragile. Tu souris, te laisses caresser sans crainte. Ses paumes glissent sur ton cou d’albâtre. Son bras tout entier sur ton corps — abandonnée. Puis, sa tête près de la tienne, il dépose sur ton front un baiser — câlin délivré dans la gravité, étreinte trop sage. Appelée par les sombres moiteurs du ciel, tu te détournes d’abord de lui, mais comme de nouveau inondée du sang de la nuit, tu l’étreins comme une mère. Deux corps l’un dans l’autre, paisibles et beaux.

Déchiré par les cisailles du rêve, mon cœur aspire à la lumière cachée de la vérité. Balancé entre une part de moi-même, émue devant la magie de ce spectacle, et une autre qui cherche à en atténuer la force, je ne peux croire à cette aura qui me parle au-delà de ce que je peux voir, qui inspecte mes sens sans respecter ce que je suis. Ce tiraillement entre deux identités — ou deux perceptions du monde — se fait dans la douleur et la crainte de me rendre fou.

Les rumeurs plombées de l’orage empreignent l’atmosphère, et le soleil agonise dans des étincelles de rouilles. Des nuages lourds comme un champ de labours s’amassent les uns aux autres ; leurs volumes torsadés se serrent dans des grondements étouffants et sourds, dans un roulement constant et sinistre. Puis cette matière informe grésille en ombres électriques, s’embrase, et accouche d’une écume flasque et pesante. Aussitôt le ciel hérisse ses jets humides sur le monde et les ténèbres se dressent sur la plaine. La terre maintenant laisse transpirer de ses flancs la désagréable moiteur de ces excès et l’air sue une puanteur fade sur les rives du fleuve. Un étouffement inexplicable. Une douleur lancinante. Un esprit gonflé d’eau.

La vie s’endort, sans doute.

 

La suite :

L’homme est susceptible

Table des matières