Les principes du commentaire sportif

« It’s a live! It’s a live!« 

« Tout à fait, Thierry ! »

Je vais prendre, dans cet article, uniquement l’exemple du basketball qui m’est le plus familier. Il vient par ailleurs s’ajouter à des critiques déjà formulées concernant la pratique du commentaire sportif en France, à travers la culture de la loose, et à retrouver ici.

Je ne suis pas professionnel de la télévision, et je regarde plutôt ça avec un œil d’ancien acteur. Mais quand on se frotte à différentes cultures du commentaire sportif, par curiosité ou par passions, des comparaisons d’usage permettent d’en faire ressortir quelques principes. Certains sont connus et évidents, d’autres procèdent sans doute de la préférence ou de la conjecture. Et si je me permets un tel article, c’est qu’il me semble avoir des usages et des pratiques professionnelles, dans le commentaire sportif en France, qui laissent plutôt à désirer (et qui me frustrent comme spectateur).

Le basketball a une faible visibilité en France et souffre d’un manque de constance et de culture « nationale » dans sa diffusion. Les médias s’y intéressent peu, et malgré le nombre de licenciés, de fans ou de spectateurs potentiels, le « produit basket » reste mal aimé des grands réseaux médiatiques. Historiquement, le sport a pris son envol dans une niche cryptée, Canal+, avant que dans le nouveau siècle, beIN prenne le relais sans améliorer la qualité des retranscriptions ou la visibilité du sport. L’usage qui s’est implanté dans le pays est donc celui d’un commentaire pratiqué en cabine, entre potes et voix de gros fumeurs.

À l’image de ce qui se fait par exemple au théâtre ou au cinéma où certaines pratiques et certains savoir-faire ont disparu à l’occasion de la nouvelle vague, les professionnels qui émergent ainsi sont presque toujours des individus présentant une personnalité forte, capable d’imposer un style propre. Cela masque en réalité une pauvreté dans la formation et dans les usages de la production des rares diffusions : aucune visibilité signifie aucune pression, aucune concurrence, des exigences faibles et… une frustration grandissante chez les spectateurs quand un nouveau diffuseur se présente sur le marché. Ce sera souvent pour des coups ponctuels et il partira de zéro, souvent en débauchant des personnalités de diffuseurs historiques et en proposant le poste de consultant à une figure du sport diffusée sans pratiquer le moindre essai. Pas de culture de diffusion, pas d’usage ; pas d’usage, pas de professionnalisme ; pas de professionnalisme, des commentaires qui sapent parfois un programme sans être capables de servir de réelle plus-value.

Voici donc quelques usages, regroupés par thématiques.

Les échanges (entre un « commentateur » et un « consultant »).

La France, on le sait, est le pays des débats, des longues discussions autour d’une table et d’un verre d’alcool. À une époque où Canal+ diffusait autre chose que du basketball la nuit, les Guignols de l’info moquaient une émission du PAF, ancêtre des débats entre consultants et éditorialistes des chaînes infos, entre Serge July (ancien directeur de Libé) et Philippe Alexandre, en faisant passer leurs discussions du dimanche soir pour un échange à la limite des Brèves des comptoirs. Ce qui donnait cette impression aux humoristes caricaturant l’émission de France 3, c’était le discours décousu, improvisé, des deux journalistes dont les échanges se limitaient à des points de vue relancés par la position de l’autre entre deux verres de « poires ». Si cet usage est pratiquement devenu la norme sur les chaînes infos, la tentation, quand on n’y est pas préparé, quand on commente un match à deux, est de se livrer à ce même type de discussions et d’échanges.

En conséquence, voici la première règle : on ne papote pas. Les commentaires servent l’action et les acteurs du jeu. Une retransmission de basketball, c’est une histoire racontée à la troisième personne, pas à la première ou à la seconde. Par respect des joueurs et de leurs actions au moment où elles se produisent, les commentateurs s’effacent pour concentrer leur parole sur ce que l’on voit à l’écran.

Au cœur de l’action, les échanges n’en sont en réalité pas de véritables : les voix se succèdent, mais elles traitent différemment le même événement, souvent avec une temporalité généralement différente. Elles ne s’infirment pas ou ne se confirment pas comme des échanges véritables, elles se complètent apportant deux angles complémentaires. Le commentateur décrit l’action au présent ; le consultant éclaire l’action qui vient de se passer et éventuellement celle qui pourrait venir (les enjeux).

C’est donc un faux dialogue qui s’installe. C’est une information, pas un débat. Ce n’est pas un hasard si, historiquement, ce sont des journalistes qui tiennent compte ainsi d’un événement sportif.

Et puisque le commentateur sportif consiste à raconter une histoire au moment qu’elle se déroule dans une arène, la plupart des règles sont empruntées à l’écriture, au récit, au théâtre : densité et richesse du commentaire et des descriptions, variétés du vocabulaire, à-propos, maîtrise du domaine, rappels contextuels et historiques, définition des objectifs, compte rendu des forces en présence, des oppositions présentes (statistiques) ou passées, etc.

Le véritable maître de cérémonie ou monsieur loyal de toute cette histoire, c’est d’abord le commentateur. C’est lui qui reçoit, c’est lui qui passe les plats, qui présente et à qui l’on réclame tout le travail narratif, descriptif et journalistique défini dans le paragraphe précédent. Le consultant offre son regard d’expert.

S’il y a des échanges entre ces deux « hôtes » chargés d’ambiancer le spectacle, ils sont laissés aux « temps morts ». Cela concerne l’introduction et la conclusion de l’événement sportif (qui peuvent être plus ou moins denses), mais aussi les éventuels arrêts de jeu entre les diverses périodes ou divers faits de match impliquant une pause du chronomètre. En plein match, mais probablement de manière plus sporadique, les « échanges » peuvent éventuellement intervenir sur une remontée de balle s’il n’y a pas une pression sur demi-terrain (et si c’est le cas, il faut relever le fait que l’équipe met en place une telle défense). Les échanges doivent alors se limiter à deux ou trois réponses maximum ou à une parenthèse d’une dizaine de secondes (beaucoup plus sur une action de jeu litigieuse, un fait de jeu majeur) et surtout, ils doivent avoir lieu s’il est pertinent à cet instant, et possible, de faire part d’un avis personnel, d’une anecdote, de tout ce qui s’écarte des acteurs du jeu pour éclairer d’une autre manière le match. Mais il faut alors toujours garder en tête ce principe supérieur : on respecte le jeu et les acteurs du jeu, on apporte de la densité ; et le but d’un commentaire, même à travers des échanges digressifs, c’est de mettre en valeur le match, de l’éclairer, pas le noyer derrière les informations hors terrain ou de se perdre en bavardage, en exposé d’opinions diverses ou en débat.

Une des erreurs fatales dans ce domaine, c’est celle du commentateur, censé être celui qui a l’expérience, et qui pose des questions au consultant pour le mettre à l’aise ou lui tendre une perche (empoisonnée). Ça n’a rien de naturel, le sujet, le centre des commentaires n’est plus le jeu (ou le « ils »), mais les commentateurs eux-mêmes (le « je » et le « tu »). Une fois, OK, toujours : catastrophe. Et le bingo, c’est le présentateur qui interroge son consultant pendant l’action, oubliant de la commenter. Il se passe quelque chose à l’image et le spectateur a l’impression de voir quelqu’un papoter pendant une pause publicité. Les discussions, les digressions, le chill, c’est pendant les pauses. Elles sont faites pour ça. Elles servent même parfois de ponctuation, de respiration. On prend de la hauteur, on reprend ses esprits si le match est intense. En dramaturgie, on parle de douche écossaise : moments forts, moments plus tranquilles. C’est pourquoi le basket est fait pour la télévision. Sur le terrain, c’est l’action, on commente, c’est haletant. Puis, les acteurs s’arrêtent, suspense, pub, les coryphées entre jeu pour expliquer ce que l’on a vu et ce que l’on va voir. Retour à l’action. Eau froide, eau chaude…

Dans la même idée, on évite de se contredire ou on le fait avec tact (laissant l’autre se corriger). Car étant entendu que les interventions sont limitées aux descriptions et aux éclairages, si l’un des deux commet une erreur d’interprétation dans ce qu’il voit sur le terrain, il faut que cela soit corrigé par l’autre (dans le cas d’échanges d’idées, d’opinions, ce serait totalement hors de propos de se contredire et peut être considéré comme une double faute). On évite également de rebondir sur ce que dit l’autre, de se poser (trop) des questions pendant les phases de jeu ou de confirmer ou de répéter ce que le collègue affirme déjà. Le fameux « tout à fait Thierry » est typiquement ce qu’il fait éviter. Si l’on confirme, c’est seulement dans le but d’apporter un nouvel élément. Si ce n’est que pour dire « +1 » ou équivalent, c’est du bavardage. Si l’un décrit au présent une action et que l’autre y apporte son éclairage un peu à retardement, ils évoquent souvent le même sujet, mais ils ne rebondissent pas forcément sur la phrase qui précède. Si l’angle est différent, les voix se succèdent, traitent du même sujet et de la même action, mais leur traitement différent, leur angle différent, permettent une densité des regards et des informations. L’un peut par exemple se focaliser sur l’action, l’autre sur un acteur du jeu. L’un peut concentrer son regard sur le temps immédiat (le score, l’écart, le tir tenté), l’autre sur un point statistique spécifique, individuel ou sur les objectifs d’une équipe (combler un écart, retrouver une adresse, progresser aux rebonds, limiter les balles perdues).

Ce qui est décrit ici, c’est la base, on peut évidemment prendre des libertés avec ces rôles définis, intervertir parfois, pour apporter plus de vie. Mais l’idée, c’est de poser un cadre : ce qui échappe à la règle doit rester exceptionnel ou minoritaire. Sinon, c’est le chaos et personne ne sait quand parler et sur quoi il doit intervenir.

Si malgré tout la paire « consultant/commentateur » donne l’impression de discuter, tout en respecter les usages précédents, c’est que leur temps d’intervention mutuel correspond grosso modo à celui d’une discussion. Cela entretient l’illusion de la convivialité sans avoir à multiplier les échanges qui sont plus la marque d’une discussion autour d’un verre que d’un commentaire sportif. Il faut ainsi éviter les deux extrêmes : les tunnels de l’un ou de l’autre, mais aussi les phrases pronominales, voire exclamatives, si le moment n’est pas opportun… Cinq, dix secondes d’intervention chacun en moyenne, parfois plus quand une action de jeu s’éternise. Et ça tombe bien, si le basketball est idéal pour la télévision, c’est que les possessions sont limitées à 24 secondes, le temps que le commentateur et le consultant interviennent une ou deux fois sans pour autant « discuter ». Si au football, une action peut se poursuivre sans le moindre tir, au basketball, c’est plus rare : il y aura soit ballon perdu, soit rebond, soit remise en jeu, il y a donc toujours une matière à commenter (plus précisément « à décrire »).

Le partage du temps de parole, c’est bien gentil, mais qui commente quoi ?

Les rôles de chacun (consultant/commentateur).

Quand on se hasarde à regarder des extraits disponibles de diffusion de match de basketball sur des réseaux américains en dehors des grands réseaux, on repère parfois les « coutures » de ces usages professionnels qui nous manquent tant en France. Dans ce type de diffusion, chacun reste à sa place, obéit aux règles et ne s’en écarte que rarement. Un peu trop. Mais ces archétypes permettent d’en comprendre le fonctionnement.

Avant d’improviser, n’importe quel joueur de violon ou de piano devra apprendre son instrument. Et c’est seulement quand il le maîtrisera qu’il sera apte à improviser (ça marche aussi avec Picasso, tout à fait capable de dessiner dans un style classique avant de s’autoriser à proposer des modèles sortant largement du cadre). C’est un peu la même chose dans le commentaire sportif. (Même si, comme toujours, il y a des exceptions à la règle : l’équipe de First Team, à l’image des personnalités qui se sont imposées à travers un style typique à l’antenne, a su proposer un genre de commentaire tout à fait nouveau en cassant les codes — même mal définis en France.)

Alors qu’est-ce qui ressort de ces diffusions qui adoptent un peu trop les usages à la lettre ?

D’abord, la priorité laissée au play-by-play. La base du commentaire. On commente l’action, on décrit ce que le spectateur voit à l’écran, et quand on est sur place, on apporte des précisions sur ce qui n’y apparaît pas. C’est purement descriptif. Cela peut paraître rébarbatif ou assez peu créatif, mais il faut voir ça comme la musique dans un film : la description souligne (confirme, même) ce que le spectateur voit à l’écran.

Le commentateur doit toujours avoir un œil sur les arbitres pour faire le lien entre ce qui est jugé sur le parquet et le spectateur. Parce que ce sont les arbitres qui valident ou non ce que l’on voit à l’écran. Ils sont les maîtres du jeu : à chaque possession, un verdict. C’est ce verdict que le commentateur, souvent journaliste, reproduit à l’intention du spectateur. Les opinions sur ces « verdicts » sont rares, mais possibles (elles seront davantage laissées au consultant) et livrées rapidement si le jeu reprend. Ne pas oublier toutefois que l’essentiel du travail du commentateur consiste donc à traduire en mots ce qu’il se passe sur le terrain.

On a de la chance, au basketball, les actions sont limitées, et souvent, répétées. Tout un vocabulaire s’est donc mis en place pour décrire chacune des situations possibles dans le jeu. Les commentateurs américains disposent de tout un arsenal lexical dans cet objectif. En France, le play-by-play reste souvent limité : les expressions pour décrire les actions ne sont pas maîtrisées, pas ancrées dans la pratique ; le commentateur se limite à quelques interventions, assez peu précises (quand il y a une faute par exemple, il ne faut pas dire « faute », mais quel type de faute, et par qui, à la fois par quel joueur et si elle est offensive ou défensive, par exemple, et sur quel type d’action). C’est peut-être l’influence des diffusions de football dans lesquelles, certes, commenter qui a la balle peut devenir vite répétitif. Il y a un gros déficit en la matière, à mon sens, dans les diffusions en France.

Voilà pour le play-by-play du commentateur. Maintenant, quand chacun, entre le commentateur et le consultant, intervient-il ?

Tant que l’horloge des 24 secondes tourne, il faut mettre en évidence les acteurs du terrain en laissant la priorité au play-by-play. Dès qu’une action s’achève, le consultant profite de l’arrêt de jeu ou de la remontée de balle pour revenir sur l’action, l’éclairer, rappeler ses enjeux, évoquer une tactique, un objectif, une statistique, une qualité d’un joueur ou au contraire une faiblesse, etc.

En dehors de ces phases de jeu où le chrono s’égrène, après chaque phase de jeu en attaque ou si l’action en cours n’est pas des plus intenses, le consultant intervient sur tous les aspects techniques et tactiques du jeu. Il peut apporter son regard sur les règles même s’il n’est pas arbitre. De manière générale, dans ce cas de figure, l’œil du consultant offre au spectateur le point de vue du joueur. Un match à commenter, c’est comme un film ou un roman : il se passe une action litigieuse, on veut être dans la tête du personnage : comment réagit-on à tel ou tel événement de jeu, pourquoi. Son rôle est également d’évoquer la gestion de l’entraîneur. Parfois, il apporte son point de vue sur les qualités ou les ratés d’un joueur. C’est une forme de mise en contexte : il peut étayer son opinion à travers des faits passés, des informations sur le joueur ou ses performances passées, sur les statistiques.

Dit autrement et en règle générale, le play-by-play du commentateur fait une pause après avoir précisé si le tir tenté est réussi ou non, et après avoir décrit le rebond. Cette pause permet au consultant/expert d’éclairer le spectateur sur la phase de jeu que l’on a vue, apporter son regard sur le choix effectué ou la performance des joueurs sur cette phase de jeu. La remise en jeu permet généralement cette respiration d’une poignée de secondes et la priorité doit donc être laissée, à ce moment précis, au consultant : les deux doivent savoir quels sont les moments où ils sont prioritaires. Cela évite de parler en même temps ou de se couper. Et si les voix se chevauchent, l’on ne comprend rien. En cas de défense sur demi-terrain, d’événement insolite sur la remise ou s’il y a une relance rapide, il faut évidemment vite revenir à l’action et au play-by-play purement descriptif.

Voici quelques éléments mis en avant pouvant faire l’objet d’un commentaire en une phrase (pendant que le chrono tourne, plutôt en début de possession) ou d’un court échange (pendant que le chrono est arrêté) : les joueurs au rendez-vous, à fort impact, ceux en demi-teinte, rappel des précédents momentums, le point sur le score et les enjeux de la possession, alerte sur le chrono, domination aux rebonds, sur les ballons perdus, aux pourcentages… Bref, tout ce qui peut être significatif à un moment du match et qui pourrait éclairer le spectateur sur le déroulement des événements.

Tout cela implique de travailler ensemble en amant et de recueillir ainsi des petites informations qu’on s’autorisera à évoquer en match. C’est une pratique très répandue dans les usages us, beaucoup moins en France. (Par exemple, un commentateur peut expliquer les raisons d’un numéro de maillot ou mentionner l’âge auquel un joueur a commencé le basket : c’est purement illustratif, non descriptif, mais ça peut prendre trois secondes et peut être fait dans la même phrase sur une action de jeu. L’information apparaît en incise dans le play-by-play, une manière d’apporter un plus, de varier un peu sa description tout en apportant des informations courtes. Si l’on s’étale au-delà d’une poignée de secondes, cela devient hors sujet.)

Les matchs de basketball sont souvent étayés de diverses statistiques. Elles éclairent considérablement la performance des joueurs et expliquent les oppositions dans les divers secteurs de jeu. Ne surtout pas se priver de les rappeler, brièvement, quand l’action est en cours pour l’illustrer (le pourcentage de tir d’un joueur en train de tirer, la énième passe ou le énième ballon volé, le nombre de points d’un seul joueur), et un peu plus en longueur quand le chrono ne défile plus.

Dans tous les cas de figure, essayer de respecter le temps de parole de chacun : il se passe toujours quelque chose sur un parquet, une remontée de balle, c’est, maximum, huit secondes. La main doit donc vite revenir au commentateur (une fois que l’on maîtrise tous ces aspects du commentaire, on peut s’écarter de certains principes et intervertir (et dans certaines limites) les rôles.

(Je vois trop souvent des commentateurs qui ne s’astreignent pas à certains de ces principes : laisser se dérouler une action sans y prêter attention, ne pas nommer un joueur qui tire, se taire juste après un fait marquant comme s’il ne s’était rien passé ou, au contraire, papoter avec le consultant. Comme l’impression parfois que la musique du film n’est pas adaptée ou que le doublage est tiré d’un autre film… L’action doit être au centre de tous les commentaires !)

On évite de se marcher dessus, de se couper, de confirmer les propos de l’autre. Pour cela, éviter les phrases trop courtes, sauf pour réagir pendant les actions, mais savoir qu’une fin de phrase, d’une exclamation donne souvent le feu vert pour que le collègue au micro puisse réagir à son tour. Se couper, parler en même temps provoque un chaos désagréable à l’oreille : ce n’est pas comme dans un bar où l’on peut se concentrer sur une voix, puis une autre : le mixage des voix simultanées crée une bouillie incompréhensible et le fait de parler plus fort ne changera rien (voire empirera la chose). Cela vaut également pour toutes les voix qui apparaissent à l’écran : quand un arbitre parle, par exemple, il faut se taire, car on entendra ni l’arbitre ni le commentateur mêlant sa voix à la sienne. Ça implique de connaître leur gestuelle (a-t-on idée de voir des journalistes papoter pendant le verdict dans un tribunal ?, eh bien, ici, c’est pareil, or bien trop de commentateurs n’écoutent pas les arbitres et font mine ensuite d’essayer de comprendre la situation : il fallait écouter !).

Si un événement intervient, même pendant l’action (le plus souvent juste après sur la remontée de balle), on peut apporter une information que l’on juge pertinente, comme une anecdote. Mais on ne s’y attarde pas, parce que c’est toujours l’action sous les 24 secondes qui doit primer.

Explication des termes techniques, culturels.

Les commentaires doivent être une balance entre une approche suffisamment savante pour proposer des indications riches et variées susceptibles d’éclairer le contexte et le déroulement du match et une approche didactique pour ne pas s’adresser qu’à des spécialistes. Ne pas prendre les spectateurs pour des imbéciles qui ignorent tout des règles du sport auquel ils assistent (surtout quand soi-même, on a des lacunes dans la connaissance du jeu et de ses règles…).

Il y a un lexique très spécifique qui se limite à à peine quelques dizaines de mots et d’expressions. Un autre champ lexical vient varier la mise en forme de ces termes, mais ces formes ne sont pas spécifiques à un sport (locutions, groupes de mots utilisés pour décrire une même action et pour varier les utilisations).

Pour des aspects du jeu plus tactiques, il ne faut surtout pas se restreindre d’en faire mention, mais les explications sont alors indispensables, une première fois. Elles doivent être le plus clair et le plus rapide possible. Si le consultant veut passer plus de temps, il ne doit pas s’étaler sans avoir préparé l’explication : il doit y revenir plus tard, quand il y aura un temps de pause, le commentateur l’interrogera, et il s’attardera sur le sujet après avoir réfléchi à son commentaire. Il présentera ensuite la chose le plus succinctement.

Si on dispose de moyens de productions suffisants, des images au ralenti peuvent venir appuyer le propos du consultant. Les programmes américains les plus habiles arrivent à proposer de tels mises au point seulement quelques minutes à peine après une action. Il n’est pas indispensable d’en arriver à un tel degré de professionnalisme, mais l’idée, c’est surtout qu’il ne faut ni se priver de la mention d’un terme, ni noyer le spectateur derrière un vocabulaire technique (souvent un jargon en anglais) : si cela peut apporter une plus-value au commentaire, on évoque la chose, mais alors on explique. Et on prend le temps nécessaire pour l’exposer clairement. Cela ne s’improvise pas. Commentateurs et consultants doivent en amont s’exercer afin de mettre ensemble au point des codes et des limites pour ne pas se retrouver dans une situation inédite en direct à ne pas savoir si l’on peut évoquer tel ou tel aspect du jeu, comment et surtout en y prenant combien de temps.

Un exemple. Imaginons que le consultant ait remarqué qu’une équipe employait souvent un type de défense spécifique : il peut une première fois signaler au spectateur le passage de l’équipe dans cette défense ; le spectateur n’y prête guère attention ; puis le consultant, lors d’un temps mort ou d’un arrêt de jeu, y revient parce qu’il avait mis dans un coin de sa tête l’idée d’y revenir pour expliquer la chose. Ces points tactiques peuvent alors éclairer sur les enjeux et les choix tactiques. Le consultant expose alors son avis quant à la réussite de la manœuvre.

Le cas spécifique des diffusions en France

À chaque arrivée d’un nouveau diffuseur, souvent parce que c’est en clair, les commentateurs (qui ne semblent parfois pas s’y connaître beaucoup plus que le spectateur) tiennent à ce que le consultant explique des termes qui font pourtant partie du vocabulaire de base. C’est une perte de temps, un manque de respect pour ses spectateurs et ce n’est pas très professionnel. Personne n’a besoin d’être ainsi pris par la main. Quand on se plonge dans les Feux de l’amour, on s’y noie d’abord. On n’exige pas que le programme nous résume les trois mille épisodes précédents. Ne pas comprendre ce que l’on regarde fait partie du charme des sports ou des spectacles sur lesquels on tombe sans d’abord rien y connaître. C’est parfois le mystère qui entoure ces termes, leur poésie propre, qui peut donner à certains l’envie de s’intéresser à un match. Les passionnés le deviennent parce qu’ils voient d’autres passionnés qui le sont devenus avant eux. C’est contagieux. Si on tombe sur un b.a.-ba du basket pour les nuls, on fuit. Personne ne prend de plaisir à ce qu’on lui fasse la leçon. Quand c’est nécessaire, il est heureux que l’on lui fasse, mais certainement pas pour des termes banaux employés une à dix fois par match. Un consultant peut décider d’adopter plus spécifiquement tel ou tel vocabulaire technique ou tactique par rapport à d’autres qui feraient d’autres choix ; dans ce cas, comme toujours, il prend le temps d’expliquer, et puisqu’il comptera y revenir, inutile de tout expliquer une première fois. Exigence et clarté.

La voix

Au même titre qu’un commentaire n’est pas un échange au comptoir d’un bar, la voix portée n’a rien de naturel. Avant de chercher à adopter un « flow » cool, à s’essayer à l’humour ou à se hasarder dans les « takes » qui n’intéressent personne, mieux vaut se concentrer sur sa voix.

Les commentateurs sont au service des acteurs du jeu, ils s’effacent derrière eux (et ce faisant, on se met souvent en avant). La politesse du commentateur est donc de se montrer exigeant sur la clarté et sur la neutralité de son discours (ce dernier point concerne moins le consultant). Cela s’applique aussi au style, au rythme, au ton, au débit, au volume, à la prosodie générale. Le timbre de la voix doit être clair, l’articulation précise, voire exagérée. Pour ce dernier aspect, je renvoie à certains passages des techniques de comédien et aux liaisons. Le commentaire de sport, il faut voir ça comme la différence entre une interprétation au cinéma et une autre pour un dessin animé : il faut exagérer, accentuer.

S’agissant du commentateur, ces règles sont quasiment strictes. Pour le consultant, c’est plus délicat, en principe, on demande la même chose, mais il peut ne pas maîtriser parfaitement ces techniques pour placer sa voix, et s’il tente de s’y mettre, il peut perdre son naturel, son aisance et sa spontanéité. En règle générale, si les interventions apportent des informations utiles, opportunes, le spectateur s’adaptera et s’habituera à ses défauts qui peuvent même devenir des atouts et participer à un style personnel. Mais cela ne doit pas l’exempter de quelques efforts.


Articles cinéma :