She Creature, Edward L. Cahn (1956)

Jaws sous hypnose n’est que bruine de l’âme

Note : 3.5 sur 5.

She Creature

Titre original : The She-Creature

Année : 1956

Réalisation : Edward L. Cahn

Avec : Des monstres mouillés ⋅ Des femmes mouillées ⋅ Des hommes qui louchent

Il faut bien qu’il y ait certaines bonnes âmes pour se dévouer à voir des curiosités dont on sait d’avance qu’elles ne viendront pas perturber le haut de nos tops, et je préfère largement suivre les bobines de fil des « classiques » plus ou moins obscures parce que c’est encore le plus souvent la garantie de se trouver au plumard avec un machin pas trop laid. Je tentais donc l’aventure, pour une fois, avec cette chose dont l’affiche et le titre étaient à peine racoleurs, pensant au moins me fendre la poire, du moins ne pas me laisser avoir aussi facilement comme un bleu. Et au final, si je me suis bien marré certes, il faut aussi avouer que j’ai eu du mal à ne pas apprécier les sous-entendus hautement sexuels qui transpirent de partout sur la pellicule dès que la She en question se trouve chaudement hypnotisée. Je suis faible, les symboles trop subtils ça me gave, je n’aime pas faire l’effort et je suis nul aux mots croisés ; en revanche, je dis pas, les symboles bien gras avec les tétons qui crissent sous la mousseline, je ne résiste pas, j’ai l’imagination qui s’enflamme d’un coup et les poils du nombril qui se dressent… I Human.

C’est que c’était censé être un film d’horreur !… Hein, hé, hé !… Certes, les seins de la créature (celle de gauche sur l’affiche) sont très réussis, et ça pousserait plutôt à la clémence, voire à la tendresse, mais redevenons sérieux, un bon film d’horreur, c’est un film où la créature se fait attendre, voire où elle descend des lapins… Un bon film d’horreur, c’est en principe un peu comme regarder un film porno des années 70 avec 90 % de scènes érotiques et des préliminaires bucoliques, avant de se rincer l’œil, et le reste, dès que les monstres apparaissent…

On peut rire, certes, de ce machin au poitrail XXL, sorte de fœtus lépreux jeté tel un Œdipe à la mer, revenant 800 millions d’années après voir sa maman pour lui montrer ses miches, à moins que ce soit son moi reptilien jaillissant des profondeurs de l’océan à chacun de ses coïts télépathiques… Reste qu’au-delà du côté grotesque, il y a bien quelque chose de savoureux à déchiffrer les relations plus ou moins symboliques, plus ou moins psychanalytiques, de ce petit jeu à trois.

La psychanalyse, si elle a un génie, c’est de pouvoir s’appliquer à tout, d’avoir toujours raison, et de faire des interprètes les véritables stars d’une démarche hautement improbable. Je me lance donc génialement dans l’interprétation de certains de ces signes (sexuels, on pense rarement à autre chose) qui me sont très subtilement apparus pendant le visionnage de ce film. Toute ressemblance avec une interprétation existante ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

Je pose mes lunettes, compte les tâches laiteuses dans le flou opaque de mes pensées, et les paupières lourdes, me tourne vers mon esprit… La lampe frottée entre les cuisses, c’est à lui enfin que se révéleront les bijoux jaillissant de ses profondeurs endormies. Sa coquille se craquelle et c’est tout un passé qui s’agite entre ses doigts étiques. Viens ma belle… Tu n’obéis qu’à ma voix, seulement à ma voix. Est-ce que tu la sens ? Là, oui ?… Maintenant, parle-moi, où te trouves-tu ?…

— Entre tes bras…

Hum… On s’égare.

Ménage à trois donc. Classique. D’un côté, l’homme d’âge mûr, hypnotiseur, savant forcément fou capable presque de réanimer les morts, amoureux de sa créature, de sa chose, de sa Galatée, ayant une emprise totale sur elle, ou presque, parce que si « tu as mon corps et mon esprit…, tu n’auras pas mon cœur ! » ; de l’autre, le jeune médecin sceptique, donc ignorant des mystères de l’amour (« Tu as déjà vu un reptile avec des gros lolos ? » « Non ! Je ne te crois pas ! Je suis sceptique ! » « Je te mets au défi…, espèce de scientiste ! »), d’abord acoquiné avec une femme blonde (forcément frigide au monstre refoulé) mais qui viendra à point sauver notre belle des griffes de son gros vicieux d’hypnotiseur. Et en face d’eux… la femme. She’s a Lady whoa whoa whoa…, et ce n’est pas Delilah qui me contredira. Rousse enflammée, torturée, ligotée, qui n’attend qu’à être affranchie de ses pulsions meurtrières (par-devant, par-derrière…). La castratrice en somme. Ève la pécheresse, la fatale, celle qu’il faut remettre à sa place, et qui traverse l’écran comme une ombre en restant immobile, qui s’évapore comme la sueur froide sur un téton rompu… Le désir personnalisé, la femme convoitée, inatteignable, qui pourtant s’offre à vous mais réserve son cœur à un autre qui n’existe pas… Lascive, chaude et moite. La prostituée qu’on imagine tour à tour consentante quand elle est dans nos bras, et prisonnière quand on la voit aux bras d’un autre… La vénéneuse, dont on ne sait si ce petit regard mouillé qui nous invite à mêler notre sueur à la sienne est celui de la jouissance tendre ou de l’opium abêtissant… Con, cul, piscente, tout y passe. S’enlace et se rétracte. S’enlise et s’envenime…

C’est du classique. Triangle amoureux (l’amour radote, je n’y peux rien). La femme abandonnée qui rêve d’un amant hypothétique qui viendra jaillir de son placard ; l’affreux monstre qui lui a fait un enfant dans le dos et qui l’y tient fermement attachée ; et le candide Adam, pauvre pomme qui perd tout sang froid quand on le chatouille et qui trouvera en lui les ressources pour libérer sa belle (et se débarrasser de son monstre par la même occasion).

Tout est sexuel. La psychanalyse s’évertue à dévoiler les mystères refoulés de nos passions dansantes ?… Eh bien, c’est ça. Rien d’autre qu’un petit machin tout mou qui ressort tout dur une fois trempé dans un liquide… The She-Creature, c’est de la psychanalyse en celluloïd. Plongez-y le doigt, mouillez-y les lèvres, et c’est tout une pyrolyse qui opère en douceur. Comme la langue suave et traînante d’un hypnotiseur : « Ce monsieur te dit, trempe-la dans l’eau, trempe-la dans l’huile : ça fera un escargot tout chaud… »

Je m’écarte. Reprends mon souffle, essuie la sueur. Et je replonge.

La femme de série B se caractérise moins par l’épaisseur de son encéphale que par la profondeur de son bonnet et par sa ferme docilité. Elle est un peu fatale, mais serait plutôt la cadette de celle qu’on rencontre dans les films noirs : c’est un peu comme si l’une avait déjà vécu ce que l’autre était justement en train de subir. C’est un fantasme de petit garçon. Freud dirait qu’éconduit par sa môman, et pas encore résolu à aller tâter le terrain auprès des jouvencelles de son âge, le garçonnet passe son temps à se tripoter les méninges devant la fille next door, la copine à môman, qui porte d’affreux talons qui font ricocher son cœur, porte une de ces robes qui semblent autant empatter le corps nu que le dévoiler à la moindre brise ou lumière indiscrète… Son cerveau n’a alors que très peu d’importance, et d’ailleurs, comme le sien (au petit garçon), c’est bien le cerveau reptilien qui s’exprime. Le candide de l’histoire, le grand naïf, c’est bien lui, le petit garçon. Nous (tous les hommes sont des petits garçons car solubles dans la psychanalyse).

Seulement, bien que désirable, la femme reste pour le petit garçon un monstre étrange et inconnu. Ses hanches le fascinent, sa poitrine l’opule, sa tignasse l’enlise ; ses yeux lui charbonnent les doigts, sa bouche l’englue de miel, ses oreilles lui bouclent la bouche, ses griffes le froissent ; et ses tétons l’hypnotisent pour l’achever enfin dans des profondeurs inavouables… She’s a lady wow wow… but she’s not mine.

Elle est bien à ce scélérat, à ce cruel manipulateur, vicieux et méchant monsieur ! Il la tripote et elle se laisse faire, mais son corps tout entier dit non. Consentante malgré elle. Quand l’hypnotiseur la plonge dans une hypnose pour éveiller en elle la bête des profondeurs, elle frissonne, sa jambe se relève. On devine qu’en dessous de cette robe taillée d’une seule pièce, elle ne porte pas de petite culotte… On n’en peut déjà plus. On sue avec elle. On s’agite tout comme elle pour refuser cet affreux moustachu qui vient lui susurrer des mots à la bouche, qui lui commande d’aller encore plus profond dans ses souvenirs, qui viole et déterre ses monstres enfouis. Des monstres dont on devine qu’il pourrait tout autant en être le père.

Plongée dans un rêve hypnotique, faisant déjà jaillir la bête sur la plage d’où elle viendra, pleine d’une fureur jalouse, tuer les innocents amants, on ne voit que sa peau diaphane. Ce cou étrangement dévoilé, point trop gracile mais peau-telé, laiteux, par-dessous, parce qu’elle est couchée. A-t-on jamais vu un cou nu plus joli ? A-t-on jamais vu de cou sous cet angle sinon dans les bras d’une femme ? Par-dessous, mais que fait la police ?… Il y a des corps qu’on dévoile à peine et qui font deviner tout le reste… La blancheur de la peau, offerte comme vierge à celui qui la regarde, déjà chaude, moite et rougie de l’intérieur… est-ce bien raisonnable ?… Et toute cette sensualité, ces viols plus ou moins consentis par la force des choses hypnotiques, cent fois répétés, entre l’hypnotiseur et sa captive, pour en arriver à quoi, avant que la créature tueuse ne vienne de son plasma océanique se venger des hommes ? À une vapeur moite, un brouillard ectoplasmique censé transmuter de la femme esclave vers la bête. Celle-ci jaillit autant d’un lointain passé (traumatisant) que des eaux profondes. Freud en rougit aussi dans sa tombe… Si toutes les femmes, libres, sont des blondes frigides, typiques de la haute société californienne, dures à marier, exigeantes, éduquées et impossibles à satisfaire…, cette rousse, elle, a le feu au cul, et le brouillard alerte. Comme toutes les femmes violées, si elle éprouve du plaisir, c’est bien malgré elle ; parce qu’elle est la cadette de la femme fatale du film noir, ou la cousine de l’Ayako Wakao de Masumura : sa beauté (ou ses capacités sexuelles, ses dons transmutationnels) est une tragédie pour elle. À la fois prisonnière de l’homme qui pénètre son passé le plus refoulé, de ses pulsions tant sexuelles que meurtrières, mais aussi désireuse de s’en affranchir au plus vite, et pire que tout sans doute, la honte de se livrer ainsi à un homme capable de commander ses pulsions intimes et archaïques. C’est Andromède* enchaînée à son rocher, attendant qu’on vienne la percer, enfin je veux dire… attendant que Persée vienne la trouer, enfin je veux dire… attendant que Persée vienne la trouver…

Là, notre Persée national n’étant qu’un vulgaire sceptique et n’ayant pour épée qu’un petit scalpel penaudement décalotté, vite émoussé par les pollutions de sa belle, il laissera son fantôme matérialisé (ou son affreux rétrofœtus à la poitrine de pierre) se retourner contre son créateur… Les pinces de langoustine dans la tronche, ça fait mal : petit filet de sang à la bouche shyménique en prime avant de plonger dans un dernier rêve tellurique. Le symbole est épais et peut coaguler dans la vase avant qu’on en finisse avec le monstre, étrangement immolé sur la plage, façon feu de camp, mitraillé par les balles de policiers qui arrivent décidément toujours trop tard (zont absolument rien vu dans ce qu’il y a de plus torride dans le film, tant pis pour eux). She’s a Lady, for sure, et la psychanalyse l’a sauvée.

Ou presque. L’hypnotiseur fou est assassiné par le reptile aux nibards tueurs. Et une fois libérée, notre belle captive, sans doute bientôt un peu moins rouquine, se retrouvera dans les bras du sceptique. Il va en apprendre des jolies auprès de sa chaudasse. L’éjaculateur précoce et la femme fontaine, voilà qui promet un beau spectacle. C’est que j’en aurais bien repris en rab de ce petit cou suintant l’ivoire des plaisirs défendus…

PS : parlons technique deux secondes. Le film propose certainement le premier, et le seul, champ contrechamp entre un homme et une poitrine.

— Les yeux, petit, les yeux !

— J’peux pas ! Ils me regardent fixement ! Je suis comme hypnotisé !

— Mais voyons, Persée, ressaisis-toi et coupe-lui la tête !

— J’peux pas !!!… La tête, je pourrais, mais ce sont ces tétons, là ! Voyez ! Ils me regardent fixement !

— Mais comment espères-tu la libérer de ses chaînes si tu ne vois que…

— Oh non…

— Gros dégueulasse ! Gros dégueulasse !

— Faut mettre du sel à c’qui paraît…

— La ferme ! fallait lui couper la tête, imbécile heureux !

— Mais ses tétons dansaient… Comment résister ?

— Ah, tu parles d’un héros ! La gorgone aux sept seins peut se rhabiller…

— Sept seins vous avez dit ?! Je veux la voir ! Je veux la voir !

—… Quand tu seras grand, tête de nœud…

She’s a lady… oh oh oh oh… She’s a lady… oh oh oh oh.

Oh-oh…

pss : Le film compte aussi un petit chef-d’œuvre de réplique d’escroc lâché à un collège de sceptiques : « Si vous ne voyez rien c’est que vous ne voulez pas le voir !!! » Eh ben oui, c’est un peu ça…

*Andromède :andromede


She Creature, Edward L. Cahn 1956 Golden State Productions, Selma Enterprises (10)

She Creature, Edward L. Cahn 1956 | Golden State Productions, Selma Enterprises 


Le film est ici :
http://dai.ly/x22eif3

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