La Folle Ingénue, Ernst Lubitsch (1946)

Délectation des trompes

La Folle Ingénue

Note : 5 sur 5.

Titre original : Cluny Brown

Année : 1946

Réalisation : Ernst Lubitsch

Avec : Charles Boyer, Jennifer Jones

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Bang, bang ! Ça, c’est du chef-d’œuvre ! Aussi parfait que Ninotchka… Et toujours très cosmopolite. Un film américain mise en scène par un Allemand, avec un Français en rôle principal jouant un Tchécoslovaque, tout ça pour une histoire prenant place en Angleterre. On continue les oppositions forcément génératrices de situations irrésistibles. Ici, l’histoire tourne autour des luttes des classes en Angleterre (ou plutôt de la non-lutte, du conservatisme).

Lubitsch partage avec l’humour anglais le goût pour l’absurde, le ton décalé, toujours distingué. Une sorte de non-sens agrémenté d’une petite touche perso : les allusions sexuelles… Jennifer Jones, légèrement bourrée, vautrée sur un canapé qui fait miaou miaou… Le mythe de la vamp qui éclate comme des bulles de champagne… Il serait vain de décrire ce qu’est la Lubitsch touch, parce qu’au fond elle n’existe pas… Le réalisateur n’a pas toujours été l’auteur des histoires qu’il mettait en scène. Une constante, peut-être : des situations impossibles avec pour seul moteur, les mots. Le ton est loufoque sans jamais tomber en plein dans l’absurde le plus cru et gratuit, comme celui d’Hellzapoppin. Pas de slapstick avec ses tartes à la crème, mais des dialogues qui pétillent comme dans une pièce de Feydeau, et la même distance amusée que Guitry. Jennifer Jones est trop distinguée pour être plombier, Charles Boyer est trop désinvolte pour être un réfugié politique, c’est du grand n’importe quoi assumé, tout est dérision.

Un jeu.

Et comme quand on joue aux cow-boys et aux Indiens, l’intrigue importe peu. Eh, oui ! les histoires qui « tiennent sur des tickets de métro » sont souvent les meilleures. La sophistication est une complication laissée aux esprits brouillons. Ninotchka aussi allait droit au but, et ne s’encombrait pas de vraisemblance pour raccorder les scènes entre elles, ou pour rendre crédible les évolutions des personnages. Lubitsch serait prêt à tuer pour un bon mot. Rien d’autre n’a de l’importance. La vraisemblance, elle est au placard, avec l’amant de madame… L’humour, c’est le contraire de la vraisemblance. Ce qui compte c’est la situation « au jour le jour », le plaisir de l’instant présent, la richesse des dialogues, la folie douce des personnages, leur bêtise aussi, parce que la bêtise, c’est l’innocence, et c’est tout le monde. On ne peut que se détendre quand un film dépeint nos travers, et ne fait que s’en moquer gentiment : « regardez, on rit de vous, mais c’était pour le mot d’esprit, le plaisir ». Le rire détourne le regard justement, quand la grossièreté insiste, s’attarde. L’humour doit avoir cette légèreté du papillon qui semble voler de fleur en fleur, innocemment, s’abreuvant du ridicule de toute chose, et passant rapidement à autre chose. Le sucre ne reste pas longtemps en bouche, il s’affadit, devient aigre… Et Lubitsch, bien sûr, papillonne, et sait rester léger. Rien de tout cela n’est sérieux. Pas d’histoire à raconter : la principale est trop… simple ou bizarre. Le plaisir est dans le détail, le rythme de la mise en scène. Imaginez une demoiselle vous offrant généreusement et à l’improviste, un bisou : on en redemande. Et plutôt deux fois qu’une. Eh bien l’humour de Lubitsch, c’est ça. Un bisou, une touch sur la joue, suivie d’une autre et encore d’une autre. Ça ne s’arrête plus, on rougit, on est heureux, et on n’est même pas parasités par quelques idées en dessous de la ceinture, parce qu’évidemment tous ces petits plaisirs sont tout ce qu’il y a de plus innocent. Même quand Lubitsch évoque la sexualité. Ici, on en parle, mais on ne touch pas. Est-ce qu’on jouerait aux cow-boys et aux Indiens avec de vraies flèches et de vraies balles ? On parle donc, plus qu’on n’agit, et ces dialogues sont ceux d’un cinéma non pas parlant, mais beau parleur.

Cluny Brown… Cluny Brown, c’est quoi ce titre ? On dirait la marque de petits gâteaux anglais. Cluny, comme clunky, maladroite, comme loony, timbrée. Brown, comme clown. Brown… qui ruisselle. Une fille timbrée qui se répand en gestes maladroits et amusants ?… Ah oui, c’est charmant. Surtout pour un plombier. L’humour, c’est aussi l’alliance des improbabilités… Invraisemblable ? Eh bien, Dieu merci ! C’est aussi impertinent. Lubitsch mettait en scène à une autre époque Ossi Oswalda. En voilà une autre fofolle ! Va trouver de l’humour dans de l’ordinaritude… Non, non, l’humour, c’est l’inversion des genres, des classes, des robes, des porte-monnaie.

Cluny Brown, donc, reste insaisissable… On pourra toujours essayer de le définir, on n’y arrivera jamais… Comme ce papillon qui souffle la vie et le bonheur, et qui toujours, nous échappe quand on cherche à s’en approcher. Alors d’accord, c’est peut-être ça finalement la Lubitsch touch… Un humour insaisissable qui vous accroche comme rien d’autre. Un de ces plaisirs rares qui sait durer.

Il y a l’humour lourd, sensible à la pesanteur, et il y a les films de Lubitsch.

La Folle Ingénue, Ernst Lubitsch (1946) | Twentieth Century Fox


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La Flibustière des Antilles, Jacques Tourneur (1951)

Pirates, pirates, ah ah ah !

La Flibustière des Antilles

Note : 4 sur 5.

Titre original : Anne of the Indies

Année : 1951

Réalisation : Jacques Tourneur

Avec : Jean Peters, Louis Jourdan, Debra Paget

Qualité Tourneur : densité de l’action, mais avec… peu d’action. 80 minutes de film : on ne s’ennuie pas, et on a l’impression de faire le tour du monde. Tourneur coupe les instants de bravoures obligés dans les films de pirates, parce qu’au fond, la baston, c’est toujours un peu la même chose… Donc tout est centré sur une évolution rapide de la trame. Une histoire simple mais bien ficelée — que du bonheur.

Ce serait intéressant de produire de tels films aujourd’hui, qui ne se prennent pas au sérieux, qui ne se compliquent pas la vie en voulant faire du grandiloquent et en prenant le risque de se casser la gueule. Ça manque. Les fantaisies doivent forcément être de grosses machines publicitaires. Aujourd’hui, les petits films (tournés pour des centaines de millions de dollars) rêvent de casser la baraque et ça s’en ressent, ça pète dans tous les coins, c’est forcé, prétentieux…, et ce que Tourneur se permet ici d’éviter pour se concentrer sur la trame et les personnages, on ne pourrait pas le faire de nos jours où chaque scène est pensée pour devenir un grand moment d’anthologie.

Peut-être que certaines séries TV justement ont ce rôle aujourd’hui : on met le paquet sur l’histoire, les personnages, et ensuite, on évite de donner les clés à un réalisateur qui se la joue trop perso…

On sait ce qu’il en est advenu des pièces romantiques et bourgeoises du XIXᵉ siècle ; tous ces excès finiront au cabinet. Le sucre et les cris ne durent qu’un moment. La simplicité d’un page Tourneur, ça marque toute une vie.


La Flibustière des Antilles, Jacques Tourneur (1951) | Twentieth Century Fox


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Les Indispensables du cinéma 1951

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L’Énigme du lac noir, Michael Gordon (1951)

L’Énigme du lac noir

The Secret of Convict LakeThe Secret of Convict Lake Année : 1951

6/10  IMDb  iCM

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Huis clos – behind locked doors (or almost)

Réalisation :

Michael Gordon

Avec :

Glenn Ford
Gene Tierney
Ethel Barrymore

Ça n’a pas l’air, mais c’est un western.

Des évadés traversent les montagnes les fers aux pieds et trouvent « secours » dans une petite collectivité (une sorte de ranch familiale avec trois ou quatre huttes perdues dans le froid) qui n’est habitée que par des femmes. Bonjour l’ambiance. C’est un peu comme si la veille d’un combat, on disait, à deux boxers qui allaient dormir dans la même chambre…

On retrouve pas mal de personnages traditionnels du western, c’est conforme à la mythologie donc. On n’est pas loin aussi du conte pour faire peur aux enfants qui fait peur. Oui, un côté western dans la nuit assez intrigant. Apparemment ce serait une histoire vraie — le genre d’histoires qui fait le mythe des pionniers d’Amérique.

Glenn Ford, c’est l’éternel acteur qui à l’air d’en avoir toujours rien à foutre (une sorte de cool attitude très américaine aussi ; qu’il joue une brute ou un prof, c’est toujours pareil, mais c’est efficace). Plus surprenant, on y retrouve Gene Tierney. La douceur et la glace, ça correspond bien au film, mais peut-être un peu trop sophistiquée pour la circonstance.

Mise en scène correcte. Ce sera son dernier film avant d’être victime de son temps et de revenir dix ans plus tard — pas facile de faire des films en 1950 quand on était de gauche…


Rivière sans retour, Otto Preminger (1954)

Viagara, la devanture humide en Cinémascope

Rivière sans retour

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : River of No Return

Année : 1954

Réalisation : Otto Preminger

Avec : Robert Mitchum, Marilyn Monroe, Rory Calhoun

Journal d’un cinéphile prépubère

Bon film, agréable, avec des atouts, mais avec un tel sujet, et surtout la manière dont il est traité, difficile de faire mieux.

Le lyrisme, ou le tragique, qu’aurait pu initier ce sujet, semble trop fade. Ce manque d’ambition est surtout palpable dans l’épilogue quand Mitchum enlève Monroe : traitée de manière presque anecdotique (comme le reste du film), sans effets ni procédés, sans mise en relief, ça laisse une impression de désinvolture. Pourtant, la mise en scène est propre, dans la continuité des réalisations « classiques » hollywoodiennes, mais c’est justement ce trop grand classicisme qui pénalise le film. Il faut se positionner entre nécessité d’unité et recherche de profondeur. L’audace, le traitement qui est fait dans les moments intenses, tout ça manque furieusement (c’est vrai aussi que l’histoire n’est pas propice aux grandes envolées, quand le sujet, lui, s’y prêtait).

Le manque d’identification aux personnages (et à l’action) n’arrange rien. L’emploi systématique du champ-contrechamp dans certaines scènes, laissant les décors de ce qui est censé être un western, en arrière-plan, comme un paysage de carte postale, paraît trop formel et découpe les personnages de leur environnement. On retrouve aussi une mauvaise habitude, propre à ce cinéma, de vouloir accélérer artificiellement le rythme en diminuant les possibilités de pauses, et cela, au détriment de la sensibilité, du mystère, de l’imagination, et donc de l’identification.

Malgré ces contraintes techniques imposées par une grosse production, les acteurs s’en tirent plutôt bien, et sans eux, les spectateurs se détourneraient totalement des enjeux de leur aventure. Le film tient en 1 h 30, la brièveté n’est pas toujours une vertu, et c’est peut-être ici le signe que la Twentieth Century Fox cherchait à profiter à moindres frais de sa star, d’un nouveau format spectaculaire et de « paysages somptueux » (comme plus tard avec Niagara). Raisons pour lesquelles Preminger, sans doute, n’aurait pas cherché à tirer le meilleur de cette histoire. L’accent ayant été mis ailleurs, il n’en avait peut-être pas les moyens. Mais sans cette volonté de vouloir proposer au public le meilleur traitement possible, le spectateur, lui, se laisse emporter par la lassitude.

Malgré tout, même avec un drame plat (unité simple), on peut y trouver la marque d’un certain savoir-faire. Le sujet de base reste intéressant. On remarque aussi un sens agréable des dialogues. Reste une certaine fadeur dans les rebondissements et un manque d’audace dans le « tragique ». La rencontre avec les « chasseurs », les Indiens, et les rapides sont attendus, mais presque décevants. On n’y rencontre pas grand monde dans ce Rivière sans retour. Le meurtre du fils rappelant celui du père est bien introduit et reste une bonne idée. Et la beauté de Marilyn est insoutenable durant la scène de la « caverne ». Quand elle revient après une bonne douche dans des chutes, les cheveux peignés comme une princesse, on rigole, mais on a encore les yeux mouillés. Très bonne présence aussi du gamin, surtout dans la première scène du développement, avant que les deux autres arrivent.


Rivière sans retour, Otto Preminger (1954) | Twentieth Century Fox