Fantôme d’amour, Dino Risi (1981)

L’acteur et ses fantômes

Note : 2 sur 5.

Fantôme d’amour

Année : 1981

Titre original : Fantasma d’amore

Réalisation : Dino Risi

Avec : Romy Schneider, Marcello Mastroianni

Le souci avec les films jouant sur le mystère, c’est que si on a compris la nature de ce mystère dès la première séquence, et si le récit joue, lui, sur le secret non dévoilé au premier degré, spectateur et réalisateur risquent très vite de ne plus être sur la même longueur d’onde. C’est ce qui se passe avec Fantôme d’amour, si la première apparition du personnage de Romy Schneider peut encore laisser ouvertes toutes les possibilités sur la nature de son personnage, la suite laisse place à assez peu de doute… Le récit ne s’embarrasse pas de fausses pistes, et ne fait que marteler séquence après séquence, indice après indice, la même évidence. Si dans les films d’horreur, les portes claquent, le pire qui puisse arriver dans un film sur le « mystère », c’est d’enfoncer des portes ouvertes.

Avec un scénario aussi tristement prévisible, il n’y a, pour mettre un peu de piquant à ce qu’il faut bien nommer un thriller psychologique, que la mise en scène pour forcer à travers quelques effets le mystère, le doute, la peur, l’émotion, etc. Or, ça n’aura échappé à personne, Dino Risi est plutôt un cinéaste de comédie, avec un style plutôt sec, épuré, son talent étant surtout celui d’un grand directeur d’acteurs. Ce n’est donc pas sur lui qu’il faut compter pour épicer cette histoire de fantôme. Les séquences oniriques avec filtre cotonneux et grands sourires forcés sont par exemple aujourd’hui tristement risibles.

Si le film est un désastre complet, c’est bien chez les acteurs qu’on peut y trouver quelques frêles éléments de satisfaction : si Romy Schneider ne me convainc guère, j’avoue rester estomaqué devant la performance de Marcello Mastroianni… Dans un rôle pourtant assez largement mutique, là où par exemple un Alain Delon serait resté impassible et beau, Marcello, tout en laissant penser qu’il en donne le moins possible, parvient à nous montrer ce qu’il pense ou ressent comme dans un livre ouvert. C’est dans les gestes ou les réactions les plus simples qu’il démontre son génie d’acteurs : un téléphone qui sonne et qu’il s’apprête à décrocher avant d’y renoncer, une sonnette de porte vers laquelle il tend le bras avant de se rendre compte qu’elle a disparu, tout ça c’est peu de chose, mais c’est ce qu’il y a de plus difficile à faire pour un acteur.

Il faut dans cet exercice de la spontanéité sans qu’elle paraisse feinte, beaucoup de simplicité, un visage souvent impassible mais où tout un monde intérieur se dévoile à travers l’expression du regard : le regard qui se baisse pour réfléchir en réaction à ce qu’il vient d’apprendre, qui remonte aussitôt, un peu perdu, tandis que la voix tente encore de feindre une expression incrédule, et si la voix ne suffit pas, y ajouter un sourire, et c’est toujours le regard qui, par le discours en contrepoint qu’il offre par rapport au reste du corps ou de la voix, révèle la nature des sentiments et de la pensée du personnage.

Arrivé à ce niveau de précision et de pseudo-authenticité pour un acteur, c’est assez rare, Marcello y est un grand habitué (il offrira en 1987 avec Les Yeux noirs le même type de performance), et de ce que j’en sais, cette qualité, on ne les trouve que chez les acteurs qui acceptent de se laisser regarder, chez ceux disposant d’assez de générosité pour offrir leur imagination toute nue au public, et enfin parmi les acteurs suffisamment expérimentés pour ne pas avoir à forcer leur performance, rongés par le doute ou l’angoisse de mal faire.

En d’autres occasions, Mastroianni sait aussi ajouter à sa palette d’acteurs un peu de fantaisie, ici, il n’y est évidemment pas question. On se contentera de sa simplicité, de son authenticité, de son humilité, car tout ça c’est déjà, et suffisamment, même dans un nanar, un privilège à voir quand on est spectateur. Quel acteur de génie… Tout le reste n’est qu’écran de fumée. Même Romy ne fait pas le poids.

Marcello Mastroianni et Dino Risi n’auront collaboré que quatre fois au cours de leur carrière, et malheureusement, jamais pour un grand film.


 
Fantôme d’amour, Dino Risi 1981 Fantasma d’amore | Dean Film, AMLF, Bayerischer Rundfunk, Cam Production

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Roar, Noel Marshall (1981)

Note : 4 sur 5.

Roar

Année : 1981

Réalisation : Noel Marshall

Avec : Tippi Hedren, Noel Marshall, Melanie Griffith

Improbable film-somme. À la fois Les Dents de la mer avec sa déferlante non-stop de vagues de félins se ruant les uns sur les autres, mais le plus souvent aussi sur tous les membres du casting qui passent leur temps à fuir devant cet essaim de piranhas sur pattes ; mais aussi film baba cool familial prônant l’amour des bêtes avec la plus hilarante bêtise ; de ces deux genres contradictoires accouche un dernier genre, celui du thriller animalier.

Ça pourrait être Massacre à la tronçonneuse réalisé par Werner Herzog, sauf que les psychopathes, ce serait plutôt les fous chassés tentant tant bien que mal de rester en vie et de balancer leurs répliques idiotes (et parfois drôles tant elles reflètent leur inconscience). Mais il y a bien dans cette entreprise extrême un petit quelque chose qui n’est pas sans rappeler la folie herzogienne (celui peut-être de Grizzly Man).

On pourrait y voir encore une sorte de Maman j’ai raté l’avion sans trucages, tant le scénario, d’une simplicité navrante mais efficace, tient en une idée simple : papa va chercher sa famille à l’aéroport, mais est retardé par ses deux tigres de compagnie, qui ont malencontreusement fait chavirer la fluette arche-embarcation sur laquelle tout ce petit monde était censé cohabiter dans la joie. Du coup, femme et enfants décident de prendre un taxi pour découvrir seuls leur nouveau chez eux, façon Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest. Certains en sont à une idée un plan ; d’autres répètent, entêtés, ou pas loin d’être étêtés, un peu gribouille, la même idée tout au long d’un même film. Il doit y avoir un point à partir duquel la folie de répétition, toute en rugissements et en rimes pauvres, devient poétique.

Scénario découpé ou écrit à la griffe donc, mais le film tient d’un bout à l’autre, et en toute efficacité, dans ce chassé-croisé permanent rappelant la naissance du cinéma et des premières heures du montage alterné. Primitif, dans tous les sens du terme.

C’est affligeant, on ne sait trop au juste sur le papier ce que Marshall pouvait bien avoir derrière la tête (sinon une bonne paluche de félin taquin) quand il a imaginé pour la première fois jeter sa famille au milieu des fauves, dans une baraque en carton qui a tout du piège à souris. Le plus drôle, et le plus fascinant, lors du visionnage, c’est d’assister incrédule au décalage entre la fuite permanente des acteurs face à des nuées de prédateurs qui ne sont pour eux au mieux que des poupées de chiffons, et les quelques lignes de dialogues censées être rassurantes sans qu’on sache si elles sont destinées aux autres personnages ou aux spectateurs dans une vaine tentative de nous convaincre que tout est parfaitement prévu jusqu’à leurs plaintes et leurs appels au secours. C’est un peu comme proposer à un fakir de venir marcher sur des braises et de les changer au dernier moment par des lames de rasoirs : placé devant le fait accompli, le fakir accepte malgré tout le défi, comme esclave du propre tour qu’il est habitué à fournir à son public, chaque pas devient alors pour lui une souffrance et lui entaille la plante des pieds, mais tout du long comme au bout de son supplice, il persiste à s’illusionner plus que son public et à dire que ce n’est rien. De la folie pure.

Un carton annonce au début du film, même pas ironiquement, que les animaux n’ont pas été blessés durant le tournage (ce qui est faux d’ailleurs, on voit des bêtes blessées, et plusieurs auraient été tuées, abattues, ou victimes d’incidents dont un incendie qui aurait ravagé une partie de la propriété familiale). Parmi les animaux que nous sommes, beaucoup ont par ailleurs fini à l’hôpital. On assiste ainsi par exemple à une attaque démente d’un éléphant contre Tipi Hedren (qui se serait cassé la jambe à l’issue de cette séquence) s’acharnant ensuite sans raison apparente sur une simple barque… (Il n’y a pas que les membres de l’équipe qui étaient fous, ces animaux à force de vivre dans un si petit espace, mêlés à de nombreux autres prédateurs, ne réagissent pas comme ils le feraient dans la nature).

Autre singularité folle. Deux jours de temps diégétique pour presque dix ans de production…

Dramatiquement parlant, le film est peut-être plus visible aujourd’hui, la distance aidant, le recul, et la certitude qu’un tel film serait impossible à faire de nos jours. C’est non seulement drôle au visionnage, mais surtout, on cesse très vite d’y chercher un sens, et on ne voit plus que ce que c’est : un film dévoué à la seule expression de la folie de ses auteurs. Si on mêle à cela la peur constante, réelle, qu’on couve pour les membres de la famille, et la distance ironique, parfois consciente d’être inconsciente (comme le montre parfois le ton taquin de la musique), et on a comme l’impression d’assister à quelque chose de réellement singulier qui mérite d’être regardé.

On peut le voir aussi comme le summum d’une époque avec ses délires et ses excès : le film sort en 1981 à peine exploité, mais il a fallu toutes les années 70 pour le mettre en œuvre. Vu aujourd’hui, c’est un peu comme voir le lointain et tardif épilogue d’un eldorado qui n’aurait pas connu le meurtre de Sharon Tate censé siffler la fin des années 60. Ces années 70 sont encore en roue libre, sans retenue ni barrières, nous proposant une sorte de gang bang de la peur tournant au snuff movie : de La Petite Maison dans la prairie version hippie, de son innocence, on arrive tout droit à la crise et à ses années 80, brutales, sans rien y comprendre. Out of Africa. Gorille dans la brume… jusqu’aux années 80 on assistera épisodiquement à la fin de cet exotisme niais et de la prise de conscience que l’autre bout de la planète est à la fois à portée de main, mais aussi un environnement tout autant en danger que lui-même dangereux ; mais jamais on ne retrouvera cette folie collective qui ne pouvait prendre corps que lors d’un tournage encore imprégné des idées des années 60. Les années 80 mettront fin à ces illusions démentielles, celles de voir la nature, exotique, brutale, continuellement avec des étoiles floues dans les yeux et des fleurs dans les cheveux. (Quoique, ce biais est toujours d’actualité : la nature continue d’être vue comme infailliblement bénéfique, bienfaitrice ou rassurante… Au moins n’y mêle-t-on plus de gros chats prêts à nous sauter dessus.)


Roar, Noel Marshall 1981 | Film Consortium, American Filmworks


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Sois belle et tais-toi, Delphine Seyrig (1981)

Note : 2 sur 5.

Sois belle et tais-toi

Année : 1981

Réalisation : Delphine Seyrig

L’éternelle et navrante rengaine concernant le féminisme : son premier ennemi, c’est le féminisme lui-même avec ces femmes, mollement ou extrêmement, idéologues. Une autre évidence : les acteurs sont des imbéciles. Dommage de les entendre autrement qu’à travers le biais d’un auteur. Ces actrices n’ont que des fantasmes plein la tête, c’en est affolant.

Pour mesurer la bêtise de ces actrices venues à disserter sur la position de la femme dans le cinéma de la seconde partie du XXᵉ siècle, il faut comprendre ce que représente, ce qu’a représenté, le cinéma depuis ses origines, en termes de soft power dans la lutte pour l’égalité entre les sexes. En dehors peut-être du journalisme, je ne connais aucun secteur culturel (ces Américaines, très présentes dans le documentaire, diraient “industrie”, de là sans doute une différence de point de vue) dans lequel le rôle de la femme n’a été aussi important, non seulement à l’intérieur de ce milieu, mais surtout je le redis en termes de soft power. Autrement dit, il y a peu de secteurs professionnels aussi en avance que le cinéma pour changer les mentalités au sein des sociétés.

On a donc une poignée de femmes ayant grosso modo le même profil (le même d’ailleurs que celui de l’actrice, muée pour l’occasion en réalisatrice, Delphine Seyrig), c’est-à-dire des actrices célèbres sans forcément un grand talent mais pratiquement toutes jolies (c’est donc bien à la base une certaine forme de discrimination sexiste, mais positive les concernant, qui les a mis en haut de l’affiche), discourant sur la place de la femme dans le cinéma, du type de personnages qu’on leur propose ou du nombre de scènes proposées avec d’autres femmes dans des films sans que ces scènes ne soient des crêpages de chignons tout juste bons à remplir la machine à fantasmes de ceux qui les imaginent : les hommes.

Remettons donc au point certaines évidences. Ces actrices-là, même Ellen Burstyn, ont eu une carrière, non par leur seul talent (parfois discutable), mais parce qu’elles étaient jolies (ou aussi jolies). Est-ce sexiste ? Oui, certainement. En ont-elles profité ? Oui, certainement. Elles sont donc le fruit (et les principales bénéficiaires) de ce que bien souvent la réalisatrice tente de leur faire dire. Elles se plaignent de ne pas avoir de rôles à la hauteur de leur talent, que tous les meilleurs rôles sont dévolus aux hommes, bref, qu’on les prend pour des idiotes. Eh ben, c’est peut-être un peu parce que souvent, c’est bien le cas, et que si elles ont la chance d’avoir une carrière, des rôles qu’elles jugent après les avoir acceptés, misérables, c’est qu’elles n’ont pas le talent pour autre chose, ou la volonté encore de s’imposer dans autre chose. On appelle ça la gueule de l’emploi.

Désolé mesdames, mais voir par exemple Lillian Hellman interprétée par Jane Fonda, oui, c’est du cinéma ! Maintenant, celle que je voudrais entendre, moi, ce sont les actrices qui plus talentueuses, plus crédibles, mais moins glamours que Jane Fonda, auraient à dire sur le fait de ne jamais avoir eu, elles, les rôles qu’elles auraient aussi pu mériter. N’est-ce pas un peu ironique de voir ces femmes qui bénéficient d’un système et de préjugés sexistes se plaindre des conditions de leur travail alors que justement la raison principale pour lesquelles elles ont travaillé au sein de ce système, c’est non seulement parce qu’elles étaient des femmes, mais des femmes jolies (et dociles).

Ellen Burstyn s’émeut d’avoir découvert par hasard la mise en scène, d’y avoir pris goût, de découvrir qu’une femme pouvait tout à fait être à cette place (on parle bien de préjugés qui tombent du côté d’une femme, pas d’une espèce de patriarcat hypothétique imposant qu’aucune femme ne puisse pratiquer cette activité — même s’il y a évidemment, et certaines le rappellent, des abrutis bien installés profitant de leur pouvoir pour interdire, individuellement, cette possibilité). C’est bien Ellen, et alors ? A-t-on vu après ces essais Ellen Burstyn réaliser des films ? Aucun. C’est Ellen Burstyn, pas une vulgaire réalisatrice sans le sou, sans connexion et sans talent qui galère pour travailler, non, c’est l’une des actrices les plus renommées et respectées de sa génération. Si elle avait vraiment envie de réaliser des films y aurait-il eu tant de monde, tant d’hommes, pour lui barrer le passage, et l’empêcher de faire cette nouvelle vocation ? Non. Ellen Burstyn avait surtout mieux à faire, c’est-à-dire accepter tous les rôles soi-disant inintéressants que l’industrie lui imposait. Est-ce la faute des hommes, de l’industrie du cinéma, si Ellen Burstyn n’a pas réalisé de films ? Non, c’est à cause, seule, de Ellen Burstyn.

C’est fou de voir les choses avec de telles œillères. Non seulement les exemples évoqués seront forcément toujours biaisés parce qu’on a toujours affaire au même type d’actrices (tout est dans le titre), mais surtout ces idiotes sont incapables de voir que dans aucun autre domaine, la culture (le cinéma, ou l’industrie du cinéma…), les femmes ont au contraire eu autant le beau rôle (et attention, pas nécessairement parce qu’elles étaient jolies, encore moins parce qu’elles étaient des femmes). Peut-être pas toujours le beau rôle dans beaucoup de films, mais souvent elles ont eu le rôle central. Et cela pour une bonne raison : les décideurs, ce ne sont pas les nababs de Hollywood, prêts ou non à mettre des bâtons dans les roues de ces jolies dames, mais le public. Et le public n’a pas de sexe, il lui faut aussi bien des personnages féminins que masculins. Que les histoires ensuite se fassent le reflet de nos sociétés en présentant à l’écran des personnages féminins qu’on pourrait juger comme rétrogrades, bien sûr, mais mesure-t-on à quel point au contraire ce cinéma-là a œuvré dans l’autre sens pour promulguer et répandre dans nos sociétés une image de la femme émancipée ?

Concernant l’idiotie, j’ai beaucoup de respect pour Jane Fonda, je ne pourrais pas dire que je la trouve particulièrement convaincante comme actrice (ce même jour, je l’ai vue se faire bouffer par son père dans La Maison du lac), mais elle fait le job, et à l’occasion elle peut dire autre chose que des âneries. Seulement, sérieusement, la voir critiquer la presse qui présentait au moment de la sortie de Julia le rapport entre les deux personnages principaux comme des lesbiennes, c’est presque ironique tant on pourrait croire qu’elle est en train de nous rejouer le grand succès de son personnage : The Children Hour, dans lequel on doute tout du long du type de rapport qu’entretiennent l’une et l’autre femme jusqu’à être convaincu qu’elles le sont bien, au moins pour l’une d’entre elles, homosexuelle. Pour Jane Fonda, il y aurait un amour platonique entre son personnage (réel, rappelons-le) et celui de Vanessa Redgrave : ce ne serait qu’un amour innocent entre femmes, se plaignant ainsi que pour des hommes (la presse), il soit inconcevable que deux femmes puissent entretenir une forte amitié sans la moindre équivoque possible concernant leur sexualité. Pour elle, les hommes auraient forcément l’esprit mal tourné, faisant d’un rapport d’amitié innocent entre Julia et Lillian, un rapport homosexuel… Sauf, Jane, qu’il faut bien être un peu naïf pour balayer aussi facilement cette interprétation. La question ne peut pas être évincée, et pour beaucoup, la question ne se pose même plus : oui, au moins pour l’un des personnages, il est bien question d’homosexualité. C’est l’évidence même. Le fait d’ailleurs que Lillian Hellman ait été ou non homosexuelle importe peu ; ce qui compte, c’est que voilà une femme, dramaturge, qui a vu son travail adapté sans problème au cinéma, et non pas parce qu’elle était une femme, mais parce qu’elle avait du talent.

Comment voulez-vous, après ce genre de réflexion, qu’un réalisateur ne finisse pas par s’agacer des interprétations permanentes de ses acteurs (ou en l’occurrence ici actrices), parce que pratiquement toutes ici, expriment leur frustration en tant qu’actrice que le réalisateur ne prenne jamais en compte leur vision des choses ? Eh bien, oui mes demoiselles, vous n’êtes que des actrices. Du bétail comme disait Hitchcock. Le décideur, c’est le réalisateur. Je reprends à mon compte ce que disait Truffaut cité ici par je ne sais quelle actrice : c’est aux femmes d’écrire des rôles pour elles. Si celles-ci ne sont pas satisfaites du sort qui leur est réservé, pourquoi accepter de continuer à travailler pour les autres ? Et pourquoi ne se mettraient-elles pas à écrire, réaliser, pour leur pomme ? D’autres en sont et en seraient sans doute plus capables. Celles-ci, certainement pas. Et même si celles-ci avaient décidé de travailler pour elles, ce n’est pas avec cette manie de prendre des moulins à vent pour des géants qui les aiderait à s’imposer, non pas dans un univers d’hommes, mais dans un univers où c’est chacun pour soi. Si ce que vous proposez montre un tant soit peu de l’intérêt, peut-être pas quelques abrutis qui refuseront de travailler avec des femmes, mais les autres n’auront aucun intérêt à refuser de se mêler à un projet intéressant. Encore faut-il que ces projets existent, et ce n’est certainement pas de telles écervelées qui s’en rendraient auteures.

La situation n’a probablement pas beaucoup changé en revanche. Si les sottes sont toujours en tête d’affiche, il n’y a toujours pas assez de femmes réalisatrices. Mais au lieu d’y voir un effet du sexisme d’un certain milieu, il serait bon aussi de se demander si le premier réflexe sexiste ne vient pas des femmes elles-mêmes. Celles-ci en montrent malheureusement très bien l’exemple.


Sois belle et tais-toi, Delphine Seyrig 1981


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Blow Out, Brian De Palma (1981)

Note : 3.5 sur 5.

Blow Out

Année : 1981

Réalisation : Brian De Palma

Avec : John Travolta, Nancy Allen, John Lithgow

Excellente scène d’explo…sition. Ça sonne bien ensuite pendant une heure jusqu’au pétage total des deux dernières bobines où Brian fait du Fuller.

Je suis sérieux, le film a au moins deux atouts : son humour et John Travolta. Le reste est mal fichu, et le Brian, il aurait dû se faire aider au scénario pour évacuer toutes ses invraisemblances et facilités grossières.

Je n’ai aucun souvenir de Blow Up, mais j’y vois surtout aussi un joli remake de Conversation secrète, sans le génie bien sûr de Coppola. On gagne en petites scènes rigolotes ce qu’on perd en subtilité, mais comme l’humour n’est qu’accessoire dans le film, on reste sur sa faim.

En parlant de fin, celle-ci est atroce. Dès qu’on en voit trop du côté du meurtrier en fait. Plus on le voit, moins ses motivations et ce qui en découle deviennent crédibles (« cachez cet assassin… ») : le type est tireur d’élite (tirer sur le pneu d’une voiture à pleine vitesse n’est pas donné à tout le monde), c’est un professionnel de l’intrusion par effraction, de la mécanique automobile, de la téléphonie et des écoutes, il tue parfois pour le plaisir, mais… il a des motifs politiques, il est lié à une « organisation » complotiste… et puis en fait non… il devient sur le tard à la fois tueur en série et loup solitaire avec des motifs inconnus (le propre camp de l’assassiné avait noyé l’affaire, mais lui, il veut assassiner les témoins au lieu de laisser faire « la police »), il a des méthodes d’espion (la montre tueuse), et on sait aussi que c’est un tueur qui bande mou parce qu’il n’arrive pas à se décider à tuer sa dernière victime en l’emmenant là où il avait réussi à tuer toutes les autres… dans un lieu à l’écart, enfin il préfère se lier à la foule du 4 juillet pour avoir plus de chance de tuer sa dernière victime. Moi je dis chapeau, un mec comme ça, ça ne court que dans les rues tirées de l’imagination sinueuse d’un Brian De Palma.

Au même endroit, on a donc, une nuit, caché dans les fourrés, le tireur et son complice d’alors, le paparazzigoto, et à leur vue, en plein milieu d’une passerelle écoutant d’abord deux amoureux passant là forcément par hasard, notre ingénieur du son au QI surhumain. Malgré tous ces témoins encombrants, personne ne se croise avant le crime, et le tireur estime parfaitement pertinent de passer à l’action. D’accord… On nous dit aussi que c’est l’été, et on voit Travolta avec des mitaines (pendant tout le film les divers personnages s’habillent chaudement). Seulement dans les films de Brian De Palma, la fête nationale tombe en plein automne (sans doute un hommage au prince des invraisemblances, Samuel… Faller). Nombre de personnages (ou « d’autorités ») servent un peu les utilités pour ne plus réapparaître par la suite : le copain de candidat qui cherche à étouffer l’affaire et tous ses acolytes, disparus comme par enchantement, l’organisation dont fait partie le tueur… Tous, le même empressement à se faire la malle (le journaliste star intéressé par les bandes est mal exploité, tout comme un autre personnage à qui Travolta révèle toute l’affaire… le flic). Les flics véreux d’ailleurs trouvent un moyen d’effacer les bandes que Travolta avait remis avant que le flic chargé de l’affaire ne les écoute ; alors qu’au même moment et pendant sans doute que Travolta raconte une vieille histoire sordide le faisant passer malgré tout pour un mec sympa plein de remords, eh ben les mêmes flics véreux, à moins que ce soit le tueur aux mille talents ou ses copains complotistes tirés en Floride, bref, pendant que quelqu’un passe assez de temps dans son bureau pour échanger toutes les bandes, absolument toutes par des bandes vierges, alors que la secrétaire au même moment sait qu’il y est pour l’y avoir laissé rentré (Bonjour, on se connaît pas, je viens avec un gros chariot de bandes vierges, je viens échanger tout le stock de votre pote. — Allez-y, c’est un con, d’ailleurs, c’est samedi, il se tire toujours en boîte à cette heure-ci.)

Je n’ai absolument rien compris du soi-disant indice sonore laissé sur la bande : j’entends un coup de feu, oui, mais pas un pneu qui éclate (mais je ne suis pas ingénieur, encore moins ingénieur du son, et je m’ingénie peut-être à trouver ici une invraisemblance alors qu’en fait j’ai rien compris) (ou peut-être encore que c’est un hommage, en sommeil, au premier film noir « moderne », En quatrième vitesse, auquel De Palma aurait emprunté la voiture de l’introduction…). Est-ce que sérieusement, on peut synchroniser du son sur des photos capturées dans un magazine où il reste tout de même assez peu probable que tous les photogrammes d’un film aient été publiés (Travolta ne saura de toute façon pas à quelle vitesse les tirer pour les faire correspondre au son que lui a enregistré, sans compter que là encore j’ai du mal à comprendre la logique d’un paparazzi qui habituellement travail avec de simples images photographiques pour faire ses coups et qui là pour l’occasion a besoin d’un film). On ne sait d’ailleurs pas bien ce qu’il attendait de la situation, entendu qu’il était prévenu que son complice tirerait (le champion) sur un pneu, forçant un accident, alors qu’il aurait été plus simple et logique pour lui de les surprendre quand le véhicule était arrêté… (C’est le film noir moderne, il n’y a qu’une seule chose à comprendre : si c’est spectaculaire, c’est cohérent.)

Alors voilà, si toutes ces phrases n’ont ni queue ni tête, ce n’est pas le seul fait de ma syntaxe hésitante. De Palma m’a contaminé. C’est bête, pendant un moment il arrive à faire illusion, et tout le développement, du fait de sa manie à vouloir copier des situations (ou des effets) vues ailleurs (typique de Fuller ça encore, comme ça le sera de Shyamalan), s’est peu à peu embourbé dans un monde parallèle. En réalité, dès qu’arrivent les premières invraisemblances, ça casse tout, et ça coïncide surtout avec le développement de la personnalisation du tueur (qui est probablement l’un des antagonistes de l’ombre le plus mal fichu et le moins crédible de l’histoire des thrillers politico-criminels).

Malgré tout ce travail bâclé, j’avoue un petit faible pour le film. Il est rythmé, joli à voir, et ma foi, j’aurais bien aimé voir Travolta plus souvent dans ce genre de personnages. Non pas qu’il ait un petit air à la Jimmy Stewart, mais je le trouve sympathique. Il n’en fait pas trop, et pour un gars assez souvent cantonné aux beaux gosses, c’est le signe tout de même qu’il a quelque chose. Je le trouve même plus sympathique que Ryan O’Neal, c’est dire.


Blow Out, Brian De Palma 1981 | Filmways Pictures, Geria Productions, Cinema 77

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Maria Zef, Vittorio Cottafavi (1981)

Maria Zef

Maria Zef

Maria Zeff (150)

Année : 1981

Réalisation :

Vittorio Cottafavi

5/10 IMDb
 

Quand un acteur en France joue mal, on dit qu’il “chante”. En Italie, on chante déjà, donc quand les acteurs jouent mal, ils prennent tous l’accent brésilien. (Je suis sérieux.)

Bref, il faut bien une heure pour s’habituer au jeu bressonnien probablement involontaire des acteurs et aux dialogues chiantissimes à la Rohmer. On loue aussi sans doute un peu la paysannerie à la Olmi, mais ce naturalisme on n’y croit pas une seconde.

Fort heureusement, au bout d’une heure peut-être le film se met en route, et on sent venir l’histoire sordide. Y a toujours une histoire de cul pour faire avancer l’action et évoquer les démons du passé. On l’a échappé belle, on l’aurait presque manquée. Inceste, la grappa à son papa, enfant caché, grossesses non désirées, le pot de terre contre le pâté de sable, ceux qui n’ont rien et ceux qui ont moins que rien… La campagne, la vraie.



Hurlements, Joe Dante (1981)

Lowjaw

The Howling

Note : 3 sur 5.

Hurlements

Titre original : The Howling

Année : 1981

Réalisation : Joe Dante

Avec : Dee Wallace, Patrick Macnee, Dennis Dugan

Amusant, John Landis a peut-être tout juste le temps de voir les scènes de transformation et il se dit : OK, je vais faire pareil, mais j’ai une idée géniale, ce sera beaucoup mieux. Et ça fait un chef-d’œuvre avec une des plus belles scènes du cinéma d’horreur, sinon la meilleure, dans Le Loup-garou de Londres. Voilà la différence entre La Métamorphose ou La Mouche, et un gorille qui fait du strip-tease devant une souris apeurée. Parce que les scènes et l’attention anti-jaws portée aux effets spéciaux et aux créatures, ça flirte bon avec la série Z ici parfois.

Dommage, le début tout en montage parallèle est un modèle et plutôt efficace. On retrouve aussi une des plus mauvaises idées de Shining tourné l’année précédente : l’appel à un ami qui vient presto vous sauver depuis sa bagnole (encore une forme de montage parallèle mais pour le coup des moins pertinents).

Pas seulement les débuts de Joe Dante (si on excepte encore le cormanien Piranhas que je n’ai pas encore vu) mais aussi ceux de John Sayles au scénario. Quand les choses sérieuses commencent, Joe Dante semble prendre les rênes et ça devient n’importe quoi, à l’image de l’épilogue (on est déjà dans les Gremlins, quand la journaliste vient annoncer à la télévision la présence de créatures du diable parmi eux, et de se changer alors sous les yeux des caméras en loup-garou tout spoilu).


Hurlements, Joe Dante 1981 | Embassy Pictures, International Film Investors, Wescom Productions


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Possession, Andrzej Zulawski (1981)

La mouche

Note : 4 sur 5.

Possession

Année : 1981

Réalisation : Andrzej Zulawski

Avec : Isabelle Adjani, Sam Neill

— TOP FILMS

Le meilleur Zulawski que j’ai pu voir jusqu’à présent (L’Important c’est d’aimer et La Femme publique, d’autres films français, ne m’avaient pas bien convaincu).

Celui-ci est particulièrement déjanté en plaçant ses deux personnages (un couple en pleine période conflictuelle) en permanence sur une corde raide. Pendant bien une heure et demie, on y retrouve les excès d’un Lars von Trier ou d’un Cassavetes quand ces deux-là axent également leur travail sur le couple. Les allusions horrifiques ne me dérangeaient alors pas tant qu’elles restaient cachées et qu’on pouvait alors interpréter le film à travers le prisme de la psychologie. Cela aurait obligé à ne pas ouvrir aussi parfaitement les portes de l’horreur.

C’est pourtant vers quoi Andrzej Zulawski finit par nous embarquer. Le film perd alors un peu de son charme et la fin frise le Grand-Guignol extraterrestre. Une petite baisse de régime pas bien grave, tout ce qui précède pendant une heure sinon plus demeure fascinant.

Le film est sidérant dans son rythme (ce n’est pas tant jouer les funambules qui impressionne, c’est de le faire à cent à l’heure sans jamais se gaufrer — sauf sur la fin), son manque de fausses notes malgré un sujet et des excès très casse-gueule. Il y a comme un petit miracle à voir autant de justesse et de complicité avec des artistes ne parlant pas la même langue. Probable que le fait de s’accorder sur l’essentiel, une couleur générale, une sorte d’élan, une impulsion primale, au lieu de discuter de tous les détails pour en faire des éléments essentiels ou de se concentrer sur des subtilités de communication verbale, ait aidé à mettre tout ce petit monde cosmopolite sur une même longueur d’onde… Les vibrations des tripes quand elles se soulagent par tous les orifices. Est-ce qu’on dit « parler avec ses tripes » en polonais, en français, en allemand et en anglais ? Possession quoi qu’il en soit nous dégueule bien quelque chose qui fait mouche dans la gueule.

Distingué.


Possession, Andrzej Zulawski 1981 | Gaumont, Oliane Productions, Marianne Productions


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Southern Comfort, Walter Hill (1981)

La Colline et des hommes perdus

Sans retour

Note : 3.5 sur 5.

Sans retour

Titre original : Southern Comfort

Année : 1981

Réalisation : Walter Hill

Avec : Keith Carradine, Lewis Smith, Powers Boothe, Peter Coyote, Fred Ward

Il y a quelque chose d’inabouti dans ce film de Walter Hill. On retrouve le principe d’élimination de certaines histoires d’un des papas d’Alien et des Guerriers de la nuit, mais la trajectoire narrative, ou l’enjeu initial, est trop mal foutu pour qu’on s’y laisse prendre comme dans les deux chefs-d’œuvre précités.

D’abord, peut-être pour réduire les coûts, au lieu de faire comme les autres, Hill propose une sorte de viet-film… dans le bayou. Admettons, après tout, Voyage au bout de l’enfer marche avec pas mal de séquences “domestiques”. Sauf qu’on se rapproche plus du coup d’un film comme Délivrance ou Predator. Les Cajuns devenant alors cette ombre invisible et menaçante zigouillant un à un les amis d’Arnold. Oui, oui, plus terrifiant que les Viêt, voici les Cajuns (« ayou ayou, voulait pas sé marier la Marie-Jare, ayou ayou, sortez donc la guitare, ayou ayou, oh a oh ! »).

L’Amérique a toujours eu peur de ses culs-terreux.

Ça sent donc un peu déjà la tempête dans un verre d’eau. Là où on a du mal à comprendre, c’est que tous ces petits soldats se retrouvent donc dans les marécages pour effectuer une mission dont on ne saura jamais rien, qu’ils n’ont que des balles à blanc, mais… qu’ils sont déjà bien allumés avant le début du film. Ça laisse peu de marge pour les faire évoluer vers une folie, une peur, qu’ils auraient pu découvrir dans ce labyrinthe des vérités que peut être un marais de Louisiane, ou l’enfer de la guerre, ou un film…

Hill nous fait le même coup, hitchcockien, que dans Alien, quand le chef de la petite excursion est le premier à se faire tuer (Disney avait déjà tout spoilé avant Hitchcock, en tuant la maman de Bambi). D’accord, sauf qu’on ne capte pas pourquoi il l’a été (tué). Parce qu’un imbécile s’est amusé à tirer dans les buissons avec ses balles à blanc ? Parce qu’ils ont emprunté des canoës ? Ou parque les Cajuns sont des gros ploucs qui adorent chasser du Yankee ? Le mystère parfois peut jouer au profit du récit, mais là, le grain de sable initial qui fait tout basculer n’a rien de mystérieux, ou d’absurde, c’est juste un prétexte un peu faiblard pour enclencher l’action. D’ailleurs, à un moment, un des personnages cherche à comprendre et demande à un autre les raisons “réelles” de leur mission, suggérant qu’on ne leur aurait pas tout dit… Bah non, vous avez chipé des canoës et leurs propriétaires sont trop vénères donc ils vous shootent comme des lapins.

C’est dommage, parce qu’en dehors de cette invraisemblance, le reste est plutôt bien exécuté. Même si ça restait sans grandes ambitions (ou prétentions). On reconnaît le savoir-faire de Hill dans l’action et la mise en situation, l’ambiance. Tous les acteurs sont d’ailleurs excellents. On emprunte à Apocalypse Now, on reproduit l’esprit de “bonne” camaraderie d’Alien. L’esprit cow-boy, cool, insolent, qui est un peu la marque des films années 80, mais qui n’a au fond jamais bien quitté Hollywood depuis, mais rarement avec la même réussite, ou la même spontanéité (ou folie).

Il y a comme quelque chose de bancal sur la colline et, dans le genre, je préfère toujours La 359ème Section.


Southern Comfort, Walter Hill 1981 | Cinema Group Ventures, Phoenix Films


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Cutter’s Way, Ivan Passer (1981)

Blade Runner cinematographer’s cut

Note : 3.5 sur 5.

Cutter’s Way

Titre français alternatif: La Blessure

Année : 1981

Réalisation : Ivan Passer

Avec : Jeff Bridges, John Heard, Lisa Eichhorn

Une curiosité à voir pour les fanatiques de Blade Runner, parce que si le bon Ridley Scott avait déjà fait son De Palma en copiant Kubrick avec Les Duellistes, il semblerait que pour créer l’univers et l’atmosphère de Blade Runner, il ait soigneusement repris certaines idées de ce neo-noir sans grand intérêt sur le plan de l’histoire mais d’une exécution irréprochable sur la forme, en particulier sur la lumière.

Et là…, magie, parce que quand on aime le travail que quelqu’un vient de produire sur un film, autant l’embaucher.

La grande question, c’est de savoir alors si c’est un hasard ou si Scott (ou la production) venait justement de voir le travail de Jordan Cronenweth sur ce Cutter’s Way pour s’en inspirer. Le directeur photo de ces deux films a-t-il pu y reproduire malgré Scott de nombreuses idées qu’il avait ébauchées ici ? Scott passant assez généralement pour un réalisateur fortement impliqué dans ce travail photographique, il y a quand même fort à parier qu’il connaissait le travail de Cronenweth sur ce film alors même qu’il était en cours de distribution. On imagine mal un réalisateur travailler avec un directeur photo sans voir son dernier travail.

D’ailleurs, ce n’est pas seulement Cronenweth qui opère sur la photo, c’est une bonne partie de son équipe, puisque Cary Griffith, le chef machiniste et Richard Hart le chef électricien travaillent également sur les deux films, tandis que le matériel est grosso modo le même (si le ratio et les moyens ne sont pas similaires, les procédés et matériels sont identiques et ça se remarque à chaque seconde dans le film).

Le travail sur les flous en arrière-plan, le cadrage, l’obscurité enfumée ou les lumières tamisées, les sources uniques de lumière hors champ et venant de face pour créer des effets de clair-obscur, tout ça ramené à des intérieurs tout ce qu’il y a de plus banal rappelle fortement certaines scènes du film de Scott, en particulier celles chez Deckard où on retrouve presque reproduite à l’identique la scène entre le chasseur et Rachael, ici entre Mo et Bone.

Seuls manquent ici en fait la musique de Vangelis et le design high-tech (et une histoire simplissime mais significative peut-être).

Il faudrait presque faire des captures d’écran pour reproduire les nombreux plans qui semblent avoir pu servir de patron à d’autres du film de Scott, ainsi que certains éléments accessoires : Cutter allant à son évier pour boire de l’eau et allumant une petite lumière alors que la caméra reste dans l’autre pièce, c’est Deckard se rinçant la bouche dans sa minuscule cuisine (David Fincher aime aussi particulièrement placer sa caméra ainsi : laisser toujours les portes ouvertes et les lumières allumées ça permet de créer de la profondeur — floue — et de créer des cadres dans le cadre), Cutter a une canne comme le personnage de Gaff, Tyrell a un balai dans le cul et la même voix suave (et un certain fétichisme pour les lunettes) que Cord, on retrouve le même jeu de transparence avec les vitres servant d’abord à décomposer le cadre puis finissant par être transpercées par un personnage mourant, le cheval blanc/ la licorne, le brouillard dans la forêt et celui tombé sur la marina (c’est d’autant plus frappant que là c’est précisément la même équipe aux ordres de Cronenweth), jusqu’à la ressemblance entre l’ami restaurateur avec le flic bonhomme de Blade Runner ou encore Mo, étrange hybride entre Rachael et Zhora (c’est vrai qu’il y a un look très années 80 où toutes les femmes devaient ressembler à Bo Dereck ou à Brooke Shields).

Là où on pourrait se demander pourquoi Scott n’est jamais parvenu à reproduire une telle atmosphère, la réponse est peut-être là. En admirateur de Kubrick, Cutter’s Way lui rappelait non seulement les lumières du cinéaste new-yorkais, mais également la tension, l’atmosphère du film noir. Parce que si le film de Ivan Passer souffre d’une histoire et d’un scénario sans grand intérêt, l’atmosphère que le réalisateur praguois arrive à rendre ici est très réussie : si le fil dramatique est un peu terne, la tension entre les acteurs, la cohérence du tout, la justesse de jeu, tout est réussi et transpire une saveur particulière, de celles des films noirs oubliés, aux atmosphères moites, tendues et lentes, mélancoliques et crépusculaires… Ridley Scott ne fera pas autre chose en imitant, et en accentuant, le trait, créant une sorte de passerelle entre film noir et comics, si souvent recherchée depuis mais rarement réussie (sauf peut-être de l’autre côté, dans les comics). L’échec du film le convaincra sans doute d’arrêter définitivement ces atmosphères de grands dépressifs pas très attrayantes pour un public en recherche de sensations fortes.

J’en reviens à ma question et vais aller un peu plus loin : qui est l’auteur d’un film comme Blade Runner ? Je reste persuadé qu’un film réussi, ça peut aussi être une somme de talents et d’imprévus, que certes, quelques génies peuvent provoquer, mais que la plupart du temps, en réalité, que personne ne maîtrise. Les succès préfabriqués qui obéissent à une demande forte du moment, des valeurs sûres, une bonne campagne de matraquage, OK, mais derrière, il y a ces centaines de films qui sortent tous les ans et qui eux visent ou espèrent autre chose, et qui parfois, réinventent, ou participe à réinventer le cinéma et les succès de demain. Ceux-là alors sont bien une somme d’individus certes talentueux mais sans forcément avoir beaucoup de génie. Un film reste un travail d’équipe dont le résultat est aléatoire. Il n’y a pas plus de certitudes à essayer de faire cohabiter deux génies sur un même projet qu’une bande de gars talentueux trouvant malgré eux tout à coup une sorte d’alchimie qui leur explosera à la figure.

Sans Cutter’s Way, je doute qu’il y ait eu Blade Runner. C’en est une sorte de patron, de projet préparatoire où Cronenweth a pu mettre en place ce qu’il fera à une plus grande échelle sur Blade Runner. Si on se demande pourquoi Ridley Scott n’a pas pu ou pas voulu reproduire un second Blade Runner (à moins qu’on prétende que celui-ci était déjà un second Alien — ce qui ne serait pas tout à fait inexact), la réponse est peut-être là…, elle s’appelle Jordan Cronenweth.

Et il y en avait un qui l’avait compris, c’est David Fincher… qui embaucha le père pour quelques jours sur Alien 3 et qui aura le fils Cronenweth plus tard (Alien 3 reprenant d’ailleurs la scène d’identification à la morgue).


Cutter’s Way, Ivan Passer 1981 La Blessure | Gurian Entertainment 


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Ridley Scott est-il un auteur ?

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Georgia, Arthur Penn (1981)

« La Terre, c’est une virgule dans le grand poème de l’univers »

Georgia

Four Friends

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : Four Friends

Année : 1981

Réalisation : Arthur Penn

Tout est dans le titre. Derrière cette phrase, le film est une torture.

Pas une seconde, on ne peut croire à la sincérité d’une telle histoire. Tout est forcé. Le film semble avoir la volonté bien louable de dévoiler le véritable visage de l’Amérique, celle des émigrés qui contribuent par leur labeur à façonner ce rêve américain qui ne serait qu’un mirage. Sauf que les clichés fusent et, au final, tout concorde pour finalement louer les valeurs gnangnan et éternelles de l’Amérique : oui les émigrés peuvent envoyer leurs enfants à l’université, oui ceux-ci peuvent avoir des rêves plein la tête et se viander comme il faut, mais au final, ils ont reçu une éducation de bons petits blancs qui ne foutront jamais plus les pieds à l’usine. L’usine, elle reste pour les émigrés.

Une autre phrase, moins jolie, souvent réapparue depuis dans le cinéma des années 80 jusqu’à aujourd’hui, une phrase d’épilogue qui doit à la fois rappeler le trajet parcouru et dévoiler ce futur forcément meilleur qu’on ne verra pas (autre version du « ils vécurent heureux… ») ; elle pourrait résumer le film : « On me propose une place de professeur à l’université… » Le personnage principal dit ainsi au revoir à son grand amour, il a grandi, ils sont adultes, doivent faire leur vie, etc. Voilà donc un type qui est allé à l’université, mais qui n’y a rien appris, qui a vécu les pires horreurs dignes d’une pièce de Grand-Guignol lors de son mariage (intéressé d’ailleurs, pas vu le moindre amour dans ce mariage…), qui se retrouve dans la rue et remonte aussi sec en retrouvant dans son Chicago les bonnes valeurs de la communauté où il a été élevé. Qu’est-ce qu’on nous propose comme morale ? Qu’il suffit d’avoir la carte (college) pour trouver sa place dans le monde. Ce n’est plus le monde des ouvriers, mais un système de caste (on peut daigner voir les enfants d’ouvriers réussir, c’est même le sens du rêve américain, mais eux, les ouvriers émigrants, doivent rester se terrer dans les grottes ; et surtout, il faut que ce soit eux qui pensent qu’ils n’ont rien d’autre à foutre en dehors de l’usine… — on n’est pas loin de l’image du nègre invariablement dévoué à son maître dans les vieilles productions). Les émigrés viennent foutre les mains dans le cambouis ; leurs enfants, on leur réserve un avenir meilleur, celui réservé à la middle class (bourgeois, comme c’est traduit). Une expression que Georgia ne cesse de répéter au début du film comme une insulte. Les personnages mûrissant avec l’âge, l’expression ne réapparaît plus jamais par la suite. On vomit sur les bourgeois comme on rit de ceux qui croient encore au Père Noël, c’est réservé aux enfants. Eh oui, les jeunes, parce qu’ils sont jeunes, ont des rêves et se laissent influencer par les idéologies libérales, voire communistes. Quelle horreur !…

Maladresse ou pas, le film prend des airs nostalgiques sur une période vieille d’à peine vingt ans, n’en oubliant pas de nous servir en toile de fond le contexte chaotique et contestataire de l’époque, nous faisant croire que ces jeunes pourraient participer à ce mouvement quand ils ne le sont clairement pas. Ce sont des rêveurs, idéalistes, mais bien américains : ils rêvent pour leur gueule. C’est la contestation du moi je, plutôt que celle qui se rebelle contre la guerre du Vietnam. Quand un camarade noir propose au personnage principal de le suivre dans le Mississippi, il hésite (c’est déjà pas mal : « le Père Noël existe ? » « ah non, je suis con ! adieu l’ami ! bonne chance dans le Mississippi ! »). Il prend finalement le droit chemin, celui du mariage avec la fille d’un nouveau riche. Voir ensuite son père hausser les épaules sur cette Amérique, violente, irrationnelle, sans valeur, dégénérée (on nous suggère très subtilement l’inceste) alors qu’il est sur un lit d’hôpital, encore une fois, on ne peut y croire. Les ficelles sont trop grosses. C’est du Penn, et ça a en effet toute la subtilité du finale de Bonnie and Clyde. Penn passe toujours en force, aucune nuance.

Georgia, Arthur Penn 1981 Four Friends Cinema 77, Filmways Pictures, Florin (3)_

Georgia, Arthur Penn 1981 Four Friends | Cinema 77, Filmways Pictures, Florin

Provocation, violence gratuite, situations stéréotypées, le film tente sans cesse le tour de force, et c’est là le problème. Une voiture qui glisse en marche arrière du troisième étage d’un immeuble, explosant et tuant son occupante, quelle signification et utilité cela peut-il avoir sinon offrir de la violence gratuite et montrer qu’on ose ? Cette scène, celle du mariage, et celles qui suivent où il est au fond du trou, on n’est effectivement pas loin du Grand-Guignol et de l’horreur. On est loin de l’analyse sociale. C’est du grand spectacle, celui qu’on offre aux bourgeois sur les boulevards. On se croirait presque dans un grand huit ou dans un train fantôme : à chaque séquence son époque, son nouveau cross road, et par conséquent, un nouveau maquillage, une nouvelle situation… Bravo à la costumière, à l’accessoiriste, au perruquier et à la maquilleuse, que l’acteur pourra remercier lors de la remise des Oscars, parce que lui n’y est pas pour grand-chose. Au lieu de laisser les situations glisser logiquement l’une vers l’autre, on fait du yo-yo entre les événements positifs et négatifs. Une histoire évolue en se concentrant sur les personnages, pas leur destin. C’est très « américain » de s’attarder essentiellement sur le devenir, la réussite, plutôt que sur les personnages… Ce que tu fais est plus important que qui tu es.

J’y aurais peut-être cru si ce n’était pas Penn aux commandes et avec un meilleur casting (horrible il faut bien le dire). La scène où Daniel prend la parole le jour où les industriels de l’acier viennent vanter leur métier aux lycéens aurait sans doute été plus crédible. Ici, au lieu de prendre la situation au sérieux, Penn la tourne en dérision. On se croirait presque dans Hair ou dans Fame. Certaines scènes de rapports forcés où Georgia et Daniel se disputent ont l’odeur des mauvais Scorsese. Un costume d’époque, des couleurs chatoyantes, des cris, des grands gestes, vingt secondes montées au final dans le film… Ce n’est pas du cinéma, c’est de la bande dessinée ou des Playmobil. Quand une minute avant un retour à Chicago, le type était encore à faire la manche à New-York (j’exagère à peine), ça donne le tournis.

La différence entre le titre français (Georgia) et le titre original (Four Friends) montre bien la difficulté à saisir le sujet du film. Une romance sur plusieurs années ? Un film de potes ? Bah, un peu des deux, à quoi s’ajoutent donc l’horreur et un contexte social et historique qui est censé donner la couleur au film (on n’échappe pas aux posters Kennedy, aux premiers pas de l’homme sur la Lune et aux drapeaux américains brûlés). Subtil ?

À l’image d’un Bonnie and Clyde. Arthur Penn préfigure Milos Forman et Oliver Stone. L’Amérique qui revisite son histoire et veut s’inventer des légendes avec de gros sabots. Il faut que ça crie, qu’il y ait du clinquant (les riches doivent faire très riches et les pauvres très très pauvres, mais en Technicolor parce que le film s’adresse à la middle class ; c’est My Fair Lady…) et que ça fasse semblant de dénoncer (pour mieux revenir aux valeurs de l’Amérique blanche et puritaine) tout en foutant un max de violence et de sex soft pour se donner de grands airs de cinéaste libre. Arthur Penn n’est pas un auteur, c’est une arnaque totale. La suite la bien prouvée… Le seul miracle chez Penn, comme chez son héros, il l’a laissé filer. Lui, en Alabama.

La dernière séquence dit tout : un bon vieux feu de camp avec marshmallows grillés et musique mélancolique. C’est ça l’Amérique. Les usines sont bien loin. Morale de l’histoire : mes chers enfants qui croyez au rêve américain, qui vous y êtes brûlé les doigts, eh bien… continuez à y croire, finalement, c’est mieux que l’usine. La France a sa gauche caviar, l’Amérique sa gauche guimauve. On peut critiquer l’Amérique, mais pas trop, il faut rester patriote. Les valeurs (creuses) perdurent, l’hymne américain (chanté dans une scène avec fierté et gaieté dans une scène sans que ça ait véritablement un sens, sauf de chercher à brosser le spectateur moyen dans le sens du poil) aussi.

L’univers est grand, cette Amérique-là, toute petite.

Georgia, Arthur Penn 1981 Four Friends Cinema 77, Filmways Pictures, Florin (1)_Georgia, Arthur Penn 1981 Four Friends Cinema 77, Filmways Pictures, Florin (2)_


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