Les Dents du diable, Nicholas Ray (1960)

Inuk, l’Esquimau

Les Dents du diable

the savage innocent

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : The Savage Innocents

Année : 1960

Réalisation : Nicholas Ray

Avec : Anthony Quinn, Yôko Tani, Peter O’Toole

Ça spoile large et sec, vous êtes prévenus.

Anthony Quinn, qui a dû jouer une cinquantaine d’ethnies différentes tout au long de sa carrière, est Inuk l’Esquimau. Chasseur solitaire, Inuk est à la recherche d’un gibier plutôt rare dans le grand nord : une épouse. On lui présente deux filles accompagnées de leur mère, mais Inuk tarde à choisir ; quand il se décide enfin, un autre est déjà parti avec la fille. Il part alors sur la banquise à leur poursuite, en traîneaux, en embarquant l’autre fille et sa mère… en guise de troc. On ne s’embarrasse pas avec le folklore chez les Esquimaux : « Tu veux être ma femme ? OK, tiens je donne ça à ta mère… ─ Non, tu veux pas ? OK, je prends ta sœur… »

Inuk les retrouve très vite mais au dernier moment il change encore d’avis et préfère repartir avec l’autre fille. Inuk ne sait pas ce qu’il veut. L’autre chasseur lui dit qu’il peut prendre l’une ou l’autre, pour lui, c’est du pareil au même… Inuk est embarrassé. Il hésite, et repart avec celle qu’il ne voulait pas au début… et la mère. Toujours la mère.

Les Esquimaux sont simples et naïfs. Ils sont toujours en train de rire. Et leur langage est unique. Ils ne connaissent pas le “je”, ils parlent d’eux-mêmes à la troisième personne en disant « cet homme ». Pour parler d’une autre personne, ils n’ont pas plus de pronoms, ils disent : « Cette femme inutile ». Ils se décrivent au lieu de s’identifier. C’est charmant.

Alors que Inuk chassait l’ours polaire, un autre Esquimau tue l’animal avec un fusil. D’abord apeuré, Inuk souhaite très vite posséder la même arme. L’autre chasseur lui dit qu’il y a des hommes blancs qui en échangent contre des peaux de renards. Pendant toute une année, Inuk chasse donc le renard et la saison de chasse terminée, il se rend au sud pour procéder à l’échange. L’homme blanc a des coutumes étranges. Il boit un jus qui fait rire, il ne donne pas sa femme pour être aimable avec l’étranger, il vit dans des baraques en bois, et il est méchant aussi… Une femme sait quand son homme s’aventure un peu trop vers le sud et qu’il est temps de repartir. Voyant le danger que représente cette société pleine de vices, elle fait du chantage à Inuk pour retourner dans son igloo : elle demande qui la voudrait pour femme. On ne s’embarrasse pas de folklore. Le mythe du bon sauvage n’est pas loin. Ils repartent, sans fusil. De l’équateur aux pôles, Inuk ignore que la même histoire se répète.

Les Dents du diable, Nicholas Ray 1960 The Savage Innocents Gray Film-Pathé Appia Film Magic Film (1)_

Les Dents du diable, Nicholas Ray 1960 The Savage Innocents | Gray Film-Pathé, Appia Film, Magic Film

De retour dans le Nord, un missionnaire leur prêche la bonne parole. Le Seigneur viendrait chez eux s’ils voulaient bien l’écouter. En voilà un seigneur bien intentionné. Inuk demande donc si ce Seigneur leur apporterait à manger. Ce n’est pas tout, mais il faut nourrir chaque bouche dans un igloo… Dialogue de sourds. Pour changer de sujet et honorer son invité, Inuk propose au missionnaire de la viande pourrie. Le Seigneur a trop gâté son berger, il fait le difficile et est impoli : « Non merci, on ne mange pas de viande pourrie chez moi. » Inuk est offusqué. « La viande est pourrie, mais les asticots sont bien vivants ! » Inuk se retire avec sa femme pour éviter que ça ne tourne plus encore au conflit. Ils reviennent en proposant une partie de jambes en l’air. Le missionnaire se trouve en position délicate. Chez les Esquimaux, on appelle ça « rire ensemble ». C’est mignon, d’autant plus qu’ils sont toujours en train de rire… Le missionnaire est outré… Inuk se sent une nouvelle fois insulté. Il tue le missionnaire et ils repartent à leurs occupations comme si de rien n’était. Inuk remarque cependant que les hommes blancs ont des têtes un peu molles.

La femme d’Inuk est enceinte. La vieille mère, devenue incapable de faire quoi que ce soit, est alors abandonnée au beau milieu de la banquise, comme le veut la coutume. La mère aura eu le temps avant ça d’expliquer à sa fille ce qu’elle sait concernant les bébés. Tout est rare, leurs connaissances sont limitées, et ni l’un ni l’autre n’a jamais rencontré de jeunes enfants. Si c’est un garçon, elle devra couper le cordon avec ce qu’elle a sous la main, le lécher et le garder ; si c’est une fille, elle devra la jeter dans la glace. Le premier-né doit toujours être un garçon, un chasseur. Une fille serait incapable de se nourrir.

Les Dents du diable, Nicholas Ray 1960 The Savage Innocents Gray Film-Pathé Appia Film Magic Film (4)_

La femme d’Inuk accouche, seule, dans l’igloo, à même la neige en creusant un petit trou. Inuk est content de voir que c’est un garçon. Sa femme lui dit comment il s’appelle, et Inuk lui répond : « Comment tu sais qu’il s’appelle comme ça ? » Et puis, c’est le drame… Le bébé n’a pas de dents ! Inuk gronde sa femme de lui avoir donné un bébé sans dent. Elle parvient à convaincre Inuk de le garder en priant que ses dents poussent. Ouf, ils pensaient sérieusement l’abandonner.

Peu de temps après, Inuk se fait intercepter alors qu’il chassait. Des hommes blancs sont venus le capturer pour avoir tué le missionnaire. Inuk explique que c’est le missionnaire qui l’a insulté dans son igloo en refusant de manger sa viande pourrie et de coucher avec sa femme. « La loi, c’est la loi ». Le choc des cultures…

Inuk les suit donc mais arrive une tempête. Il propose son aide, il a plus d’expérience, mais ces Blancs savent décidément tout mieux que tout le monde. La banquise se brise sous le poids du traîneau, et en tombant dans l’eau glacée, l’un des Blancs meurt. N’ayant plus de fusil, l’autre homme (premier rôle de Peter O’toole au cinéma) est obligé de suivre Inuk pour espérer rester en vie. Les chiens de traîneau manquent de les bouffer. Ils sont seuls dans le grand désert blanc. Lawrence de la banquise.

Inuk et le policier arrivent en vue dans l’Igloo d’Inuk. Ils sont sauvés. Sa femme et son fils n’avaient presque plus rien à manger (si le père chasseur meurt, se perd, disparaît, c’est toute sa famille qui disparaît avec lui ; la notion de village n’existe pas : ce sont des nomades qui créent leur igloo quand vient la fatigue ─ pas la nuit, parce qu’il y a un jour et une nuit par an ─ et quand ils tombent sur un autre igloo, ils font juste connaissance).

Le policier le prévient que s’il l’aide à survivre, il sera obligé de le ramener en ville. Mais Inuk est un bon chrétien… pardon, un bon sauvage (les Esquimaux ne se prennent jamais le chou). Inuk le suit, mais au dernier moment le policier a des remords. Inuk ne veut pas partir, l’autre l’insulte pour l’obliger à partir. Il n’y aura pas de procès.

 

The End

 

Manquait juste Omar Sharif.


 


Liens externes :


La Ruée vers l’Ouest (Cimarron), Anthony Mann (1960)

L’urée de l’Ouest

La Ruée vers l’Ouest

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : Cimarron

Année : 1960

Réalisation : Anthony Mann

Avec : Glenn Ford , Maria Schell , Anne Baxter , Charles McGraw

Une épopée qui manque vraiment de souffle. C’est une excellente idée de vouloir raconter l’histoire d’un pionnier de l’Amérique, un idéaliste qui ne tiendra pas en place, incorruptible, tandis que tous ses amis finissent par s’enrichir. Il s’agit en fait plus d’un film sur sa femme qui reste à la maison et qui l’attend, tandis que lui vit des aventures aux quatre coins de l’Amérique ou du monde. L’épopée prend du plomb dans l’aile. L’idée, on le sent, c’était sans doute de vouloir faire une sorte d’Autant en emporte le vent sur ce thème des pionniers, avec Maria Schell au centre de cette histoire en lieu et place de Vivien Leigh. Mais Scarlett est toujours au centre de tout, elle est active, c’est elle la pionnière quand son mari est lui aussi on ne sait où. Le personnage de Maria Schell n’a rien de passionnant. Si c’était vraiment l’histoire de Cimarron, il aurait fallu le suivre dans ces périples, ses envies de bougeotte. On aurait eu notre épopée et le titre du film (français) aurait un sens. C’est dommage parce que ce film reste à faire.

La Ruée vers l’Ouest (Cimarron), Anthony Mann (1960) | Metro-Goldwyn-Mayer (Image tirée de la b-a)

Ce qui dérange également, c’est le manque d’unité d’action. On ne sait pas trop quel est véritablement le sujet du film. Ça part dans tous les sens, et à force de s’égarer, on ne va nulle part. Un film sur les pionniers, d’accord, mais dans ce cas, il faut rester là-dessus, creuser ça au lieu de perdre de vue le personnage de Glenn Ford en route et surtout l’envoyer dans des lieux qui n’ont plus rien à voir avec l’histoire de ces pionniers… Entre Cimarron et la Ruée vers l’Ouest, il faut choisir (d’ailleurs la confusion entre le titre us et français symbolise bien ce manque de cohérence). Un tel sujet aurait nécessité plus d’ampleur, plus de cœur. On a droit à une histoire du type « triangle amoureux », mais ce n’est pas creusé, et c’est un de ces éléments qu’on perd en route sans raison.

Dommage, un tel thème mériterait son film, sa grande épopée. Il y a un certain nombre de thèmes qui sont à peine développés et qui auraient été plus intéressants si le récit y avait montré plus d’attention. On a une suite de scènes réussies prises séparément mais inégales et sans rapport. Le film ne vaut finalement que pour ces quelques scènes. Par exemple on a la scène qui va déterminer les places de chacun dans le nouvel état qui vient de se créer et qui est encore inhabité, l’Oklahoma : tous les pionniers se tiennent sur une ligne et quand l’armée lance le départ, tous s’élancent à l’assaut de leur parcelle de terrain sur leurs chevaux, à bord de leur chariot, à pied, sachant qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde. C’est un peu l’ouverture des magasins le jour des soldes, sauf que là, le magasin, c’est tout un État. Ensuite, il y a aussi cette scène dans laquelle, une petite fille indienne se prépare à rentrer à l’école pour son premier jour de classe. Elle entre dans l’école, sa veuve de mère la regarde toute fière en compagnie de Glenn Ford et de Maria Schell qui sont les amis de cette Indienne, et quelques instants après, la petite fille sort de l’école, vient dans les bras de Ford et lui dit qu’ils ne veulent pas d’elle… 1960, dans le Sud, on assistait à des scènes identiques… Le côté obscur de cette ruée vers l’Ouest. Ce n’est malheureusement pas creusé, tout comme le thème de l’incorruptible Cimarron, à qui on propose de devenir gouverneur, mais qui refuse parce que c’était l’un de ses amis pionniers, un magnat du pétrole qu’il avait aidé à une époque, qui voulait le mettre en place… La morale de l’histoire est claire : il est facile de réussir, si on met ses idéaux au placard ; et les véritables pionniers, ceux qui se sont enrichis, sont ceux qui se sont laissé corrompre ou qui ont eux-mêmes corrompu. Le parcours de cet ami de Cimarron est justement intéressant, mais toujours… anecdotique dans le film. Ford le rencontre sur la route vers l’Oklahoma, alors qu’il n’a même pas de cheval pour tirer son chariot, Ford l’aide, puis il échoue pour récupérer une terre cultivable, Ford lui conseille de rechercher du pétrole, il en trouve finalement des années plus tard, devient riche, vient alors la scène où leur destin s’oppose. Ford vient tout heureux apporter une nouvelle qui le ravit : les Indiens qu’on avait enfermés dans une réserve, sur une terre que personne ne voulait, ont finalement trouvé du pétrole… Son ami, lui dit qu’il est déjà au courant et qu’il s’est empressé d’acheter les terres de la réserve… Encore une fois Ford-Cimarron, l’idéaliste ne supporte pas le sort réservé aux Indiens. Et c’est d’autant plus douloureux venant de l’ami qui lui doit tout…

Il y avait matière à un super film, mais il est trop mal fichu. Et Mann est probablement un des cinéastes les plus surcotés de l’Ouest. Ses autres westerns sont corrects sans jamais être transcendants. Et ses meilleurs films sont des films noirs (T-Men[1]) ou des films de guerre (Men in War[2]).

L’original tourné trente ans plus tôt est bien meilleur.


[1] T-Men

[2] Men in War



Sur La Saveur des goûts amers :

Les 365 westerns à voir avant de tomber de sa selle

Liens externes :


La Source, Ingmar Bergman (1960)

La Source

Jungfrukällan
Année : 1960

Réalisation :

Ingmar Bergman

Avec :

Max von Sydow
Birgitta Valberg
Gunnel Lindblom

10/10 IMDb

— TOP FILMS

Top films scandinaves

Listes IMDb :

Limguela top films

MyMovies: A-C+

Une trame simple mais véritablement coup de poing. Sur un sujet très dur (le viol sur « boucle d’or » donc ce qu’il y a de plus méprisable, et ensuite « l’auto-justice »). Brrrr ! Un Chien(s) de paille à la sauce Bergman, et un petit côté Kurosawa aussi, surtout dans l’esthétique, la manière de filmer et de montrer les personnages, avec beaucoup de retenue, de distance… Et cette esthétique, d’une caméra avec une grande profondeur de champ (qui ne met pas en valeur des détails, mais regarde sans juger) et ces bois très clairs qui font penser aux bois de Rashomon.


Le Vent de la plaine, John Huston (1960)

Jeu est un autre

Le Vent de la plaine

Note : 3 sur 5.

Titre original : The Unforgiven

Année : 1960

Réalisation : John Huston

Avec : Burt Lancaster, Audrey Hepburn, Audie Murphy, Lillian Gish, Charles Bickford

Journal d’un cinéphile prépubère (27 août 1996)

Le jeu d’acteur d’Audrey Hepburn.

Remarquons d’abord le jeu théâtral des autres acteurs durant la scène du repas dans laquelle il est question de mariage, avec des accents presque shakespeariens comme avec le vieux fou. Audrey Hepburn quant à elle parvient tout en restant dans ce style de jeu théâtral à lui insuffler une forme de naturel plutôt remarquable. Elle adapte son jeu malgré tout à la caméra et utilise un procédé technique qui ne la ferait pas passer la rampe au théâtre, le spectateur devant tendre l’oreille ou ayant l’impression d’avoir manqué quelque chose : certaines attaques de ses répliques sont molles, du moins, assez peu accentuées comme elles le seraient au théâtre. Au cinéma bien sûr, l’effet est immédiat et on est comme invités à l’intérieur de l’imagination (supposée) du personnage. Inutile de forcer, chaque intervention semble couler de source comme si les répliques étaient la traduction immédiate de sa pensée. Les mots perdent leur sens littéral et l’acteur fait corps avec la phrase, lui donnant instantanément un sens composé à travers une pensée (une intention, un mouvement), le plus futile soit-elle. Surtout futile. L’acteur semble se désintéresser tout à coup du langage, s’effacer derrière la simplicité des choses. On s’y tromperait en croyant que c’est chose facile : il est affreusement compliqué de trouver le sens premier d’une phrase, son intention la plus précise, et laisser penser finalement au spectateur que tout cela est simple, naturel, évident. La tentation première pour l’acteur à qui on demande de ne pas exagérer ses attaques est alors de tourner autour du sens, de compenser la mollesse de l’attaque en mettant en valeur certains mots…, tout cela bien sûr au détriment du sens général (la situation) et de la simplicité.

Pour Hepburn, ce n’est pas un problème : les phrases vont droit au but, sans heurts, juste avec la musique qu’il faut pour accompagner les paroles et qui est propre à chaque individu, comme à chaque langue (ou accent). Une autre difficulté est d’arriver à s’approprier un langage parfois plus écrit que dans la vie, et surtout une logique qui nous est extérieure. C’est bien pourquoi on insiste parfois sur le fait de « jouer la situation », car c’est la situation qui donne l’intention générale d’un personnage dans une scène. Les éléments capables de modifier cette intention dans une scène sont assez peu nombreux (la difficulté ici étant d’arriver à faire la part des choses entre une forme d’unité de ton, d’humeur, et le risque de s’installer dans un confort étranger à la situation). Arriver à être autant en adéquation avec un personnage et un texte, c’est extrêmement rare dans un style de jeu théâtral qui garde malgré tout certains aspects essentiels de la scène : la principale particularité du jeu théâtral est de montrer, de donner à voir. L’acteur doit offrir un sous-texte visuel, son imagination et son humeur doivent s’exprimer et se donner à voir. Dans cet exercice, Hepburn excelle, le risque pouvant être d’en faire trop (à noter que c’était par exemple le génie de la Callas, qui au-delà de la technique vocale parfaite, savait imprégner des couleurs, des humeurs à ce qu’on peut réellement considérer comme un « jeu » ; mieux, elle donnait à voir la pensée du personnage en amorçant les variations infimes de ces humeurs une fraction de seconde avant de commencer une nouvelle phrase ; rigueur et maîtrise absolues).

Le jeu fabuleux d’Hepburn, sa simplicité, on peut le remarquer dès le début du film où elle est dans le salon avec sa mère. On peut dire qu’elle ne les a pas volés, ses oscars… Les méthodes plus modernes de l’Actors Studio se sont emparées des techniques stanlislavskiennes pour offrir au cinéma un style de jeu qui ne pouvait que lui convenir, dans le seul but d’accentuer encore l’impression de réalisme, l’impression que des événements se produisent réellement sous nos yeux. Mais elles oubliaient quelques détails essentiels : le « penser droit » et l’expression d’humeurs signifiantes. Tout cela pour le seul profit de l’ultra-réalisme. Certes, on peut être impressionné par un personnage qui semble avoir une vie intérieure qui nous est inaccessible, dont les intentions restent secrètes. Bien sûr, comme dans la vie, on cache. Mais si l’effet de réalité est impressionnant, reste que ça peut manquer de sens. Offrir un sous-texte tout en arrivant à être juste, sans trop en faire, c’est une sacrée gageure pour un acteur. Parce que non seulement il participera à créer pour le spectateur cette illusion que nombre de spectateurs cherchent en premier lieu (pour eux, « jouer mal » est pratiquement synonyme de « je n’y crois pas » ou « son jeu est exagéré »…), mais surtout parce qu’il apportera un sens (c’est une évidence qu’un film, c’est avant tout une histoire qu’on raconte, pas l’ambition d’être dans le « vrai », même si, là encore, l’acteur aura toujours la tentation de privilégier le « naturel » sur le sens, soit parce qu’il réagit en spectateur, soit parce qu’il sait que privilégier le sens est beaucoup moins gratifiant, puisque l’on s’efface derrière une logique qui lui est supérieure).

Bref, certains acteurs rien que pour dire « maman, veux-tu du café ? » seraient prêts à soulever la terre entière. Et il faudrait encore les applaudir après ça. Parce qu’un mauvais acteur qui lit pour la première fois le texte et qui voit « veux-tu du café ? » se trouve tout content qu’on lui offre là à peu de frais la possibilité de montrer sa capacité à « jouer vrai ». Et ce même acteur serait pas loin de l’enfant qui attend sa récompense en voyant les réactions des adultes après l’une de ces remarques infantiles. Il y a deux tentations pour les acteurs : l’âne et l’enfant. L’âne, c’est celui de la facilité, celui de refuser de chercher le sens d’un texte et d’une situation et de s’appliquer à tout mettre en œuvre pour refaire ressortir ce sens. Et l’enfant, c’est l’acteur qui s’amuse, qui attend pour chaque réplique d’être félicité. L’un réclame son foin, l’autre un peu d’amour. Les bons acteurs savent lutter contre ça. Voir Audrey Hepburn dire « maman, veux-tu du café ? », ça ne ressemble à rien, ça ne va pas casser trois briques sur la tête à mamy. Et c’est bien pour ça que c’est la marque du génie de l’actrice.

À signaler aussi que John Huston était lui-même acteur, comme la plupart des meilleurs metteurs en scène. Il n’y est donc sans doute pas pour rien quant à la bonne tenue générale des acteurs du film (même si les différentes méthodes peuvent surprendre). Hepburn, dans un western, ce n’était pas si évident. Seulement, on ne lui a pas donné Hepburn, pas l’icône aux yeux de velours, mais une actrice sobrement efficace.


Le Vent de la plaine, John Huston (1960) | Hill-Hecht-Lancaster Productions