Pour une nuit d’amour, Edmond T. Gréville (1947)

Note : 3 sur 5.

Pour une nuit d’amour

Année : 1947

Réalisation : Edmond T. Gréville

Avec : Odette Joyeux , Alerme, Sylvie

Poursuite de la rétrospective cachée Christian Dior à la Cinémathèque.

Ce n’est pas loin d’être du bon, la forme est très réussie, on s’y croirait : costumes, décors, ambiances… Odette Joyeux est à « croquer ». Seule ombre au tableau, l’adaptation qui ne me semble pas tirer du roman les scènes qu’il faudrait, s’attardant sur des broutilles (comme la séquence du cadavre porté sur les épaules de Julien jusqu’à la rivière, montée alternativement avec des plans du bal afin d’accentuer l’intensité artificiellement) et expédiant vite fait les moments clés (conséquence : on a du mal à croire à l’amour de Julien pour Thérèse, alors qu’on aurait pu espérer là une petite insistance à la Brève Histoire d’amour…). La tension ne naît pas toujours du montage, mais au contraire du temps passé pour développer une même situation si elle est clé…

Des dialogues remarquables pleins d’une repartie vaudevillesque (encore la marque d’un mélange des genres pas forcément bienvenus dans cette rétrospective dédiée au cinéma français des années 40), mais c’est encore ce qu’il y a de meilleur à sauver ici, puisque précisément, ce sont les séquences sinistres, façon « thriller » ou film noir, qui piochent). Quand on a Alerme et Sylvie capables d’envoyer de telles répliques, pourquoi se priver, c’est sûr. Certains aphorismes en particulier sont savoureux, qu’ils soient de Zola ou plus vraisemblablement des dialoguistes. Ah oui, à une époque, en plus d’avoir des scénaristes, des décorateurs, des acteurs aussi, il y avait… des dialoguistes. Enfin… quand on a Odette Joyeux en vedette, on a au moins déjà la moitié d’un chef-d’œuvre.


Pour une nuit d’amour, Edmond T. Gréville 1947 | As-Film, B.C.M., Consortium International des Films


Listes sur IMDb  : 

Une histoire du cinéma français

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Retour à l’aube, Henri Decoin (1938)

Note : 2 sur 5.

Retour à l’aube

Année : 1938

Réalisation : Henri Decoin

Avec : Danielle Darrieux, Pierre Dux, Jacques Dumesnil

Il est bon parfois de se retrouver face à un exemple de mise en scène sans le moindre à propos… C’est Madame Bovary réalisé comme Autant en emporte le vent. La mise en scène, c’est ça, adapter l’effet, l’angle, la durée, la proportion juste en fonction d’une situation particulière. On oublie à quel point quand on regarde de bons films ça devrait couler de source, parce que l’évidence de l’à-propos, c’est justement de donner l’illusion de la simplicité en ne montrant que ce qui est nécessaire et en occultant toutes les possibilités cachées offertes à un metteur en scène, à un interprète, quand il se retrouve face à une situation écrite. Avant de trouver la manière idéale pour montrer les choses, à supposer qu’on la trouve, il y a un tas de choix qui se proposent à vous et les plus mauvais metteurs en scène vont tomber dans tous les pièges imaginables avant que le premier spectateur voie la chose et s’étrangle devant le résultat (ça lui paraîtra évident que rien ne semble à sa place ou avec les justes proportions). Tout un art. En l’occurrence ici, c’est l’art du classicisme. Un art dans lequel la transparence, la vraisemblance, la bienséance font tout.

Decoin ne passe pourtant pas pour un cinéaste grossier, seulement là, il se bouffe les grosses ficelles et ce n’est pas beau à voir. À ce rythme, c’est encore étonnant, Danielle Darrieux ne s’en tire pas si mal à côté d’une direction d’acteurs inexistante ou grotesque. Elle a, elle aussi, ses passages embarrassants (ses scènes hystériques sont bien jouées, mais elles ne sont pas à leur place dans le film) ; ce sont surtout ses camarades assez peu aidés, semble-t-il, par Decoin, qui massacrent un peu plus le film. Il n’y a rien de pire pour un personnage qu’on va devoir se coltiner quelques dizaines de minutes que d’être antipathiques, et c’est pourtant ce qui arrive avec deux ou trois des bonshommes que la Darrieux rencontre dans le Budapest reconstitué. Ces “gentlemen” sont tellement dénués de charme qu’on ne croit pas une seconde que la petite provinciale puisse les suivre. Le principal notamment, le gentleman cambrioleur, est interprété comme s’il s’agissait d’un méchant, et Decoin le laisse faire (ou le guide vers cette direction, ce qui est pire). Les acteurs, dans de telles situations, ce n’est pas seulement la gamine à l’écran qu’ils doivent séduire, c’est le spectateur. Et aucun ne pourrait être séduit par des mecs aussi lourds, snobs, empressés et vulgaires. Tu imagines Gary Cooper ou Cary Grant là-dedans, et tu as compris en une seconde qu’on ne mesure pas la classe à la forme de la moustache ou à la quantité de gomina sur les cheveux. La classe, comme la beauté au fond, est dans l’attitude. Il y a des acteurs sans maintien, et il y a des réalisateurs, c’est pareil. Il ne sait pas se tenir ce Decoin, en tout cas ici. Simple exemple, quand la Darrieux rate son train…, ben, elle rate son train, si ça devient un drame comme quand moi je rate le mien, c’est plus du cinéma mais un clip hystérique de Mylène Farmer. Sérieux… Danielle rate son train, et c’est presque la fin d’Anna Karénine… L’argument de l’histoire n’est pourtant pas si con, il y a un petit côté Stefan Zweig bien sympatoche.

(Zadorent les gares ces Hongrois…)


Retour à l’aube, Henri Decoin 1938 | Union des Distributeurs Indépendants


Sur La Saveur des goûts amers :

Cent ans de cinéma Télérama

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Barberousse, Abel Gance (1917)

L’Abel rousse

Note : 3 sur 5.

Barberousse

Année : 1917

Réalisation : Abel Gance

Abel Gance singeant les feuilletons de Feuillade ; et les qualités et les énormes défauts du bonhomme, déjà.

C’est l’époque, le montage alterné est partout, alors Abel en fout lui aussi partout. L’occasion peut-être de se rendre compte que le montage, c’est follement amusant, et que déjà, on peut écrire une histoire avec le principe parfaitement mis en œuvre dans J’accuse : un plan, une idée. Abel gruge d’ailleurs un peu ici, parce que ni vu ni connu il nous refourgue quelques plans et nous prend quand même pas mal pour des jambons.

Autre problème, et ça se vérifiera sans doute encore plus dès le parlant pour lui, c’est son amour immodéré pour les histoires niaises, les facilités mélodramatiques voire les logiques d’intrigues plutôt molles ; il aime bien prendre son public pour des jambons Abel, et comme il adore découper, il a peut-être raté sa vocation. J’accuse pas, je constate. L’intrigue donc ici est particulièrement stupide, mais il faut louer l’effort : si Feuillade arrivait quand même à divertir sans tomber dans les grosses ficelles et que Abel y plonge niaisement en prenant un air de « Bah quoi, c’est quoi le problème ? c’est du spectacle ! » (à la Besson, presque), ben il faut avouer qu’il y a déjà certaines audaces qui préfigurent la suite (du split screen, même si on est quatre ans après Suspense de Lois Weber ; des inserts justement de suspense — « Non, non ! ne bois pas ton thé, malheureuse ! » ; j’ai vaguement vu un panoramique d’accompagnement, plutôt rare à l’époque — Griffith était passé par là, dans le Docteur chépluquoi).

Les coups de génie viendront après. Abel se chauffe.

 


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Pickpocket, Robert Bresson (1959)

Pickpocket

Pickpocket
Année : 1959

Réalisation :
Robert Bresson
10/10  

Un petit chef-d’œuvre. Excellent dans l’agencement des péripéties. Le premier vol dure une éternité, où tout est suggéré. Densité parfaite par la suite dès qu’il se fait arrêter, et encore relâcher. Le récit avance en ligne droite grâce à un thème précis et une voix off qui tient le tout que semble affectionner Bresson.

Là encore la réalisation est d’une précision sans reproches. Jamais elle ne s’égare : tout en gros plans, pas de transition en conclusion ou à la fin de chaque séquence, on va direct à l’essentiel.

L’évolution dramatique progresse selon une ligne logique : comment devient-on pickpocket ? Bresson nous montre les différentes phases de la vie d’un de ces voleurs. Le personnage est fascinant : contrairement au Diable probablement[1], le jeu donne des éléments de compréhension de la situation, peut-être parce que chacun peut se retrouver dans le trouble profond chez ces personnages ; on devine un passé lourd auquel, par identification, on peut se rattacher (le procédé de la voix off et l’utilisation des gros plans facilitent ce travail pour le spectateur).

Pickpocket, Robert Bresson (1959) | Compagnie Cinématographique de France

Ce film démontre parfaitement la théorie de Bresson sur le mystère : l’effet sans la cause. Par exemple, on ne connaît pas les raisons pour lesquelles il vole, pas plus que les origines de son étrange apathie. On se doute que c’est lié à son passé, mais rien n’est jamais expliqué, on devine. Aucun lien entre les causes possibles (intro pour suggérer, fasciner) et les effets qui se voient directement à l’écran.

On a en même temps la petite histoire d’amour qui pourrait tout chambouler, interrompre le processus d’apprentissage du pickpocket, mettant ainsi le drame dans une insécurité, un suspense, pour humaniser le thème et le rendre moins démonstratif et sans surprises. Le mystère naît ainsi de la nature des relations entre le pickpocket et ses amis (avec une nouvelle situation rare : son ami sait qu’il vole et même le vole, mais ne dit rien).

Un tel recours au procédé de la voix off peut être très intéressant dans la mesure où elle suggère rapidement les égarements psychologiques du pickpocket : sa folie s’exprime à travers l’évocation d’anecdotes anodines.

Quand on passe d’une séquence démonstrative, presque documentaire, traitant du pickpocket à une séquence où il est avec ses amis, ça devient fascinant, l’écart est troublant, comme quand tout à coup la voix off toujours s’immisce et rappelle qu’il avait rendez-vous avec eux. Cette voix off explique toujours le résultat (l’effet) d’une action comme dans un récit classique pour éviter de montrer l’action (ou pour l’introduire) et, par conséquent, les causes.

Le récit évolue donc de manière précise et tout est en rapport avec l’évolution presque naturelle, clinique, du thème et la déchéance du personnage pickpocket.

La fin s’attarde un peu plus. Le thème du pickpocket étant épuisé, il laisse place à une histoire plus banale, plus sentimentale, comme pour signifier au personnage et au spectateur qui le suit, ce qui est encore essentiel. Et que nulle part ailleurs, il ne trouvera de salut.


[1] Le Diable probablement


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Les indispensables du cinéma 1959

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