Sicario, Denis Villeneuve (2015)

Traffic

Note : 3.5 sur 5.

Sicario

Année : 2015

Réalisation : Denis Villeneuve

Avec : Emily Blunt, Josh Brolin, Benicio Del Toro, Victor Garber, Daniel Kaluuya, Jon Bernthal

Mise en scène convaincante. C’est rythmé sans forcer sur l’accélérateur. Quelques réserves. J’ai du mal à suivre la logique des enjeux de l’histoire. Je reste donc dans l’obscurité une bonne partie du film, et ce n’est pas un compliment (comme le spécifie le type de la CIA, ou je ne sais quoi, je dois avoir peur du noir). Ces enjeux sont mal exposés : une séquence de recrutement en suit une première d’action, et le tout combiné peine à trouver sa crédibilité (des décideurs véreux au-dessus des lois qui semblent agir sans aucun contrôle). Certains liens tissés entre les protagonistes paraissent par ailleurs bien étranges : on ne connaît rien de l’histoire ou des motivations qui unissent le personnage féminin principal et son pote par exemple. Il ne suffit pas de dire qu’elle est divorcée et sans enfants, quand la question de la déontologie se pose, il importe de savoir à qui l’on a affaire.

Et le plus gros trou dans la raquette de toute cette agitation pourrait s’illustrer à travers une simple interrogation : pourquoi la recrutent-ils ? À part servir à un moment d’appât (pas très crédible), de caution (impliquer le FBI dans leurs conneries), son rôle est mineur, voire inutile, dans « l’enquête », et la « quête » est en réalité celle du « vengeur ». Ça rend le film pour le moins bancal. « Mecs, on va avoir besoin de recruter quelqu’un du FBI qui ne fera que de la figuration. Mais ce sera sympa, Denis pourra raconter notre histoire comme si c’était Training Day. Nous, on est les véreux, elle, c’est l’héroïne droite et sans reproche. Évitons d’aller jusqu’à en faire une avocate cependant : son pote, non merci. Et puis finalement, c’est Training Day, mais elle perd quand même. Et nous, on échafaude toute une organisation avec plein de monde de la CIA pour nous débarrasser d’étrangers surarmés pour s’opposer à des méchants inoffensifs, mais quand il faudra abattre le Ben Laden des cartels mexicains, on se contentera d’un seul type pour s’infiltrer dans la villa du boss au risque qu’il soit buté à l’interphone et que nous n’ayons plus personne pour finir la mission. » Ça n’a pas beaucoup de sens.

Bref, certains films donnent l’impression d’être réalisés à la sauce Soderbergh (montage resserré à la Traffic, caméra à l’épaule façon journaliste embarqué, casting pléthorique, la moue patibulaire en prime de Benicio Del Toro dans toutes les occurrences du genre, etc.). Masquer les approximations d’un scénario en s’agitant beaucoup et en densifiant ce que le spectateur peut voir à l’écran… Après tout, ça peut parfois faire mouche les histoires abracadabrantes qui ne tiennent que par leur mise en scène : l’effet Le Grand Sommeil. Mais on ne va pas systématiquement nous faire le coup.

Malgré ces réserves, j’ai globalement marché, c’est l’essentiel.


 

#Sicario, Denis Villeneuve (2015) | Lionsgate, Black Label Media, Thunder Road Pictures


 

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Inherent Vice, Paul Thomas Anderson (2014)

Note : 2.5 sur 5.

Inherent Vice

Année : 2014

Réalisation : Paul Thomas Anderson

Avec : Joaquin Phoenix, Josh Brolin, Owen Wilson

Quel fouillis indescriptible… J’aimerais bien dire qu’on se rapproche du Grand Sommeil, qu’à l’image de LA Confidential ou d’autres neo-noirs, on ne comprend rien, mais on s’amuse comme des fous à regarder un détective plongé dans son univers psychédélique en train d’essayer d’en pénétrer un autre pour retrouver sa belle… Sauf que PTA n’y met pas les formes, et qu’il peine à cacher la seule chose qu’on comprenne de son film : jusqu’aux acteurs, personne ne comprend de quoi il s’agit.

Quand on est spectateur et qu’on suit un film, il est accessoire de devoir comprendre en détail les implications soulevées par chaque ligne de dialogues (cf. ces derniers jours avec Spotlight ou The Big Short). Mais pour cela, il faut qu’on suspecte tout de même qu’il y a quelque chose à comprendre (faute de quoi, on tombe dans la logique Mr Nobody ou de celle de Lost…). Et pour qu’il y ait quelque chose à comprendre, encore faut-il qu’acteurs et metteur en scène comprennent ce qu’ils racontent. Quand on a un texte aussi dense, quand on est acteur, on est d’abord flatté et satisfait de voir qu’on va être au centre de l’attention quelques secondes, qu’on va être capable de montrer toute l’étendue de notre talent… Et puis ça se corse quand vient à mettre du relief au texte, lui donner une consistance et une cohérence. De ce que j’en comprends, ses lignes de dialogues, souvent de longs face-à-face parsemés de longues répliques, alternent les informations purement décoratives et les autres essentielles qui serviront à nous réorienter vers l’objet de la quête. Quand on comprend cette logique à la lecture, il faut chercher à interpréter le rôle en mettant bien l’accent sur ce qui est digressif et sur ce qui est important. Non seulement pour éclairer le spectateur, mais surtout parce que dans la vraie vie, c’est ce qu’on fait : quand on parle, on peut être amenés à faire des digressions, et puis on revient à l’essentiel en adoptant une manière de parler différente. Le problème, c’est que les acteurs de Paul Thomas Anderson sans exception jouent tout de la même manière : entre le décoratif et l’essentiel, on ne distingue rien. Et ça, c’est le signe d’un acteur qui « joue les mots », non la situation, et qui s’appuie sur eux pour laisser penser qu’il capte ce qu’il “raconte”. Mais raconter, c’est articuler une pensée, une logique parfois un peu sinueuse d’un auteur ou d’un personnage, pour éveiller l’intérêt du spectateur. Quand on raconte une histoire à un enfant, avant de comprendre les détails de celle-ci, d’en comprendre le sens de chaque mot, il comprend sa structure parce qu’en lui racontant, on structure le récit autour d’une ponctuation et d’une tonalité propres qui arrivent malgré nous (quand on comprend ce qu’on raconte) à retranscrire les évolutions du récit. Rien de ça ici, on fait semblant. Difficile dans ces conditions de se prendre au jeu : on voit des acteurs qui, eux, s’amusent à se plonger dans un univers qui ne leur est pas familier, mais qui semblent pourtant incapables d’en retranscrire les codes (c’est que c’est légèrement plus difficile que de jouer aux cow-boys et aux Indiens).

Et pire, quand PTA ou les acteurs comprennent la ponctuation du récit, ils maîtrisent mal la manière de la retranscrire dans leur jeu ou dans la réalisation. Typiquement, quand un personnage doit donner une information importante à un autre, sa tonalité change, il le fait après une petite pause, OK, sauf que le montage doit suivre. Or, PTA préfère dans ce cas passer par le jeu des acteurs plutôt que par le montage (un raccord dans l’axe, un contrechamp avec cadrage plus serré, etc.). Ce qui pourrait à la limite marcher s’il ne parasitait pas sa mise en scène d’autres effets entrant en contradiction avec le jeu de l’acteur qui ponctue, à ce moment, la “situation”. PTA brouille ainsi les pistes soit avec l’emploi d’une musique continue qui ne suivra pas la logique narrative du personnage qui ponctue autrement soit avec un mouvement de caméra continue qui neutralise ce que l’acteur peut faire, ou les deux. La cacophonie du film, elle est là aussi : les acteurs semblent raconter leur histoire (ce qu’ils en comprennent) et le réalisateur une autre. Signe que soit personne n’y comprend rien soit que le réalisateur ne s’est pas assuré que tout le monde était sur la même page…

Au passage, l’image de la femme que véhicule le film et/ou les affiches est assez agaçante. D’accord, tous les personnages sont des stéréotypes, mais c’est la répétition qui use. Au cinéma, des acteurs moches sont toujours maqués avec des filles magnifiques, et quand c’est leur corps qui est magnifique, on les fout à poil. Pour faire une affiche de film horizontale, on se sert du corps du personnage féminin du film, et quand il faut recadrer pour en faire une affiche verticale, on recadre sur le bout droit de l’affiche où on ne voit plus que les jambes. C’est d’un goût… À moins que ce ne soit que du vice…


 

 


 

 

 

 

 

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Dans la vallée d’Elah, Paul Haggis (2007)

Crise améroïdaire

Dans la vallée d’Elah

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : In the Valley of Elah

Année : 2007

Réalisation : Paul Haggis

Avec : Tommy Lee Jones, Charlize Theron, Jonathan Tucker, Susan Sarandon, James Franco, Josh Brolin, Jason Patric

Un militaire est porté disparu dans une caserne américaine. Son père, lui-même ancien militaire, est prévenu et part à sa recherche. Le corps de son fils, ou ce qu’il en reste (il a été découpé en morceaux, puis brûlé dans une vaine tentative de dissimulation du corps), est retrouvé près d’une route sur un terrain appartenant à l’armée. L’enquête est disputée par la police locale (une femme flic au grand cœur, interprétée par Charlize Theron) et par la police militaire américaine. Le père (Tommy Lee Jone) poursuit sa propre enquête.

Le film suit alors le schéma d’un film policier banal : les doutes des enquêteurs, les fausses pistes, les revirements intempestifs… Mais ce n’est pas tant le cadre d’une simple enquête à résoudre qui importe. Le film dépasse sa nature première et nous dévoile un malaise profond. Le malaise de l’Amérique tout entière, comme l’illustre symboliquement la dernière image du film avec un drapeau américain hissé à l’envers pour signifier la détresse d’une nation en péril. Et plus particulièrement, le malaise de l’armée US, l’armée censée apporter la liberté et la démocratie dans le monde, en Irak, et qui se révèle être une immense usine à fabriquer des psychopathes, comme l’avait déjà démontrée par le passé la Guerre du Vietnam.

Dans la vallée d’Elah, Paul Haggis (2007) In the Valley of Elah | Warner Independent Pictures (WIP), NALA Films, Summit Entertainment

Une œuvre antimilitariste sans doute, qui échappe surtout au manichéisme et aux certitudes toutes faites. L’armée américaine n’est pas présentée comme un démon ; la politique de Bush n’est pas plus évoquée ; même si on prend connaissance des exactions pratiquées par les soldats américains en Irak, ce n’est pas le sujet, l’accent n’est pas porté là-dessus et le film évite l’écueil d’une indignation facile et stérile. Tout est mis en œuvre pour traduire la réalité des exactions en temps de guerre : elles sont inévitables. Une guerre n’est pas propre. Mais cruelle. L’occupation d’un territoire ennemi n’est évoquée que pour rappeler sa futilité et les dégâts qu’elle engendre malgré elle. Malgré l’histoire qui se répète, les occupants voient toujours comme légitime cette présence. Au lieu de résoudre les problèmes, elle ne fait qu’en produire d’autres, plus imprévisibles et plus sournois. Les militaires qui sont pris dans un conflit qui dure et dont ils ne comprennent pas le sens, perdent pied. Il n’y a alors plus que deux issues pour eux : la dépression ou la folie. Et dans tous les cas, le constat est le même, terrible et implacable : la guerre participe à la destruction de ceux qui la font. Il n’y a pas de gagnant ; la guerre profite à ceux qui ne la font pas.

Le film pourrait être résumé en deux scènes. La première, quand l’un des trois meurtriers du fils du personnage de Tommy Lee Jones révèle toute son histoire durant un interrogatoire. On apprend pourquoi son fils était surnommé Doc (il s’amusait à planter ses doigts dans les plaies des Irakiens qu’ils ramassaient) et le militaire n’éprouve aucun ressentiment par rapport à son acte. Il reste pourtant lucide : ça aurait pu être lui un autre soir. Pour eux, cette violence est simplement devenue leur lot quotidien, une routine née en Irak pour tuer les principaux ennemis du soldat : l’ennui et la peur. La seconde scène, quand Tommy Lee Jones revient à la fin du film, dans la chambre de son fils, à la caserne. Il y croise un rookie venant s’installer. Ce soldat, qui n’a encore rien vu, rien vécu, n’échappera pas au futur que les démons de la guerre ont préparé pour lui… Comme le fils de Tommy Lee Jones, comme les amis de son régiment, comme l’armée US dans sa totalité, comme les idéaux et les illusions de l’Amérique… Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort nous nous vîmes vains mille en amenant la mort…

Le film ne dénonce pas, il constate. Et il n’en est que plus efficace. Efficace, la mise en scène l’est également. Elle colle à son sujet, adopte un ton approprié, digne, se refusant les effets de style… Le ton, c’est celui, grave et morne, adopté en respect du deuil des victimes de cette guerre qui s’est officiellement achevée en 2003 : ennemis et victimes des soldats, soldats eux-mêmes. Et leur famille.

J’avais tort d’être méfiant après avoir vu Collision, qui se perdait trop vers la fin dans le pathos. Là, même si l’émotion est encore au centre de tout (à cause du personnage de Theron surtout), la mise en scène parvient à la garder contenue et à épurer ses effets.

Le cinéma américain prouve une nouvelle fois qu’il est prompt et efficace à mettre en scène ses propres démons. La qualité de la culture américaine tient aussi et surtout dans cette capacité à être honnête avec elle-même. Elle ne se cache pas, au contraire, en n’hésitant pas à démystifier la part d’ombre de son rêve (américain). On n’a peur que de ce qu’on ne connaît pas (à l’instar de ces soldats US qui sont envoyés à l’aventure dans un pays qu’ils ignorent, ne comprennent pas, et qu’ils ne peuvent appréhender que par la peur). Et si la culture us est si omniprésente, c’est qu’en dévoilant les contours de sa réalité, côtés obscurs compris, on la cerne dans son ensemble. Et la connaissant mieux, on peut s’autoriser à l’aimer. On n’apprécie que ce qu’on connaît. Difficile pour une culture qui ne sait pas faire son autocritique de se faire apprécier. Ce sentiment d’amour-répulsion que cette culture inspire dans le monde, c’est de l’amour. ─ La France elle, attend toujours un film efficace sur la Guerre d’Algérie, sur le scandale du sang contaminé, sur le scandale des banlieues, sur ses syndicats pourris, sur les magouilles financières, sur l’impuissance chronique et la puérilité de ses dirigeants, sur le fonctionnement et le mode de promotion dans les entreprises. Pour elle donc, ni amour, ni répulsion ; mais de l’indifférence.


 


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