Les Séquestrés d’Altona, Vittorio De Sica (1962)

Les Séquestrés d’Altona

Note : 3 sur 5.

Les Séquestrés d’Altona

Titre original :  I sequestrati di Altona

Année : 1962

Réalisation : Vittorio De Sica

Avec : Sophia Loren, Maximilian Schell, Fredric March, Robert Wagner

D’un côté, il me semble qu’on peut se féliciter de voir une des rares tentatives réussies de ce qu’on peut définir comme une tragédie. D’un autre côté, il faut avouer que l’univers de Jean-Paul Sartre est très particulier : une sorte de mélange étrange entre l’histoire et la fiction avec des implications dramatiques rarement vues ailleurs (à la fois philosophiques, politiques peut-être, et historiques), et Vittorio De Sica rend le propos (déjà bien lourd) extrêmement suffocant. De là d’ailleurs l’impression de voir une sorte de tragédie moderne au cinéma, mais aussi celle de voir un objet hybride inabouti.

Au rayon des adaptations impossibles de Sartre, j’avais trouvé celle des Mains sales (1951) légèrement plus convaincante.

À noter quelques jolis mouvements de caméra : cadrage d’une tête sur un côté qui prend de la distance de biais et qui, de ce fait, recadre la tête en son centre, puis un gros plan cadré avec un mouvement centrifuge en cercle autour du visage…

Une fois n’est pas coutume, je trouve les acteurs masculins, en dehors de Fredric March, assez agaçant. (Sophia Loren, elle, est parfaite.)

Étonnante, cette diversité proposée tout au long de leur carrière par le duo De Sica / Zavattini.


 
Les Séquestrés d’Altona, Vittorio De Sica 1962 | S.G.C., Titanus 

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Les Mains sales, Fernand Rivers, Simone Berriau (1951)

Note : 3.5 sur 5.

Les Mains sales

Année : 1951

Réalisation : Fernand Rivers, Simone Berriau

Avec : Pierre Brasseur, Daniel Gélin, Claude Nollier

C’est parfois dans des petits films qu’on y trouve les meilleures performances d’acteurs. Pierre Brasseur en chef communiste de la résistance d’un pays fictif contre l’Allemagne nazie, à la fois humain et machiavélique, est royal (camarade).

Petit film, grands interprètes, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement en adaptant cette pièce de Jean-Paul Sartre. Si elle offre d’excellents dialogues et un discours philosophico-politique particulièrement brillant (car attaché à éclairer toutes sortes de zones floues impossibles à rendre cohérentes, politiquement parlant, entre elles), elle n’offre pas en revanche un matériel idéal pour le cinéma. Je ne sais d’ailleurs déjà pas si ça se prête au théâtre.

Ce n’est pas tant que ça manque d’action ou qu’on se sente enfermés dans divers huis clos successifs cachant mal leur origine théâtrale, c’est que Sartre lui-même ne semble pas avoir fait beaucoup d’efforts pour rendre son texte beaucoup moins littéraire, voire théorique. C’est trop brillant pour être crédible. Venant d’un personnage, encore, on peut supposer un génie ou un homme au verbe facile, mais quand les deux personnages principaux se lancent de belles phrases comme dans les livres, c’est déjà moins crédible. Au théâtre, admettons, mais au cinéma, non.

Paradoxalement, pour rendre tout cela plus cinématographique, on gagnerait à jouer sur le minimalisme des décors, des espaces et des situations, à forcer une intensité concentrée autour des trois unités chères au théâtre classique. Les films parvenant à tenir une telle intensité (à monter crescendo vers le dénouement) sur deux heures, en jouant de ces restrictions, existent. Il n’est pas toujours judicieux de chercher à « aérer » des pièces afin de les adapter pour le cinéma, surtout quand elles ne s’y prêtent pas, et qu’on aura du mal à se passer de ce qui en fait la qualité première : l’intelligence du texte.

L’intelligence est rarement la meilleure alliée du cinéma, où c’est l’action, le mouvement qui prime. Et quand ça marche, c’est justement quand on ne dénature pas ainsi un texte sous prétexte qu’il faudrait le rendre plus vivant, plus cinématographique. L’intelligence de certaines répliques devient des lourdeurs ; l’écart entre ce qui est littéraire et ce qui tend à ne plus l’être se creusant, on détruit peu à peu la cohérence d’ensemble du film.

À cause du rythme étrange du film, il faut longtemps avant qu’on puisse accéder aux interrogations et aux doutes du personnage joué par Daniel Gélin, chargé d’assassiner un homme qui questionne ses certitudes politiques (il est comme hamletisé le « Raskolnikov », à ne plus savoir quel saint communiste se vouer). Face à la naïveté politique, révolutionnaire, et peut-être idéologique, de Gélin, on retrouve Pierre Brasseur donc, en homme bon dans ses rapports aux autres, plaçant les hommes au-dessus des principes politiques, mais qui pour arriver à son but (l’accès au pouvoir des siens) sait se montrer calculateur et machiavélique avec ses ennemis, ses alliés, et parfois avec les deux en même temps (communiste, tendance « tous les moyens sont bons »).

C’est bien ce qui est intéressant dans la pièce de Sartre. Rien n’est établi, et la politique, même (ou surtout) en temps de guerre, est une partie de jeu d’échecs géant dans laquelle les idéaux ne valent pas grand-chose face à la nécessité de prévoir les coups de ses adversaires et les siens à l’avance dans le but unique de gagner la bataille du pouvoir… D’un cynisme (ou d’un réalisme) redoutable. Et bien sûr, pour rendre la question philosophico-politique plus facile à avaler, Sartre avait ajouté de l’eau de rose à son vin. Ce qui est fait habilement, puisqu’une autre interrogation peut alors se faire : maquiller un crime de la jalousie par un assassinat politique n’est-ce pas encore de la politique ?


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Les jeux sont faits, Jean Delannoy (1947)

L’existence est une fumisterie

Note : 3 sur 5.

Les jeux sont faits

Année : 1947

Réalisation : Jean Delannoy

Avec : Micheline Presle, Marcello Pagliero, Marguerite Moreno, Charles Dullin

Une fantaisie sans conséquences qui pourrait être du Cocteau. Un film de morts-vivants amoureux rythmé comme le souffle agonisant d’un mort.

Difficile d’aimer un tel film tant il ne fait qu’effleurer les choses ; difficile d’en être agacé pour les mêmes raisons. Parfaitement indolore. L’histoire de fantôme est amusante, les histoires de revenants font les beaux jours du cinéma depuis La vie est belle jusqu’à Ghost… Comme dans la vie, son tragique tient à la peur de la mort, quand celle-ci est déjà là et qu’on n’est plus un fantôme. Le reste ne peut être que fantaisiste.

Le problème, c’est bien que Cocteau, pardon, Sartre (j’avais réussi à me convaincre que c’était le premier jusqu’à ce qu’on vienne me réveiller de mon rêve), fait intervenir dans cette histoire de fantôme des considérations politiques lourdes. On est deux ans après la fin de la guerre, dans une France imaginaire dirigée par un dandy fasciste. À le voir à l’œuvre, on n’y croit pas une seconde. Marguerite Moreno qui joue ici la secrétaire de Pierre (ou presque) aurait tout aussi bien pu faire l’affaire. Les révolutionnaires (camarades), dont notre héros zombie aux yeux amoureux (enfin pas beaucoup) est le courageux initiateur, ne valent pas un kopeck de crédibilité : ils sont aussi consistants que leur tyran d’opérette. Ça pourrait être drôle, ça ne l’est pas, et comme ce n’est pas non plus tragique, on se trouve un peu confus. Tout est bien qui finit bien parce que les deux amoureux ne s’aiment pas vraiment (on avait nous-mêmes un peu de mal à y croire, et c’était un peu pénible), et ils meurent (ouf) à nouveau à la fin. « Bon, en fait, on préfère crever et laisser tout choir dans la misère derrière nous. » Pas de mariage blanc chez les morts. C’est optimiste comme film ! D’un titre sentencieux à l’autre, La vie est belle se termine en glorifiant la vie, Les jeux sont faits verse plus dans le nihilisme sans conviction. Si vous voulez tuer votre mère dépressive, nul doute que lui passer ce Delannoy après La vie est belle fera son petit effet.

Une seule tache ectoplasmique illumine ce triste tableau : la présence radieuse, de Micheline Presle. Un phrasé génial, plein de simplicité et de spontanéité. De la poésie, de la classe… On aurait bien voulu l’y voir plonger ses yeux amoureux dans ceux d’un autre plus charmant, ou plus impliqué, ou plus menteur… Mais la chandelle est morte, ils n’ont plus de feu. Même elle finit par s’essouffler face à l’inconsistance paresseuse d’une telle fantaisie. (À noter encore la présence bouffonne de Charles Dullin et celle de Mouloudji jouant encore un salaud malgré lui.)

(Aux dernières nouvelles, la petite Astruc dont devait s’occuper Eve et Pierre, vend des allumettes aux morts dans les rues vides du Paris occupé… Devait être content le père en les voyant revenir tous deux. La parole des morts ne vaut pas un rond.)


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Une histoire du cinéma français

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