
Le Petit Soldat, Jean-Luc Godard 1963 | Les productions Georges de Beauregard, Société nouvelle de cinématographie
Sont consignées ici les notes et réflexions concernant « la nouvelle vague française », son influence, notamment à Hollywood, et son rôle dans la politique des auteurs.
Godard, c’est un poète, il faut donc le regarder comme un poète et accepter (ou pas) de se laisser toucher par certains films et pas d’autres… Ce qui serait suspect, à mon avis, c’est quand ça devient systématique « Godard c’est nul ou c’est grandiose ». Les films politiques ou trop “insensés” (comme Histoires de ma nouille) je ne supporte pas, mais certains films comme Week End, et d’autres, c’est déjà plus touchant. Tu fous une jolie gonzesse, une voix off, un plan sur une nuque, et voilà, ça fait bander (pas de quoi non plus se la tripoter, mais voilà…). Ceux qui le déifient en vont même jusqu’à apprécier les pubs qu’il a faites dans les années 70-80 et parce que c’est Godard, elles sont même référencées sur IMDb.
Rohmer, j’ai le même problème et je crois qu’on part tous avec un désavantage quand on est francophone : les acteurs sont insupportables. Si le jeu particulier des acteurs chez Bresson reste une volonté du cinéaste, chez Rohmer, ils sont mauvais parce qu’il ne sait pas y faire ou parce qu’aucun acteur ne peut être bon dans de telles situations. Comment ne pas l’être avec des dialogues comme « tu viens, je crois qu’il y aura Marc à la plage » « Oh, tu crois ? Ah non, je ne sais pas. Je crois que je ne lui plais pas » « Mais si, voyons. Et il y aura sans doute aussi Paul et Sophie. » « Paul d’accord, mais alors Sophie : non ! Rappelle-toi ce qu’elle m’a fait l’autre jour » « Oh oui, bon. Qu’est-ce que tu comptes faire en attendant ? » « Je ne sais pas. Roger m’a parlé de la Princesse de Clèves. » « Oh non, mais tu es gourde, ne perds pas ton temps avec ça. » « Et pourquoi pas ? Vas-y donc à la plage, qu’est-ce que tu attends. » « Si tu le prends comme ça. A toute à l’heure alors. »
Le plus amusant, c’est que quand on ne fait pas attention au jeu des acteurs, aux situations risibles, tous ces dialogues plantés en sous-titres, ça peut prendre un charme presque mussetien (d’Alfred de Musset, je le précise pour Pauline qui n’est plus à la page).
Et, la nouvelle vague, j’avoue un petit faible pour La Boulangère de Monceau (chacun ses fantasmes).
Il reste amusant, c’est de voir combien la nouvelle vague est haïe par les francophones. Il y a une forme d’imposture, comme si ces cinéastes, jamais véritablement appréciés par le public (leurs films étaient rentables, car fauchés, mais ils avaient très peu de succès en fait) s’imposaient non seulement aux historiens, mais aussi et surtout à la « vision extérieure » pour représenter la culture française, un peu comme la Fiat 500 est censée identifier l’Italie pour encore les trois ou quatre siècles à venir. Pour devoir le subir sans cesse en fréquentant un peu les cinéphiles étrangers sur des forums, c’est assez lourdingue, mais le truc c’est qu’ils ont réussi à s’imposer très tôt à l’export, non pas tant par leurs films, mais parce qu’ils ont montré la voie aux “auteurs” américains afin qu’ils s’émancipent des studios. Et la critique américaine et internationale a suivi. Ce qui est en fait une révolution plutôt européenne, est mis au crédit principalement aux auteurs de cette nouvelle vague, et principalement aux futurs cinéastes des Cahiers qui fait figure de véritable bible pour cinéphiles “exigeants” étrangers. Le coup de la Fiat 500, ramené à d’autres clichés franchouillards, comme la baguette ou les poils sous les bras, ça passe mal pour le public français qui ne veut pas être réduit à ça.
Si Rohmer passe bien la rampe, c’est qu’il montre des Français comme les étrangers veulent les voir : frivoles et petits bourgeois (terme que les anglo-saxons reprennent d’ailleurs). Et le plus regrettable dans l’histoire, c’est que toute une histoire cinématographique plus ou moins populaire a disparu ou est en passe de l’être parce qu’il y a finalement assez peu d’histoire de la culture populaire, au contraire de ce qui se fait ailleurs, et aussi un peu parce qu’on est un peu schizophrène à ne pas être satisfait par l’image qu’on se fait de nous à l’extérieur et à refuser cette part populaire de notre histoire dont on a honte. José Garcia, Jean Dujardin ou d’autres, dans trente ans, on se rappellera d’eux autant qu’un Darry Cowl ou qu’un Robert Lamoureux tandis que les films de Bruno Podalydès ou d’Emmanuel Mouret seront dans les livres sur le cinéma français… Ah, et Ozon, sans doute…
Resnais, si tant est qu’on puisse le rapprocher de la nouvelle vague, je pense qu’il n’a jamais été meilleur que quand il s’est associé à des écrivains.
Truffaut, passé Les 400 Coups et Jules et Jim, il n’y a plus grand-chose qui tienne de la nouvelle vague. Il est très loin d’un Godard par exemple, mais Truffaut, au-delà de ces deux ou trois films (et ça suffit pour se faire une idée, quand on regarde le cinéma sous l’angle de la nouvelle vague française plutôt que comme un ensemble plus vaste), il est surtout immensément respecté pour être l’initiateur de la politique des auteurs (à tel point qu’en anglais “auteur”, en français dans le texte, signifie “cinéaste”). Alors que le cinéma hollywoodien était, au même moment que le cinéma français, un peu de l’impasse, cette “politique” des auteurs a été une véritable claque pour les Américains. Une manière de redistribuer les cartes. De faire passer le pouvoir des studios vers leurs « auteurs ». Dans Le Nouvel Hollywood de Biskind, on remarque bien que Truffaut est perçu comme le leader avec Godard et qu’ils sont tous les deux les exemples à suivre pour tous les cinéastes du Nouvel Hollywood. Qu’importe que les films de Truffaut soient devenus finalement de plus en plus classiques, parce que c’était son idéologie qui a fait de lui surtout le gourou qu’il est devenu aux États-Unis dans les années 60-70, et le fait qu’il soit justement plus classique a permis à légitimer un retour à un « nouveau classicisme » à Hollywood incarné par Spielberg (qu’on a très souvent comparé à Truffaut à ses débuts) et Lucas (et tous les autres ont fini par arrêter leurs expérimentations… godardiennes).
Si on parle de films, et ça dépend à quels types de cinéphiles on parle, alors oui les films de Godard et de Rohmer émergeront avant ceux de Truffaut, mais Truffaut est donc bien là pour incarner à leurs yeux une autre idée du cinéma, celle qu’ils ont voulu combattre, celle des studios, et celle à laquelle ils ont fini par ressembler. Les boîtes indépendantes ont fini par suivre les mêmes logiques de studios de leurs aînés. Il est rarement question de faire des films librement, mais plutôt de tuer les pères et de prendre le pouvoir. La grande différence, c’est que dans les années 70, Hollywood était dans un tel état, que ces cinéastes qui vénéraient l’approche indépendante et européenne, sont retournés à un classicisme, adaptant des romans à succès, oubliant les expérimentations, et ont fait fortune comme ça, alors que les boîtes indépendantes des cinéastes français n’ont jamais gagné assez de blé que pour se maintenir à flot. Si la politique des auteurs, impose paradoxalement de se produire soi-même ou entre soi, les Français sont restés “indépendants”, quand les ricains ont fini par accepter des compromis qui leur assuraient une mainmise totale sur le marché. Truffait comme Godard sont maintenant très loin des références, et le paradoxe, c’est que ces cinéastes américains qui vénéraient ceux-là même qu’on aime décrier, ce sont eux que tous nous vénérons.
Si Besson, ou bien d’autres, peut se revendiquer d’une ascendance avec eux, c’est surtout qu’il n’a rien compris à leur histoire, et au paradoxe qui les anime, et fait aussi leur succès. Lui ne revendiquera jamais un rapport avec ceux de la nouvelle vague parce qu’il ne peut pas, comme beaucoup, leur pardonner de faire de l’ombre notamment à tout ce cinéma populaire des années 60-70, avec lequel à la rigueur il se sentirait apparenté. Mais c’est aussi parce que Besson n’a rien d’un auteur, qu’il a toujours privilégié l’aspect purement commercial du cinéma, qu’il n’est pas perçu à l’étranger comme un “auteur” (donc un cinéaste), mais juste un réalisateur-producteur comme il en existe tant d’autres sur le marché (us ou non). Le fait qu’il soit français importe peu, puisqu’il fait des films “mainstream” (sorte de Roland Emmerich français). Je ne pense donc pas qu’il n’y a qu’en France où on ne l’aime pas (et ça dépend encore à qui on pose la question parce que les gens vont voir massivement ses films), c’est juste que, parce qu’il est français, c’est une cible facile chez nous, alors qu’à l’étranger, il indiffère plus qu’autre chose vu que c’est un réalisateur mainstream comme il en existe des centaines d’autres. Il y a un côté terroir, qui vaut un peu pour tous les types de cinéma en fait. Dès les années 50, les Japonais produisaient des films japonisants à envoyer sur le “marché” international (principalement les festivals). Il n’y a sans doute que le cinéma italien qui a réussi à produire pendant une période des films totalement coupés d’une réalité culturelle avec les westerns spaghetti. On a vu le résultat pour le cinéma italien. Peut-être qu’un cinéma franchouillard avec des baguettes et des poils sous les bras, pour satisfaire aux préjugés des étrangers, que c’est un mal nécessaire, comme une porte ouverte vers le reste. Sinon, on existe tout simplement pas.
Les films de la nouvelle vague, c’est par définition même, prétentieux. Parce que le principe initial, c’est faire des films personnels, des films « d’auteur ». Pour moi, c’est « prétentieux », mais ça n’a pas forcément une connotation péjorative. Tout comme le cinéma mainstream est intrinsèquement commercial, ce n’est pas pour autant que tous ces films seront des succès… commerciaux. Prétendre faire des films personnels n’implique pas que les films soient réussis ou aient une valeur intrinsèquement supérieure aux autres qui seraient moins personnels.
Melville, ce n’est pas franchement l’opposé de cinéastes de la nouvelle vague. Au contraire. Il les a précédés et leur a montré la voie en réalisant seul Le Silence de la mer. Il apparaît du reste dans À bout de souffle comme Lang apparaîtra dans Le Mépris. D’une certaine manière, il fait déjà du cinéma d’auteur, en tout cas, comme cela a été défini par Truffaut et ses potes. Le truc, c’est surtout que « la nouvelle vague », c’est un machin qui veut pas dire grand-chose, et que chaque cinéaste a sa propre personnalité. C’est bien ce qui était recherché d’ailleurs, et c’est bien ce qu’ils ont réussi à imposer… partout. Pour le nouveau Star Wars, on va parler souvent du nouveau J.J. Abrams… On parle de Nolan comme d’un auteur… Si cette conception du cinéma a pu plaire, c’est surtout que c’est la victoire de l’individualisme sur ce qu’était devenu les studios : des ogres autrefois bâti sur une réussite commerciale qui ne pouvaient plus s’identifier à un seul homme comme cela avait été encore le cas jusqu’aux années 60. On n’y échappe pas, parce qu’on ne cesse de parler individuellement des films de « ces cinéastes » quand on est bien emmerder à trouver que certains de leurs films sont minables et d’autres pas inintéressants. Ils ont gagné, et on est baisés. Ils voulaient imposer l’idée de cinéma d’auteur, et on y est, on ne peut plus y échapper. Même quand on parle de Besson ou de Nolan, de Michael Bay ou de Roland Emmerich, on parle d’individus au cœur de projets qui ne sont pas toujours personnels (c’est le moins qu’on puisse dire).
