De l’autre côté du vent, Orson Welles et Oja Kodar (2018)

Réanimation post-mortem

Note : 2.5 sur 5.

De l’autre côté du vent

Titre original : The Other Side of the Wind

Année : 2018

Réalisation : Orson Welles

Avec : John Huston, Oja Kodar, Peter Bogdanovich, Lilli Palmer

C’est peut-être bien inédit au rayon des films dans le film : celui réalisé « dans le film », et qu’on voit par bribes, projeté au soir d’un jour de tournage à l’équipe, des amis et des journalistes, se révèle plus réussi que le film lui-même…

D’un côté donc, le film que tourne Welles avec ces vieux potes. Vieux, c’est le terme, le seul jeunot de la bande, c’est le petit flagorneur cocaïnomane, Peter Bogdanovich (également producteur du film). Ambiance à la Robert Altman période Nashville, mais un chaos sans aucune maîtrise, comme un assemblage kaléidoscopique des bavardages faussement brillants, plein de connivences entre gens mal élevées qui ne pensent qu’à péter plus haut que le cul du voisin, des artistes quoi. Il faut imaginer un remake de Boogie Nights effectué avec des chutes de film de Cassavetes. Le montage est ignoble. Welles multiplie tellement les contrechamps syncopés que je pourrais désigner sans me tromper les trous du cul de la moitié du casting. L’idée d’user à l’infini de contrechamps quand on produit un film choral, il faut oublier. On n’a pas besoin de voir tout le monde, tout le temps. Ça charcute, ça papote pour dire des âneries, on voit rien, on comprend rien, c’est laid, ça gesticule dans tous les sens, c’est pire que dans un mauvais film de Lars von Trier période dogme95. Un film ça respire, celui-ci suffoque et nous avec lui.

Et puis entrecoupé de ces immondices verbeuses et clignotantes, on voit apparaître le film dans le film, réalisé par le personnage qu’interprète John Huston (et probablement écrit par son interprète principale, et manifestement compagne de feu Welles, l’incandescente Oja Kodar). Mademoiselle est créditée en tant que coscénariste (avec Welles), mais elle est si présente dans ce film (dans le film), qu’autant la citer comme auteure. Je doute qu’elle ait écrit la moindre ligne de ces dialogues aérophagiques, mais la respiration, c’est elle qui permet de la donner dans ce film dans le film. Bref, tout à coup l’écran s’élargit, on se demande si ce n’est pas une pub ; et en effet, c’est beau comme dans une publicité R5 à la Baule ou une autre de Drakkar Noir… Sérieusement, ce film à l’intérieur du film est lui très réussi : c’est beau et sans dialogues. Comme disait Ford cité par Leone : « Le meilleur cinéma, c’est celui où l’action est longue, et les dialogues brefs ». Le film est quasi muet et se borne à montrer une action après l’autre, parfois symbolique mais toujours assez fascinante pour ne cesser de vouloir la suivre. Dès la séquence de la boîte de nuit dans laquelle Oja Kodar se déshabille dans les toilettes (séquence très kubrickienne), ces petites séquences colorées sont des bouffées d’air pur au milieu d’autres à la limite du supportable. C’est tellement aberrant qu’il serait presque judicieux de monter ce film à l’intérieur du film et d’en faire un moyen métrage. Le matériel existe, il faudrait voler les ciseaux de Oja Kodar et redécouper tout ça.

Le plus ennuyeux dans cette étrange affaire, c’est peut-être qu’au fond on n’ait aucune idée d’à qui attribuer la paternité de ce film. Welles, Kodar, Bogdanovich, ou même Netflix… ? Je préfère donner la palme à cet animal étrange et muet, cramoisi, et aux tétons frémissants, car nue et belle de bout en bout, plutôt qu’à un autre, crevé, dont on ne sait au juste ce qu’il aurait fait de tout ce foutoir. La Kodar au moins elle existe, elle est sur pellicule, toujours bien vivante. Je ne vois que sa présence pour me consoler d’avoir assisté à un brouillon de film. Et parce qu’entre un film publicitaire mettant en scène une top-modèle nue sur la plage et un autre avec la tête de Susan Strasberg au milieu de dizaine des poivrots chantants, le choix est vite fait. (Ah, si, autre maigre consolation, la beauté de Lilli Palmer. Il y a des visages qu’on voudrait oublier — comme celui suffisant de Bogdanovich —, et il y a des reines du grand écran qu’on garde toute une vie en mémoire.) Le reste n’est que poussière soulevée par le vent…


De l’autre côté du vent, Orson Welles et Oja Kodar 2018 The Other Side of the Wind | Royal Road Entertainment, Les Films de l’Astrophore, SACI, Americas Film Conser


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The Square, Ruben Östlund (2017)

Note : 3.5 sur 5.

The Square

Année : 2017

Réalisation : Ruben Östlund

Ça alterne le bon et le moins bon. Après Snow Therapy, Östlund confirme sa bonne direction d’acteurs, un goût presque hanekien à l’exposition de situations censées faire sens, voire celui de la provocation froide et distante. Le hic, c’est que le plus réussi dans le film, c’est l’humour, le cynisme qu’on peut deviner mais qui n’a rien de bien profond. Et heureusement. Parce que le fond du film, celui qui est tenté de sens, on n’y comprend rien, et ça semble même se perdre, se confondre, comme ça arrive très souvent avec les films à idées, avec le sujet qu’il dénonce. On voit trop bien qu’en faisant le lien entre un point, puis un autre et encore un autre, on nous mène à un but, sauf qu’on n’y arrive jamais et on sent trop la supercherie et la volonté de nous perdre. Le discours au cinéma est toujours creux parce qu’inintelligible. On n’accepte de comprendre que ce qui est paradoxalement laissé à notre interprétation. Ici on voudrait trop nous faire passer quelque chose de mou et d’indéfini pour quelque chose de carré et de profond.

Reste ces séquences prises les unes séparément des autres. La magnifique suspicion de l’homme refusant d’abandonner le préservatif à la femme qu’il vient de « transpercer », scène à laquelle répondra la gênante explication entre la femme qui dit éprouver des sentiments et l’homme ayant profité de la situation d’une tout autre façon (le cynisme, s’il est réussi ici, c’est de s’être servi de la nationalité de la protagoniste : inévitablement on suspecte, ou on craint, avec lui, qu’elle l’ait poussé dans un piège procédurier) ; la performance du môme s’en prenant à l’employer de notre « homme » lui expliquant qu’il a été puni après « sa » lettre de menace ; la répétition de notre homme machinant l’interruption de son propre discours pour le rendre soi-disant moins formel (idée révélatrice des astuces de communication à vomir) ; la Tesla perdue dans un quartier chaud ; les différentes expositions absurdes mais plus vraies que « nature » dans le musée (dont une, faite de gravier démoli par le service d’entretien). En fait, tout serait bien plus réussi si on tournait moins autour de ce Square insignifiant, de la thématique de la confiance ou de l’inhumanité supposée des sociétés, et de leurs individus, modernes face aux petites injustices courantes de la vie. Même la polémique très hanekienne de la vidéo conçue pour être virale, on comprend ce que ça dénonce en creux (ou en cône de gravier), mais on ne peut pas y croire ou y adhérer comme dénoncé (d’autant plus qu’on a le mauvais goût de nous la montrer : non pas que ce soit terrible à voir, on sait que c’est du cinéma, mais bien parce qu’elle n’atteint jamais son but supposé, à savoir choquer).


The Square, Ruben Östlund 2017 | Plattform Produktion, Film i Väst, Essential Filmproduktion GmbH


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A Girl at My Door, July Jung (2014)

A Girl at My Door

3/10 IMDb

Réalisation : July Jung

aka Dohee-ya

Top des films avec des femmes indépendantes

Scénario irréaliste dans un pays où la subtilité est sévèrement réprimée. Celui qui s’en rend coupable risque une Corée-ction…

On y apprend en tout cas que les services sociaux n’existent pas en Corée du Sud, pas plus que les avocats, les juges ou les psys. Une telle manière de procéder laisse penser qu’on est dans l’esprit d’une fillette de quatre ans à qui on demanderait avec ses moyens de raconter une histoire : les adultes sont soit de gentils individus ne nous voulant que du bien (les policiers en l’occurrence) soit des gens louches dont il faut se méfier. Pour faire semblant d’ajouter de l’épaisseur à son personnage principal July Jung lui invente une histoire de gourde à classer dans le rayon mystère à découvrir, et un passé forcément lourd et victimisant.

Il y a des personnes qui écrivent des scénarios et il y en a d’autres qui mettent sur papier, puis sur pellicule, leurs fantasmes, avant de les barioler pudiquement de caractères et de motifs mosaïques.

Assez navrant dans son écriture. Dommage parce qu’à la mise en scène July Jung se défend. Cette fois-ci, on tient bien une petite sœur de Hope en matière de subtilité. Tout le monde ne peut être Lee Chang-Dong (qui produit le film d’ailleurs).


 

A Girl at My Door, July Jung 2014 | Pine House, FilmNow Films


Un jour, Zsófia Szilágyi (2018)

Anna, un jour

Note : 4 sur 5.

Un jour

Titre original : Egy nap

Année : 2018

Réalisation : Zsófia Szilágyi

Avec : Zsófia Szamosi, Leó Füredi, Ambrus Barcza

Un jour… quand on cherchera à savoir ce qu’était une femme typique de 40 ans dans la société occidentale en 2018, on dira : Un jour

Ou pas.

L’atout majeur du film, c’est son absence totale de discours. Zsófia Szilágyi ne juge pas, n’appuie aucun effet. On se situe entre Asghar Farhadi et Cristian Mungiu pour ce qui est de la méthode de direction d’acteurs ou de rendu naturaliste (sans doute basée sur de l’improvisation dirigée), mais c’est finalement moins démonstratif, et par conséquent aussi malgré tout, moins prenant. Une séparation et 4 mois 3 semaines 2 jours évoquaient des sujets lourds et parvenaient à nous rendre plus intelligents, peut-être plus humbles, en tout cas changés, bouleversés, après leur visionnage. L’ambition est peut-être plus prosaïque dans Un jour : le récit du drame commun, quotidien, d’une femme comme une autre de notre époque.

La volonté de ne pas trop en faire, c’est paradoxalement l’atout majeur du film et son principal défaut. Mais ce qui est déjà proposé vaut largement le coup d’œil. Arriver à nous mettre à la place d’une femme élevant ses trois enfants, travaillant, et s’interrogeant sur sa vie de couple, ce n’est pas une mince affaire. Il n’y a que le cinéma capable de proposer à des spectateurs un tel niveau d’empathie avec des personnages aussi étrangers qu’ils peuvent nous être, ou nous sembler le temps d’un film, familiers. Ils sont là, on les croise tous les jours, on sait qu’ils existent, mais cette évidence-là, on ne nous la montre jamais comme ça, avec autant de justesse.


Un jour, Zsófia Szilágyi (2018) | Filmpartners, Sparks


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Woman at War, Benedikt Erlingsson (2018)

Woman at War

7/10 IMDb

Réalisation : Benedikt Erlingsson

aka Kona fer í stríð

Un film écoresponsable avec une actrice principale formidable pleine d’autorité et d’assurance. La mise en scène est efficace, notamment grâce au montage, on ne s’ennuie pas une seconde.

Le seul hic, c’est la facilité un peu niaise du propos qui aurait pu faire l’économie d’une histoire d’adoption, hors sujet ou mal exploitée c’est selon.

Le thriller d’espionnage éco-loufoque et la partie ukrainienne se marient mal. Dommage, on serait resté sur toute la partie thriller, le film fonctionnait et avait une tonalité originale.


Woman at War, Benedikt Erlingsson (2018) | Slot Machine, Gulldrengurinn, Solar Media Entertainment


Senses / Happy Hour, Ryūsuke Hamaguchi (2015)

Note : 3 sur 5.

Senses / Happy Hour

Titre original : Happî awâ

Année : 2015

Réalisation : Ryūsuke Hamaguchi

Gentille petite chronique qui vaut surtout pour sa peinture nuancée de personnages essentiellement féminins.

Tout repose en fait sur le scénario, c’est d’ailleurs foutrement bavard malgré la lenteur et les… longueurs (d’un film de plus de cinq heures). Son auteur doit apprécier ce qui en a été fait de la part de ses promoteurs français qui, certes peuvent avoir le mérite de programmer (à l’aveugle…, apprend-on) une œuvre sans grande originalité ni réel génie, mais qui s’autorisent surtout son massacre en en faisant une publicité ridicule en rien conforme au film. Quoi qu’il en soit, nouvelle preuve que le cinéma japonais n’a pas grand-chose à proposer depuis des années. C’est en effet très télévisuel (les cinq heures en question sont proposées sous forme d’épisodes), et ç’aurait mérité de ne pas de sortir de ce cadre. Il n’y a rien de particulièrement cinématographique là-dedans.

Le pire des massacres du film étant ce découpage idiot et artificiel qui ne le sert absolument pas. En plus de sortir un slogan débile pour promouvoir le film d’étrange manière (quelque chose comme « le premier serial au cinéma »), les producteurs/distributeurs se permettent de scinder le film en morceaux en leur attribuant des titres gadgets qui n’ont rien à voir avec le sujet et dont on cherche le lien pendant des heures durant (à tort donc). Un poison, on appelle ça. Distillé au choix, soit par des incompétents, soit par des gens malhonnêtes (les mêmes qui en début de programmation nous susurrent à l’oreille que le film est très émouvant et a même fait pleurer le public de divers festivals… ah).

Le jeu est robotique et lourd. Ce n’est pas forcément, et toujours, négatif, en tout cas pour tous les acteurs et toutes les situations. Et ça n’a rien à voir avec la “justesse” des acteurs. Celui qui a le jeu le plus robotique, c’est sans doute celui également qui est le plus juste, le mari biologiste. Malheureusement, son interprétation, et/ou consignes du directeur, vient assez peu nuancer l’écriture du personnage lui-même assez rigide, or la nuance dans l’écriture des personnages c’est ce que j’ai trouvé particulièrement bien réussi dans le film (il y a tout un jeu pour apporter des contradictions entre la manière dont les personnages se définissent eux-mêmes, comment ils sont perçus par les autres, et celle dont ils vont agir ; ça c’est fascinant et bien écrit, apportant donc du relief aux personnages mais aussi en permanence une forme de suspense et d’incertitude quant aux agissements de ces mêmes personnages). Il y a des cinéastes qui réclament à leurs acteurs de jouer de manière robotique, dans le sens inexpressif, parfois pour le meilleur : Antonioni, Bresson, Ozu, parfois Kubrick, ou pour le pire comme chez Rohmer (chez qui on confond incompétence et absence de direction d’acteurs). Ce qui pose surtout problème dans cette gestion des acteurs, c’est le manque d’homogénéité. Quand on a un texte et des personnages aussi bien nuancés, le plus dur c’est de proposer, un style homogène, un même tempo, une même logique, au lieu de donner l’impression de jouer à la lettre tels qu’ils sont définis par l’auteur. Il y a une trop grande différence entre les coups de mou dans l’interprétation (difficile d’être juste avec autant de situations et probablement peu de prises et de possibilités de recommencer) et les réels moments où dans la simplicité les acteurs sont impeccables. (Impression pas mal laissée aussi par les nombreuses séquences dialoguées et mises en scène dans des “cafés” qui font parfois plus penser à des réfectoires d’hôpital. On peut avoir les meilleurs acteurs au monde, si on les met autour d’une table et qu’ils ont tous un maintien de petite fille sage, ça paraîtra toujours froid et sans vie. Peut-être une volonté maladroite du cinéaste à chercher, comme son contemporain Koreeda — sauf quand il dirigeait des mômes —, à faire comme Ozu…) Mais à la différence du jeu chez Ozu, là ça fait ton sur ton : les personnages froids tendent à être interprétés pour souligner cette distance et cette rigidité, tandis que l’infirmière par exemple est sur une tout autre tonalité (par exemple le biologiste, dans les séquences de café, ça ne marche pas parce que ça fait trop : situation statique pour personnage froid et interprétation qui en rajoute… alors que quand il vient dans l’appartement de sa femme et qu’elle lui renverse du thé sur la tête, là, c’est réussi parce qu’il est à contre-jour, assis sur le rebord de la fenêtre dans une position de vulnérabilité ; sa femme elle aussi est à ce moment tout en nuances : toujours aussi aimable, avec ce sourire permanent et doux, mais menteuse).

Dans une chronique, c’est mal foutu d’avoir affaire à tant de situations et de personnages secondaires abandonnés en route (et pas que secondaires, le devenir de l’amie disparue et dont on ne sait rien, laissant ainsi une fin plus qu’ouverte, ça déconcerte un peu trop). Il y aurait eu matière à un bien meilleur film avec un montage plus resserré sur les personnages principaux et une meilleure exécution, ne serait-ce seulement que dans la direction d’acteurs.


Senses / Happy Hour, Ryūsuke Hamaguchi 2015 Happî awâ | Fictive, Kobe Workshop, Cinema Project, NEOPA

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La Promesse de l’aube, Eric Barbier (2017)

La Promesse de l’aube

La Promesse de l’aube Année : 2017

6/10 IMDb

Réalisation :

Eric Barbier

Avec :

Pierre Niney, Charlotte Gainsbourg

Je n’ai rien contre les adaptations historiques si elles savent transgresser leur sujet pour proposer autre chose qu’une simple illustration d’événements pliés sous quelle que forme que ce soit : purement historique, ou comme ici, adaptée d’un récit de Romain Gary. Eric Barbier fait le job en ce qui concerne l’adaptation, mais l’invention cinématographique est pauvre. C’est certes un écueil rarement dépassé, parce qu’il faut savoir et oser s’approprier un sujet, le charcuter, le violer presque. Mais on ne fait pas de bons films en respectant (trop) une matière qui n’est pas encore ou pas du tout du cinéma : une œuvre préexistante, comme un scénario, ce n’est déjà plus une œuvre, et ce n’est de toute façon déjà pas du cinéma. On retourne, et c’est malheureux, aux critiques que les tenants de la politique des auteurs pouvaient faire dans les années 50 à propos du cinéma d’adaptation…

Le meilleur acteur, c’est à souligner, il n’a qu’une scène : c’est l’usurier qui refuse le samovar à la mère de Romain, et qui lui propose de travailler pour elle.


 

La Promesse de l’aube, Eric Barbier (2017) | Jerico, Pathé, Nexus Factory


L’Étreinte du serpent, Ciro Guerra (2015)

L’Étreinte du serpent

El abrazo de la serpiente Année : 2015

6/10 IMDb

Réalisation :

Ciro Guerra


Vu le : 3 décembre 2017

Pas sans rappeler l’esthétisant et creux Tabou. Il y a une forme de sacrilège à vouloir proposer des images d’Amazonie en noir et blanc, surtout avec un thème comme ça. Qu’est-ce que fait le noir et blanc sinon dénaturer les couleurs de la jungle ? Un choix esthétique qui sert, comme bien trop souvent, à combler le manque de maîtrise d’un cinéaste.

La direction d’acteurs est plutôt bonne, le scénario ça peut encore aller, mais la mise en image manque de poésie, de lyrisme. Boorman, Herzog, Coppola, en voilà des cinéastes qui savaient mettre en scène la forêt. Ici c’était comme si le cinéaste ignorait ce qu’il était en train de filmer, et qu’il se foutait de ce que ça représentait. Un comble quand on monte un tel sujet.

Qu’on ne me dise pas que le film est beau. Non, c’est vide. Le néant c’est tout sauf beau.


L’Étreinte du serpent, Ciro Guerra 2015 El abrazo de la serpiente | Buffalo Films, Buffalo Producciones, Caracol Televisión


Le Gamin au vélo, les frères Dardenne (2011)

L’échappée inachevée

Note : 3.5 sur 5.

Le Gamin au vélo

Année : 2011

Réalisation : Les Dardenne

Avec : Thomas Doret, Cécile De France, Jérémie Renier

Il y a quelque chose de frustrant chez les Dardenne. On reste toujours plutôt émerveillés par la manière dont ils arrivent à diriger leurs acteurs, mais les histoires ne vont jamais au bout des choses et donnent une étrange impression d’inachevé.

Le procédé est répété à l’infini, film après film (semble-t-il) : un objectif très ancré dans la réalité, on s’y fixe, on montre les à-côtés, puis on ouvre sur autre chose censé être le négatif de ce qui précède (comme une résolution).

C’est habile, sauf que pour illustrer cette simplicité apparente du récit, les Dardenne n’offrent toujours que des séquences bien fichues sur le simple plan formel puisqu’on y est, le savoir-faire naturaliste est indéniable, mais on ne fait jamais que survoler sans prendre le risque de se poser et d’offrir du relief, de la profondeur, du cœur. C’est presque trop clinique, il en faut pour poser des constats, mais si on ne transcende pas son sujet, si on ne le bouscule pas, on reste de bons élèves, on convainc une bonne partie des spectateurs, mais le constat au final sonne creux parce qu’il ne débouche sur rien.

Les grandes limites de l’improvisation dirigée. Parce qu’on ne peut pas demander à un acteur, encore moins un enfant ou un acteur non professionnel, de nous sortir tout d’un coup une bonne réplique, de proposer une interprétation plus nuancée provoquant la fascination chez le spectateur. C’est comme la vraie vie, et c’est bien là le problème. La vie n’apporte pas ce petit plus qu’offrent les excès d’une tragédie ou d’une fable. Les Dardenne semblent réinventer la peinture en utilisant un appareil photo et réclament qu’on s’extasie devant l’authenticité de la reproduction. D’accord, on s’y croirait, mais le propos, le sujet, le fond, ça devient quoi ? On montre une réalité difficile, on est les témoins du monde dans lequel on vit, et après, qu’est-ce que nous, spectateurs, pouvons en faire ? Rien. Il y a des films qui sont lourds à chercher à nous orienter vers une morale, une conclusion, et il y en a d’autres qui par facilité se réfugient dans le refus permanent d’offrir un regard sur ce qui est montré. L’art est toujours question de choix : il y a les choix qu’on nous impose, et ça fait de mauvais films ; les choix qu’on nous présente, ou suggère parfois seulement, et avec lesquels on laisse les spectateurs libres ; et puis il y a l’absence de choix, la facilité du constat timide et bienveillant, et ça, c’est le cinéma des Dardenne.



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Certaines femmes, Kelly Reichardt (2016)

Certain Women

Note : 3 sur 5.

Certaines femmes

Titre original : Certain Women

Année : 2016

Réalisation : Kelly Reichardt

Avec : Michelle Williams, Kristen Stewart, Laura Dern

Ce n’est pas du Sundance mais ça y ressemble.

Depuis vingt ans il y a une mode, ou un savoir-faire, qui permet outre-Atlantique de proposer des films exigeants en marge des circuits commerciaux traditionnels. Reste que quand on ne s’applique pas à reproduire les recettes des grosses machines, on peut parfois craindre qu’on en utilise d’autres pour avoir une chance à concourir les festivals à travers le monde. Le cinéma indépendant américain a pourtant par le passé produit quelques miracles avec des films singuliers, des sujets forts et une forme souvent imperméable à toute référence, certains citeraient Le Petit Fugitif mais pour moi l’œuvre-étalon, et du peu que j’en connais, reste Nothing But a Man. Certains films sont comme touchés par la grâce, sonnent comme des évidences, et dans d’autres, tout paraît formaté ou reproduit autour d’un modèle d’usine. Leur blueprint répond parfaitement aux stéréotypes qu’on pourrait s’en faire : l’Amérique profonde, sa déprime, ses sandwichs gras, ses hommes à barbe, son injustice, sa froideur, sa violence sociale…

Ça sonne rarement juste dans un film américain. Il y a une forme de justesse à laquelle ils arrivent rarement à tendre sinon seulement à lorgner finalement vers ce qu’ils savent le mieux faire, les petits polars sans prétention, quand tout à coup, au milieu de cette Amérique de nulle part, le genre, le thriller, l’artifice assumé vient pointer le bout de son nez. Quand Wim Winders vient tourner Paris Texas, il garde son style, mais ne cherche pas à rendre cette Amérique pesante ; au contraire, il restitue une part du rêve, ou des couleurs, des parfums acidulés pour proposer un contraste et poursuivre une longue fascination du public pour ces espaces aux mille mirages comme dirait mon pote Joseph Campbell. Ici, aucune chance au mirage, il n’y en a pas. Et c’est bien le risque de tout film quand il manque de nuances et s’égare dans le ton sur ton. L’Amérique, la vraie, c’est glauque, c’est cruel, c’est laid, c’est pauvre, c’est con et c’est chiant, alors je vous la montre telle quelle. D’accord, le dévoilement est toujours louable sauf que la porte était déjà ouverte et on a déjà tout vu. L’art — oui l’art —, c’est bien d’arriver à proposer un regard, un angle, une vision qui détonne avec ce qu’on pourrait attendre de ce genre de films “exigeants”. On pourrait penser à Short Cuts ou d’autres Altman… Le ton, c’est de l’art, le ton sur ton, c’est de la conserve de sardines. Un Altman, ce n’est pas un Wenders, seulement derrière le naturalisme, le dévoilement, il y a un jeu de mirage qui lui seul est capable de saisir, de sidérer presque, le spectateur ; comme une manière de lui dire : « Ah oui, c’est beau, mais heu…, non, non en fait, non… Ah oui mais quand même… Ah non, non. » Qu’est-ce que disait Sirk déjà ? Qu’on ne forçait pas la main du spectateur, qu’il fallait lui laisser interpréter seul, et pour cela ne pas lui donner trop d’éléments qui pourraient lui faire croire que le film, ou celui qui est derrière, l’oriente trop vers une interprétation, une morale, un constat. Et dans ce cinéma-là, trop affecté, trop soucieux de donner à voir du glauque, du pauvre, du social, du déprimé, on ne peut que respecter l’effort, mais on ne pourra jamais être séduits parce que tout le plaisir du spectateur, il est bien d’ouvrir les portes une à une, de regarder ce qu’il y a derrière, revenir, en ouvrir une autre, se perdre, revenir sur ses pas, voir autrement le paysage qui s’y trouve, la refermer, etc. Certaines femmes est un road movie. Si on lui donne sa place, le laisse avancer au pas comme au drive-in, et qu’on lui sert ensuite tout le film sur un plateau, c’est perdu.

Autrement, savoir-faire donc, mais le minimum, ou l’attendu : des acteurs qui peuvent montrer toute l’étendue de leur talent mais qui sont assez pauvrement dirigés. Quand un acteur en fait trop pour exprimer justement ce ton sur ton et la déprime ambiante, il faut être capable de lui dire d’en faire toujours moins. Or la sobriété, c’est manifestement rare dans la culture de jeu américaine, et ce depuis que Marlon s’est gratté les fesses dans Un tramway nommé Désir (sauf qu’avec de la musique jazzy ça passe, parce qu’il y a dans ce cinéma naturaliste des origines, encore une forme de lyrisme voire de panache ou de valorisation de la spontanéité, de la performance). Alors qu’ici, on dirait un concours de jeu tout en retenue, mais une retenue ostensible, qui cherche à se faire voir dans le sens « regardez bien comme je joue en gardant tout en moi ». Vous savez, un peu comme la jolie fille qui se sait regardée et qui fait mine de regarder ailleurs… On en viendrait presque à apprécier le jeu des acteurs chez les Dardenne, parce que là la caméra reste invisible, le montage n’est pas là non plus pour insister, en prendre le plus “expressif” des réactions en contrechamp, car c’est justement ces petites réactions, qui donnent souvent le rythme aux mises en scène américaines, qui charcutent et mettent en pièce une séquence qu’on voudrait “naturaliste”, avec l’impression « d’y être ». Car quand on assiste à des situations « en vrai », aucun monteur n’est là pour nous dire quand tel ou tel acteur exprimera la réaction significative qui nous fera comprendre son for intérieur et la cohérence nue d’une situation. Il est peut-être là le problème de cette “culture” du “faire” dans les films indépendants, ils ont beau se nourrir de films “exigeants” internationaux, ils gardent le même réflexe, celui de chercher à donner à voir en permanence au lieu de laisser des moments de flottements où le spectateur comme plongé dans la situation, sans être pris par la main par un monteur, essaie de comprendre avec le peu qu’on lui donne. Le montage, les acteurs, les cinéastes ont tous cette culture, qui est à la base du cinéma des premiers temps, du champ contrechamp, dans lequel un raccord, s’il ne peut se faire à travers un mouvement doit pouvoir se faire par une réaction. Manque donc quelques partis pris radicaux que ce cinéma reste incapable de prendre : ralentir franchement le rythme (choix de Wenders dans Paris Texas), ou reculer sa caméra et limiter les coupes (comme l’a souvent pratiqué bon nombre de cinéastes européens, ceux de l’incommunicabilité, de la distanciation), ou encore jouer sur le ton, l’ironie, la satire, le bizarre, des approches capables de se marier avec le naturalisme (faudrait qu’ils apprennent plus de Kiarostami, sans rire, l’Iranien a un ton bien à lui, parfois c’est presque du Tati, involontaire peut-être, mais c’est drôle, cocasse, et il y a de la vie, pas de la soupe à la grimace pleine de ketchup dedans).

Quant à l’écriture, en montage parallèle, à moins d’y voir justement un procédé altmanien timide car réduit à trois unités narratives, je n’y vois pas grand intérêt, sinon à donner du rythme, artificiellement. Certaines femmes, d’accord, pourquoi pas d’autres ? Le film doit être trop intelligent pour moi.


Certaines femmes, Kelly Reichardt 2016 Certain Women | Film Science, Stage 6 Films

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