Hotline London (2014)

Hotline London (2014)

On peut commencer par les points positifs. La photo et les moyens investis. C’est bête à dire mais on sent qu’au moins techniquement les efforts ont été faits pour proposer quelque chose de professionnel (même à l’échelle du court). On n’est pas dans un projet d’étude ou un film réalisé « sur le pouce » (« tiens, on se fait un voyage à Noirmoutier ? »), et ça se sent, et se voit, principalement à la qualité de l’image, mais aussi aux accessoires, et au décor (ce qui au pluriel devient à mon avis plus sujet à commentaires : « les décors »). Allez à Londres (à moins d’y être déjà), faire appel à des techniciens et acteurs locaux, c’est une initiative et une expérience qui est déjà le signe d’une audace qui n’est pas donnée à tout le monde…

J’en viens aux quelques points qui ont soulevé mon attention ou qui m’ont laissé circonspect.

À lire la présentation, le film fait référence à un jeu vidéo. Ça expliquerait sans doute de nombreux choix mais c’est aussi probablement le principal défaut du film. La référence, il faut pouvoir s’en détacher pour que le film puisse s’adresser à tous. Si certains éléments propres aux jeux vidéo peuvent être réutilisés dans un film, si trop de ces éléments apparaissent à l’écran, ce n’est plus du cinéma. On voit par exemple le parti pris de ne pas utiliser de dialogues, ou de prise de son (en dehors de la fin), semble aller dans le sens d’un univers gamer, et ce vers quoi la musique permanente semble aussi aller. Je pense que ça aurait pu marcher si le rythme du film était d’un bout à l’autre haletant (c’est peut-être ce qui a voulu être fait d’ailleurs). Or le film semble être pris par une volonté de créer une ligne “dramatique” en forme de fuite, ou de ligne droite, si commune aux jeux, avec peu d’ellipses, et un récit qui suit un seul personnage de bout en bout. Il y a 3 m 30 d’intro par exemple où on joue des ellipses mais ça ne fonctionne pas dans le rythme, la direction d’acteur et le montage, et quand on arrive dans le vif du sujet, dans l’immeuble, là où ça devrait pouvoir s’enchaîner rapidement ça patine. Le film fait douze minutes mais il aurait gagné à en faire deux fois moins et aussi, paradoxalement à avoir plus de plans.

D’abord sur l’intro, si sur le papier on comprend qu’une scène, puis une autre, évoque et fasse comprendre au spectateur de quoi il est question, certains plans ne me semblent pas nécessaires, et très souvent, au niveau du montage, tu te retrouves avec des « images arrêtées », une espèce de vide où une fois l’information donnée, il ne se passe plus rien. Il y a une difficulté à produire de la lenteur évocatrice sans tomber dans le vide et le « heu, il se passe quoi là, pourquoi il ne coupe pas ? ». Ça tient parfois purement au montage, à l’idée véhiculée dans le plan (certaines actions peuvent s’étirer d’autres une fois montrées doivent pouvoir s’effacer rapidement au profit d’une autre), à la liaison sonore qui n’est pas assurée par la musique, ou d’autres fois, comme ça arrive très souvent plus tard, à la direction d’acteurs (en gros l’acteur ne sait pas bien ce qui se passe, ce qu’il doit faire, et il « fait ce qu’on lui dit de faire » sans entrer dans une logique d’ensemble, sans créer une situation, en cassant toute possibilité d’intensité ou d’ambiance avec des gesticulations ou au contraire un « stop c’est ma place, je bouge plus, j’attends le cut »).

Dans l’immeuble, on retrouve le même problème de rythme et une utilisation de la musique qui à mon sens ne colle pas. On sent à partir de l’ascenseur, la volonté de créer une ambiance, une attente, mais la tension ne naît jamais à cause d’un manque de rythme. Le rythme, ce n’est pas la rapidité, c’est l’alternance des tempos et la capacité de ralentir ou accélérer quand il le faut ; être dans un entre-deux hésitant est à la fois pratique parce qu’on a jamais à décider du tempo, mais c’est aussi se cacher et ne rien montrer. Le rythme permet de faire des choix qui sont censés orienter le spectateur vers une compréhension de la situation, et lui faciliter son immersion dans l’histoire, approfondir en quelque sorte l’impression de vraisemblance (« on y est »). Le passage dans le couloir par exemple est trop découpé pour le montage et pas assez pour les acteurs et la continuité de la scène : une scène qui ne marche pas jouée par des acteurs dans la continuité ne marchera pas au montage (à moins de disposer d’un matériel — nombre de plans — assez important, mais même là je doute du résultat). Si la musique a changé ici, et si on peut penser qu’on commence une musique « d’ascenseur » rapide, rappelant celles des jeux, il me semble qu’elle va à contresens de l’idée de la situation. L’idée du contrepoint pourrait marcher mais étant donné qu’avec le découpage et la direction d’acteurs ça cloche déjà, la musique ne fait qu’appauvrir encore la vraisemblance et l’immersion.

Dans les scènes qui suivent, on retrouve là encore les mêmes défauts. Si le personnage principal peut aller lentement « à sa tâche », le rythme pourrait être plus rapide. Les temps où il ne se passe pas grand-chose ne sont pas interdits, c’est même mieux pour construire une ambiance, faire apparaître une situation, mais là encore, on ne s’en sert pas pour ça et les acteurs se retrouvent à ne pas savoir bien quoi faire (surtout les personnages secondaires). On le voit notamment avec les brutes dans la chambre avec une fille : ils attendent, comme dans un jeu vidéo. La référence pourrait être amusante sauf qu’utiliser les défauts des jeux vidéo dans un film ça paraît un peu grossier. Pour donner l’impression au spectateur qu’il entre réellement dans un immeuble avec des filles séquestrées, il doit pouvoir voir ces brutes en train de vaquer à leurs tâches habituelles. Si certaines doivent pouvoir « faire le guet », ils doivent faire le guet. Ce n’est pas ne rien faire, ou attendre. D’autres, il faut pouvoir leur faire faire quelque chose, leur préparer des accessoires, leur dire quoi en faire, bref, leur inventer une situation ; parce que si certains acteurs sont assez habiles pour comprendre la situation ou proposer d’eux-mêmes quelque chose pour ne pas avoir l’air « d’attendre que ça passe », la plupart des acteurs sans indications seront perdus et se contenteront de faire ce qu’on leur dit (« tu restes là et tu attends »). La première fille par exemple a une réaction typique d’actrice un peu laissée à elle-même, qui voudrait bien proposer quelque chose mais n’ose pas, qui attend le cut, qui ne sait pas… Et du coup, quand tu vois ça au montage, il faut être capable de couper le plan plus tôt (la réaction « une fois que c’est fini » de la fille, ça peut être utile, en un plan, une seconde, c’est inutile de s’attarder une fois qu’on a compris, surtout pour une “info” si peu essentielle »). Il paraît aussi très étrange, qu’on ait des bruitages, mais que les acteurs restent aussi muets. On peut difficilement jouer la panique (ce que les filles jouent) tout en s’interdisant de pousser des petits cris, lâcher des mots, des interjections, etc. Là encore, je veux bien que ce soit comme ça dans un jeu, mais c’est encore un défaut des jeux vidéo qu’il est inutile de recopier (surtout parce que ça passe pour une absence de direction d’acteurs).

Je continue sur le rythme en prenant un exemple. Quand le “lapin” file une veste (ou je sais plus très bien quoi) à la seconde fille, qui était shootée, non seulement la musique empêche toujours de pouvoir changer de tempo et profiter d’un ralentissement avant de repartir sur une autre scène de massacre, mais les acteurs sont mal à l’aise. On sent que leur a été demandé (ils en donnent l’impression en tout cas) de jouer lentement, seulement on ne peut jouer lentement que quand on y colle une tension. La tension ici ne passe pas pour x raison, peut-être parce que l’idée de faire passer ça à travers un accessoire n’est pas bonne, peut-être parce que les gestes ne sont pas assez naturels, ou peut-être l’actrice peine à jouer à la fois la peur (c’est presque aussi dur à jouer que de jouer les « larmes après les larmes », c’est-à-dire de montrer qu’on a « pleuré » ou ici « eu peur » et que la tension redescend). Peut-être aurait-il fallu lui conseiller d’insister sur l’interrogation, l’incrédulité, la méfiance, parce que ce qu’elle propose là ne colle pas à la situation attendue (on peut penser aussi que le réalisateur s’est fait une idée d’un prémontage trop précis, avant de voir si les acteurs étaient capables de proposer de retranscrire la situation dans sa continuité ; le faire à la Hitchcock, prévoir tout à l’avance, c’est une assurance pour le réalisateur, parce qu’il sait déjà ce qu’il va faire, mais parfois, ça ne colle juste pas, et il faut s’adapter et en revenir à la base : la situation). Quand le “lapin” va ensuite vers l’arme, le jeu de changement de “point” est intéressant mais là encore l’acteur n’y est pas (il récite scolairement ce qu’il sait ce que le directeur attend de lui mais son rythme n’est pas naturel, en tout cas pas légitimé par un état d’esprit, et il traduit mal l’évolution des objectifs du personnage — tout ça avec le corps et les mains oui… un acteur avant tout chose, apprend à marcher, c’est dire).

Le plan suivant avec le type qui “rampe” dans le couloir ne marche pas. Si l’angle et la photo sont bien trouvés, l’acteur n’y est toujours pas. Ce qui n’est d’ailleurs pas forcément de sa faute. Si on prévoit une caméra trop proche par exemple et qu’on lui demande de ramper tout en restant sur place parce qu’on n’a pas de recul, c’est un peu normal qu’il se trouve un peu empoté et soit incapable de retranscrire quelque chose. Soit il rampe, blessé, et est capable d’aller plus vite, soit il rampe agonisant et il peut « faire du surplace » mais dans ce cas il n’aurait pas la présence d’esprit « ou les reins » pour se retourner pour voir Monsieur Lapin arriver pour l’achever. La fin du plan quand il part dans la profondeur aurait peut-être pu nécessiter un autre plan parce que ça raconte autre chose. Tu aurais pu rester dans le même plan si l’acteur avait eu quelque chose à montrer entre-temps, or là il va directement à la place indiquée (« hop, c’est ma marque ») et il attend. Question de rythme et d’objectif, toujours. Parce qu’on sent l’idée de ralentir avant de replonger dans une autre scène mais l’accent n’est pas assez visible (on pourrait même se demander si le plan est nécessaire ou si le lapin n’aurait pas eu intérêt à arriver de derrière, face au type qui rampe, aller vers l’autre pièce, se retourner, le buter, repartir… tout ça presque dans un même mouvement). Et si le plan est joli comme ça, caméra au sol et en légère contre-plongée, ça ne s’impose pas (on aurait sans doute gagné à reculer la caméra si c’était possible, garder l’angle, repousser un peu l’acteur vers le fond pour éviter le plan rapproché, et faire entrer le lapin donc de derrière).

Je passe la dernière séquence de baston, elle possède en gros les mêmes défauts à mon sens que les précédentes. Tu as peut-être encore une fois là voulu changer de rythme, mais ce n’est pas très clair et la situation est assez mal rendue.

Globalement, je pense qu’il y a un souci au niveau du matériel, du nombre de plans, à disposer en vue du montage. Quel que soit le rythme qu’on ait voulu imprégner au film, il y a des passages violents qui réclament le plus souvent un grand nombre d’inserts, de plans de coupe, de plans rapides. Il y a sans doute des impératifs financiers, mais il faut pouvoir dans un film de genre (puisque c’est ce que c’est) disposer d’assez de matériel, surtout si on n’est pas encore à l’aise avec la direction d’acteurs (ou si eux sont un peu perdus). Le montage pourra alors peut-être pallier les difficultés à créer une situation et une ambiance, mais c’est bien d’avoir les deux…

Le plan du crachat est inutile, en tout cas montré comme ça (direction encore trop hiératique et ça semble un peu anecdotique). Le plan final clôture bien le tout, mais il y a encore quelque chose qui cloche, toujours un acteur mal à l’aise et si on est dans un apaisement, là encore, la musique me semble mal traduire ce virage narratif.

Je reviens sur « les décors ». Disposer d’une bonne diversité de lieux pour filmer c’est bien, ça apporte de la densité (qu’il aurait fallu donc mettre au profit avec plus de plans et une meilleure concision), mais la difficulté est de les remplir avec un peu de vie. Même un immeuble (ou un étage) totalement occupé par des criminels, il faut pouvoir y insuffler de la vie, à travers des accessoires, des figurants, tout ce qui pourra aider à se représenter au mieux un espace réel, cohérent. Le jeu des ellipses par exemple, ça peut permettre parfois de couper ce qui n’est pas utile, mais ça peut aussi aller à la facilité et s’interdire des fragments de “vie”, le plus souvent en arrière-plan, capables de créer un espace vraisemblable : on ne voit rien du rez-de-chaussée ni des autres étages : est-ce que tout l’immeuble est occupé par les méchants (comme c’est fréquent dans les jeux vidéo et pas très crédible) ? On ne peut pas faire toujours l’économie de ces questions : par exemple, comment le type arrive sur le toit ? Même si on était au dernier étage, il manque peut-être un plan pour faire le lien. Le côté trop décomposé paraît un peu trop commode pour s’éviter de montrer ce qui est pénible à montrer mais qui pourtant aide le spectateur à rentrer, à croire, à ce qu’il voit. L’art du hors-champ en quelque sorte.