Le tueur s’est évadé, Budd Boetticher (1956)

Veuf mollet

Note : 3.5 sur 5.

Le tueur s’est évadé

Titre original : The Killer Is Loose

Année : 1956

Réalisation : Budd Boetticher

Avec : Joseph Cotten, Rhonda Fleming, Wendell Corey

Noir tardif basé sur une sorte de suspense simple mais efficace, et prenant à rebours le principe hitchcockien selon lequel il ne faut jamais appeler la police : la police est déjà là, puisqu’étrangement, c’est un tueur qui cherche à tuer l’un d’entre eux pour une sombre histoire de vengeance (le policier interprété par Joseph Cotton a tué sa femme accidentellement), et alors que la logique voudrait que lui et sa femme déguerpissent le plus loin possible pour échapper à leur destin, ils restent bien sagement à portée de main du tueur… Ce qui ne manque pas de provoquer quelques aberrations et bonnes tranches de fous rires incrédules.

La fin tombe dans certaines outrances de travestissement qui annoncent celles de Psychose et autres joyeusetés psychiatriques des années soixante. On peut même voir dans la dernière scène de poursuite quelque chose qui pourrait ressembler aux prémices de La Nuit des masques avec une séquence de terreur dans ce territoire étrange et paradoxal, typique des banlieues américaines, perdu entre vie publique et vie privée, où les propriétés connaissent ni clôture ni portail, où les oreilles coupées poussent sur des beaux gazons et où les assassins courent masqués après les jolies pom-pom girls… La scène est plus étirée qu’un épisode d’Olive et Tom, ce qui aurait presque pu faire passer Boetticher pour un précurseur du western spaghetti s’il était question ici de western. Ce qui n’est pas loin d’être le cas d’ailleurs, les personnages répondant relativement assez bien aux stéréotypes du genre : le brave shérif et sa femme dévouée, ses adjoints, et le tueur vengeur échappé du pénitencier…

Comme à son habitude, Budd Boetticher se fait surtout remarquer par sa mise en scène élégante et bon marché, fait de peu de plans rentabilisés en de nombreux mouvements d’appareils d’ajustement et de mises en place raffinées des acteurs dans le cadre. Autre habitude, les acteurs sont uniformément convaincants : beaucoup de seconds rôles de qualité (la justesse des acteurs de second plan permet parfois à elle seule de rendre crédible le monde reproduit sous nos yeux), un Joseph Cotten flegmatique comme à son habitude, mettant sa nonchalance et son intelligence au service d’un rôle de policier intègre, et surtout Rhonda Flemming, à l’autorité naturelle, paradoxalement image parfaite (mais donc trompeuse) de la femme dévouée (souvent à ses fourneaux) au caractère décidé à la limite de la désobéissance, donc de la subversivité, stéréotype de l’American way of life conservateur si bien dépeint dans les westerns ou les sucreries hollywoodiennes bien obéissantes des années 50. Sans la présence de ces deux-là, et sans la mise en place de Boetticher, on serait vite tombé dans une vulgaire série B. En deux ans, Flemming semble avoir tourné l’essentiel de ses grands films… : Le mariage est pour demain, Deux Rouquines dans la bagarre (pas étonnant de la retrouver chez Boetticher et chez Allan Dwan, ces deux-là partagent un même savoir-faire dans le choix et la direction d’acteurs), La Cinquième Victime et Règlement de compte à OK Corral.

À 3, je vous montre mes mollets poilus : 1… 2…


 

Le tueur s’est évadé, Budd Boetticher 1956 The Killer Is Loose | Crown Productions


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1956

 

Listes sur IMDb : 

MyMovies : A-C+

Noir, noir, noir…

Liens externes :


La Griffe du passé, Jacques Tourneur (1947)

Grief of the noir

La Griffe du passé

Note : 4 sur 5.

Titre original : Out of the Past

Année : 1947

Réalisation : Jacques Tourneur

Avec : Robert Mitchum, Jane Greer, Kirk Douglas, Rhonda Fleming

Si le terme « film noir » est une création de la critique française, un réalisateur de l’hexagone a été l’un de ceux ayant façonné les codes du genre. Jacques Tourneur. L’auteur de la Féline, et donc de cette Griffe du passé.

La dernière partie du film endort franchement un peu avec ces incessantes ambiances sombres et enfumées. On a parfois du mal à suivre où on en est. Ce n’est pas au point du Grand Sommeil, où on pourrait revisionner pendant des heures qu’on n’y comprendrait que dalle, mais à force ça lasse. Ça manque d’alternance entre les tons, c’est toujours sur la même note. Le film noir en général souffre toujours de ce même problème. On est parfois tiraillé entre la nécessité de trouver une unité de ton à son film et celle de ne pas laisser un ronron s’installer qui ennuierait le spectateur. Le film noir tient parfois plus de la série B justement par son refus du compromis et son insistance à suivre une même atmosphère. Pourtant, à cette époque, il y avait deux spécialistes pour entretenir l’attention du spectateur. Avec deux techniques différentes, mais basées sur le même principe d’alternance.

John Ford faisait ce qu’il appelait « la douche écossaise ». Il alternait les scènes avec action positive pour le héros et une autre négative. Et Akira Kurosawa, en amateur de musique symphonique, alternait les scènes entre un mouvement lent et rapide. Aujourd’hui, on n’a rien inventé de mieux que ces deux procédés pour donner du rythme à un film. Et du vrai rythme, pas de ce rythme de ces réalisateurs véreux qui confondent le rythme et la vitesse. Ce serait à voir, mais je doute qu’il y ait un jour un bon film noir réussissant à utiliser l’une de ces techniques. Vous me direz que c’est justement l’intérêt du film noir, de rester toujours sur la même note. D’accord, mais je demanderais à voir des films gris-noir…

Bref, connaissant déjà le film, je me suis concentré sur autre chose. Le plaisir qu’on peut avoir en ayant affaire à des personnages mystérieux, ambigus ou a des procédés de mise en scène qui vous font sortir les yeux de la tête.

Dans ce Tourneur, il faut avouer qu’on retrouve tout ce qui compose un film noir : la femme fatale, l’ambiance feutrée, les moues nonchalantes du héros (premier grand rôle pour Robert Mitchum), le mépris gentiment ironique et mesquin du méchant (Kirk Douglas), le récit en flashback, la voix off étouffée qui va avec (petit côté confession sur le divan), et tous absolument tous, et plus particulièrement le héros bien sûr, qui semblent sortir d’un enterrement, ils donnent l’impression d’avoir trop vécu, d’être trop cyniques pour pleurer ; à la place, ils lancent désabusés, derrière un nuage de fumée : « C’est la vie ! » Un film noir, c’est un peu l’expression pendant, et après-guerre, de l’esprit désillusionné, blasé. « On peut faire des films en couleurs ? Hum, à quoi bon, il faut montrer ce qui est lugubre sans l’artifice du Technicolor. Et la vie est lugubre. » Avec les Trente glorieuses, cet esprit des films noirs va peu à peu disparaître et désormais quand on fera un film de série B, on se tournera plus facilement vers d’autres genres, et peu à peu on reviendra aux films de gangsters comme aux premières heures du parlant. Le film noir n’aura été qu’une parenthèse… désenchantée (qui rappelle celle du Nouvel Hollywood, contemporain de la guerre du Vietnam).

Jacques Tourneur à l’époque, comme Fritz Lang par exemple, était un de ceux qui utilisaient le mieux les décors, qui pouvaient leur donner une personnalité. Ici, on va un peu à contre-courant de ce qui fait un film noir. Souvent, ça se passe à New York, Chicago ou Hollywood. On voyage beaucoup et on prend de la hauteur sur les collines : un appartement en forêt, les collines de San Francisco… Ce sont les montagnes russes, et finalement, on la trouve ici l’alternance.

Il y a fort à parier qu’avec un troisième visionnage, je place ce film bien plus haut… Certains films sont des bonbons fondant rapidement sous la langue ; d’autres ont la saveur des goûts amers qui restent longtemps en bouche et qui vous imprègnent de leur atmosphère fumeuse jusqu’à en finir accroc.


La Griffe du passé, Jacques Tourneur (1947) | RKO Radio Pictures


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1947

Listes sur IMDb :

MyMovies: A-C+

Noir, noir, noir…

Liens externes :