L’Impossible Isabelle, Dino Risi (1957)

Les ors de Naples

Note : 4 sur 5.

L’Impossible Isabelle

Titre original :  La nonna Sabella

Année : 1957

Réalisation : Dino Risi

Avec : Peppino De Filippo, Sylva Koscina, Renato Salvatori, Tina Pica, Paolo Stoppa 

Difficile de comprendre comment et pourquoi cette comédie merveilleuse des années 50 italiennes et du début de carrière de Dino Risi n’est pas mieux ou plus appréciée. De bonnes comédies confidentielles, Risi en a réalisé quelques-unes, mais elles semblent toutes avoir à peu près au moins avoir été remarquées soit par un public restreint, soit par une certaine critique.

Impression ou pas, je me sens un peu seul à voir dans cet Impossible Isabelle une excellente comédie.

M’est avis que cette différence d’appréciation soit le fait aussi de mon goût prononcé pour la chose théâtrale… C’est que si le film dispose d’une tête d’affiche supposée en la personne de Renato Salvatori (pas vraiment vu comme une star du même acabit que d’autres acteurs qui apparaîtront chez Risi, et encore jeune ici), le film tient surtout sa réussite dans sa bonne répartition des personnages à l’écran. On serait plutôt du côté de la comédie « des caractères » plus que dans la comédie à l’italienne, car s’il y a romance ici, elle n’est pas centrée que sur celle des deux jeunes premiers, et surtout on la voit aussi à travers le regard du personnage omnipotent de la grand-mère.

L’équilibre entre personnages est parfait, mais peut-être est-ce encore trop une spécificité du théâtre, là où le cinéma (et le spectateur qui va avec) réclame, lui, des têtes d’affiche trônant au milieu d’une distribution d’excellents seconds rôles.

Les seconds rôles sont là, il n’y a pour ainsi dire pratiquement que ça. Mais quels seconds rôles ! Leurs têtes sont connues, car les habitués de la comédie italienne les auront forcément croisés par ailleurs. Au générique cependant, c’est Peppino De Filippo qui précède le reste de la distribution ; signe sans doute que si on le connaît surtout aujourd’hui pour divers seconds rôles, il a été à cette époque une tête d’affiche régulière, notamment dans une série de films avec Toto, et était une figure marquante du théâtre napolitain. Mais ce n’est pas pour autant que son personnage l’emporte sur les autres. L’équilibre est parfait.

Tina Pica tire ainsi son épingle du jeu dans son rôle de grand-mère acariâtre et malgré tout attachante. C’est là qu’est précisément le théâtre : l’art de la bouffonnerie de ces acteurs italiens qui savent rester sympathiques en interprétant des personnages odieux ; dans ce cinéma-là, et dans ce théâtre, tout n’est que théâtre, fantaisie : c’est un aparté permanent qui est en connivence avec le public qui s’amuse des excès et des clins d’œil des acteurs jouant des personnages bien connus, presque de la famille, ou de la ville, et par conséquent, des personnages auxquels on doit malgré tout s’attacher.

Du côté de la famille de l’avocat, Paolo Stoppa fait lui aussi le job ; sa fille, idiote et puérile, est un modèle du genre (jouer les idiots demande autant, sinon plus de précision et de sincérité que les autres, et c’est peut-être un détail, mais l’actrice est parfaitement crédible quand elle joue au piano : elle est bien sûr postsynchronisée, mais elle ne tape pas n’importe comment sur le clavier : exercice d’autant plus difficile qu’il est indispensable pour la réussite burlesque de la scène que l’on voit à l’écran ses mains toucher le clavier).

La tante, dans un jeu très physique, imagé, est elle aussi parfaite. Deux exemples, quand son fiancé lui propose de mettre sa sœur devant le fait accompli de leur mariage, pour jouer le dilemme qui se joue dans sa tête, elle s’assied, tape furieusement deux ou trois fois du pied, puis se donne autant de claques au visage ; quand son fiancé la traîne jusque chez elle après leur mariage, l’actrice adopte une posture cambrée buste en avant, talons en arrière, probablement issue de la commedia dell’arte dans les scènes où les maîtres battent leur valet (et plus précisément encore du théâtre napolitain dont elle est elle aussi originaire comme Peppino de Filippo ou Tina Pica).

Tout le film est ainsi assaisonné d’innombrable lazzi dont l’objectif est de créer un sous-texte visuel permanent (parfois même comme de véritables leitmotivs : Cf. les doigts baisés que ne cesse d’appliquer le fiancé sur les lèvres du jeune premier) et qui n’est guère plus utilisé aujourd’hui dans le cinéma comique, sinon sporadiquement et maladroitement par atavisme, et dont l’origine ou l’influence serait plutôt à chercher alors du côté des dessins animés burlesques (Tex Avery).

Je le dis et le dis encore : si le cinéma italien des années 50 et 60 est si performant, c’est certes grâce à l’apport de quelques cinéastes de renom, excellents scénaristes ou de producteurs, mais c’est surtout grâce aux talents conjugués de tous ces acteurs de génie issus de la scène (en l’occurrence ici, de la scène napolitaine). On peut faire du cinéma sans histoire, sans cinéastes, sans producteurs, mais on peut difficilement faire du cinéma sans acteurs de génie. Je suis le premier à le regretter, mais c’est la triste réalité. Et si en Italie, comme en France à la même époque (années 70, années 90), le cinéma a été en crise, ce n’était pas seulement à cause de la télévision, mais bien parce que les acteurs vieillissants n’étaient plus remplacés par une nouvelle vague d’acteurs de génie.


L’Impossible Isabelle, Dino Risi 1957 La nonna Sabella | Titanus, Compagnia Cinematografica, Franco London Films


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Boccace 70, Vittorio De Sica, Federico Fellini, Mario Monicelli, Luchino Visconti (1962)

Note : 3.5 sur 5.

Boccace 70

Titre original : Boccaccio 70

Année : 1962

Réalisation :   Vittorio De Sica, Federico FelliniMario Monicelli, Luchino Visconti

Avec : Anita Ekberg, Sophia Loren, Romy Schneider, Marisa Solinas, Peppino De Filippo, Tomas Milian, Germano Gilioli

Le premier segment de Monicelli est un bijou. Satire à l’italienne avec quelques délires sur le modernisme à la Tati. Un jeune couple travaillant dans la même entreprise doit tenir secret leur mariage parce que, contractuellement, elle, jeune épouse, doit rester jeune fille ; de son côté l’époux n’a qu’un petit poste de livreur. C’est d’une extrême bienveillance pour ces deux tourtereaux. En quelques minutes, le résumé des petites bisbilles sans conséquences entre deux jeunots magnifiques qui s’aiment d’un amour tendre et sincère. Une particularité de la comédie italienne, capable de toucher là où ça gratte avec la plus grande justesse et, malgré tout, bienveillance. Désolant de voir que ce cinéma est révolu. Qui aurait cru qu’une femme aussi pingre pouvait la rendre aussi sexy. C’est beau les amoureux, surtout quand ils font un bras d’honneur au monde, et qu’ils restent dans le leur.

La partie de Fellini ne vaut que pour la présence technicolorée d’Anita Ekberg. Fellini y développe déjà ces délires démesurés, ses fantasmes ridicules. C’est parfois brillant, souvent vulgaire ou vain. Globalement, c’est long et répétitif. J’ai failli piquer du nez plusieurs fois. Peut-être que les fantasmes imagés étaient les miens.

Le gros morceau de Visconti est insupportable de bout en bout. Les personnages sont antipathiques, des aristocrates, comme par hasard. On voit le talent à venir de Romy par intermittence, mais elle force tellement qu’on a du mal à n’y voir encore que la sottise de Sissi. Fallait vraiment y mettre de la bonne volonté pour repérer le talent, parce que le personnage ne lui convient finalement pas très bien (à moins que ce soit elle qui soit encore incapable de la tirer plus vers une forme de gravité et de dignité, d’intelligence et d’intériorité, qu’on lui connaîtra par la suite ; cette légèreté la rend franchement insupportable). Tomas Milian en fait aussi des tonnes, mais on ne l’appelle pas Milian pour rien. Dès que Visconti devient bavard, j’ai envie de lui faire chier les tomes de la Recherche. L’élégance de l’aristo, Luchino, c’est de la fermer. Fais-moi taire ces deux emmerdeurs. Cela dit l’idée de départ — enfin qui prend surtout corps à la fin — est pas mal du tout : pour ranimer la flamme entre les deux, elle se voit rabaissée à proposer à son mari qu’il la paie pour faire l’amour. Sont quand même d’un compliqué ces aristos… Ça ferait une bonne nouvelle, mais là, non, juste non. Les plaintes au milieu des fastes et des serviteurs, c’est d’un vulgaire…

La dernière partie de De Sica est sympathique. Après les deux qui précèdent, ça fait du bien de se retrouver à Naples. L’impression de prendre un grand bol d’air frais au milieu des collines de Sophia Loren. Cette femme est si bien constituée, si généreuse, qu’on peut la trouver dans tous les atlas géographiques… Pas humain. Et je ne voudrais pas dire, mais dans l’exercice du fou rire, la Loren grille sans discussion la petite Romy. On n’honore pas assez les acteurs de comédie, c’est pourtant bien plus dur que tirer des tronches d’enterrement d’un kilomètre de long (Milian approuve, mais avec sa gueule, lui, la terre tremble…).


> un « raté » de la Cinémathèque

Boccace 70, Vittorio De Sica, Federico Fellini, Mario Monicelli, Luchino Visconti 1962 Boccaccio 70 Cineriz, Concordia Compagnia Cinematografica, Francinex, Gray-Film


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