Rue de l’Estrapade, Jacques Becker (1953)

Sortie des artistes

Note : 4 sur 5.

Rue de l’Estrapade

Année : 1953

Réalisation : Jacques Becker

Avec : Anne Vernon, Louis Jourdan, Daniel Gélin, Jean Servais, Micheline Dax

C’est fou ce qu’arrive à faire Becker avec une histoire sans génie mais avec un bon casting… Il suffit pour lui de reprendre les amoureux d’Édouard et Caroline, Daniel Gélin et Anne Vernon, et d’y greffer Louis Jourdan. La seule différence c’est qu’ici le personnage de Jourdan justement n’est pas si drôle que ça et qu’ils (Jourdan et Becker) peinent à le rendre amusant et sympathique. Quelques scènes donc ratées. Pourtant avec ses faux airs de Mastroianni, il aurait pu faire l’affaire ; seulement lui manque le nécessaire, l’indispensable, à tout acteur de comédie : la fantaisie. Un acteur de comédie sans fantaisie, c’est comme une femme sans charme, et parfois ça ne s’explique ou ne s’apprend pas. Marcello a de la fantaisie (on le voit dans le même type de situation — des scènes de couples amoureux — dans Break-up par exemple), et Jourdan n’en a pas beaucoup. Et c’était bien l’alchimie incroyable qui faisait que le couple Gélin-Vernon marchait dans le précédent.

Le personnage de Gélin n’est pourtant pas facile, une sorte de dragueur lourd qui cherche à s’imposer, mais il arrive à la rendre attendrissant, et surtout Anne Vernon le regarde ainsi. Les deux sont donc sur la même longueur d’onde.

Et j’insiste mais la fantaisie d’Anne Vernon est tout bonnement exceptionnelle. Preuve que dans la comédie, pour faire rire, il faut surtout chercher dans le “moins” que dans le “plus”, et pour avoir vu un Guitry au théâtre cette semaine, voir des actrices laisser venir à elles le regard du spectateur, jouer dans la subtilité, la bienveillance et donc la fantaisie, c’est très rare et toujours plus tentant d’aller vers les effets sensationnels… Pour faire passer tout ça, il faut avoir non seulement une grande humilité (pour se laisser regarder, c’est qu’il en faut de l’humilité, alors que les pitres lourds jouent avec des masques pour mieux se cacher) mais une justesse à toute épreuve. Toute une tradition de merveilleux acteurs à la française qui s’est éteinte dans l’indifférence. Place aux Dujardin…

On peut d’ailleurs y croiser ici une jeune et épatante Micheline Dax, et un toujours parfait Jean Servais (plus de fantaisie qu’il n’y paraît — si, si — et là encore une justesse folle en en faisant toujours le moins… on appelle ça la classe aussi).

Becker est un directeur d’acteurs hors pair. Rien que choisir Signoret et Reggiani dans Casque d’or, qui n’ont a priori rien de jeunes premiers, ça veut tout dire, le gars renifle le talent comme personne. Et même principe pour ces deux-là, même dans un drame, la fantaisie est cruciale ; contrairement à ce qu’on pourrait penser ou ce que les nigauds voudraient laisser croire, l’humour est bien supérieur au sérieux, et est en tout cas la marque la plus sûre d’une certaine intelligence.

Que ce cinéma français nous manque… Qu’a-t-on donc fait au bon Dieu…


Rue de l’Estrapade, Jacques Becker 1953 | Cinéphonic, Filmsonor, Société Générale de Gestion Cinématographique (SGGC)


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Thomas l’imposteur, Georges Franju (1965)

C’est qui l’imposteur ?

Thomas l’imposteur

Note : 2.5 sur 5.

Année : 1965

Réalisation : Georges Franju

Avec : Emmanuelle Riva ⋅ Jean Servais ⋅ Fabrice Rouleau

Je serai d’accord une fois dans ma vie avec Les Cahiers du cinéma : Franju est médiocre. On voit bien ici pourquoi.

J’aime bien le Sang des bêtes, et dans le même style Thérèse Desqueyroux, seulement, là où il y avait une grâce particulière dans le film adaptant Mauriac, ici, l’alchimie ne prend pas. Franju est atone, sans rythme, sans ambition, froid. Ça peut bien sonner avec une histoire intimiste, voire bizarre, mais pour un roman de guerre en frou-frou, il y a un truc qui tombe à plat. On attend le lyrisme. On se demande si c’est voulu, comme pour les autres films. Et puis, on comprend que c’est juste de l’incompétence. Il n’a aucun sens de la mise en scène, incapable de faire des choix, de trouver le ton adéquat… Finalement, il y a là-dedans ce que les cahiers exécraient dans un certain cinéma français : les adaptations creuses.

Apparemment, Franju a commencé comme décorateur de théâtre. Il y a de ça. Aucune science de la direction d’acteurs, seuls restent la mise en place et un metteur en scène qui s’efface derrière l’auteur, comme un régisseur. On revient cinquante ans en arrière. Ce n’est pas le cinéma de papa, c’est celui de grand-papa. Ce n’est pas un film de Franju réalisateur, c’est un film de Cocteau. Et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, Cocteau signe l’adaptation de sa propre prose, lui permettant d’user de (certes magnifiques) passages narratifs qu’il fera dire par son amant, Jean Marais… Franju tient la chandelle, comme c’est mignon.

Et tout est comme ça. On fait tourner le carnet d’adresses. Puisque Franju n’y comprend rien à la direction d’acteurs, autant prendre les fils de, ou les copains. Le plus amusant, c’est de voir Brion préciser dans la présentation que le jeune Fabrice Rouleau est le fils de Raymond Rouleau. Au lieu d’en faire un compliment, ça devient une insulte : les acteurs, et lui en particulier, sont si mauvais, qu’on ne peut y voir que ce qui est le plus détestable dans un certain système français, le carnet d’adresses. Les nouveaux aristocrates. Les acteurs souvent décriés de Plus belle la vie pourront s’en amuser : on peut être encore plus nuls qu’eux. Parce qu’être mauvais acteur avec des textes médiocres, c’est presque parfois inévitable. Mais être aussi mauvais, avec du Cocteau, il faut être particulièrement mauvais. Le Rouleau est donc ce qu’on a pu faire de pire dans le cinéma français (n’importe quel acteur médiocre aurait mieux fait l’affaire, c’est dire), les autres ne sont pas beaucoup mieux. Même Emmanuelle Riva passe mal. Elle a souvent eu un jeu récitatif, théâtral, ce qui peut être très utile dans des films poétiques ou intimistes — la beauté et la classe font le reste. Là, ça fait peine à voir. Chez Resnais, à l’image de Delphine Seyrig avec son ton tout aussi artificiel, ça peut passer, mais ici, ou pire, chez un réalisateur de la nouvelle vague, ça ne peut pas passer la rampe une seule seconde. Comme Franju finalement. Seul reste de lui le masque de la Scob dans les Yeux sans visage.

Il y a une logique pour un décorateur. Il faut croire que le Thérèse Desqueyroux était une réussite parfaitement fortuite. Une alchimie qui ne s’explique pas. Au moins, quand on travaille grâce à son carnet d’adresses, on a la chance de pouvoir s’essayer aux films. Et comme tout dans l’art est aussi une question de malentendu, autant saisir sa chance… Sur un malentendu, on peut toujours conclure, et même réaliser un bon film alors qu’il vous échappe.

Thomas l'imposteur, Georges Franju 1965 Filmel (2)_saveur

Thomas l’imposteur, Georges Franju 1965 | Filmel

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