Le Daim, Quentin Dupieux (2019)

Le Daim-donc

Note : 2.5 sur 5.

Le Daim

Année : 2019

Réalisation : Quentin Dupieux

Avec : Jean Dujardin, Adèle Haenel

Au cinéma, il y a une règle dans le cinéma de l’absurde, appelée « principe des 45 minutes », théorisée par le philosophe Georg Lukàcs, qui désigne une limite temporelle au-delà de laquelle tous les récits absurdes s’essoufflent, patinent, et finissent par ennuyer le spectateur.

Assidu pendant ses jeunes années aux spectacles de la scène berlinoise pendant les années 20 et 30, et témoin de l’éclosion de divers genres théâtraux, Georg Lukàcs se rend compte que dans les spectacles burlesques jouant sur une idée idiote et comique de départ, les « pièces », ou sketches, durent rarement plus de quarante minutes. Les propriétaires de salles connaissent depuis la moitié du dix-neuvième siècle ce principe, et c’est pourquoi beaucoup de ces spectacles de music-hall (« vaudevilles » aux États-Unis, « burlesque », « matinee », music-hall en France, parfois pièces en un acte, chez Tchekhov par exemple) proposent des soirées où se succèdent divers numéros et sketches afin de divertir le public avec une large gamme de genres et d’artistes susceptibles de maintenir éveillé son intérêt capricieux. Lukàcs le note dans un coin de sa tête et s’en servira pour la suite de ses études sur le spectacle et le cinéma.

Plus tard, fervent défenseur du théâtre et du cinéma naturaliste de la scène new-yorkaise, quand le théâtre surréaliste français se transforme peu à peu en théâtre de l’absurde, Georg Lukàcs se rappelle de ces principes imaginés pour le burlesque et les théorise pour ce théâtre de l’absurde naissant qu’il ne le convainc pas tout à fait et qu’il compare déjà au cinéma expérimental de la même époque. Selon lui, le théâtre de l’absurde serait sujet, comme le burlesque autrefois, à une telle limite de durée, car elle correspondrait grosso modo à la durée d’un acte de présentation dans une pièce conventionnelle de deux heures, ou en trois actes, le principe de l’absurde consistant selon lui à singer les codes narratifs réalistes pour mieux les détourner, non pour s’en moquer comme dans le burlesque, mais dans le but de provoquer un sentiment de l’étrange dans l’esprit du spectateur… Le spectateur attend à l’issue de ce premier acte, ou de ces quarante-cinq minutes, que les enjeux dramatiques du récit aillent plus loin que la seule proposition de départ basée sur l’absurde. Si l’auteur ne parvient pas à aller au-delà de la simple proposition absurde de départ, s’il échoue à embarquer le spectateur dans un parcours narratif conventionnel, le spectateur s’ennuie dès le second acte.

Passionné de cinéma, Georg Lukàcs précise que ce « principe des 45 minutes » se vérifie pour une série de films expérimentaux absurdes émergents à cette époque dans tout le cinéma underground, en particulier sur la côte est des États-Unis mais pas seulement. Selon lui, si l’absurde est incapable de proposer au public des longs métrages, c’est précisément à cause de cette limite à laquelle les films absurdes sont soumis. L’absurde pour l’absurde, selon lui, était un non-sens. Il allait même plus loin en affirmant que parmi les meilleures pièces (en trois actes) considérées comme « absurdes », certaines étaient en réalité « burlesques » (il cite La Cantatrice chauve) ou « existentialistes » (il cite En attendant Godot).

Quentin Dupieux n’a probablement jamais entendu parler de Georg Lukàcs. Et tous ses films dépassent cette limite. À la vingtième minute, on a compris où il voulait en venir. À la trentième, on se demande comment il va s’en sortir. À la quarantième, on a compris que ça ne menait nulle part et on attend embarrassés que ça se termine.

 

Ceci est une farce, Georg Lukàcs n’existe pas, mais ça résume assez bien ce que je pense du film.


 

Le Daim, Quentin Dupieux 2019 | Atelier de Production, Arte, Nexus Factory, Umedia, Garidi Films


Liens externes :


Le Loup de Wall Street, Martin Scorsese (2013)

La fin du western

Le Loup de Wall Street

Note : 1.5 sur 5.

Titre original : The Wolf of Wall Street

Année : 2013

Réalisation : Martin Scorsese

Avec : Leonardo DiCaprio, Jonah Hill, Margot Robbie, Matthew McConaughey, Jean Dujardin

Quelle horreur de film… Je me trompe ou, non seulement, ce film a vingt ou trente ans de retard sur son époque, mais en plus, le point de vue qu’il adopte n’est pas sans rappeler l’insipide et vulgaire Call Me: The Rise and Fall of Heidi Fleiss ?

Scorsese ne cesse de s’imiter lui-même en alternant les séquences « dans le milieu » et « dans la famille ». Les scènes de jalousie hystérique à la New York New York, à la Casino ou à la Raging Bull, la caméra qui virevolte entre les lignes pour nous présenter les personnages de la boîte (dont finalement on ne saura jamais rien) ; mais à force de vouloir tout dire, de tout montrer, Scorsese, pourtant avec trois heures de film, ne montre rien. Terence Winter n’est pas Paul Schrader, et même Schrader aurait eu du mal à trouver un sens à cette autobiographie (ou autohagiographie, devrait-on dire). Terence Winter, c’est le scénariste de Xena la guerrière, et ça se voit, il n’y a absolument rien à sauver dans ce film. Les cinq minutes passées avec Matthew McConaughey à la rigueur. Une belle ironie d’ailleurs. Parce que son personnage est typique des golden boys des années 80. On se dit que Belfort changera de méthode. Absolument pas. À quoi bon revenir vingt après sur le Wall Street d’Oliver Stone ? Une suite ne suffisait pas ? Mais Belfort est plus trash, me direz-vous… Et alors ? Un petit gars de la classe moyenne qui se prend pour Tony Montana… mais Belfort, c’est Baby Face, pas Scarface. Belfort…, rien que le nom, on a l’impression de voir un Channel jouer les caïds.

Casino était déjà pas mal passé de mode comme un western des années 80. Y rajouter une couche, quel en serait l’intérêt ? Parce que si l’époque est bien, à nouveau, aux crapules de la finance, elle est moins à ces petits cons cocaïnomanes des années 80 qu’aux escrocs de haute volée sachant parfaitement s’immiscer aux affaires au point d’arriver à en changer les règles et de mettre les politiciens dans la poche. On l’a souvent entendu dire ces dernières années, la crise de 2008, c’est une crise systémique. Ce n’est pas l’affaire d’un petit truand s’ouvrant tout seul les portes de Wall Street. L’idée du Loup de Wall Street, c’est l’idée d’un loup entrant dans la bergerie. Wall Street serait donc cette bergerie. C’est le point de vue de Belfort. C’est son eldorado. Cinq ans après, c’est ça la vision critique qu’on peut avoir sur Wall Street ou sur le milieu de la finance ? Wall Street est une bergerie ? Désolé, Martin, tu n’as rien compris à l’histoire. Mettre en scène l’hagiographie d’une petite crapule (même pas une grosse, un psychopathe pour lequel on pourrait au moins s’intéresser parce qu’il est un monstre ; parce qu’ici, Belfort n’est rien de plus qu’un gars ordinaire, c’est presque toujours le mythe du rêve américain, la réussite à tout prix, et c’est là qu’on est plus proche d’Heidi Fleiss que de Scarface…) quand c’est toute la finance qui est pourrie de l’intérieur, ça sonne comme une tentative de diversion. Ce n’est évidemment ni l’intention de Scorsese, ni celle de Belfort, qui lui ne cherche qu’à nous vendre sa vie de merde comme parfaitement honnête comme il vend des stylos (la drogue et la baise, ça permet, entre deux tranches de vérités, de mieux faire passer le reste).

Le film souffre pas mal de personnages à la fois antipathiques et trop brièvement esquissés. Belfort, pour commencer, a autant de charisme et de remords qu’un vendeur de voitures, et le trio Belfort-Winter-DiCaprio n’arrive pas à la cheville du duo Baldwin-Mamet dans Glengarry Glen Ross. Belfort est un connard, mais il n’a même pas la politesse d’être un génie, ni même un sadique. En quoi serait-il fascinant ? Un vendeur de voitures qui cherche à se faire du fric, rien de plus. Tout est dit quand il demande aux autres de lui montrer comment vendre un stylo. Il se contente, le reste du temps, de convaincre, micro à la main, tel un prêcheur devant sa paroisse. Mais Belfort n’est pas non plus Elmer Gantry. Sans parler que Scorsese, comme à son habitude, choisit un des acteurs les plus insipides de sa génération, convaincant, seulement, quand lui aussi, doit refaire du réchauffé, à savoir s’imiter dans Gilbert Grape. Le personnage de la première femme de Belfort passe globalement à la trappe, alors que Scorsese la traite dans une ou deux scènes comme si elle était au centre de l’histoire. Le meilleur pote est tout aussi ridicule, comme le personnage de Jean Dujardin, toujours aussi peu convaincant dans tout ce qu’il fait…

Le film n’échappe pas non plus à la vulgarité. Orgie de nibards, de coke, de fellations ou de baise… Quel intérêt, sérieux ?…

Est-ce que Scorsese dénonce la vulgarité de son personnage ? Certainement pas. On pourrait douter de ses intentions, mais celles-ci ne se voient jamais à travers un récit. Il est donc dangereux de vouloir traiter un tel sujet en prétendant ensuite jouer le second degré, à l’image de Tueurs nés. Quand on fait un film sur la violence, on prend le risque de faire juste un film violent. Quand on fait un film sur la vulgarité, on prend le risque d’être juste vulgaire. Question de mesure, d’interprétation. Mais Martin Scorsese ne cesse jamais ici d’être dans l’excès. Difficile de penser qu’il ne se serait pas laissé prendre à son propre jeu…

Même épandage grossier dans les images, le montage, les extérieurs, pour en foutre plein les yeux aux spectateurs. On pourrait y attendre au bout d’un moment un petit regard cynique, désabusé, critique, quoi… non, non, tout ça était bien au premier degré. Quand je dis qu’on est resté aux années 80, c’est bien ça. La référence ultime du film, c’est même la Ferrari blanche de Miami Vice… Oui, désolé, c’était déjà bien ringard à son époque, mais vingt ans après, rester à cet étalage puant et grossier, ça n’aide pas à me rendre le film sympathique. Je crois même qu’à la fin du film sur la vie de la Madame Claude d’Hollywood, Heidi Fleiss, elle arrivait au moins à attirer la sympathie. Ici même pas. La fin est claire : je n’ai aucun remords, et l’on me paie même pour donner des séminaires et continuer à prêcher la bonne parole. On aurait tort d’y voir une conclusion cynique. C’est bien un happy end qu’on nous présente là. Non seulement le message est puant, mais Scorsese n’y apporte même aucun second degré pouvant laisser place au doute. Si ce n’est de la maladresse, c’est de la connerie. Et c’est en tout cas bien ce qu’est le film : con, très con.

Quand j’y pense, depuis Casino, ce qui est le plus vulgaire chez Scorsese, c’est son casting. Charron Stone déjà… Ensuite, continuer toute sa filmographie avec un Pseudo-Rital de Los Angeles, je le peux encore moins. C’est comme si Spike Lee décidait de supporter du jour au lendemain les Lakers ou Woody Allen mettait en scène un film sur Sunset Boulevard. Dès que je vois Di Caprio, je ne vois pas un adulte, encore moins un dur, encore moins un Rital, encore moins un homme. Je vois un bellâtre sorti de Santa Barbara après avoir passé l’âge de jouer les jeunes premiers. (Pas un plan où l’on peut respirer, c’est gavant.)

Une raison supplémentaire de ne plus m’aventurer dans ces films merdiques qui, non seulement, sont incapables d’inventer quoi que ce soit, mais qui, en plus, ne savent faire qu’une chose : reproduire en vrac les vieilles recettes d’autrefois.

Le Loup de Wall Street, Martin Scorsese 2013 The Wolf of Wall Street | Red Granite Pictures, Appian Way, Sikelia Productions


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OSS 117 : Le Caire, nid d’espions, Michel Hazanavicius (2006)

SOS qualité française

OSS 117Année : 2006

 

Réalisation :

Michel Hazanavicius

5/10  lien imdb
 

Vu en mars 2007

Il est loin l’âge des bonnes comédies populaires d’autrefois.

Choix ou pas de mise en scène, la production fait cheap (pour nous faire croire qu’on est en 1950, on nous fout des plans d’archives avec bagnoles dans les rues…). Dujardin est un pitre, pas un acteur. Même dans la comédie, il faut de la sincérité et de la justesse dans l’excès. Un sourire niais, une mimique, un brushing, pour remplacer le vide du scénario. Aucun acteur n’arriverait à rendre meilleurs des dialogues insipides et grossiers, alors Dujardin, certainement pas. Un personnage doit vivre non seulement grâce aux détails d’une histoire, mais aussi à travers l’imagination de l’acteur. Et ça, l’imagination, ça lui est totalement étranger à Dujardin. Tout le film d’ailleurs est comme ça. Le hors-champ a une importance capitale dans un film. Ce qui est suggéré, c’est ce qui permet de nous représenter un monde. Si tout est devant nos yeux, sans profondeur, sans faire vivre l’arrière-plan, et je ne parle pas que de l’image, ça pue l’artificiel. On me dira que c’est précisément ce que le réalisateur a voulu, il a voulu la facilité oui. C’est comme renoncer à l’exigence. On pourrait y adhérer si par ailleurs le fond avait meilleure allure.

Le casting est désastreux. Les deux gonzesses en particulier sont loin d’être à l’aise. Depuis Émilie Dequenne dans le Pacte des loups pour afficher un nom au film, je croyais avoir vu le pire. Ça se vaut presque. Si les acteurs français sont globalement à la ramasse face à leurs collègues étrangers, c’est d’abord à cause de ces maudites années 60 et ce mirage poursuivi par des cinéastes ni artisans, ni écrivains, ni théâtreux : la vérité. Pour être vrai, il suffisait de prendre des gens dans la rue. Bah oui, c’est évident. Certains ne s’en sont pas trop mal sortis en développant des méthodes propres souvent basées sur l’improvisation, mais c’est toute la production qui en a souffert.

Traditionnellement, un metteur en scène est un acteur. C’est en tout cas les plus efficaces. Parce qu’ils connaissent tous les écueils et les fausses promesses de certaines évidences. Pour être vrai, il faut passer par le faux. Un Delon qui arrive à être vrai en “étant” Delon, c’est rare. Pour les autres acteurs, il faut passer par le faux : la technique. Une fois qu’on maîtrise certains principes, qu’on les a éprouvés sur scène, on est prêt pour se livrer à un metteur en scène qui connaît cette fois les difficultés pour passer d’une “technique” de théâtre à celle du cinéma. À moins d’avoir un génie qui peut comprendre ça instinctivement, ou à moins de savoir déjà bien s’entourer, la distribution et la direction d’acteurs, un metteur en scène ne connaissant rien aux acteurs aura de grandes chances de faire n’importe quoi. Et c’est ce qu’on voit ici. Mais c’est une constante depuis que les cinéastes sont des critiques de cinéma, pas des artistes. Pour jouer des femmes, et des femmes d’un certain niveau social, on prend donc des gamines dans la rue. Tu es jolie, fais donc du cinéma ! Ce serait un peu comme voir Arletty dans les rôles de Michèle Morgan ou Giulietta Masina dans celui de Sissi. Un maintien de femmes du trottoir…

Et il faut croire que l’exigence du public est presque aussi grande que ceux qui leur montrent des films puisqu’il — le public – n’y voit rien de choquant. Normal : les dames du monde, ça n’existe plus. Il y en aurait du monde à passer entre les mains du Professeur Higgins ! Le pire, ce n’est pas qu’on fasse de tels films avec des acteurs aussi médiocres. C’est surtout qu’on ne trouve rien à y redire, et qu’on pourrait tout autant voir une bergère dans un rôle de reine de France (une Kirsten Dunst jouant Marie-Antoinette par exemple…).

Le rythme est également affreusement lent. On veut couper avec le “théâtral” (c’est devenu un gros mot) mais en revanche, par facilité, on a gardé le principe des scènes où on s’installe pendant des heures… Le film ici ferait à peine un quart d’heure dans Austin Power. On pourra s’étonner que le film donne une grande impression de vide… C’est un art qui se rapproche de celui de la narration, à la composition littéraire (un roman a moins de contrainte spatiale que le théâtre…). Pas besoin de couper à la sauvage ou de créer trop grossièrement une précipitation des événements. Mais si on peut donner une information sans devoir y rester des plombes, autant le faire pour donner autre chose à manger à son spectateur. Ça permet également les changements de rythme, les mises en relief, ou s’attarder… Il semblerait que pour monter un film l’exigence et le talent soient inutiles. Une mention « vu à la TV » suffit.

Delon disait qu’il n’y avait plus de star, il avait bien raison. Il n’y a plus non plus de cinéma populaire. Rien que des téléfilms. Avec Belmondo, voire Defunès, c’était bien autre chose.