Le Mur invisible, Elia Kazan (1947)

Note : 2.5 sur 5.

Le Mur invisible

Titre original : Gentleman’s Agreement

Année : 1947

Réalisation : Elia Kazan

Avec : Gregory Peck, Dorothy McGuire, John Garfield, Celeste Holm, Dean Stockwell

Pas bien convaincu. La direction d’acteurs est exceptionnelle, avec des acteurs chuchotant presque parfois, toujours très justes, avec notamment Celeste Holm et l’inévitable Dean Stockwell… Mais, alors qu’on n’est pas loin de la création de l’État d’Israël, qu’on est deux ans après les horreurs des camps en Europe, faire un film sur l’antisémitisme de tous les jours peut-être là où on pourrait pourtant imaginer qu’il est le moins criant (la côte est des États-Unis), ça ressemble pas mal à un exercice de défonçage de portes ouvertes.

En plus du ça, on a de toute évidence un film à thèse, idéologique, et cette petite propagande ressemblant pas mal aux films éducatifs qu’on balancera dans les salles au public souvent adolescent pour les deux ou trois décennies qui viennent…, ça n’a jamais réussi à faire de bons films. Un bon film, ça met en lumière les zones grises d’une société ou de « l’âme humaine ». Ce qui est particulièrement mal foutu ici, c’est donc bien que le personnage de Peck ne remette jamais en question ses propres réflexes antisémites. Ce qu’il n’hésitera pourtant pas à faire (vive le préjugé) avec sa petite amie !…

Au bout de dix minutes pourtant, alors que le personnage de Gregory Peck peine à trouver un angle d’attaque pour ses articles, il raconte à sa mère qu’avec d’autres sujets, ce n’était pas compliqué : avec des ouvriers, il lui suffisait de se faire ouvrier, avec les ballerines, de se faire ballerines, pour comprendre ce qu’ils éprouvaient… Mais avec les juifs, non, il ne voyait pas ce qu’il pourrait faire. Badam ! On se dit, bah voilà, en quoi ça devrait être différent ? Est-ce que l’antisémitisme, ce n’est pas un peu ça pour commencer ? S’interdire de penser qu’on puisse se mettre à la place d’un juif pour comprendre ce qu’il éprouve ? Eh ben, non ! Aucun jugement sur lui-même, sinon pour se taper sur la cuisse tendance « mais bon sang, c’était pourtant simple ! » en maugréant contre lui-même de ne pas y avoir pensé avant… C’est pareil que pour un ouvrier ou une ballerine ! Ben, bien sûr que c’est pareil. Et alors, pourquoi t’a-t-il fallu tout ce temps pour reconnaître qu’il n’y avait strictement aucune différence ? C’est bien parce que dans ton esprit, ce n’était pas si évident, pas naturel… Et il est là, le racisme, celui du préjugé involontaire à la base de tous les petits et gros racismes. Le mur invisible, il n’est pas vis-à-vis des autres, mais de soi-même, celui qu’on s’interdit de voir en nous remettant en question, et en comprenant que la base du racisme est en chacun de nous.

Ça commençait donc mal. L’antisémite, on le cherche toujours chez les autres, jamais en soi-même. Si on n’a pas compris ça, à mon sens, on ne comprend rien aux préjugés de toutes sortes, en particulier ethniques.

Plus grave encore, le film est donc construit sur un subterfuge d’identité qu’on retrouvera par la suite et qui ne doit pas être ici à son premier coup d’essai (Shock Corridor, L’Invraisemblable Vérité, ou dans le même genre Dans la peau d’un Noir). Pendant tout le film, le personnage de Gregory Peck se moque donc de tout son monde en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas. Moi, éthiquement parlant, ça me pose problème. Il ne le fait pas pour soutirer une information à un salopard, il ne s’infiltre pas dans un monde mafieux pour en faire état en tant que journaliste ou comme d’autres pourraient chercher à le détruire ; non, il se fout de la tête de ses collègues, il demande à son fils de mentir, et impose ça à sa copine sans même lui demander son avis. Un type qui ment délibérément à un public dupe et à qui on n’a rien à reprocher, c’est se foutre de leur tronche. C’est non seulement partir sur le préjugé (non plus racial mais idéologique) comme quoi au fond, hein, on (surtout les autres) serait un peu tous antisémites sans le savoir…, mais c’est surtout un peu s’ériger en inquisiteur chargé de révéler la véritable nature des uns ou des autres, là où, franchement, y aurait sans doute mieux à faire ailleurs… L’antisémitisme au sortir de la guerre sur la côte est… Sérieux… Ah oui, grande cause nationale, grands papiers qui vont vous révéler de grandes découvertes ! Et le plus gerbant dans cette affaire, c’est que quand Peck leur révèle que monsieur n’est pas juif, certains s’en moquent totalement…, histoire de bien montrer, qu’eux, qu’il soit juif ou non, ça ne les dérange pas le moins du monde. Mais, oh !… qu’il se soit foutu de votre gueule en se faisant passer pour un autre, qu’il se soit servi de vous pour pondre ses articles à vos dépens, ce n’est pas problématique ?…

Le comportement d’ailleurs de ce journaliste s’achève sur une autre perle : monsieur semble trouver en la personne de sa collègue à la langue bien pendue un double parfait, il lui laisserait presque entendre que ça pourrait coller entre eux, et patatras, il retombe dans les bras de sa dulcinée qu’il n’a cessé de contrarier avec ses suspicions incessantes… Et elle lui tombe dans les bras bien sûr. Plus les hommes sont des salauds, plus les femmes aiment ça, que ça nous dit…

Il faut aussi noter que le film est adapté d’un roman écrit par une femme, et que le coup de chasser un préjugé ethnique alors qu’on se vautre soi-même dans des clichés rétrogrades concernant la place de la femme au foyer ou le rapport entre maris et femmes, pardon, mais je ne peux m’empêcher de trouver ça quelque peu ironique.


Le Mur invisible, Elia Kazan 1947 Gentleman’s Agreement | Twentieth Century Fox


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La Ville abandonnée, William A. Wellman (1948)

La « Miche » abandonnée

La Ville abandonnée

Yellow Sky

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Yellow Sky

Année : 1948

Réalisation : William A. Wellman

Avec : Gregory Peck, Anne Baxter, Richard Widmark

Voilà un western bien à mon goût. Pourtant ce ne sont pas les stéréotypes du genre qui manquent. L’histoire, c’est celle d’une bande de voleurs de banque emmenée par Gregory Peck et Richard Widmark (on sait tout de suite qui joue le gentil bandit et le méchant), obligée de traversée la Vallée de la mort pour échapper à une garnison partie à leur trousse.

Le récit de la traversée est parfaitement épique, on se croirait dans Lawrence d’Arabie, et surtout, c’est un peu dans le récit, un symbole, comme un monde qu’on n’atteint pas facilement et pour lequel il faudra faire des sacrifices ; c’est l’épreuve de départ dans beaucoup de récits. Ils arrivent donc assoiffés à l’autre bout de la vallée, mais ils ne trouvent là qu’une ville abandonnée, fantôme… Surgit alors notre Séphora de l’ouest, venue « secourir » nos bandits tel Moïse après sa traversée du désert. Sauf qu’ici, elle les accueille le fusil à la main. Magnifique apparition d’Anne Baxter (ironiquement, Cecil B. Demille la prendra huit ans plus tard pour jouer non pas Séphora, mais la femme de Ramses Nefertari) qui leur montrera où s’abreuver. La fille vit seule avec son grand-père dans une bicoque isolée et a tout du garçon manqué (se faisant même appeler Mike — savoureusement transcrit en français par « Miche », pour Micheline sans doute). Les bandits ne mettront pas longtemps à comprendre qu’ils ont une mine d’or…

La suite est tout aussi prévisible, vue mille fois mais parfaitement efficace, avec les deux bandits luttant pour savoir comment se partager le magot… La morale est sauve, Peck gagnera la belle (Widmark a trop peur pour ses miches) et ira rembourser dans une scène d’épilogue l’argent volé dans une banque au début du film (si ça, ce n’est pas du spoiler).

Le film serait une adaptation de La Tempête de Shakespeare… J’avoue qu’il faudrait que je relise la pièce parce qu’en dehors du naufrage, je ne vois pas bien la correspondance. Si dès qu’il y a quelque chose qui ressemble à un naufrage on parle de La Tempête… C’est juste comme j’ai dit un procédé narratif habituel, le fait d’entrer violemment dans un autre monde. On parle aussi pas mal de Planète interdite pour l’adaptation de La Tempête…, bah oui, mais pourquoi pas non plus Ulysse ? Le mec passe son temps à s’échouer sur des îles pour retrouver Ithaque et rencontre des princesses qui lui cassent les pieds avant de tomber amoureuses de lui… Et dans ce cas, Star Wars aussi commence par un échouage, Alice au pays des merveilles aussi… Bref, ce n’est pas une référence à Shakespeare ni même à Homère, c’est juste un archétype d’introduction…

La mise en scène est très efficace, audacieuse même. Wellman n’hésite pas à étirer certaines scènes, ralentir le rythme pour accentuer le suspense. Un procédé de mise en scène que je ne me rappelle pas avoir vu beaucoup dans des westerns à cette époque et qui était plutôt employé par Hitchcock ou les réalisateurs de films noirs. Autre procédé intéressant, c’est l’utilisation de la profondeur de champ (à la Greg Toland) avec le visage d’abord de Widmark en très gros plan, coupé, et de l’autre côté de l’écran les autres personnages bien plus loin. Voilà deux procédés que Leone réutilisera abondamment pour ses westerns.


La Ville abandonnée, William A. Wellman 1948 Yellow Sky | Twentieth Century Fox


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