Depardieu l’obscène, le Figaro et les 50 boomers à la rescousse

Faut-il séparer le monstre du monstre sacré

Mon oncle d’Amérique, Alain Resnais | Philippe Dussart, Andrea Films, TF1

Réponse à la tribune dans le Figaro des 50 boomers défendant Gérard Depardieu.


Ce que peuvent faire les puissants pour défendre leurs semblables…

Autant, je suis très réservé sur les vagues metoo, autant, avec Depardieu, il n’est pas question de présomption d’innocence. Il y a des images où on voit un type malade dont les proches laissent tout passer.

Je passe sur le fait que Depardieu serait un monstre sacré… C’est quoi sa dernière grande performance dans un film ? En revanche, ces imbéciles ne peuvent pas ignorer les débordements obscènes, sexistes, voire racistes rapportés par les images de Complément d’enquête. Si Depardieu se comporte comme un crétin, c’est bien se sent intouchable. C’est même étonnant que jusque-là personne ne lui ait filé aucune baffe en assistant à ses remarques ou en étant pour le moins lourd avec des personnes qui ne sont souvent pas en position de répondre et encore moins de lui filer des baffes. Il y a une coresponsabilité de son entourage quand un tel connard se sent tout permis en public ou en petit comité et que ceux-ci finissent par le dédouaner en criant au lynchage. Et ce n’est que la part émergé de l’iceberg. Parce que si ce genre de guignols osent agir ainsi en public, qu’est-ce qu’il faut penser de leurs agissements en privé.

Beaucoup d’actrices dans le lot des signataires. Autant d’autres « monstres sacrés » avec qui ce guignol ne se sera jamais montré déplacé parce qu’elles auraient su se défendre et parce que leur statut de star les aurait, elle, protégées. Mais elles pourraient au moins fermer leur gueule sans quoi elles ne font, avec les autres signataires masculins souvent de la même génération, que renforcer leur coresponsabilité dans les agissements déplacés de Depardieu.

Je ne me prononce pas sur les viols dont le bonhomme se trouve être accusé, mais au moins tant mieux pour les victimes : toutes ces paroles déplacées de Depardieu dont tout le monde peut être témoin pourront au moins aller dans leur sens et conforter leurs versions.

Contrairement à ce qui est écrit dans « l’appel des 50 boomers à la défense de l’acteur », personne n’interdit à Depardieu de travailler. Personne ne le lynche. Le public sera bien libre ou non d’aller voir son talent, ou ce qu’il en reste, au cinéma ou ailleurs. En revanche, prétendre aider un « monstre sacré » en lui laissant passer toutes ses saloperies comme à un enfant gâté qu’il ne devrait plus être, ce n’est ni lui rendre service, ni aider les éventuelles personnes qu’il indispose ou agresse pour ne pas être, elles, des « monstres sacrés » à sa hauteur. Et ce n’est certainement pas se placer du côté de ce qui est juste.

Or, un artiste, et a fortiori un acteur, si on peut discuter de ce qui « est politique » et de ce qui ne l’est pas, il doit en revanche toujours se placer du côté de ce qui est juste. Personne n’aime les salauds à l’écran, les vrais. Depardieu a souvent joué des salauds lumineux. Lui et ses collègues de la bourgeoisie du septième art semblent avoir oublié le “lumineux”. Un salaud lumineux, c’est celui qu’on accepte de voir à l’écran. Justement parce qu’ils sont à l’écran et pas ailleurs. Ce sont les monstres, c’est-à-dire ceux que l’on “montre”. L’écran est là pour les dévoiler et surtout pour les restreindre à ce cadre. Quand on regarde des films d’horreur, on n’espère pas voir des zombies se promener lors de notre prochain passage au supermarché.

Les monstres, comme les monstres sacrés, c’est à l’écran qu’il faut les voir. Certains semblent se prendre peut-être un peu trop à leur jeu. Si l’idée est de défendre « l’acteur », ce n’est donc pas bien réussi. Parce que si son public commence à se demander si le vrai Depardieu est le même que l’on voit à l’écran, le “monstre” n’est plus puisqu’il se serait contenté de jouer son propre rôle. Et plus personne alors n’accepterait de voir ainsi à l’écran ce qu’on saurait alors ne plus être un « monstre lumineux », mais un simple monstre.


Illusions perdues, Xavier Giannoli (2021)

Illusions perdues

Note : 3.5 sur 5.

Illusions perdues

Année : 2021

Réalisation : Xavier Giannoli

Avec : Benjamin Voisin, Gérard Depardieu, Jeanne Balibar, Xavier Dolan, Vincent Lacoste, André Marcon, Louis-Do de Lencquesaing, Jean-François Stévenin

Une réplique résume assez bien le film, celle où Lucien critique le roman de Nathan qu’il n’a pas lu en prétendant qu’il manque de mystère et que si certaines choses doivent être dites dans un roman, il faut également que d’autres soient tues. Cela s’appliquerait tout autant au cinéma, et en particulier à ce film, parce qu’en plus du défi déjà difficile de l’adaptation, Xavier Giannoli se devait d’en relever un autre pour ne pas décevoir : ainsi, si son film dispose par ailleurs de beaucoup de qualités, liées en partie à la production et à la transcription à l’écran on peut lui reprocher le caractère démonstratif de son exécution notamment dans sa direction d’acteurs.

Commençons par les réussites. Réputée impossible, l’adaptation, en se concentrant manifestement sur le second volet du roman et sa partie parisienne, en supprimant une bonne part des personnages (la sœur de Lucien n’apparaît que comme destinataire de ses lettres, le Cénacle a totalement disparu) ou en en réunissant d’autres (le personnage de Nathan semble réunir deux personnages) arrive à convaincre et à trouver sa propre unité. Le cinéaste paraît avoir aussi forcé la correspondance entre la situation politique et journalistique de l’époque de la Restauration avec la nôtre. Je ne pourrais dire jusqu’à quel point le trait est forcé, et si cela était nécessaire, mais la connexion est parlante : la critique cinglante du journalisme faite par Balzac (et qui lui était, semble-t-il, reprochée) reste d’actualité. La question des fausses nouvelles a plus rapport aujourd’hui avec le développement des réseaux sociaux, mais la multiplication des canards de l’époque rendue possible par de nouvelles techniques d’imprimerie n’était-ce pas déjà d’une certaine manière une forme de réseau social avec leur manque de contrôle ?

Les trouvailles scénaristiques du cinéaste pour adapter le roman d’ailleurs (si tant est que je puisse les identifier), en particulier celle qui implique la nature du personnage joué par Xavier Dolan, sont impeccablement imaginées. Adapter, comme traduire, c’est trahir. Les astuces de Xavier Giannoli permettent au récit de s’articuler comme un film ancré dans son époque — avec tous ses petits trucs, ses modes, pour le meilleur et pour le pire — au lieu de se contenter d’en proposer une adaptation fidèle, mais confuse.

La reconstitution est parfaite. Le travail sur le décor, sur les accessoires, les figurants, tout en rapport dans un film à la production et à la scénographie (comme on dit au théâtre ou dans certains pays), avec le découpage technique, le montage, la lumière, etc., tout ça donne au film une densité rare dans le cinéma français.

Une fois qu’on en est là, une bonne part du travail est accomplie. Le public en aura pour son argent. Reste l’essentiel quand on a répondu à tout ce cahier des charges des grosses productions historiques : la petite note de talent et de savoir-faire qui distingue un film d’un autre. La bascule décisive se situe presque toujours au niveau de la mise en scène. Et l’on touche ici aux limites des compétences de Xavier Giannoli. Les mêmes défauts se retrouvent d’ailleurs constamment dans ce genre de productions : quand il est question de rythme, de montée d’intensité, de pesanteur poétique ou lyrique, de frénésie ou de folie, d’urgence… ou de direction d’acteurs, tout cela doit passer en définitive par les acteurs.

Comme disait l’autre, une bonne part de la direction d’acteurs consiste à réussir sa distribution. En ce qui concerne les seconds rôles, c’est du haut niveau : Gérard Depardieu, Jeanne Balibar, Xavier Dolan, Vincent Lacoste, André Marcon, Louis-Do de Lencquesaing, Jean-François Stévenin… Sur le papier, ça envoie du lourd. Chacun semble fait pour son rôle respectif. Et malgré une direction d’acteurs perfectible (des petites fausses notes de justesse que le réalisateur laisse passer), ils assurent, grâce à leur seul talent, le gros du travail de mise en situation et d’ambiance. Les dialogues auraient gagné à être mieux ciselés (quelques « n’est-ce pas » et des prénoms inutiles en fin de phrase affreusement rendus par exemple), mais sans eux, sans leur justesse, parfois sans leur folie, sans leurs audaces, sans leur style (souvent caractéristique, personnel, à la limite de l’incongruité et de l’anachronisme pour certains, mais c’est un atout même dans un film historique), on s’ennuierait bien vite.

Là où ça pêche bien plus, c’est que pour faire face à une telle distribution, il faut un acteur pour jouer le premier rôle capable d’endosser le costume et d’assurer la comparaison. Benjamin Voisin ne concourt malheureusement pas dans la même catégorie que ses collègues. Quand je qualifiais le film de démonstratif, sans mystère, ces défauts majeurs appliqués au film pourraient autant être, ou surtout, imputable, à son acteur principal. Rien dans sa composition n’est joué dans la nuance, tout est restitué au premier degré, fait pour être vu et apprécié, saisi, par le spectateur (et par conséquent, rien ne lui est laissé, au spectateur, à sa seule interprétation). Il force, explicite, surjoue, surnote… Loin d’être mauvais, l’acteur manque de force de caractère, de style, d’audace, de précision, de spontanéité, de maîtrise aussi, comme certains de ses partenaires. C’est d’ailleurs un des plus grands écueils auquel doit faire face un acteur : réussir à manier contrôle de soi (sans lequel il n’y a pas de précision, pas d’autorité, pas de maintien ou de tenue) et spontanéité ou justesse… Quand on cherche l’un, on perd souvent de l’autre ; et quand on est en recherche de l’un (de la maîtrise, donc), c’est par définition qu’on n’en dispose pas naturellement… (ce qui interdit forcément à la fois l’aisance, la spontanéité et l’audace). Même avec leurs défauts (leur âge plus avancé surtout), j’aurais préféré voir ce qu’aurait donné Xavier Dolan ou Vincent Lacoste dans le rôle de Lucien. Et malheureusement, si tous ces acteurs magnifiques aident Benjamin Voisin, le plus souvent, à garder le rythme ou à créer une situation lors de leurs face-à-face, quand il est seul ou, pire, accompagné d’une actrice, pour le coup, là, sans talent, tenant le rôle de Coralie, plus rien ne va : il ne peut plus seulement être en réaction (ce qu’un acteur moyen peut encore se contenter de faire face à de meilleurs acteurs que lui), il doit être moteur de l’action, donner le ton, attiser la tension, susciter le mystère, l’intérêt, proposer des nuances complexes et contradictoires, le tout subtilement, sans forcer… Et le cinéaste ne le soutient pas beaucoup : la nuance, le sous-texte, c’est ce qu’un acteur joue en permanence et à tous les niveaux. Or, un mauvais directeur demandera à un acteur moyen d’ajouter de la nuance dans les pauses ou à l’ultime seconde du dernier plan d’une séquence… (Je vois d’ici la scène : « Tiens, là, quand Cécile de France quitte la pièce et te laisse face caméra, au lieu de jouer l’émotion, joue la défiance ! Ça met un peu de nuances et accroît la complexité du personnage ! ») Ben, non. Quand on parle de sous-texte, c’est du texte qui s’ajoute au texte des dialogues, « sous », ou « par-dessus ». Pendant (et cela, à travers le regard, la posture, l’attitude, l’intonation, l’action souvent anodine dans ce registre), ce n’est pas du « après texte ». La nuance, c’est une couleur générale qui se trouve à chaque seconde, par composition comme dans une pièce musicale, pas par petites notes (de bas de page ou de fin de séquence) successives et épisodiques. Et souvent, l’acteur apporte cette nuance à travers ses audaces, ses propositions, ses ratés aussi parfois (l’avantage du cinéma par rapport au théâtre où l’on ne dispose pas d’une autre prise). Rien de cela n’est possible si l’acteur n’a pas le talent pour suggérer certaines de ces audaces, si le directeur d’acteurs ne lui laisse pas l’occasion d’oser s’engager vers cette voie et s’il ne le met pas dans les meilleures conditions pour favoriser ces prises de liberté ou s’il ne tend pas lui-même vers des dispositifs qui permettent à un acteur de trouver l’aisance nécessaire à l’émergence de ces propositions. Sans cela, oubliez la spontanéité et la justesse.

La performance d’un acteur principal ne relève pas de l’anecdote dans un film. C’est lui qui donne le ton, qui assure l’efficacité d’un des principes fondateurs du spectacle. À travers lui, le public croit en ce qu’il voit : quand un acteur se cherche, quand le spectateur découvre un acteur qui joue plutôt qu’un personnage dans une situation, le pari de la vraisemblance échoue. Un détail résume cette cassure et ce lien interrompu entre le spectateur et le récit : quand la situation réclame qu’un acteur se lance dans de grands éclats de rire et qu’on ne voit qu’une chose, un acteur qui se force à rire, le charme est irrémédiablement rompu, on ne peut y croire.

Ces gros défauts de mise en scène se manifestent le plus souvent quand Lucien apparaît seul à l’écran ou est accompagné de Coralie, et c’est d’autant plus difficile à jouer pour Benjamin Voisin, qui ne profite pas de l’élan apporté par les autres acteurs, que Xavier Giannoli le met en scène à ce moment-là dans des montages-séquences (il n’est pas forcément seul dans l’espace, mais seul à l’écran ou le centre de l’attention). Comment voulez-vous interpréter une situation quand vous n’apparaissez à l’écran que dans un plan de quelques secondes ? Ce sont des tableaux successifs que propose ici le cinéaste. M’est avis que la meilleure chose à dire un acteur est alors d’en faire le moins possible. Ce n’est pas, semble-t-il, ce qu’a choisi de dire Xavier Giannoli à son interprète. Et même quand le cinéaste ralentit volontairement le rythme, comme quand lors d’un plan faisant peut-être référence à Stanley Kubrick, c’est bien lui qui ne trouve pas le ton juste (son travelling arrière est intéressant, mais il s’intègre assez mal à la séquence — voire à la musique — qui précède, et le rythme qu’il instaure à la scène est bancal : un baiser sur le front, un personnage qui passe hors cadre pour ne laisser que le principal à l’écran…, on voit l’idée, mais ça ne marche tout simplement pas, le genre de scène que Kubrick aurait reproduit cent fois pour trouver le bon rythme, le geste juste). Ce n’est donc pas qu’une question de distribution, il manque ce petit quelque chose à Xavier Giannoli pour arriver ici à élever son film.

Mais ne gâtons pas notre plaisir. On ne demande pas à tous les films de se hisser à la hauteur de tous les grands films. Une adaptation réussie, c’est assez rare pour être appréciée à sa juste valeur. En attendant, j’irai revoir Les Frères Karamazov de Richard Brooks pour me rappeler à quoi peut ressembler une adaptation qui tient du chef-d’œuvre (et avant que son génial et improbable interprète, William Shatner… s’envole chatouiller les nouvelles frontières de l’infini).


 
Illusions perdues, Xavier Giannoli 2021 | Curiosa Films, Gaumont, France 3 Cinéma

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Cyrano de Bergerac, Jean-Paul Rappeneau (1990)

Cyrano de Bergerac

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1990

Réalisation : Jean-Paul Rappeneau

Avec : Gérard Depardieu, Anne Brochet

L’occasion de revoir ce film qui ne m’avait pas convaincu la première fois… Ça reste Cyrano mais tout autant Cyrano que cela puisse être, ça n’en reste pas moins une pièce compliquée à monter, autant au cinéma qu’au théâtre. Pour moi, c’est de la littérature. D’ailleurs Rostand, au début, n’avait pas comme ambition de la faire monter il me semble. C’est une pièce à prétexte. Le canevas est ce qu’il est : grossier ; les personnages sont ce qu’ils sont : Cyrano est une péninsule ; tout le reste n’est que poussière (il est au centre de tout, or ce qui importe dans une histoire, ce sont les rapports entre les personnages ; si on ne peut rien pour Christian, qui est le jeune premier bateau, Roxane, dont il est dit qu’elle est intelligente n’a jamais le temps de le montrer…). Reste une première partie excellente, mémorable, mais là suite, qu’on soit au théâtre, au cinéma ou qu’on la lise, c’est parfaitement ennuyeux. Il faut attendre la fin pour trouver un peu d’humanité dans cette pièce.

Cyrano de Bergerac, Jean-Paul Rappeneau (1990) | Caméra One, Centre National du Cinéma et de l’Image Animée

La mise en scène ici est sans rythme, sans poésie. Raconter une histoire, que ce soit au cinéma ou à l’écrit, c’est souvent une question de proportions : savoir quand accélérer et quand ralentir. Mouvements rapides, mouvements lents. Les longues et les brèves. Rappeneau délaisse tout à son compositeur, or c’est à lui de faire la mise en scène, à accentuer en moment d’émotion, d’action… Il est lui-même comme spectateur de ce qu’il monte, il laisse faire, ne choisit pas, ne met rien en relief. Reste qu’il est difficile de trouver le ton juste dans une pièce qui mélange autant les genres. Le mélange est une tradition anglo-saxonne. Cette pièce est un ovni dans le contexte théâtral de l’époque, comme le Cid l’avait été. Ce sont peut-être des chefs-d’œuvre, mais on n’est paradoxalement pas les mieux armés pour les mettre en scène. L’art français, c’est aussi le menuet et les jardins plan-plans. Vous y foutez une péninsule au milieu de cette figure régulière, et pif-paf, ça sonne creux. Il faudrait voir ça monté par des Britanniques, juste pour voir.

Quitte à faire une adaptation, l’idée de couper voire d’ajouter des vers est une mauvaise idée. Beau sacrilège d’écrire des bribes en prose pour donner plus de vie à certaines scènes. Dans les batailles par exemple, tout le monde a le gosier fermé et on ne peut pas croire à un truc pareil. Dans ce genre de séquences, traditionnellement, les personnages parlent, hurlent, et on est loin des vers. La pièce est tellement baroque, que cela n’aurait pas été un scandale. Ce qui fait la réussite des pièces de Shakespeare au cinéma, c’est que souvent lui-même mélangeait scènes en vers et scènes en prose ; il n’avait pas peur de rajouter des mots pour le vent, pour remplir : Shakespeare, ce n’est pas que de la littérature, des beaux mots, il y a malgré tout un réalisme incroyable justement du fait de cette adaptabilité du langage.

Il y a finalement très peu d’adaptations de pièces convaincantes. Le plus souvent des pièces de Shakespeare, par Zeffirelli, Welles ou Olivier. Shakespeare, c’est déjà du cinéma. Rostand, surtout quand c’est mal joué (et c’est souvent trop dur à jouer) c’est de la littérature ─ au même titre que Feydeau par exemple.

En passant, j’ai des vagues souvenirs de lecture de la Mort d’Agrippine, du vrai Cyrano de Bergerac, ça valait le coup d’œil. Il faudrait que je m’y replonge un jour…

Un mot sur les acteurs. Depardieu est l’acteur qu’il fallait pour cette pièce filmée et injouable ; je me rappelle avoir vu Belmondo au théâtre ; et on ne peut pas trouver mieux que ces deux-là pour ce rôle. Vincent Perez est excellent dans un rôle ingrat, vraiment pas facile à jouer, mais lui c’est encore plus convaincant que Depardieu, parce que c’est à la fois un acteur de théâtre (et un très bon) et de cinéma ; il faut aimer l’acteur, mais c’est une autre histoire… Anne Brochet est belle à tomber, mais se laisse emporter par les tunnels ; vu le talent des actrices (par rapport aux garçons), c’est un peu agaçant de voir le résultat. Weber est nul (son rôle est, certes très compliqué, mais pas seulement).

La difficulté dans toute adaptation est de réussir à s’approprier un texte. L’auteur, le maître d’un film, reste malgré tout le réalisateur, pas celui qui en écrit le scénario. D’où l’extrême difficulté de se lancer dans ce genre d’exercice. Le modèle suprême est là le Roméo et Juliette de Franco Zeffirelli, disciple de Visconti. Tous deux metteurs en scène à la fois de théâtre, d’opéra et de cinéma. Il n’y a pas de secret, ça ne s’improvise pas.



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