Notes sur le style de certains auteurs

 —— Notes sur le style de certains auteurs ——

Kundera

Dans La Plaisanterie, Kundera fait parfaitement intervenir le sous-texte. L’auteur expose d’abord une situation, puis choisit un angle. Il mélange ainsi les descriptions et les commentaires, décrit les comportements, ce qui amène à se demander sans cesse ce que sont les intentions des personnes croisées ou à comprendre le monde et la société ainsi dépeinte. L’utilité de décrire brièvement des comportements amène à forcer parfois des interprétations comme s’il fallait trouver une justification derrière chaque description. C’est le mélange avec les brefs commentaires (entendus parfois comme des confessions grâce à la première personne) qui permet cet effet. Le lecteur se charge ensuite d’interpréter le reste.

Maupassant

Grand respect pour l’utilisation des adjectifs chez Maupassant. Ils sont rares et indispensables quand ils sont placés en épithète si bien que son style est très ramassé, sans fioritures et pourtant très dense avec cette qualité rare qui est de proposer un vocabulaire riche et varié, tout en étant accessible et toujours compréhensible. À la place des adjectifs épithètes, Maupassant préfère l’utilisation d’attribut ou de complément : l’adjectif attribut est indispensable pour le sens de la phrase, il ne peut être supprimé : Paul estime ces paroles injurieuses. Un substantif opérant comme complément d’un substantif principal et réuni par des prépositions (« de » le plus souvent, mais aussi « à » « sans » « sur » « en » « par »…) est tout autant indispensable à une phrase. On ne peut rien soustraire et ça permet d’évoquer beaucoup d’idées au lieu de préciser inutilement quelques-unes. Aussi, il utilise rarement « que » ou « qui » trouvant toujours une manière plus courte de signifier ou une idée (ou de s’en garder) : au lieu de « que je savourais le printemps venu » il écrira simplement « savouré ». La richesse est plus dans la diversité des petits mots à fonction grammaticale interdisant rapidement une idée que dans la lourdeur du vocabulaire et la peinture redondante d’une même idée.

Jack London

L’utilisation des temps chez Jack London (Martin Eden) : Emploi fort du temps du récit, donc l’imparfait, utile pour être bref et décrire une situation, un contexte, jouer des ellipses, etc. Le passé simple n’apparaît que par intermittence, comme des virgules pour relancer le rythme, et peu à peu pour entrer dans une situation, celle qui fait l’objet premier du chapitre et fait avancer l’intrigue. Mais il ne s’agit pas pour autant d’un temps décrivant des « scènes », car l’imparfait sert encore à englober ces scènes dans une situation ou une thématique d’ensemble. (Même la séquence importante du chapitre peut se révéler être très courte : il va à l’essentiel et retournera ensuite à l’imparfait pour des commentaires.) Une écriture très inspirée des contes ou des nouvelles.

Dans une introduction (une phrase, un paragraphe), certains auteurs prennent le parti de montrer la situation ou l’information essentielle (dramatique) de côté, par un biais calculé, par un angle qui n’est pas celui attendu ou celui de l’évidence. On évite de taper dans le cliché en noyant cette information au milieu d’une chaire descriptive, faite de commentaires, d’allusions, de commentaires.

Par exemple chez Oé, Gibier d’élevage. Au lieu d’écrire simplement « Dehors je sentais l’odeur sauvagement libérée par la pesante carcasse du soldat noir » il écrit : « Au-dessus de la route empirée, au-dessus du val qui servait de support à tout cela, l’odeur sauvagement libérée par la pesante carcasse du soldat noir, les clameurs, inaudibles poussées par le cadavre, et puis comme dans un cauchemar, etc. » L’information principale est perdue au milieu d’une constellation d’images, d’une contextualisation qui n’en fait pas le seul sujet. Or, ce qui se passe d’essentiel, c’est bien que le soldat noir est brûlé.

On retrouve cette abondance, ce foisonnement, cette densité chez Shakespeare ou chez Céline.

L’art de l’ellipse et de la structure (vu chez Oé) : il s’applique au mieux à déconstruire la chronologie du récit pour éviter de donner l’impression de s’installer. Il fuit les tunnels répétitifs (un second paragraphe répétant le précédent). Son écriture démontre qu’il faut un fil conducteur narratif, certes, mais grâce aux connecteurs logiques, à l’emploi des différents temps et modes, au passage à des paragraphes courts, à la variation des sujets, on peut donner du relief et parler de tout autre chose, brièvement (suggestion), pour s’écarter du sujet dramatique et tendre vers un autre plus impressionniste, moins évident, que le lecteur se plaira à chercher entre les lignes (la profusion des modes, des temps, des évocations doivent l’aider à se construire ce que le récit, à travers cette structure éclatée, impressionniste, s’applique au contraire à déconstruire).

Il fait aussi intervenir des détails semblant jurer au milieu d’une situation de départ. Ne pas commenter, ne pas enchaîner après une de ces évocations étranges. Cela crée de la densité, certaines cocasseries éveillant l’interrogation et le jugement du lecteur, mais surtout son imagination.

Brussolo

Malgré les qualités d’écriture chez Brussolo, j’ai quelques réserves : entre les différents personnages, leur quête personnelle est presque toujours identique (donc pas d’opposition), et l’on y trouve peu d’enjeux (donc de vie propre, de relation). Ils doivent ainsi toujours faire face à une situation problématique extérieure qu’ils sont censés d’abord découvrir, puis résoudre ensemble (les autres personnages permettant au personnage principal de découvrir la situation). L’opposant extérieur est ainsi toujours invisible. C’est bien pour le mystère, mais les oppositions sont toujours dans la distanciation, et l’on s’identifie ainsi peu à ses personnages qui apparaissent désincarnés et sans voix intérieure, sans imagination.

Manque alors le cœur, les trahisons, ou la peur, l’amour, les espérances, l’amitié, tout ce qui fait le sel des relations, des confrontations, et le plaisir des découvertes des étrangers, l’exercice personnel de se frotter à la différence. Les personnages permettent l’identification et la sympathie quand on sent leurs doutes et les espoirs à se lier à d’autres : leur peur de se retrouver seul, isolé, c’est la nôtre.

La psychologie chez Brussolo est donc sèche. Elle n’apparaît qu’à l’occasion pour illustrer une situation, une péripétie tendue. Les contradictions, les errances, les actes manqués, tout ça aide aussi à l’identification, et ça n’apparaît que rarement chez Brussolo qui colle toujours à une nécessité de décrire un environnement, un mystère qui est finalement très peu en rapport avec le monde intérieur des personnages qui y prennent part.

On oublie aussi facilement les enjeux de départ, censés être des enjeux primordiaux, pour nous perdre dans des péripéties de grand huit. On oublie pourquoi le héros est là et ce qui le pousse à agir. La confrontation est ainsi souvent artificielle.

Zweig

Comment Zweig éclaire-t-il le sens et crée-t-il une matière imaginative intense à sa phrase ?

Il réduit au maximum l’emploi des épithètes pour les laisser à leur place, autrement dit au rang de détails. Il n’est pas rare bien sûr d’être obligé d’avoir recours à un adjectif pour préciser une évocation, mais il ne le fait que quand le substantif n’est pas suffisant par lui seul.

Ainsi il tourne ses phrases de manière à éviter si possible le mélange précieux et inutile du substantif et de son épithète. La première chose est d’abord de le supprimer, c’est chose facile quand on se rend compte que l’adjectif n’est effectivement dans la phrase qu’un détail n’altérant en rien le sens s’il est supprimé (à la manière des mauvais acteurs qui jouent les détails en interprétant chaque mot et en souhaitant leur donner une consistance propre).

On peut aussi, avec parcimonie si l’occasion se présente sans trop alourdir la phrase, user d’une périphrase à l’aide d’un « de » ou d’un « par » par exemple, plus probablement d’un « que », mais il faut alors que l’évocation soit très courte pour éviter que la digression ne cache le sens premier de la phrase. Le problème vient sans doute du fait qu’on veuille pallier à la faiblesse d’un substantif à travers un adjectif. Or c’est prendre le problème à l’envers : c’est le substantif qu’il faut changer. Et si l’adjectif apporte ou évoque une idée intéressante qui peut s’intégrer dans la logique du récit, il faut le transformer en substantif (ou un autre proche de son idée) à l’intérieur d’un groupe de mots, compris dans une phrase complexe, ou dans une phrase.

Faire le contraire est non seulement boiteux, mais paraît surtout précieux et forcé. Les épithètes font jolies, et l’on s’en sert pour agrémenter ses phrases d’un vocabulaire riche. Non, ce qui est riche, c’est d’utiliser des substantifs pour éclairer le sens. Et le sens, c’est sujet/verbe/complément (et un complément est principalement d’abord un substantif).

Voir aussi Limiter les adjectifs.

(Prendre l’exemple de ces quelques paragraphes pour en faire… le contraire.)

Shakespeare

Une histoire doit comporter une part finale, une morale, une intention, qui est suggérée dans tout le récit dans son développement, mais qui n’apparaît clairement qu’à la fin de chaque tome (et au finale de la saga). Comme dans Le Marchand de Venise où deux histoires parallèles trouvent enfin leur sens à la fin puisqu’il s’agit de deux histoires différentes (même si avec les mêmes personnages), mais il s’agit en fait d’un même thème. Shylock qui veut qu’on lui paye son dû (l’engagement qu’il a pris est plutôt dur à réaliser) et Portia qui met à l’épreuve son mari en lui faisant promettre de ne jamais se séparer de sa bague (toujours le thème de l’engagement). Cette pièce aurait pu s’appeler Il ne faut jurer de rien



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