Politique et médias

Le Premier ministre de la France, premier maillon (faible) du réseau
Je me suis farci les six heures de l’audition de Bayrou à la commission d’enquête sur les violences dans l’enseignement, puis une heure de l’émission de Mediapart avec la présidente de cette commission. Et ce qu’il en ressort, c’est surtout à quel point notre société est gangrenée par la corruption.
Audition de Bayrou :
Émission Mediapart, le soir-même, avec Fatiha Keloua-Hachi, présidente de la commission :
OK, j’ai bien compris que la corruption, c’était très spécifique. Moi, je parle de moralité, de ces petites compromissions que l’on accepte dans le cadre de relations informelles et que l’on accepte parce que l’on appartient à un cercle, que l’on a peur pour notre travail, donc notre carrière. Le terme de « corruption » n’est peut-être pas idéal, il peut être remplacé par manque d’« éthique », de « probité », d’« honnêteté », de « morale ».
Ce n’est d’ailleurs pas anodin si ce sont presque toujours des femmes qui se trouvent être des lanceuses d’alerte. Les femmes sont moins dans l’entre-soi, sans doute pas par goût plus de la moralité, mais peut-être surtout parce qu’on les écarte plus volontiers de ces manigances.
Cette culture de l’entre-soi qui mène à l’occasion à des mauvaises pratiques informelles, en France, on a un terme, censé être positif, pour qualifier ça : le réseau. Il faut « entretenir le réseau ». Dans notre société, c’est une vertu. Pour moi, ce sont des pratiques dignes de la mafia.
Qu’est-ce que ça signifie en pratique ? Qu’on ferme notre gueule chaque fois que l’on est témoin de quelque chose de problématique qui nécessiterait d’être dénoncé. Dans la mafia, dans un « réseau », dans un « entre-soi », on ne dénonce pas.
Sur le papier, on édicte des lois, des règles, des principes moraux, mais ça, c’est la partie émergée des conventions sociales. Il faut préserver les apparences, les conventions. La vraie règle, tacite, manifestement, c’est de se tenir les couilles.
La logique est simple. Ce « pas de vague » érigé en institution tacite consiste à taire tout événement anormal dont la formalisation officielle, administrative entraînerait des répercussions néfastes pour tous : de la paperasse, des enquêtes, des interventions tierces dans notre « monde ».
Donc beaucoup d’agitation, de travail, d’anciennes histoires ou problèmes qui rejaillissent. Un climat général posant lui-même problème qui serait ainsi mis à nu… Bref, les vagues, ça remue la merde, et tout le monde est éclaboussé.
Qu’importent alors les victimes, les personnes qui se plaignent ou subissent ne serait-ce que les désagréments de ces usages mafieux, de ces petites corruptions ou conciliations avec l’éthique. L’important, c’est surtout que l’on préserve les apparences.
Tout le monde dans son travail, dans ses « réseaux », dans son monde a sans doute déjà été témoin d’événements, d’indices dont il réprouve la manière dont ils ont été gérés. Le problème, c’est que réduit le plus souvent chacun à notre échelle, on ne se doute pas de l’ampleur du machin.
Et puis, parfois, on s’indigne. On est témoin, voire victime, d’un de ces petits événements que l’on étouffe pour « le bien de tous » (sauf des victimes et de la probité, de l’éthique), et si l’on a le courage (ou l’inconscience), on l’ouvre. Et alors, sans doute, on le paie.
On le paie en mutation, en non-promotion, en conflits futurs, en inimitié, en méfiance à notre égard : on a écorné le réseau, la « famille », on est la « balance », l’intrus, le pestiféré.
Alors, que fait-on le plus souvent ? On évite de trop savoir. On détourne les yeux. On regarde autour de soi pour voir si d’autres sont susceptibles de bouger. Si un bouge et qu’il est écouté, il faudra être avec lui. S’il bouge et est rapidement étouffé par les autres : je suis les autres.
Cet animal de réseau est un lâche. Il ne voit rien, n’entend rien, ne parle jamais sinon pour dire ce qu’on lui demande de dire. Les compromissions sont partout parce que les réseaux sont partout. Et si les mauvaises pratiques sont partout, c’est que tout le monde se tait. La mafia.
L’administration, l’informatique sont formelles : elles gardent des traces. J’ai connu une avocate qui refusait d’échanger à l’écrit parce que c’était trop long, c’était surtout qu’elle me disait n’importe quoi. J’ai connu des assureurs qui faisaient pareil. En entreprise, c’est pareil.
On préfère toujours « l’informel ». Parce que c’est plus humain, plus direct, plus sympa. Bien sûr… C’est surtout qu’entre quatre yeux, on peut se dire des choses sur le ton de la convivialité, de la confidence que l’on n’écrirait pas. « Ça reste entre nous. » La mafia.
Toujours, dans notre culture, c’est une vertu. Qui ne se sent pas flatté d’appartenir à un réseau, à une famille ? Après tout, ça aide à l’avancement. Et en cas de problèmes, le réseau, toujours, pourra être activé. Il faut bien aider les copains. Ou la famille.
Si les « claques » sont « éducatives » pour notre Premier ministre, ancien ministre de l’Éducation, s’entraider quand on a fait une merde ou quand on veut en aider un autre, c’est une vertu. Personne ne veut être la balance, le remueur de merde, le mouton noir.
Alors, pendant que notre lâcheté transpire dans nos veines, les problèmes s’accumulent. Tapis. On ne fait jamais ce que l’on devrait faire. On pointe du doigt les moutons noirs et on lance les victimes à leur solitude. On sera toujours sauvés par ça : il n’y a pas de réseau de victimes, là.
À entendre Bayrou accabler les autres quand lui a tout fait parfaitement, ou a oublié, on a l’impression de suivre une rhétorique trumpienne. Tout n’est que confusion, approximations, dérobades, contre-attaques, irritation. La réalité n’a même plus à être crédible.
Il faut la noyer. Vous pouvez dire un mensonge, si vous êtes pris, vous êtes foutu. Vous pouvez dire mille mensonges, vous ne serez jamais pris, il y en a tellement partout qu’ils ne dessinent pas une incohérence, mais un chaos qui brouille tout jusqu’au réel.
Comment voulez-vous prendre Bayrou en flagrant délit de mensonge quand entre deux éléments ou plus, ils peuvent ne pas être compatibles, et vous ne pouvez même pas dégager des deux celui qui est réel puisque les deux sont probablement des mensonges ?
Quand on apprend que des rapports d’inspection ne correspondent pas à ce que pensaient avoir établi les inspecteurs, qui a trafiqué les données formelles, donc écrites, pour édulcorer voire trahir leur travail ? Et comment est-ce possible ?…
Parce que c’est factuel de savoir que les établissements privés ne sont jamais inspectés, c’en est une autre de diligenter une inspection et de voir que les conclusions trahissent le reste du rapport, de voir des documents qui devraient être signés, mais qui ne le sont pas…
Est-ce que l’on a fermé les yeux ? Est-ce qu’il y a eu des pressions ? Est-ce que c’est du vent et que l’on produit des documents à partir d’inspections bâclées, histoire de dire que l’on a agi, mais que l’on s’est bien gardé de donner les moyens de faire les choses…
« De manière informelle, hein… J’ai besoin de montrer que j’ai fait quelque chose. Tu fais ça, ça, et ça. Et on sera tranquilles. » Voilà ce que l’on imagine quand on voit autant de manquements. « Moi ? Mais j’ai suivi les ordres. » J’ai œuvré pour la préservation de nos intérêts communs.
C’est la mafia. On produit des tas de documents. On s’agite pour préserver les apparences, sauver untel ou untel égratigné par de méchantes victimes qui sont sorties du cadre et que l’un d’entre nous, semble-t-il, n’a pas assez bercé de « claques éducatives ». Des claques de bon père de famille.
Il n’y a rien à attendre d’une telle commission. Le rapport sera accablant. Des manquements graves seront notifiés. Des avis pour améliorer la situation seront donnés. Que feront les « réseaux » en réponse ? Ils s’adapteront.
Parce que ce ne sont pas les établissements scolaires ou les politiques qui agissent ainsi en « réseaux », c’est la société toute entière. Entre voisins, entre frères, entre copains, entre élèves de la même promotion, entre partisan du même clan, entre collègues…
Chacun se rend des services, chacun aura un jour ou l’autre besoin de tel ou tel chaînon de ce réseau. C’est toute la culture de réseau qu’il faut abattre pour changer les choses. Que chacun se questionne sur ses propres rapports à « l’informel ». À ce que l’on est capable d’accepter, d’entendre, d’attendre pour soi ou pour les autres dans le cadre de petits services rendus ou donnés entre amis ou d’une même « mafia ».
Et si vous pensez que votre réseau vous sert ou que vous devez le servir, c’est que vous êtes déjà coupable.
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