La francheese : hygiène du basketteur français

La fameuse routine au lancer franc de la basketteuse française Maria Dupoint

Qu’est-ce que la francheese ? L’art, l’hygiène de vie à la française consacrant le lancer franc. Au royaume des fromages qui puent, rien n’est plus honteux de livrer en match une performance dans laquelle l’adresse au lancer franc est inférieure à 75 %.

« L’équipe a tiré à 73 % aux lancers ! Quelle honte nationale ! Ça pue ! »

Car le lancer franc mérite bien son nom. En France, le lancer franc est roi. Il préside la vie de chaque basketteur qui le vit comme une religion. Aucun athlète de la balle orange en France ne saurait se dire être étranger à la francheese. Tout le monde se revendique « francheese player ».

Partout sur la planète, on entend des phrases de basketteurs telles que « et toi, à quel âge as-tu dunké pour la première fois ? ». En France, vous entendrez plus volontiers des termes inconnus de non-initiés : « franciscaine », « souiche lorraine », « cuillère d’argent »… Ces termes sont liés à la culture en France du lancer franc.

Comment la francheese se traduit-elle dans la vie de tous les jours d’un basketteur ?

Eh bien, cela se remarque dès les premiers jours de la vie d’un futur basketteur. Certains rites sont indispensables à la pratique. Chaque novice est invité, avant même d’être autorisé à faire rebondir la balle au sol, à se placer sur la ligne des lancers francs et à tirer. Faut-il arriver à mettre un tir ? Bien sûr. Mais pas un seul. Cinq de suite ! Même dès le plus jeune âge, les joueurs ne sont donc pas autorisés à faire autre chose s’ils n’ont pas réussi ce prérequis.

Il faut parfois des semaines avant que les plus jeunes arrivent à rentrer ces cinq lancers francs. Nous voyons alors souvent ces jeunes dribbler dans la rue, mais dans un gymnase, sur un court, un parquet, c’est une obligation. Certains joueurs se rappellent des années après avoir passé des jours sans pouvoir faire autre chose que tirer des lancers francs. Mais tous expliquent que ces échecs ont eu l’avantage de guider leur routine future. Au basket-ball, tout commence et tout finit avec des lancers francs.

Par la suite, ce genre de défis se multiplie. Un autre rituel consiste à commencer un entraînement par ce que les joueurs appellent une « franciscaine ». Les acteurs ont leur « italienne » qui consiste à répéter rapidement leur texte. Les pianistes travaillent leurs « gammes ». Les basketteurs en France ont leur « franciscaine ». Que répètent-ils ? Eh bien, toujours une série de cinq lancers francs. Facile ? Pas forcément. Car à la réussite des lancers s’ajoute une autre condition : le ballon ne doit jamais toucher le cercle. Seuls comptent les lancers qui font « souiche ».

Une variante de ce rituel consiste d’ailleurs à inscrire de la même manière dix lancers de suite. Et cette variante est alors appelée la « souiche lorraine ».

Beaucoup de touristes passant à proximité d’un entraînement se sont parfois demandé à quoi correspondaient ces expressions. « Franciscaine » et « souiche lorraine ». « Viens, on fait une franciscaine ou une souiche lorraine ? » Le mystère est levé. Au pays de la francheese, le lancer franc est roi.

D’autres rituels encore sont plus surprenants. Dans d’autres pays, d’autres cultures de basket, on apprend aux lanceurs à adopter des rituels et des routines de tir identiques. C’est souvent la critique qui est faite aux francheese players. « Vous devez vous ennuyer à tirer tous ces lancers francs ! » Eh bien, non. Le fait d’avoir appris très tôt à se placer sur la ligne et s’être lancé des défis autour de ce geste unique a développé toute une culture de la variation du lancer franc. Les éducateurs pensent dans les autres pays que pour acquérir une bonne adresse au lancer franc, cela passe par la répétition. C’est parfaitement exact. Mais cela n’implique pas forcément de devoir passer toujours par le même geste. En France, le lancer franc est aussi perçu comme un jeu et comme un terrain d’exploration. Si votre routine n’est pas bonne, vous aurez du mal à la modifier quand un spécialiste du tir vous expliquera comment tirer au mieux. Si votre routine conditionne votre réussite, vous en êtes esclaves. Le lancer franc, c’est comme un ou une amoureuse que l’on caresse. Le « cheezer » s’amuse avec tendresse. Rien ne sert de lancer, il faut que le « baiseur biteur » marque le point.

Il n’est donc pas rare de voir des lanceurs être capables de varier les routines lors de leurs franciscaines ou de leurs souiches lorraines. Et une manière, jugée parfois étonnante, voire déshonorante à l’extérieur de l’hexagone, consiste à réussir un lancer franc en tirant sur la planche.

Une autre est de tirer à la cuillère.

Ce dernier geste d’ailleurs est devenu une spécialité française. Mais cette fois, il est pratiqué en pénétration, parfois même à mi-distance. Le geste surprend parfois parce que l’on pourrait considérer que partant de bas, le ballon a de fortes chances d’être contré. Rien n’est moins vrai. Car l’idée est de surprendre les défenseurs : sans préparation, sans avoir besoin de lever le ballon, les défenseurs n’ont pas le temps de réagir. Certains joueurs français sont passés maîtres dans cet art. Quand vous entamez un double-pas, vous ne pouvez plus vous arrêter, et vous avez moins d’une seconde pour finir votre geste. Cela laisse le temps aux adversaires de vous contrer. Une fois déclenché, vous ne pouvez plus revenir en arrière, ni même feinter, et il vous sera difficile de passer la balle dans de bonnes conditions. À la cuillère, en revanche, au milieu d’un dribble, la seule indication que vous donnez à votre défenseur, c’est quand vous passez votre main sous le ballon. Mais en une fraction de seconde, vous pouvez tout autant faire une passe à une main ou tirer à la cuillère. Et si vous pensez que l’adresse ne doit pas être fameuse… Revoyez votre copie. Certains joueurs sont passés maîtres dans ce geste : et à mi-distance, on parle alors même de « cuillères d’argent ».

Un joueur français fameux a même réussi un premier tir à la cuillère en finale des JO avant d’en faire son gotoumouve. Ce jour de finale, les commentateurs avaient qualifié ce tir de « fauze-burie ».

Certains joueurs se crispent dès qu’ils doivent prendre leurs marques sur la ligne des lancers francs. Poser ses pieds derrière la ligne, toujours au même endroit, en suivant toujours le même geste, peut devenir un supplice. Si un exercice devient un supplice, c’est que vous n’y prenez pas du plaisir. Si vous n’y prenez pas du plaisir, vous devez changer votre routine et innover. Mais les jeunes francheese players ont rarement ce problème : très tôt, ils ont appris à se déjouer du piège des routines négatives. La variation des routines permet justement d’écarter celles dans lesquelles vous n’êtes pas à l’aise.

Voilà comment l’art du lancer franc s’est imposé en France et comment le moindre basketteur s’impose une hygiène de vie tournant autour de ce geste afin de le rendre ludique et efficace. Je n’ai pas mentionné d’autres jeux, défis et rituels, car ils sont nombreux. Je vous invite, si cette pratique vous est encore inconnue, à vous rendre partout où s’exerce ce sport : différentes cultures et usages se sont implantés autour du lancer franc. Parfois surprenants. Et n’hésitez pas vous-même à créer vos propres défis. Après tout, si vous me lisez, c’est que vous êtes Français. Et si vous êtes Français, vous avez déjà la « francheese mentalitie » qui coule de vos poignets. Alors à vos spots ! Enfilez les franciscaines ! Et louez les valeurs de la francheese.


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