Le Démon de la chair, Edgar G. Ulmer (1946)

Les Dix Petits Amants

Note : 2.5 sur 5.

Le Démon de la chair

Titre original : The Strange Woman

Année : 1946

Réalisation : Edgar G. Ulmer

Avec : Hedy Lamarr, George Sanders, Louis Hayward, Hillary Brooke, Gene Lockhart

Film pénible à voir. Mettez-moi un personnage antipathique entre les pattes, et cela en devient un supplice. Celui-ci est une sorte de mélange monstrueux entre les personnages de vipère souvent attribués à Bette Davis, le personnage de Scarlett dans Autant en emporte le vent (sans le charme et l’insouciance qui vont avec), et celui de Jennifer Jones dans La Furie du désir. Voir une femme volontaire, ambitieuse, c’est bien, sauf qu’on n’est pas à l’époque de Baby Face : le « code » tire tellement sur la corde pour accabler le personnage qu’il en devient un psychopathe. Les femmes fatales s’en tirent toujours mieux quand on en fait des sphinx fantomatiques, c’est pourquoi les films noirs les utilisent si bien. Dès lors qu’on en fait des personnages principaux, et qu’on cherche à les accabler, ça ne marche plus.

Le récit souffre également d’une construction étrange. Les enjeux (l’ambition dévorante du personnage féminin, manifestement) sont mal exposés parce que le personnage d’Hedy Lamarr ne se confie en réalité jamais à aucun des hommes qu’elle séduit : ce n’est pas au moment des dénouements ou des révélations ponctuelles ou des conflits qu’on doit lâcher ces informations. Et les hommes, ou proies de cette psychopathe se succèdent les uns après les autres, ce qui n’aide pas le récit à trouver sa cohérence.

C’est original au fond : une sorte d’amorce de Dix Petits Nègres avec moitié moins d’amants se succédant les un les autres. L’impression surtout de voir un long film essentiellement misogyne en fait, avec en filigrane le message suivant : « Demoiselles, voilà le type de femme que vous ne devez surtout pas devenir. » Ce n’est pas le tout de donner des premiers rôles à des femmes, encore faut-il y présenter une image positive de la femme. Ici, on serait plutôt dans le cliché du personnage féminin calculateur, matérialiste, et forcément réservé à des femmes issues du milieu populaire, élevées par des pères alcooliques… On pourrait comparer le personnage à celui de La Femme de Seisaku. On reproche à l’une sa grande beauté, et on la suspecte des intentions portées par le personnage de l’autre film… On comprend facilement dans le film japonais le sens tragique d’être accusée à tort par une population jalouse de votre beauté, et dans l’autre, la facilité de pointer du doigt un type de femme (libre) qu’en réalité personne n’accuse, sauf peut-être les hommes qui en ont peur (les saints sont aveugles, les hommes, toujours victimes), quand tout pourtant les accable. La différence entre la tragédie et le mélodrame en somme (on frôle le grand-guignol, même si on s’épargne au moins le mauvais goût — quoique, la fin inéluctable du personnage malfaisant n’est pas loin d’être ridiculement outrancière).


Le Démon de la chair, Edgar G. Ulmer 1946 The Strange Woman | Hunt Stromberg Productions, Mars Film Corporation


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Illusions perdues, Xavier Giannoli (2021)

Illusions perdues

Note : 3.5 sur 5.

Illusions perdues

Année : 2021

Réalisation : Xavier Giannoli

Avec : Benjamin Voisin, Gérard Depardieu, Jeanne Balibar, Xavier Dolan, Vincent Lacoste, André Marcon, Louis-Do de Lencquesaing, Jean-François Stévenin

Une réplique résume assez bien le film, celle où Lucien fait la critique du roman de Nathan qu’il n’a pas lu en prétendant qu’il manque de mystère et que si certaines choses doivent être dites dans un roman, il faut également que d’autres soient tues. Cela s’appliquerait tout autant au cinéma, et en particulier à ce film, parce qu’en plus du défi, déjà difficile de l’adaptation, Xavier Giannoli se devait d’en relever un autre pour ne pas décevoir : ainsi, si son film dispose par ailleurs de beaucoup de qualités, liées en partie à la production et à l’adaptation, on peut lui reprocher d’être bien trop démonstratif dans son exécution en particulier dans sa direction d’acteurs.

Commençons par les réussites du film. Réputée pour être impossible, l’adaptation, en se concentrant manifestement sur le second volet du roman et sa partie parisienne, en supprimant une bonne part des personnages (la sœur de Lucien n’apparaît que comme destinataire de ses lettres, le Cénacle a totalement disparu) ou en en réunissant d’autres (le personnage de Nathan semble être la réunion de deux personnages) arrive à être convaincante et à trouver sa propre unité. Le cinéaste semble avoir aussi forcé la correspondance entre la situation politique et journalistique de l’époque de la Restauration avec la nôtre. Je ne pourrais dire jusqu’à quel point le trait est forcé, et si cela était vraiment nécessaire, en tout cas la correspondance est parlante : la critique cinglante du journalisme faite par Balzac (et qui lui était semble-t-il reprochée) est encore d’actualité (même si la question des fausses nouvelles a plus rapport aujourd’hui avec le développement des réseaux sociaux, mais est-ce que la multiplication des canards de l’époque rendue possible par de nouvelles techniques d’imprimerie n’était-ce pas déjà d’une certaine manière une forme de réseau social avec leur manque de contrôle ?…).

Les trouvailles scénaristiques du cinéaste pour adapter le roman d’ailleurs (si tant est que je puisse les identifier), en particulier celle impliquant la nature du personnage joué par Xavier Dolan sont parfaitement trouvées (même si pour le coup, on est totalement dans le démonstratif, la trouvaille permettant d’articuler le récit comme un véritable film ancré dans son époque — avec tous ses petits trucs, ses modes, pour le meilleur et pour le pire — au lieu de se contenter de n’en proposer qu’une adaptation, sans doute plus fidèle). Bref, adapter, comme traduire, c’est trahir, et ça, Xavier Giannoli semble avoir réussi ce difficile défi.

La reconstitution, ensuite, est parfaite. Le travail sur le décor, sur les accessoires, les figurants, tout ce qui est en rapport dans un film à la production et à la scénographie (comme on dit au théâtre ou dans certains pays), tout ce qui est en rapport cette fois avec le découpage technique, le montage, la lumière, etc., tout ça est remarquable et donne au film une densité rare dans le cinéma français.

Une fois qu’on en est là, on a fait une grosse part du travail, et on peut être sûr que le public aura au moins matière à voir et qu’il en aura pour son argent. Reste alors l’essentiel une fois qu’on a répondu à tout ce cahier des charges des grosses productions historiques : la petite note de talent et de savoir-faire qui fait qu’un film se distinguera des autres. Ce qui peut faire basculer un film, c’est presque toujours sa mise en scène. Et cela semble être au-dessus des capacités de Xavier Giannoli. Les mêmes défauts se retrouvent d’ailleurs toujours dans ce genre de productions : quand il est question de rythme, de montée d’intensité, de pesanteur poétique ou lyrique, de frénésie ou de folie, d’urgence… ou de direction d’acteurs, car tout cela doit passer au final par les acteurs, il n’y a guère plus personne pour être capable d’assurer cela.

Comme disait l’autre, une bonne part de la direction d’acteurs consiste en la réussite de la distribution. Pour ce qui est des seconds rôles, rien à dire, c’est du haut niveau : Gérard Depardieu, Jeanne Balibar, Xavier Dolan, Vincent Lacoste, André Marcon, Louis-Do de Lencquesaing, Jean-François Stévenin… Ce n’est pas du lourd que sur le papier, chacun semble être idéal dans leur rôle respectif, et même si la direction d’acteur semble être parfois perfectible à leur niveau (des petites fausses notes de justesse que le réalisateur laisse passer), ils assurent, grâce à leur seul talent, le gros du travail de mise en situation et d’ambiance. Les dialogues auraient eu besoin d’être parfois mieux ciselés (quelques « n’est-ce pas » ou des prénoms en fin de phrase inutiles et affreusement mal rendus par exemple), mais sans eux, sans leur justesse globale, parfois sans leur folie, sans leurs audaces, sans leur style (souvent caractéristique, bien personnel, à la limite de l’incongruité et de l’anachronisme pour certains, mais c’est un atout même dans un film historique), on s’ennuierait bien vite.

Là où ça pêche bien plus, c’est que pour faire face à une telle distribution, il faut un acteur pour jouer le premier rôle capable d’endosser le costume et d’assurer la comparaison. Benjamin Voisin ne concourt malheureusement pas dans la même catégorie que ses collègues. Quand je disais que le film était démonstratif, sans mystère, ces défauts majeurs appliqués au film pourraient autant être, ou surtout, imputable, à son acteur principal. Sa composition est rarement convaincante. Rien n’est joué dans la nuance, tout est restitué au premier degré, fait pour être vu et apprécié, saisi, par le spectateur (et par conséquent, rien ne lui est laissé, au spectateur, à sa seule interprétation) ; tout est ainsi forcé, explicité, surjoué, surnoté… L’acteur n’est pas mauvais, mais il n’a pas la force de caractère, le style, l’audace, la précision, la spontanéité, la maîtrise aussi, de l’ensemble de ses partenaires. C’est d’ailleurs un des plus grands écueils auquel doit faire face un acteur dans sa composition : réussir à manier contrôle de soi (sans lequel il n’y a pas de précision, pas d’autorité, pas de maintien ou de tenue) et spontanéité ou justesse… Quand on cherche l’un, on perd souvent de l’autre ; et quand on est en recherche de l’un (de la maîtrise, donc), c’est par définition qu’on n’en dispose pas naturellement… (ce qui interdit forcément à la fois l’aisance, la spontanéité et l’audace). Même avec leurs défauts (leur âge plus avancé surtout), j’aurais préféré voir ce qu’aurait donné Xavier Dolan ou Vincent Lacoste dans le rôle de Lucien. Et malheureusement, si tous ces acteurs magnifiques aident Benjamin Voisin, le plus souvent, à garder le rythme ou à créer une situation lors de leurs face-à-face, quand il est seul ou, pire, accompagné d’une actrice, pour le coup, là, sans talent, tenant le rôle de Coralie, plus rien ne va : il ne peut plus seulement être en réaction (ce qu’un acteur moyen peut encore se contenter de faire face à de meilleurs acteurs que lui), il doit être moteur de l’action, donner le ton, attiser la tension, susciter le mystère, l’intérêt, proposer des nuances complexes et contradictoires, le tout subtilement, sans forcer… Et le problème aussi surtout, c’est probablement qu’il n’est pas beaucoup aidé par le cinéaste : la nuance, le sous-texte, c’est ce qu’un acteur joue en permanence et à tous les niveaux (c’est précisément ce qui n’est pas être « joué au premier degré »), or un mauvais directeur d’acteurs demandera à un acteur moyen d’ajouter de la nuance dans les pauses ou à l’ultime seconde du dernier plan d’une séquence… (Je vois d’ici la scène : « Tiens, là, quand Cécile de France quitte la pièce et te laisse face caméra, au lieu de jouer l’émotion, joue la défiance ! Ça mettra un peu de nuance et ajoutera de la complexité au personnage ! ») Ben, non. Quand on parle de sous-texte, c’est du texte qui s’ajoute au texte des dialogues, « sous », ou « par-dessus », pendant, et cela, à travers le regard, la posture, l’attitude, l’intonation, l’action (souvent anodine dans ce registre), ce n’est pas du « après texte ». La nuance, c’est une couleur générale qui se trouve à chaque seconde, par composition comme dans une pièce musicale, pas par petites notes (de bas de page ou de fin de séquence) successives et épisodiques. Et souvent cette nuance, elle est apportée par l’acteur à travers ses audaces, ses propositions, ses ratés aussi parfois (l’avantage du cinéma par rapport au théâtre où on ne dispose pas d’une autre prise) ; mais rien de cela n’est possible évidemment à la fois si l’acteur n’a pas le talent suffisant pour proposer, ou oser, certaines de ces audaces, et à la fois si le directeur d’acteurs ne lui en laisse pas l’occasion, ne le met pas dans les conditions pour favoriser ces prises de liberté, ou ne tend pas lui-même vers des dispositifs permettant à un acteur de trouver l’aisance nécessaire à l’émergence de ces propositions. Sans cela, aucune spontanéité ou justesse n’est d’ailleurs possible.

On pourrait penser que la performance d’un acteur principal n’est qu’un détail dans un film, je pense au contraire que c’est à lui de donner le ton, que c’est à lui d’assurer l’efficacité d’un des principes fondateurs du spectacle qui est celui de croire en ce qu’on voit : quand on voit un acteur qui se cherche, quand on voit un acteur qui joue plutôt qu’un personnage dans une situation, c’est que ce pari-là est perdu. Un détail résume cette cassure et ce lien interrompu entre le spectateur et le récit : quand la situation réclame qu’un acteur se lance dans de grands éclats de rire et qu’on ne voit qu’une chose, un acteur qui se force à rire, le charme est irrémédiablement rompu, on ne peut y croire. Ce n’est pas qu’un détail.

Ces gros défauts de mise en scène apparaissent le plus souvent donc quand Lucien apparaît seul à l’écran ou est accompagné de Coralie, et c’est d’autant plus difficile à jouer pour Benjamin Voisin, qui ne profite pas alors de l’élan apporté par les autres acteurs, que Xavier Giannoli le met en scène à ce moment-là dans des montages-séquences (il n’est pas forcément seul dans l’espace, mais seul à l’écran ou le centre de l’attention). Comment voulez-vous jouer une situation quand vous n’apparaissez à l’écran que dans un plan de quelques secondes ? Ce sont des tableaux successifs que propose ici le cinéaste, et m’est avis que la meilleure chose à dire un acteur à ce moment-là est d’en faire le moins possible. Ce n’est, semble-t-il, pas ce qu’a choisi de dire Xavier Giannoli à son acteur. Et même quand le cinéaste choisit de ralentir volontairement le rythme, comme quand lors d’un plan faisant peut-être référence à Stanley Kubrick, c’est bien lui, le cinéaste, qui ne trouve pas le ton juste (son travelling arrière est intéressant, mais il s’intègre assez mal à la séquence — voire à la musique — qui précède, et le rythme qu’il instaure à la scène est bancal : un baiser sur le front, un personnage qui passe hors cadre pour ne laisser que le personnage principal à l’écran…, on voit l’idée, mais ça ne marche tout simplement pas, le genre de séquence que Kubrick aurait reproduit cent fois pour trouver le bon rythme, le geste juste). Ce n’est donc pas qu’une question de distribution, il manque ce petit quelque chose à Xavier Giannoli pour arriver ici à élever son film.

Mais ne gâtons pas notre plaisir, on ne peut pas demander à tous les films d’être de grands films, et une adaptation réussie, c’est assez rare pour être apprécié à sa juste, juste, valeur. En attendant, j’irai revoir Les Frères Karamazov de Richard Brooks pour me rappeler à quoi peut ressembler une adaptation tenant du chef-d’œuvre (et avant que son génial et improbable interprète, William Shatner… ne s’envole chatouiller les nouvelles frontières de l’infini).

 


 
Illusions perdues, Xavier Giannoli 2021 | Curiosa Films, Gaumont, France 3 Cinéma

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Little Women, Greta Gerwig (2019)

Note : 2.5 sur 5.

Les Filles du docteur March

Titre original : Little Women

Année : 2019

Réalisation : Greta Gerwig

Avec : Saoirse Ronan, Emma Watson, Florence Pugh, Laura Dern, Timothée Chalamet, Louis Garrel, Meryl Streep

Seule la fin me paraît plutôt réussie. Tout ce qui précède, sans surprise, reste décevant. Comme si Greta Gerwig ne proposait pendant deux heures qu’une suite de tonalités propres aux dénouements, avec ses séquences rythmées par des montages-séquences, sa musique ronflante. Résultat : un récit décousu avec cette impression permanente (et une vilaine manie des productions hollywoodiennes même quand elles sont destinées à un public censé être plus exigeant) d’être pris par la main pour nous tirer les larmes des yeux, et cette longue attente vite étouffée parce qu’elle ne viendra jamais d’une introduction digne de ce nom capable de nous exposer comme il le faut personnages et enjeux retrouvés tout au long…

Little Women, Greta Gerwig (2019) | Columbia Pictures, New Regency Pictures

Cet assemblage grossier sans queue ni tête pose un vrai problème narratif, surtout quand vient se greffer à ce château de cartes déjà bien fragile des flashbacks où ne finit plus que par dominer des séquences choisies pour leur potentiel dramatique exclusif. Quand on raconte une histoire, le sens général importe beaucoup plus que l’intérêt particulier des séquences qui la composent. À ce petit jeu d’échelle dramatique, on s’écarte des séquences mettant en évidence des informations essentielles à la compréhension d’une histoire pour se focaliser sur des situations. Une information, c’est froid, sans saveur, pourtant, s’il s’agit de bien mettre en évidence les ressorts d’une histoire, on ne peut y échapper ; tandis qu’une situation, ç’a quelque chose de rassurant (à tort) parce qu’on se dit qu’il y a quelque chose, là, qui se passe d’important. C’est un défaut qu’on pourrait malheureusement reprocher à beaucoup d’acteurs américains d’inspiration stanislavkienne passés à la réalisation. Chez les acteurs qui cherchent à donner un sens à chacun des mots prononcés, on dit au théâtre qu’ils « jouent les mots », cela pour dire qu’ils privilégient le détail sur le sens général. Il en va un peu de même des raconteurs d’histoires qui se perdent en route à vouloir donner un sens dramatique à chacune des séquences de leur film au détriment du sens général.

Cette idée de flashbacks d’ailleurs ne trouve son sens, et toujours, qu’à la fin, pour mettre un parallèle intéressant, mais le reste du film, le procédé ne sert qu’à brouiller un peu plus la structure et la définition des enjeux de tout ce petit monde (et ce n’est pas faute d’ignorer l’histoire, j’ai dû voir trois ou quatre versions différentes des Quatre Filles du docteur March).

Autre problème, le rythme frénétique qu’impose Greta Gerwig à ses acteurs et à son monteur : c’est réalisé comme un film d’action ou une bande-annonce, on ne voit rien, on n’a pas le temps de recevoir, on a à peine le temps de voir les cinquante émotions délivrées par les acteurs en un rien de temps. La situation est au cœur du dispositif, toujours.

J’imagine bien Gerwig efficace pour des films mettant en scène des périodes contemporaines, mais pour les reconstitutions, elle se plante autant qu’un Spielberg a pu le faire durant ses diverses tentatives de films en costumes. C’est peut-être d’ailleurs ce qui semble tant plaire dans sa manière de filmer et qui explique les nominations du film dans les récompenses hivernales. Parce que c’est vrai que c’est vivant… Sauf que, là encore, si pour certains personnages, ça peut se concevoir, imprégner son film d’autant d’émotions, c’est assez peu conforme aux usages suivis dans les rapports sociaux au XIXᵉ siècle, et plus la marque d’une société américaine actuelle dans laquelle il est bien vu, voire encouragé, d’affirmer et de partager ses sentiments. C’est paradoxal de mettre en lumière ce qu’il y a de plus moderne, d’émancipé pour les femmes… de cette époque, tout en éclipsant la nature d’une société par ailleurs, et au contraire, très rigide, pleine de codes, que tous les personnages mis en scène ici par Greta Gerwig semblent ignorer. Les rapports entre amoureux, par exemple, ne peuvent se montrer comme des rapports amoureux du XXIᵉ siècle, même si on peut supposer que cette modernité dans les rapports amoureux (mais tout aussi amicaux) entre individus de sexe opposé est une volonté de la réalisatrice. Non seulement ça concourt à donner au film une forme de vivacité parfois insupportable, forcée, mais du coup, on comprend moins la force pour une femme que ça pouvait être que de se mettre ainsi volontairement à l’écart des règles de la bienséance et des mariages entendus. Ce qui est parlant, c’est le contraste. Si on lisse, normalise et démocratise pour ainsi dire tous les rapports entre les personnages indifféremment de leur sexe, de leur âge, de leur position ou de leur classe, on ne comprend plus rien des enjeux de l’époque exposée.


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Les Amants de Tolède, Henri Decoin (1953)

Note : 1.5 sur 5.

Les Amants de Tolède

Année : 1953

Réalisation :  Henri Decoin 

Avec : Alida Valli, Pedro Armendáriz, Françoise Arnoul

De bons dialogues, mais une intrigue rocambolesque servie par une direction d’acteurs épouvantable (le casting pléthorique et la post-synchro n’aident pas).

Decoin se défend dans son découpage technique, les extérieurs sont bons, et petite consolation dans la distribution, Françoise Arnoul, dans son rôle de Sancha… Panzo, est pleine de vigueur (vigueur dont le film manque cruellement par ailleurs).

Le film est sans rythme. D’abord parce que le héros disparaît une bonne partie de l’intrigue et laisse tout l’espace laissé vacant à son opposant, qui malgré une tendance sur le tard à vouloir faire le bien pour contenter sa belle, est trop antipathique, trop cruel, et incarné par un acteur à la fois trop fade et outrancier pour arriver à nous faire oublier l’absence du principal héros. Le principal héros, qui est, par ailleurs, le principal boulet du film : un acteur trop vieux, sans charisme et jouant sans panache les rebelles. À ses côtés, Alida Valli est comme à son habitude sans intérêt. Image parfaite de la femme sans volonté soumise aux événements et au destin qui ne manque jamais de l’accabler (quand Roger Gicquel pleurait, petit, c’était toujours en venant s’écraser aux pieds d’Alida Valli). Pas moyen non plus de zieuter du côté de sa toilette : les costumes sont épouvantables (mal fichus comme des costumes de théâtre apprêtés pour d’autres, et incapables ici de masquer le manque de poitrine de l’actrice — pour porter un corset, il faut du volume, si on n’a pas de poitrine, la dernière chose à faire est de tricher et de souligner ce manque de poitrine par des bonnets vides…).

Le film est souvent risible. À se demander si les astuces du roman de Stendhal ne le rendent pas tout aussi risible. L’histoire de la malle est par exemple bien idiote et mélodramatique. Le film, s’il souffre par ailleurs (en plus du manque de rythme qui est pas mal lié à la direction d’acteurs qui oublie qu’on a affaire à un film de cape et d’épées où l’urgence doit régner en maître) d’un manque constant de rythme, c’est aussi parce que la musique ne joue jamais son rôle narratif comme il le fait la plupart du temps dans un récit du cinéma classique. Les ellipses tombent à l’eau, les transitions musicales sont inexistantes, et les musiques d’accompagnement glisse parfois dans l’atmosphère en contrepoint avec la situation jouée à l’écran (musique d’ascenseur pour une scène tendue).

Un désastre.


Les Amants de Tolède, Henri Decoin 1 953 | Films EGE, Lux Film, Atenea Films 

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Bubù, Mauro Bolognini (1971)

Bubù (de Montparnasse)

Note : 3 sur 5.

Bubù

Année : 1971

Réalisation : Mauro Bolognini

Avec : Massimo Ranieri, Ottavia Piccolo, Antonio Falsi

La même histoire souvent avec Bolognini : c’est beau, techniquement accompli, mais un choix de sujet et de direction des acteurs assez déconcertants. Tout est à l’image de ses musiques de film d’ailleurs : d’une qualité honnête, mais jamais sans grand génie, un peu fade, et pas toujours utilisées à propos.

Concernant ce Bubù, j’avoue ne pas bien comprendre le mélange entre le Paris de la Belle Époque et celui manifestement de Turin. Apparemment à court de budget, il aurait resitué son sujet dans le nord de l’Italie, mais la moindre des choses aurait été de changer les répliques prévues évoquant un contexte parisien. D’autant plus qu’avec la postsynchronisation, ça ne devait pas être si compliqué à faire.

Pour en revenir à la direction d’acteurs, ce qui m’échappe, c’est que le cinéaste ne se révèle pas si mauvais à les situer dans l’espace, les cadrer, les faire bouger, mais dès qu’il est question de faire des choix d’interprétation, je ne suis plus. On n’en arrive pas au même point que L’Héritage, mais on troque l’antipathie des personnages pour l’apathie : il peut arriver n’importe quoi à notre petite Berta (en dehors d’un drame assez prévisible lié à ses pratiques sexuelles, il ne lui arrive pas grand-chose), ça nous fait ni chaud ni froid.

(On remarquera la grande créativité des affichistes : à cinq ans d’intervalle, on retrouve la même affiche que pour L’Héritage. Ce qui résume d’ailleurs assez bien le cinéma de Bolognini des années 70.)

De rares grands films chez Bolognini. Le plus souvent, la qualité est assurée par une distribution heureuse… Pas vraiment flatteur pour lui.


Le Grand Attentat, Anthony Mann (1951)

Note : 3.5 sur 5.

Le Grand Attentat

Titre original : The Tall Target

Année : 1951

Réalisation : Anthony Mann

Avec : Dick Powell, Paula Raymond, Adolphe Menjou

Un joli polar méconnu de Mann à ranger dans les films à suspense se déroulant dans un train avec un coupable à dénicher parmi les passagers et… une sorte de bombe à désamorcer ou de course contre la montre (déjouer en fait l’assassinat de Lincoln lors de son investiture annoncée à Baltimore).

On est entre Speed et Le Crime de l’Orient-Express avec une touche de The Narrow Margin. C’est parfois un peu naïf dans sa morale (il faut sauver Lincoln parce que c’est vraiment un type bien, du genre à vous tenir la porte, si, si), des rebondissements que même moi je les vois signalés à des kilomètres par le chef de gare.

Le seul hic du film vient du manque de charisme évident de l’ancien benêt des comédies musicales, Dick Powell, tenant ici le rôle principal. Un freluquet pour jouer un dur, rusé et sage. On sent qu’il a appris sa leçon, il copie comme il faut les petits gestes des meilleurs acteurs qui en imposent, mais dès qu’il prend un air sérieux, investi, pénétré, autrement dit tout le temps, on sent qu’il force sa nature et on rêve de voir un vrai acteur qui en impose, naturellement, à sa place.

Un qui n’a pas à forcer sa nature, c’est Adolphe Menjou, qui trouve ici un rôle de salaud conspirateur à la hauteur de sa jolie carrière de fasciste : il est parfait. (Comme quoi, ce n’est pas toujours les types biens qui ont le plus de talent.) (Sinon Lincoln en aurait été un, d’acteur, et il n’aurait pas été assassiné par un autre… acteur.)


 


 

 

 

 

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IMDb

 


Tabou, Nagisa Ôshima (1999)

Cerise sur gohatto

Note : 4 sur 5.

Tabou

Titre original : Gohatto

Année : 1999

Réalisation : Nagisa Ôshima

Avec : Takeshi Kitano, Ryûhei Matsuda, Shinji Takeda

Oshima souffle toujours le chaud et le froid, et c’est parfois difficile d’entrer dans ses aventures ouvertement subversives. Ça peut lasser, agacer, et paraître en tout cas toujours un peu forcé.

Je resterai pour celui-ci pas trop exigeant, car ses défauts sont nombreux, mais malgré tout, je lui trouve un certain charme, voire une retenue bien vue dans son audace. Parce que c’est bien au moins là-dessus que Oshima m’a surpris. Il ose un thème (celui de l’homosexualité au sein d’une milice armée au cours du XIXᵉ siècle), mais il arrive à adopter la bonne distance qui lui permet de ne pas trop en faire afin d’éviter le mauvais goût ou l’outrance bavant sur son sujet.

Tout cela reste en permanence descriptif et présenté comme une sorte de thriller psychologique où chacun essaierait de tirer avantage d’une situation, de sauver toujours à cette époque ce qui prime, c’est-à-dire l’honneur, et de démêler les intentions cachées de tel ou tel camarade. Le titre du film est par conséquent ici bien trouvé parce qu’il s’agit bien de ça, arriver à y voir clair dans une jungle de tabous.

Le point fort du film est sans doute d’arriver à adopter malgré tout un angle contemporain faisant de la pratique, du rapport, ou de l’amour homosexuel quelque chose d’entendu mais tabou, autrement dit, l’homosexualité n’est jamais présentée comme une pratique impure, dégueulasse, criminelle ou perverse, juste un problème de cul, d’amour, de jalousie, suscitant trahisons et connivences cachées comme si tout cela se faisait aussi bien entre hétéros. Je doute qu’une telle approche puisse être réellement vue ainsi dans le Japon de cette époque, mais c’est encore possible.

Là où en revanche le film est beaucoup moins réussi, c’est au niveau de sa dramaturgie, de sa construction. Là encore Oshima ose les audaces (en particulier les voix off des pensées de certains personnages, les cartons explicatifs), mais à force de déstructurer son récit et de chercher à vouloir prendre de la distance, notamment en ralentissant volontairement le rythme pour jouer sur le mystère et la tension, il en vient à perdre le fil et c’est le thriller qui ne décolle plus. La fin est à ce niveau plutôt mal foutu : manque de tension, et dans la dernière minute, un épilogue trop démonstratif avec un Kitano tirant de tout ça une morale “orale” quand on se serait tout autant contenté du symbole du cerisier en fleur tranché. Pour un film jouant sur le mystère, la fin en manque sensiblement.


Tabou, Nagisa Ôshima 1999 Gohatto | Oshima Productions, Shochiku, Kadokawa Shoten Publishing Co.


Sur La Saveur des goûts amers :

Top films japonais

L’audace au cinéma

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La Femme du docteur Hanaoka, Yasuzô Masumura (1967)

L’école de la chair

La Femme du docteur Hanaoka

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Hanaoka Seishû no tsuma

Année : 1967

Réalisation : Yasuzô Masumura

Adaptation : Kaneto Shindô

Avec : Raizô Ichikawa, Ayako Wakao, Hideko Takamine, Yûnosuke Itô, Yatsuko Tan’ami, Chisako Hara

Du beau monde et un savoir-faire attendu pour ce film faisant le récit des expérimentations médicales d’un chirurgien japonais entre le XVIIᵉ siècle et le XVIIIᵉ vu sous l’angle familial, et en particulier à travers les yeux de sa femme et de sa mère.

Techniquement, c’est parfait. Une adaptation de roman biographique dont se charge Kaneto Shindô (le film est très efficace sur le plan narratif avec de très courtes séquences allant droit à l’essentiel et en passant rapidement et sans heurt d’une époque à une autre) ; une mise en scène rigoureuse et précise comme Masumura en réalisera beaucoup au cours de ces années 60 ; un directeur photo ayant notamment opéré sur L’Ange rouge et Une femme confesse (qui partagent avec celui-ci les mêmes choix de lumières) ; et bien sûr une distribution impressionnante avec Ayako Wakao dans le rôle de la femme du docteur, Hideko Takamine dans celui de la mère, et Raizo Ichikawa jouant le rôle-titre du chirurgien.

Cela serait parfait si l’idée de départ ne manquait pas un peu de souffle comme souvent pour les biographies, et plus encore quand il est précisément question de personnages illustres, respectés pour leurs travaux artistiques ou scientifiques. Ça manque globalement d’aspérité, et toute tentative pour créer un peu de frictions dans tout ça semble bien trop fabriquée.

L’intérêt est principalement informatif en rendant hommage et en mettant à la connaissance du public les innovations de ce chirurgien qui du fait de l’isolement du Japon n’auraient jamais été partagées en Occident. C’est que ses recherches ne sont pas anodines. Hanaoka avait une idée fixe et s’est appliqué toute sa vie à résoudre un même problème, à savoir arriver à pratiquer des anesthésies générales pour pouvoir opérer des patients atteints de tumeurs diverses. Ayant rapidement trouvé la fleur possédant les propriétés anesthésiantes désirées, le défi illustré une bonne partie du film sera surtout de trouver le bon dosage.

La Femme du docteur Hanaoka, Yasuzô Masumura 1967 Hanaoka Seishû no tsuma, The Wife of Seishu Hanaoka Daiei (1)La Femme du docteur Hanaoka, Yasuzô Masumura 1967 Hanaoka Seishû no tsuma, The Wife of Seishu Hanaoka Daiei (2)

C’est presque aussi passionnant que de voir un film sur Pasteur ou sur Marie Curie, alors pour rendre tout ça un peu plus dramatique, on choisit donc de montrer les événements à travers l’implication des deux femmes de la vie du chirurgien. Ainsi les vingt premières minutes augurent du meilleur : le médecin étant parti faire ses études à Kyoto, on suit les préparations du mariage en l’absence de celui-ci. Quelques années plus tard (quand même), le médecin se pointe, et c’est là que le film prend une tournure plus didactique, forcément dramatiquement moins intéressante, moins intense, car le récit se veut surtout illustratif. L’utilisation des deux femmes permet d’agrémenter l’histoire d’une rivalité un peu accessoire, voire parfois un peu triviale compte tenu des ambitions du médecin. Toutes les deux voulant sauver la face et faire ce qu’il y a de plus honorable en fonction de son rang, c’est à celle qui servira le mieux de cobaye… Que ce soit historiquement exact, peu importe, ça paraît franchement forcé, voire stupide. Heureusement, Shindô ne s’y attarde pas, et on évite de faire tourner ça au pugilat ou au concours grand-guignolesque.

Les années passent, les patients (et les petits chats servant de cobayes) aussi. Le médecin perd un à un les membres de sa famille, sa femme finit aveugle, mais tous ses efforts ne seront pas vains parce qu’il arrivera à opérer sous anesthésie générale et à procéder à l’ablation d’une tumeur cancéreuse au sein (ça va, facile…). L’intérêt aussi réside dans cette représentation crue, plus conforme sans doute à la réalité, loin du folklore historique émanant le plus souvent des films d’époque. Si l’histoire retient le spectacle des morts tragiques des guerres, des conflits, des petits drames sanglants, la mort qui rôde se présente le plus souvent à ses victimes avec un visage bien différent, moins spectaculaire, et contre quoi les hommes sont longtemps restés impuissants : la maladie.

On ne pouvait imaginer meilleur réalisateur que Masumura pour couper dans la chair, c’est certain, lui qui l’avait déjà fait sur un autre mode dans L’Ange rouge.

À voir pour les amoureux de l’histoire de la science et les autres qui apprécient le travail bien fait. Le film compte toutefois parmi la sélection des tops 10 annuels de la revue Kinema Junpo.


La Femme du docteur Hanaoka, Yasuzô Masumura 1967 Hanaoka Seishû no tsuma, The Wife of Seishu Hanaoka | Daiei


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une femme confesse 1

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Pandemonium, Toshio Matsumoto (1971)

Petit-Guignol

Note : 2.5 sur 5.

Pandemonium

Titre original : Shura

Réalisation : Toshio Matsumoto

Année : 1971

Avec : Katsuo Nakamura, Yasuko Sanjo, Juro Kara

Si proposer une œuvre à un spectateur, un lecteur, un auditeur, c’est toujours faire un contrat avec lui, attendre de lui de ne pas venir avec ses préjugés, lui laisser le temps de lui montrer dans quoi il veut l’embarquer, il y a des paris, ou des contrats, plus difficiles à tenir ou à accepter. À table, quand la maîtresse de maison propose aux convives son savoureux plat, encore plus quand il s’agit d’épinards noyés dans la crème fraîche ou d’un bucolique boudin vomi dans les pommes grillées, on risque tout de même gros ; en tout cas, les chances de satisfaire tout son monde sont pour le moins compromises. On sait aussi que pour étonner, se la raconter, il faut une bonne dose d’originalité, de parti pris, d’audace, d’intransigeance créative pour proposer sa vision et pas celle d’un autre… Matsumoto vise donc haut, il sait ce qu’il veut, ses choix sont clairs, et il a au moins le mérite de tenir la casserole jusqu’au bout même si on s’est étalés de tout son long sur son assiette en criant des plaintes dégoûtées en voyant la marchandise arriver.

Moi aussi, j’ai tenu jusqu’au bout. Pourtant, le contrat passé et qu’on doit signer le plus souvent au premier acte, pour dire « OK j’adhère à ce que tu proposes, on va se fendre la poire devant ce boudin bien juteux à défaut de s’envoyer un banal chausson aux pommes grillées » bah moi non, j’avais déjà mal au cœur quand on m’a présenté le menu.

Faut dire que le chef cuistot, je n’ai pas regardé qui c’était. Si je viens souvent avec ma bonne volonté, je viens surtout aussi beaucoup avec mon ignorance, ou ma mémoire défaillante, surtout quand il est question de cinéastes japonais.

Je découvre donc en rentrant chez moi que je n’ai pas plus apprécié Dogura Magura, et que j’avais été pas mal indulgent (grâce à son côté bien barré et dense) avec Les Funérailles des roses. Mais ces trois opus proposent une sorte de même contrat, qui, tout bien calculé, a peu de chance avec moi de marcher plus d’une fois sur trois. Il y a d’abord les prétentions stylistiques, faisant de la forme, à peu près, l’intérêt premier du film, et forcément, ça capte de la place, de l’attention, et on rechigne alors à présenter un récit propre, prêt à digérer, qui ne demande pas trop de travail au spectateur. Je n’attends pas forcément qu’on me donne un plat prémâché ou de la bouillie, mais il y a certains efforts, j’apprécie tout de même de ne pas avoir à les faire à la place du conteur. Matsumoto sait ce qu’il fait, et il connaît certaines méthodes de mise en scène aptes à le faire échapper aux codes du spectacle qu’il réprouve (en tout cas duquel il ne souhaite apparemment pas être lié) pour s’en approprier d’autres. De ces trois films (par ailleurs formellement très différents), on peut donc retenir au moins une même constante, un même objectif, celui d’user de distanciation. C’est là que je commence à grogner. Comme dirait Cocteau, j’aime la distanciation, mais la distanciation n’aime pas tout le monde. C’est comme le sel. Il faut savoir en mettre juste assez. Et si tes habitudes ne sont pas les miennes, il y a peu de chance que je te suive. Trop de distanciation, ça tue le fil logique du récit. À force de dire au spectateur « bon là, on va éviter tout effet d’identification, pour que vous puissiez voir la scène autrement et avoir un regard intelligent et non totalement vampirisé par l’élan émotionnel qu’on rencontre dans n’importe quel spectacle commun », eh ben je finis par sortir de table. Faut pas trop me le faire à moi. Je suis limite myope, et si on m’impose un peu trop de distance, je ne vois plus rien. Et à force de voir trouble, je m’efface, j’ai le souffle qui applause et le cerveau qui commence la vaisselle.

Pandemonium, Toshio Matsumoto 1971 Shura Toho Company, Art Theatre Guild, Matsumoto Production Company (1)Pandemonium, Toshio Matsumoto 1971 Shura Toho Company, Art Theatre Guild, Matsumoto Production Company (4)

Chaque spectateur est unique, et c’est bien un point où j’ai mes intransigeances — ou mes incohérences. Je peux digérer une mise à distance bien rance si on s’applique sur autre chose, sur les décors, la lumière, les jolies filles, les nichons… Seulement, c’était déjà le cas dans Dogura Magura. Préférer le Musée d’Orsay au Quai Branly, à chacun son affaire, et, là non plus, je n’ai rien pour me rincer l’œil. L’histoire n’a aucun intérêt (et je n’ai rien compris, c’est qu’on digère mal quand on ne fait que renifler un coup avant de s’étaler sur la nappe en gémissant des grands « Non ! non, j’en ai pas ! » et qu’une fois qu’on s’est fait gronder, tant pis, mais les épinards et le boudin, ça file droit sous la table). La lumière est pas trop mal, sorte de noir & blanc surexposé dans l’ombre d’un intestin fumant tout juste étripé, ou extirpé, de son gargouillant logis… façon Le Sabre du mal voire le Samouraï d’Okamoto, mais pour moi ça avait trop la saveur de L’Assassinat de Ryoma (encore une note bien conciliante), à savoir, une lumière qui finit par sentir la lèpre, le moisi…

J’en viens à l’aspect qui me pose le plus de problèmes dans le film. L’utilisation des décors, l’absence totale de hors-champ, ou de hors scène devrais-je dire. Parce que c’est bien de cela dont il est question, le parti pris de Matsumoto. L’aspect théâtral, je crois l’écrire assez souvent, c’est plutôt une fantaisie (ou une prétention) qui arrive sans mal à me satisfaire. J’ai grandi dans les moisissures des costumes et l’ombre du hors scène, ça rappelle des souvenirs. Mais c’est une moisissure chaleureuse, comme le bon crottin de cheval tout juste démoulé qui sent bon la campagne… Chacun ses vices. Le moisi où on se gèle les miches, où tout est froid et sans densité, sans profondeur, ça me fait plutôt flipper. (Je ne fais qu’essayer de proposer des pistes pour expliquer pourquoi les pommes oui, mais les pommes grillées, non… Vous, vous y glissez quoi sous la table ?… Bref.) Le théâtre oui, mais pas de celui-là. La distanciation, oui, mais comme procédé, non comme une fin, et la plupart du temps, comme rehausseur de saveur pour refaire ressortir l’identification. Si on recule, c’est pour mieux avancer. Il y a les lents, et l’élan. Moi je suis de l’école d’Hitchcock : dès que ça tend, il faut que ça gicle. La distanciation sert alors de pause salvatrice où tout le monde se rince les dents (et les yeux, c’est bien l’utilité des plans de transition) avant de passer au tableau suivant. Revigorés, on peut se lancer à nouveau vers un mouvement en avant que les théoriciens de la théorie nommeront « identification ». C’est ce qui donne le rythme à tout bon récit, une respiration, comme le bon moyen d’arriver à faire sept fois l’amour du coucher à l’aube et de l’aube au goûter.

Ce n’est évidemment pas ce que fait Matsumoto. Et je ne suis même pas sûr qu’il y ait une volonté brechtienne d’utiliser le procédé. C’est juste qu’on se la pète en faisant un machin chiant à mourir debout (chting, au fait, c’est un film de samouraï : katana que le moule…) et qu’on y voit que dalle parce que l’intérêt n’est pas de voir, mais de regarder (il y en a bien qui se pincent le nez en s’enfilant du caviar à la grosse cuillère). « Je te la montre, tu me montreras la tienne ». Heu, non, je ne marche pas. Je veux savoir si elle a vraiment quelque chose à dire… Cherche toujours à y voir quelque chose, c’est bien opaque, bien étudié pour que tu puisses mâter (t’arrêter) sur le décor vide balayé d’une douche de lumière façon jacuzzi (et faut pas croire qu’avec une seule douche de lumière on aurait gagné un yakuza — original ne veut pas toujours dire singulier).

Pour redevenir sérieux, ce qui finit par marcher dans un Dogville par exemple, ne marche jamais pour moi ici. Je n’ai pas bien compris l’intérêt d’en faire du théâtre filmé, en dehors du fait que c’est écrit comme ça (c’est une adaptation). Formellement, ça n’a aucun intérêt, je n’y crois pas une seconde, et ça plombe le film pour y comprendre quelque chose. Bien sûr, on n’est pas dans un huis clos puisqu’on peut profiter de la construction en tableaux, et que les lieux peuvent ainsi changer au gré des séquences. Mais en dehors de ça, Matsumoto s’amuse tout seul en s’interdisant toute contextualisation des scènes à travers les plans habituels d’introduction, plans généraux, présentant le cadre, la rue, pour montrer que le cœur des scènes s’inscrit dans un monde réel. S’il en fait à mon sens beaucoup trop dans cette voie, il est au moins cohérent parce que sa direction d’acteurs suit la même logique. La particularité du théâtre, de par sa contrainte spatiale, c’est que la contextualisation, le dehors, est évoquée à travers les mots, et depuis Stanislavski, grâce à tout un jeu d’acteur (en gros, la psychologie, l’apparence, le comportement). Là, rien de tout ça. On enfonce le clou (ce n’est pas celui du spectacle) pour priver le spectateur de toutes ces petites indications qui fleurent bon l’air frais du dehors. Le jeu est par ailleurs follement théâtral, mais pas dans le bon sens du terme. Là encore on est dans la distance, mais la distance plate, insipide, creuse, moite, pâle, puante et gémissante des acteurs incapables de se parler et de s’écouter. « Je fais genre je te parle mais en fait je me la raconte, et ça, c’est parce que j’ai un texte très écrit qui dépasse ma pensée ». Alors voilà, ça dégobille des mots mais les yeux et les attitudes sont figés. Lors de la première scène où la violence éclate, une femme prend un sabre et menace de s’éventrer avec. Les autres restent de marbre ou ébauchent un clin d’œil, un lavement de sourcil (les yeux qui gargouillent chez les acteurs, c’est fréquent), mais le corps dit non et le regard reste vide. « Sortez-moi de là, je ne sais pas quoi faire ! Alors, je ne fais rien. Pis le metteur en scène m’a dit de me mettre là et de rien faire… » On remarquera au moins l’étrange cohérence d’ensemble parce que pas un (en dehors de celui qui avait quelque chose à dire — j’ai un « texte, là, il est souligné, c’est signe que c’est mon tour et qu’on me regarde dans ma gloire conifère, et alors que j’existe ») ne bouge. Effet, hum, très intéressant de distanciation, pour sûr, puisqu’on n’y croit pas une seule seconde. Y aurait, encore, le choix d’en faire un truc hiératique à la manière du kabuki, pourquoi pas, mais non, là c’est un entre-deux, une pénombre pénible, qui douche mon plaisir… Il n’y aura pas plus de figurants ou de troisième rôle pour épaissir un peu la pâte du réel, non… Distanciation plein pot. Microscope en cul-de-bouteille. Ça prétend regarder le monde quand ça ne regarde que son nombril.

Reste le découpage. Et là Matsumoto fait n’importe quoi. Du théâtre filmé, il n’arrive pas trop mal à s’en extirper avec un montage, au cœur, qui laisse bien voir et donne le rythme, même si parfois un peu trop en pieds, en plan moyen (mais si on n’en profite pas avec des mises en place de théâtre, on n’en profite jamais). Mais Matsumoto tombe encore dans le piège du ton sur ton quand il est question de mettre en scène la violence, les éclats, les giclées sanglantes… Ça boudine et ça flatule du bas et j’ai le haut qui bâille… Chting chting ! on passe d’un découpage plan-plan de télévision (à quoi rappelle le format) à une charpie répétitive qu’un étudiant en seconde année de cinéma n’oserait même plus proposer… Ce sont les années 70, et ça se voit. On découpe, on tranche, et on montre, on montre tout. Parce que c’est la révolution et que ça n’a jamais été fait. C’est gore et j’ai l’alien qui en bave d’ennui. Comme si Roméro s’invitait soudain à la table de Rohmer. Faut dire que c’est un peu le style Matsumoto. La grossièreté. Le mauvais goût. Mais entre le baroque et le n’importe quoi suspect, il y a parfois un poil qui glisse au mauvais endroit.

Bref, grosse déception.


Pandemonium, Toshio Matsumoto 1971 Shura | Toho Company, Art Theatre Guild, Matsumoto Production Company 


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Samouraï, Kihachi Okamoto (1965)

Noir Leone

Samouraï

Note : 5 sur 5.

Titre original : Samurai

Année : 1965

Réalisation : Kihachi Okamoto

Avec : Toshirô Mifune, Keiju Kobayashi, Michiyo Aratama, Yûnosuke Itô, Eijirô Tôno, Tatsuyoshi Ehara

— TOP FILMS

Formidable combinaison entre chambara, film noir, western spaghetti, tragédie identitaire…

Le film commence par une embuscade avortée à la porte de Sakura par un groupe de samouraïs visant l’assassinat du premier ministre Ii Naosuke. Cet échec va mener à une seconde embuscade, qui, elle, aboutira : l’Incident de Sakuradamon (sans doute moins connu que l’histoire des 47 Ronins). Tout l’intérêt ici est de travestir l’histoire en faisant intervenir des personnages et des incidents non répertoriés dans les livres d’histoire. Pendant tout le film, un scribe, ou historien officiel, est chargé de retranscrire par le chef des conspirateurs les événements qui feront rentrer le groupe dans la postérité. Et quand certains événements ne leur sont pas favorables, on réécrit l’histoire.

Idée géniale à la fois pour légitimer la possibilité d’une autre version de l’histoire (qui n’est qu’un prétexte à inventer de nouveaux personnages, en particulier celui de Toshiro Mifune, ou pour rappeler une nouvelle fois que ce ne sont jamais que les puissants et les vainqueurs qui l’écrivent, l’histoire), pour faire rentrer le public japonais dans un contexte historique qu’il est censé connaître (en tout cas plus qu’un public occidental), mais aussi parce que c’est de l’or pour construire une histoire épique, les déclamations de ce scribe servant tout au long du récit à intervenir pour expliquer le contexte ou accélérer l’action comme le ferait un coryphée dans le théâtre antique ou une voix off dans un péplum.

On pourrait toujours dire qu’il n’y a rien de naturel dans le récit du scribe, mais c’est justement cette grandiloquence, cette déclamation saccadée, presque criée, qui fait rentrer le spectateur dans une histoire épique. On sent donc ici toute l’influence du théâtre japonais. C’est précisément ce qu’est un jidaigeki. Pas seulement un film en costume, mais avec un style de jeu bien particulier (en dehors des films de Mizoguchi, plus réalistes). On le voit dans la première scène entre Toshiro Mifune et Keiju Kobayashi : ils discutent en marchant dans les couloirs de la résidence du chef de clan, et leur jeu n’a rien de naturel. L’idée est bien d’incarner des héros, des caricatures, et les répliques sont dites de manière outrancière. Mais c’est cette distanciation qui donne du souffle à la fable. Pourquoi se soucier de réalisme ? L’idée, ce n’est pas de rabaisser des héros à la condition de simples hommes, mais au contraire de les élever au rang de demi-dieux. L’acteur ne prétend pas incarner un personnage : il se met derrière comme un marionnettiste sans souci de cacher les artifices de son jeu.

Samouraï, Kihachi Okamoto 1965 Mifune Productions Co. Ltd., Toho Company (2)_saveur

Samouraï, Kihachi Okamoto 1965 | Mifune Productions Co. Ltd., Toho Company

Cette première scène d’ailleurs n’est pas sans rappeler l’introduction, également très théâtralisée, de Kill, que Kihachi Okamoto réalisera quelques années plus tard. L’unité de lieu y fait pour beaucoup. Le récit n’est une suite que de contractions et de distension du temps. Au début, pesant, pour insister sur l’attente, l’incertitude, et ensuite, rapide. On retrouvera le même principe dans la scène finale, et trois ans plus tard dans l’introduction d’Il était une fois dans l’Ouest. L’ajout du personnage de la serveuse, outrancièrement aimable, insouciante, vient en contrepoint avec l’atmosphère lourde de la scène qui ne fait que la renforcer.

L’utilisation de la neige dans ces deux scènes d’introduction et de conclusion offre des images saisissantes (et c’est pourtant semble-t-il un fait historique : voir le lien en fin de commentaire). La neige donc, au début et à la fin ; et tout du long, une pluie incessante. Même quand on ne la voit pas, on l’entend tomber dans chaque scène, ce qui là encore ne fait que renforcer l’atmosphère apocalyptique du film. Et il s’agit bien de la fin d’un monde. L’Incident de Sakaradamon est au cœur du Kakumatsu, cette courte période de chaos succédant à l’arrivée des navires américains au Japon et mettant fin à son isolationnisme. L’une des dernières phrases d’Ii Naosuke avant de mourir, sera d’ailleurs révélatrice : « C’est la fin du Japon, la fin des samouraïs ».

Une fois que l’assassinat est reporté, le film se propose donc de revisiter l’histoire. Si on est Japonais, on sait parfaitement comment doit s’achever le film : par la réussite des conspirateurs dans leur entreprise. L’intérêt n’est donc plus politique et lié à ce seul souci de tuer le ministre (c’est bien cet aspect trop « historique », plan-plan qui m’ennuie dans l’histoire des 47 Ronins), mais de proposer une « petite » histoire à l’intérieur de la « grande ».

Si le plan des conspirateurs a échoué dans un premier temps, c’est que le ministre en avait été informé. Il faut donc trouver le traître qui se cache dans leurs rangs. La dynamique du film vient alors s’articuler autour d’une enquête jouant sur les différences de points de vue. Le personnage de Mifune et celui de Kobayashi apparaissent très vite comme les suspects principaux. On est amené à les connaître à travers l’exposé d’un enquêteur, d’un témoin, d’un ami. Chaque scène d’interrogatoire se transforme alors en flashback. On pourrait être autant dans Rashomon, Barberousse que dans un bon film noir. La même quête de la vérité (idéal pour le « récit épique » : la pièce épique par excellence étant Œdipe roi, qui est une enquête sur les origines), les mêmes mensonges, et surtout la même fascination pour ces tranches de vie racontées. Il faut comprendre les motivations de Mifune et Kobayashi à rejoindre le clan, et pour cela, on doit raconter leur histoire. Celle de Kobayashi, loin d’être une fausse piste, les mènera finalement au véritable traître, et sera surtout le prétexte, cruel, donné à Mifune pour prouver sa loyauté envers le clan…

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Comme dans Œdipe, ce qui était d’abord une enquête pour résoudre un problème d’ordre général (le traître parmi le groupe), se transforme en une quête personnelle sur les origines. Mifune ne connaît pas son père, et comme dans toutes les familles monoparentales…, ça pose problème. Du pain béni pour l’acteur qui peut jouer son personnage favori de bougon crasseux. Seule différence avec la pièce de Sophocle, c’est le chef de clan qui mène ici l’enquête. Mifune s’est depuis un moment résolu à ne pas connaître son père. C’est donc ce chef qui va découvrir la réalité de ses origines… La dernière demi-heure met ainsi en concurrence deux aspects de la trame, que le chef de clan voudrait éviter de se voir réunis. La petite histoire ne peut devenir la grande. Et cette histoire est bien cruelle. Mifune ne connaîtra jamais la vérité. À l’image de la vérité cachée par le scribe obéissant à son chef…

La morale est claire : si on connaît les événements majeurs d’une histoire, on ne peut en mesurer tout le poids, comprendre les enjeux, et saisir les ambitions ou les histoires personnelles qui se cachent derrière chaque individu. Ce qu’on connaît de l’histoire est toujours la part émergée de l’iceberg. Le ministre a été tué, c’est un fait indéniable. Pour le reste, il suffit d’un nom barré, d’un incident évincé, pour que les raisons et motivations cachées derrière un tel acte demeurent un mystère. Cette image finale du film, qui est probablement bien ancrée dans l’imaginaire nippon*, celle de Mifune, héros hypothétique, oublié, rayé des livres d’histoire, se trimbalant glorieusement avec la tête du ministre au bout d’une pique, c’est un peu le symbole de nos craintes concernant tous les acquis qui nous précèdent : et si nous aussi ne nous trimbalions pas sans le savoir avec la tête de notre père sur une pique ? Derrière chaque événement de l’histoire se cache une ombre, un doute, des héros oubliés, des livres d’histoire trafiqués. Qu’un chambara parvienne, tout en nous proposant des scènes de katana d’une belle inventivité, à nous questionner sur le sens de l’histoire, sur la nature des héros, c’est plutôt jouissif et inattendu. Du spectacle, et du sens.

* L’incident de Sakuradamon (1860) (soierie)

Incident de Sakuradamon (1860)


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